Corps de l’article

Le tournant du siècle fut marqué par des mobilisations altermondialistes et antiguerre suivies, en 2011, du Printemps arabe et d’Occupy (Rasmussen, 2015). Des millions de personnes prennent la rue, se rassemblent et se réapproprient quartiers, villages, parcs, maisons, écoles et milieux de travail, gèrent des cliniques de santé, organisent des systèmes de troc et de dons, produisent pour répondre à leurs besoins et ce, sans chef (Dixon, 2014 ; Sitrin et Azzelini, 2014). Au Québec, un tel mouvement est visible à partir de 2001 lors des mobilisations contre les traités de libre-échange et la guerre en Irak (Sarrasin et al., 2016), pour ensuite s’élargir et se diversifier dans la grève générale étudiante de 2012 (Ancelovici et Dupuis-Déri, 2014). Une recherche menée par l’auteure avec le Collectif de recherche sur l’autonomie collective (CRAC) démontre que dans ce mouvement social, les militant.e.s antiautoritaires partagent une culture politique constituée d’une posture politique contre l’exploitation et l’oppression et pour l’autonomie, le respect de la diversité et l’aide mutuelle ; une stratégie qui vise à perturber le statu quo par le recours à l’action directe et à construire, ici et maintenant, des subjectivités, relations et pratiques qui sont cohérentes avec leur boussole éthique antiautoritaire et finalement une forme organisationnelle décentralisée et non hiérarchique (Breton et al., 2015 ; Sarrasin et al., 2016).

Le concept d’autonomie collective a été retenu par le CRAC pour désigner ce projet politique qui unit les antiautoritaires sans être toutefois formalisé. Ce concept a été coélaboré avec 200 militant.e.s libertaires qui ont participé de près ou de loin au projet de recherche :

[L’autonomie collective est un processus] ancré dans la promotion d’une société fondée sur les principes de l’autodétermination — possibilité pour une collectivité de disposer d’elle-même — et de l’auto-organisation — possibilité pour cette même collectivité de contrôler les moyens qui orientent sa destinée. En ce sens, le projet politique de la communauté antiautoritaire ne se révèle pas tant dans le rapport qui est établi avec les autorités politiques que dans un mode de résistance déployé au quotidien et dans des espaces de proximité, sur la base des expériences concrètes vécues par des collectivités

Sarrasin et al., 2016, p. 231

Dans la foulée de ces mouvements et des luttes contre l’embourgeoisement des quartiers ouvriers de Montréal, le collectif La Pointe Libertaire lance en 2007 un appel à squatter une usine abandonnée pour y faire vivre un centre social autogéré : « Nous voulons mettre sur pied un espace où l’autonomie collective sera enfin possible et où la démocratie regagnera ses lettres de noblesse par son application directe »[2].

Cet article propose d’examiner les pratiques politiques, culturelles et économiques mises en oeuvre par le Centre social autogéré de Pointe-Saint-Charles (CSA) à l’aune du concept d’autonomie collective. En rendant visibles ces pratiques (Gibson-Graham, 2014), il est possible de mieux saisir la portée révolutionnaire de cette initiative libertaire qui se déploie en marge de l’économie sociale au Québec. On offre d’abord une brève chronologie du chemin qui a mené à l’expropriation populaire d’un bâtiment industriel par le CSA et ses alliés. Ensuite, on utilise, conjointement avec les idées du CRAC, des éléments de la pensée de George Katsiaficas (2001) et de Marina Sitrin (2012), chercheur.e.s engagé.e.s des mouvements autonomes européens et argentins respectivement, pour analyser les pratiques politiques et culturelles du CSA. Pour les pratiques économiques, c’est la pensée de Katherine Gibson et feu Julie Graham qui sera mise à contribution. Écrivant sous le pseudonyme de J.K. Gibson-Graham, ces géographes expertes d’économie politique ont développé une théorie de l’autodétermination économique basée sur 30 ans de recherches empiriques auprès de communautés qui prennent en charge divers aspects de leur vivre-ensemble (1996, 2006).

Avant de continuer, il y a lieu de préciser que l’analyse est largement informée par l’expérience de l’auteure. Celle-ci est cofondatrice de la Pointe libertaire et du CSA et a donc été partie prenante du cheminement décrit dans ce texte. L’analyse est aussi basée sur des documents produits par le CSA et sur le récit de la lutte écrit par la Pointe libertaire. Il est donc impossible de démêler l’analyse de l’auteure de celle de ses camarades de lutte, non seulement à cause des débats et conversations qui ont eu lieu sur le terrain, mais aussi à cause de la participation de bon nombre de militant.e.s du CSA au projet de recherche mené par le CRAC, dont l’auteure était la chercheure principale.

Aperçu historique

Le squat

Après une assemblée publique en 2007, des dizaines de militant.e.s débutent une campagne de mobilisation qui dura deux ans et culmina par le squat de l’usine abandonnée Seracon sur le Canal-de-Lachine. Dans l’optique de montrer que le squat était une tactique efficace pour contrer l’avancée de l’embourgeoisement[3], le CSA, itinérant, investit des espaces publics et y organise les activités qu’il aimerait voir dans ses locaux permanents. Voisin.e.s et allié.e.s participent à des ateliers de réparation de vélos, des projections de films, des concerts, des partys, des soirées poésie, des ateliers sociopolitiques, des séances de récupération et de transformation d’aliments et des repas collectifs. Le 29 mai 2009, soutenu par 70 organisations ayant signé une déclaration de solidarité et 500 personnes qui participent à la manifestation, le CSA squatte l’usine Seracon. En 24 heures, cuisine, toilettes, dortoirs et scène sont installés. Mais avant le concert d’ouverture la police intervient et évince manu militari les militant.e.s.

L’expropriation populaire du Bâtiment 7

Les militant.e.s du CSA concentrent ensuite leur énergie dans la campagne pour exproprier, au profit de la collectivité, un bâtiment de 90 000 pi2 sur d’anciens terrains du Canadien National appartenant maintenant au magnat de l’immobilier Vincent Chiara. Cette bataille est menée par le Collectif 7 à Nous qui comprend le CSA, des résident.e.s, des organismes culturels, communautaires ou issus de l’économie sociale. Après trois ans de lutte, Chiara est contraint de céder gratuitement le bâtiment au Collectif 7 à Nous, de le décontaminer et de faire don d’un million de dollars pour les rénovations (Kruzynski et Silvestro, 2013 ; La Pointe libertaire, 2013 ; Triollet, 2013). Cette victoire inusitée est le résultat d’une combinaison de facteurs, au premier chef la convergence d’acteurs créatifs disparates qui mettent de l’avant une diversité tactique alimentée par un but commun (Silvestro, 2012). Pendant que l’influente Fonderie Darling négociait directement avec V. Chiara, la table de concertation Action-Gardien — composée d’une trentaine de groupes communautaires locaux — talonnait les élus locaux et mobilisait les résident.e.s du quartier. Le CSA, plus contestataire et propulsé par l’action directe, agissait comme si le bâtiment était déjà « à nous » en organisant des squats ponctuels, festifs et familiaux.

Tenir le fort

De 2012 à 2017, le Collectif 7 à Nous, devenu un OSBL, a vaillamment tenu le fort pendant les longues et ardues négociations pour la cession de la propriété. La plupart des personnes impliquées au CSA, désillusionnées ou simplement ennuyées, s’éloignent du projet. En 2013, au CSA, il est décidé de se mettre en veille jusqu’à la cession officielle. Quelques libertaires demeurent impliqué.e.s au Collectif 7 à Nous comme membres du Conseil d’administration, membre de comités ou travailleuse rémunérée. Cette étape aura permis la réalisation de plans architecturaux, d’un montage financier et la production d’un film documentaire[4] avant la cession officielle du bâtiment le 28 avril 2017.

La Fabrique d’autonomie collective

Dès lors la rénovation de l’immeuble s’accélère et une pléthore de personnes veut participer à cette « fabrique d’autonomie collective »[5], dont l’ouverture est annoncée pour le printemps 2018. Le bâtiment sera converti « en un lieu de rassemblement alternatif accessible et bouillonnant de projets [qui] aspire à devenir un moteur de transformation culturelle, sociale, politique, économique et environnementale »[6]. Le CSA sort de son hibernation, des visages familiers reviennent accompagnés de nouvelles forces vives issues des récentes grèves étudiantes. Trois entreprises collectives portées par des libertaires forment le tronc de la première phase de développement du Bâtiment 7 (le pôle des pratiques) : l’épicerie Le Détour ; le broue-pub des Sans-Taverne et la fonderie artistique La Coulée. Sans compter, d’une part, une coopérative de travail autogérée par des jeunes du quartier qui mettra en place une arcade et, d’autre part, quelques 12 000 pieds carrés d’ateliers collaboratifs (vélo, mécanique, bois, sérigraphie, photo, peinture) et de communs (salle polyvalente, salle de réunion, douches, cuisine, rangement) qui seront administrés par le Collectif. Trois autres phases de développement sont prévues dans l’échéancier : le pôle famille-santé (CPE, maison de naissance, santé alternative) ; le pôle alimentaire (serre, jardins, cuisine, entrepôt, fermette) ; le pôle art contemporain porté par la Fonderie Darling (ateliers créatifs et salle de diffusion)[7].

Examinons maintenant les pratiques mises en oeuvre par le CSA.

Une diversitÉ de pratiques subversives

L’autonomie collective, ce processus basé sur les principes d’autodétermination et d’auto-organisation, est au coeur du projet politique du CSA. Suivant la définition mise de l’avant par le CRAC, « l’activité politique [du CSA] n’est pas fonction d’une éventuelle prise du pouvoir des institutions étatiques ou de l’exercice d’une pression politique sur les détenteurs de ce pouvoir, mais d’expérimenter des pratiques susceptibles de répondre aux besoins et aux visées de collectivités autodésignées » (Sarrasin et al., 2016, p. 231). Les pratiques politiques, culturelles et économiques dont il est question ici ne sont pas mutuellement exclusives ; au contraire, elles sont diversifiées, s’imbriquent, se recoupent et s’influencent les unes les autres.

Pratiques politiques

Les membres du CSA font le choix d’expérimenter « une philosophie organisationnelle basée sur la décentralisation et l’autonomie ; c’est-à-dire, la démocratie directe, l’autogestion, l’auto-organisation, reposant sur la responsabilité individuelle et collective »[8]. De plus, en affirmant que le processus vécu au jour le jour est aussi important que le résultat final, le CSA se place en porte-à-faux de ce qui est habituellement conçu comme de la politique (Katsiaficas, 2001). Fidèle au principe d’autodétermination, ce sont les membres qui délibèrent, inventent la structure et les modes de fonctionnement, les expérimentent et les adaptent en cours de route. Ainsi au début la forme privilégiée est l’assemblée générale ouverte. Avec le temps se mettent en place des projets autonomes et la structure se modifie. Chaque projet étant autonome, ce sont les personnes qui s’y investissent qui décident de son fonctionnement interne et participent, par le biais d’une délégation, à un conseil des porte-parole qui permet de gérer l’ensemble.

Quelques mois avant le squat, le CSA décide de repasser à l’assemblée générale, structure décisionnelle plus adaptée aux besoins du moment. L’assemblée réunit les personnes impliquées dans les projets autonomes et est aussi ouverte à toute personne partageant les principes du CSA et s’engageant à participer d’une manière ou d’une autre à ses activités. L’assemblée générale se donne à ce moment des délégué.e.s pour participer au Collectif 7 à Nous qui a entrepris, parallèlement, la campagne pour l’expropriation du Bâtiment 7. Forte de son expérience au sein du CSA et de la confiance qui y règne, c’est une délégation sans mandat explicite qui convient toutefois de ramener en assemblée générale tout sujet épineux.

Quelle que soit la structure décisionnelle en place au CSA, la discussion se poursuit jusqu’à l’atteinte d’un consensus. Des mécanismes sont implantés pour améliorer l’efficacité des rencontres et, en même temps, gérer les dynamiques de pouvoir : équilibrer les prises de parole, utiliser des gestes pour signifier l’accord ou le désaccord ou la prise de décision (par ex. applaudissement silencieux), désigner un.e « gardien.ne du senti » et permettre des moments « comment ça va » pour donner l’occasion de partager les états d’âme. Ce sont des mécanismes qui, avec les structures décisionnelles horizontales, caractérisent les mouvements autonomes de par le monde (Katsiaficas, 2001). Marina Sitrin explique bien le phénomène :

Une des nombreuses raisons pourquoi l’horizontalidad est, non seulement très puissante, mais aussi utilisée par des millions de personnes à travers le monde, c’est qu’elle permet la prise de décision collective en se fondant sur la parole et l’écoute de chaque individu : c’est une politique de l’écoute sans jugement plutôt qu’une recherche de pouvoir sur l’autre. »

Stirin, 2012, p. 70, traduction libre

Pratiques culturelles

Des structures horizontales et des modes de fonctionnement égalitaires ne sont pas suffisants pour qu’émergent des rapports sociaux non autoritaires et des subjectivités différentes. Les militant.e.s du CSA sont conscients que chaque personne, ayant été socialisée dans une société différenciée et stratifiée, doit travailler consciemment à se débarrasser des « outils du maître » et à les remplacer par des manières d’être, de penser et de faire qui préfigurent des futurs égalitaires. Sachant que l’autonomie collective est un processus culturel continu, le CSA se dote de pratiques médiatiques, éducationnelles et de vie (kinship), imbriquées aux pratiques politiques et économiques discutées ici, au sein desquelles les membres expérimentent des valeurs et des normes compatibles avec leur culture politique libertaire.

Éducation

La longévité et le rayonnement des mouvements autonomes, ainsi que la transformation des subjectivités, sont directement influencés par l’importance accordée à la formation (Breton et al., 2015 ; Sitrin, 2012). Afin de partager ses positions politiques avec le plus de monde possible, le projet autonome « éduc pop » du CSA et le comité autoformation organisent au fil des ans des ateliers publics sur divers thèmes : la communauté autochtone de Tyendinaga ; l’histoire de l’action communautaire à Pointe-Saint-Charles ; l’économie participaliste ; le bilan du squat Overdale-Préfontaine, etc. Le CSA se donne aussi un programme de formation interne notamment sur les processus économiques émancipateurs, la planification stratégique ou l’élaboration d’une campagne pour gagner une revendication. En plus de ces moments formels de formation, le CSA a des mécanismes de partage d’habilités tels que l’accompagnement des nouvelles personnes, la rotation des tâches ou le jumelage avec une personne d’expérience. Les membres peaufinent les processus de prise de décision par consensus et s’éduquent sur le langage de domination et sur le leadership non autoritaire. Afin de décentraliser l’accès à l’information, il se donne des outils et des procédures, dont un guide qui inclut les principes, le code de vie et des outils sur l’action directe.

Médias

L’autonomie collective implique le déploiement de pratiques d’autoreprésentation (Jeppesen et al., 2014 ; Katsiaficas, 2001) et le CSA y souscrit. Le projet autonome Médias libres s’occupe de monter l’infrastructure nécessaire à la production médiatique et s’allie avec d’autres militant.e.s médias pour gérer un ensemble d’ordinateurs réseautés et d’équipements d’enregistrement vidéo et audio. Il conçoit aussi une antenne portative qui permet de capter le signal Internet de différents endroits dans le quartier (pour le squat notamment). Il se donne les moyens d’assurer une communication constante avec ses membres, ses sympathisant.e.s et le grand public : production et distribution de tracts, brochures et zines lors d’événements ; affichage légal et sauvage ; graffitis ; diffusion sur le site Internet du CSA ou du Centre des médias autonomes du Québec ; envois par listes de diffusion courriel.

Des militant.e.s produisent en plus une série de courts documentaires pour des fins de mobilisation et pour alimenter la campagne autour du squat. Cette stratégie médiatique a été planifiée minutieusement :

Considérant la nature de notre projet, nous privilégierons l’interaction avec les médias alternatifs (afin) de nous prémunir contre l’éventuelle désinformation des médias conventionnels. Dans l’éventualité d’une couverture biaisée, il sera possible de répondre en faisant référence aux publications antérieures parues dans les médias alternatifs. Afin de favoriser la cohérence et l’intégrité de notre message, un comité de porte-parole assurera l’interface avec les médias[9].

Le comité de porte-parole élabore un pense-bête médiatique[10] afin que chaque personne puisse s’approprier le discours et se préparer à faire face aux questions des médias de masse. Un message sous forme vidéo[11] est préparé pour expliquer le contexte historique du quartier, la déclaration publique du CSA et sa position sur les médias. De plus, les porte-parole sont masqués pour nier le vedettariat et mettre de l’avant l’aspect collectif et horizontal de l’action. La stratégie fonctionna : les médias de masse furent contraints de se plier à ces règles et, de plus, les photo-, audio- et vidéoreportages autonomes fusèrent.

Le milieu de vie

Nous avons besoin de gens motivés, polyvalents, qui en ont marre d’interagir dans une société patriarcale, capitaliste, raciste et avide de biens matériels. Nous voulons des relations sociales riches, égalitaires, qui nous permettent de remplir à la fois nos besoins vitaux [...] et nos désirs d’amour, d’amitié, de culture et d’art[12].

Le personnel est politique au CSA et il y a un souci de créer des espaces sécuritaires, accueillants, ouverts sur la diversité et accessibles à toutes et tous. Les militant.e.s mangent ensemble, s’occupent des enfants des un.e.s et des autres, partagent leur vécu, développent des relations amoureuses, fêtent ensemble. Chacun.e y vit des beaux moments et d’autres de tension, développant ainsi une appartenance à partir de ses propres besoins et désirs : un cercle d’ami.e.s, des colocataires, un groupe d’affinités, une famille intentionnelle. Le CSA se construit sur la politica afectiva :

Le nouveau sujet est la nouvelle personne partie prenante de ces nouvelles relations ; un sujet ancré dans la politica afectiva — une politique d’affection, d’amour et de confiance. Parallèlement à ce nouveau protagoniste individuel, un nouveau protagoniste collectif émerge avec de nouvelles façons de parler du nous (nosostros, we/us) et du nôtre (nuestro, our) en relation au je(yo, I/me). Cette aspiration est réellement une nouvelle conception du sujet individuel à travers de nouvelles conceptions du collectif. Ces nouvelles relations, propulsées par la notion de dignité, sont les unités de mesure du succès de ces révolutions

Stirin, 2012, p. 70, traduction libre

Il ne s’agit pas de prétendre naïvement que toutes et tous s’aiment aveuglement, mais plutôt de rendre visibles les pratiques culturelles qui — à la différence de celles qui découlent des normes et institutions dominantes — contribuent à l’émergence d’un vivre-ensemble basé sur le respect, la solidarité et la responsabilité[13]. Ces rapports cimentent les relations, créent un espace dans lequel il est sécuritaire de vivre sa différence et qui permet de soutenir le courage et la persévérance quand la lutte est difficile.

Pratiques économiques

Pour les membres du CSA, l’autonomie collective est aussi un processus de subversion de l’économie, cet ensemble d’activités par lesquelles les gens produisent, échangent et distribuent les biens et services nécessaires pour bien (sur)vivre (Gibson-Graham et al., 2013). Les outils conceptuels développés par Gibson-Graham expliquent en quoi la praxis du CSA contribue, à petite échelle, à l’émergence d’une économie politique centrée sur la pratique de l’autodétermination économique (Gibson-Graham, 1996, 2006). Gibson-Graham avancent que le projet politique post-capitaliste serait de « faire vivre des économies de communauté en ouvrant des espaces de prise de décision éthique et politique au sein desquels l’interdépendance est construite au fur et à mesure que les gens transforment leurs moyens d’existence (ou de subsistance) et leurs vies en général » (Gibson-Graham et al., 2013, traduction libre). Elles proposent des pistes de réflexion autour de cinq coordonnées éthiques pour guider ce processus : l’entreprise, la propriété, le travail, les marchés et la finance. On discutera ici des quatre dernières parce que l’auteure n’a pas eu accès aux réflexions ayant mené à la création des trois entreprises issues du CSA[14]. L’objectif de cette section est donc de démontrer que le CSA peut être conçu comme une économie de communauté parce que ses membres mettent en oeuvre et/ou font des choix éthiques pour des pratiques économiques diversifiées qui sont compatibles avec un vivre-ensemble plus juste et écologique.

Se (ré)approprier la propriété : élargir le(s) commun(s)

Dans une économie de communauté, les propriétés closes ou laissées à l’abandon, peu importe leur statut légal, peuvent être transformées en communs (Gibson-Graham et al., 2016). Plutôt que de penser les communs comme une « chose » associée à une propriété publique ou en libre accès, toujours assujettie à l’enclosure, Gibson-Graham suggère qu’on ouvre l’horizon des possibles en conceptualisant les communs comme un processus. Suivant ce raisonnement, la pratique du commun (commoning) fait référence à ces relations parfois conflictuelles vécues dans les communautés-de-commun, entre humains, entre humains et le-monde-des-plus-qu’humains, par rapport à l’accès, l’utilisation, l’avantage, le soin et la responsabilité des choses, matérielles et immatérielles. Et ces communautés-de-commun qui pratiquent le commun sont elles-mêmes constituées par ce processus (Gudeman, 2001, cité dans Gibson-Graham et al., 2016).

La pratique du commun est au centre de toutes les activités du CSA (Kruzynski, soumis). Pour lui, le quartier — le territoire et ses installations — est commun ou est à transformer en commun : « nous pensons qu’il est entièrement légitime, et même essentiel, d’occuper, de rénover et d’utiliser les bâtiments existants selon les aspirations et intérêts des gens de la communauté et du milieu montréalais »[15]. En squattant une usine destinée à être transformée en condos, le CSA a élargi l’accès à cet espace privé. Pendant une journée, les membres se sont mis à négocier l’utilisation des lieux et à en prendre soin. Aujourd’hui, 10 ans plus tard, seule la moitié du terrain est occupé par les condos, l’autre moitié ayant été transformée en parc suite aux luttes locales. Une demi-victoire, donc... Ensuite, pendant la campagne pour l’expropriation populaire du Bâtiment 7, la contribution principale du CSA a été d’organiser des mini-squats sur le terrain concerné : tire sur neige, BBQ populaire, marché public, soirée cinéma, etc. En faisant cela, le CSA niait le caractère clos du lieu et le négociait comme élargissement des communs.

On résiste ainsi à l’enclosure des communs. Les actions directes contribuent à élargir l’espace de liberté sur le territoire tout en créant un contre-pouvoir face à l’autorité publique et aux promoteurs capitalistes qui se la sont appropriée afin d’en tirer profit. D’un côté, la menace constante de recours à l’action directe par le CSA, combinée à sa détermination et son imprévisibilité, maintenait l’autorité publique et le propriétaire sur le qui-vive : « la diversité des tactiques a permis à chacun des acteurs de faire comprendre à l’adversaire que le collectif [7 à Nous] “sortait de la boîte”, qu’il était impossible de l’enfermer dans une logique ou tactique précise, et que s’il était bloqué sur un front, il pouvait en ouvrir un autre »[16]. De l’autre côté, l’autorité publique en vient à tolérer les manières du CSA ; une anecdote reflète bien la tension créative qui règne :

Les élu.e.s, à l’initiative du maire, accordent au CSA un permis d’occupation de l’espace […] devant le B7 […]. Dans une conversation téléphonique avec le maire, un porte-parole du CSA affirme ne pas vouloir de permis. Le maire rétorque qu’il connaît l’idéologie du centre et qu’il a lui-même dit au commandant de la police que « ce n’est pas l’habitude de ces gens-là de demander des permis, surtout pour quelque chose qui, selon eux, leur appartient »[17].

De fil en aiguille les membres du CSA et leurs voisin.e.s viennent à se sentir « chez eux » au Bâtiment 7. De par ces moments d’appropriation collective de propriété privée, ils et elles « apprenaient à être affectés », une transformation des subjectivités qui est essentielle à l’émergence d’une communauté-de-commun (Gibson-Graham et al., 2016).

Cette communauté-de-commun autour du Bâtiment 7 s’est aussi consolidée lors des charrettes, assemblées et opérations populaires d’aménagements organisées au fil des années. À même ces espaces, avec le CSA et le Collectif 7 à Nous, les résident.e.s participaient à des délibérations éthiques autour de l’accès, de l’utilisation et des avantages tirés du Bâtiment 7. Au coeur des discussions se tient la préoccupation que les avantages soient redistribués afin d’améliorer le bien-être de la population actuelle et de l’environnement. La communauté-de-commun, consciente que le quartier est un désert alimentaire et culturel et un îlot de chaleur, a opté pour des services de proximité accessibles et des espaces verts et bleus qui puissent renforcer l’autonomie alimentaire et la diversité culturelle.

Se (ré)approprier le travail : bien survivre ensemble et de manière équitable

Se (ré)approprier le travail c’est comprendre comment la survie individuelle est connectée avec celle des autres humains et celle de la planète (Gibson-Graham et al., 2013). Bien survivre c’est « le cumul de notre amour pour ce qu’on fait à chaque jour, de la qualité de nos relations, de notre sécurité matérielle, de notre vitalité physique, d’un sentiment de fierté lié à nos contributions à la vie communautaire. Plus important encore, le bien-être c’est ce qui résulte de l’interaction de ces cinq éléments » (Rath et Harter, 2010, cité dans Gibson-Graham et al., 2013, p. 21, traduction libre). Il s’agit de créer ensemble les conditions pour pouvoir expérimenter et valoriser différentes formes de travail, tout en trouvant un équilibre qui nourrit le bien-être personnel — matériel, occupationnel, social, communautaire et physique — sans porter atteinte au bien-être de la planète et des autres humains.

Conçu comme « un espace de solidarité et d’entraide », le CSA se donne comme principe la « construction de rapports visant à abolir les relations d’exploitation de toute forme (humains-humain, humain-nature, autre ?) »[18]. Il y a là une critique explicite du salariat et une valorisation des formes de travail non capitalistes, notamment le bénévolat et la rétribution en nature. Or, il y a aussi débat sur les inégalités qui existent au sein même du CSA entre, par exemple, les personnes qui ont plus de temps à leur disposition pour ce type de travail puisqu’elles jouissent d’un excellent bien-être matériel et social, et d’autres qui sont contraintes de travailler à temps plein au salaire minimum ou qui n’ont pas de réseau social d’entraide qui leur permette de libérer du temps[19]. Il est donc décidé que, malgré une position en faveur de pratiques non capitalistes en matière de travail, une fois le CSA ouvert au Bâtiment 7 il y aurait une diversité de formes de travail possible, incluant le salariat. Il est aussi question de mettre en place des formes d’entraide, notamment des services de dépannage en cas de perte de logement.

Il est aussi question au CSA de se donner les moyens de partager le travail domestique et d’attention aux autres. Dans sa phase itinérante, le CSA se donne toujours des espaces enfants. De même, au début le projet autonome Tube digestif s’occupait de préparer les repas, mais, avec le temps, cette tâche a été décentralisée et différentes personnes la prennent en charge à différents moments. Il n’y a aucun doute que la socialisation du travail ménager a permis aux femmes d’accéder aux rôles intéressants et valorisants où les hommes sont généralement surreprésentés. Par exemple, ce sont deux femmes, en allaitant leurs bébés, qui animent l’assemblée secrète du commando qui ouvrira le squat du CSA.

Se (ré)approprier les marchés : aller à la rencontre de l’autre

Afin de se (ré)approprier les marchés, Gibson-Graham (2006) proposent d’expérimenter et d’élargir les manières de transiger biens et services qui s’écartent de la logique aliénante de l’offre et de la demande inhérente aux marchés capitalistes. Elles mettent de l’avant la diversité de types de transactions/rencontres avec autrui qui répondent aux besoins des personnes/organisations qui reçoivent le bien ou le service, mais qui portent aussi attention à l’impact sur la planète et aux besoins des personnes productrices. Ces rencontres sont transparentes et plus directes que celles dictées par les marchés capitalistes ; elles sont construites sur la compréhension que la survie des un.e.s dépend de la survie des autres.

Le CSA est explicite quant à sa position en la matière : « [On vise la] reconstruction du lien entre production et consommation (éliminer la culture de consommation aveugle et irresponsable) »[20]. Dès le début, la majorité des transactions au CSA sont basées sur le don. Les personnes qui participent aux activités sont invitées à faire une contribution sur une base volontaire. Aussi, suivant les principes de « récupération, réutilisation de matériaux, créativité dans les sources d’énergie, etc. »[21], le CSA établit des ententes avec des marchands locaux qui lui mettent de côté la nourriture invendable. De plus, les membres n’hésitent pas à fouiller dans les « déchets » des marchés publics et des grandes chaînes alimentaires (forme de transaction qualifiée de vol par le marché capitaliste). Ce travail d’autoapprovisionnement prend du temps, mais réduit de manière significative les coûts liés à l’achat de nourriture tout en utilisant les aliments gaspillés par le capitalisme. Par exemple, lors de la fin de semaine Réclame ta Pointe !, le CSA a nourri 500 personnes pendant 2 jours en dépensant 90 $, soit 0,18 $ par personne.

De plus, le CSA établit des ententes avec des organisations alliées qui partagent/font don de leurs moyens de production, ce qui diminue drastiquement les achats/locations sur les marchés capitalistes. Le CSA imprime ses matériaux de mobilisation et d’information sur les photocopieurs d’associations étudiantes ; il produit des repas dans la cuisine du Club populaire des consommateurs ; il utilise les services audiotechniques d’un amilitant pour produire ses spectacles ; il emprunte les locaux du Carrefour d’éducation populaire pour ses activités ; il produit des macarons et des t-shirts dans les ateliers de sérigraphie du Sainte-Émilie Skillshare ; il brasse sa bière dans une brasserie clandestine. Enfin, plusieurs organisations font dons de leurs produits ou services au CSA, par exemple les légumes biologiques d’une coopérative de travail ou encore un spectacle d’humour offert par des artistes en vue dans le milieu militant.

Malgré le fait que les transactions fondées sur le don sont courantes au sein du groupe, le CSA est conscient qu’il est impossible de compter là-dessus à long terme. Une fois installé dans le Bâtiment 7, il devra faire vivre ses espaces au quotidien et devra donc miser sur des formes de transactions plus stables. Le CSA prévoit développer des rencontres avec les utilisateurs/fournisseurs basées sur la réciprocité et, au besoin, sur des marchés éthiques : « peut-on imaginer la mise sur pied d’une fédération de coop autogérées ? […] Concrètement, les achats privilégiés aux allié.e.s — directs (qu’on connaît) et indirects (par proximité idéologique et de valeur) »[22]. La réciprocité, cette forme de transaction basée sur des équivalences qui sont négociées par les acteurs impliqués (Gibson-Graham et al., 2013), pourrait prendre la forme d’une monnaie alternative au Bâtiment 7 et éventuellement au-delà, mais pourrait aussi s’élargir pour devenir un système de troc local. Il y a déjà le désir d’établir des protocoles qui formaliseraient les transactions entre les différents projets du Bâtiment 7 ; par exemple, les organismes du pôle alimentaire de production/transformation de nourriture pourraient fournir l’épicerie et le broue-pub ; ce dernier pourrait fournir la bière à d’autres organismes ; les membres producteurs du Bâtiment 7 pourraient utiliser les ateliers de bois et la bibliothèque d’outils sans avoir à payer un abonnement de membre.

Se (ré)approprier les finances : investir dans le futur

Suivant Gibson-Graham, afin de s’approprier l’économie pour les humains et la planète, on se doit de recadrer les institutions et instruments financiers comme étant des processus facilitateurs d’avenir meilleur plutôt qu’une fin en soi comme le veut la logique capitaliste (Gibson-Graham et al., 2013). On doit aussi trouver des manières de faire circuler les fonds qui prennent en compte intérêts individuels et collectifs des humains et de la planète et ce, pour aujourd’hui et pour les générations à venir. On doit sortir des sentiers battus en expérimentant différentes formes d’investissement non monétaires. Temps, énergie, imagination, les arts, la culture et les réseaux sociaux sont aussi des investissements et peuvent circuler, être préservés et amplifiés.

L’enjeu des investissements est un sujet permanent de débat, notamment en lien avec les investissements nécessaires aux rénovations du Bâtiment 7 et au démarrage des entreprises collectives que le CSA souhaite incuber. L’investissement capitaliste est hors de question ; même les formes dites « altercapitalistes » (Gibson-Graham, 2006) en provenance de la Caisse d’économie solidaire ou de l’État sont perçues comme des menaces potentielles à l’autonomie collective. Les membres se donnent plusieurs séances de formation et de discussion autour de ces enjeux épineux : on se questionne sur la perte du sens « alternatif » sous la pression d’élargir les pratiques capitalistes afin de rembourser les prêts ou encore, la question des impacts néfastes liés aux exigences d’avoir un statut légal ou une forme organisationnelle hiérarchisée pour pouvoir accéder aux subventions de l’État[23]. Le CSA, sans être contre la consolidation et la pérennité (« institutionnalisation »), veut toutefois se prémunir contre la professionnalisation : « c’est la hiérarchisation et la formation d’une “classe sociale” de coordination qu’on devrait vouloir éviter »[24]. Le CSA tente de tirer des leçons :

Causes et effets de la professionnalisation : manque de rotation et spécialisation dans les tâches de coordination ; perte du fonctionnement collectif, perte de vue du projet politique et l’abandon pur et simple avec le passage du temps, des principes qui s’en suit ; salariat ; accès difficile à l’information nécessaire pour prendre des décisions éclairées ou au jargon interne (augmente la complexité des structures et du langage), une certaine forme d’élitisme[25].

Par conséquent les membres du CSA évaluent que les formes d’investissement non marchand et non étatique sont les plus compatibles avec l’autonomie collective, notamment l’apport personnel sous forme de travail manuel (sweat equity), le don et les prêts communautaires sans intérêt (Gibson-Graham et al., 2013). Lors des deux premières étapes du cheminement du CSA, plusieurs associations étudiantes investissent de l’argent et des organismes alliés font don d’outils, de matériaux et d’infrastructures (ex. l’entreprise de réinsertion locale Formétal a produit des supports à vélo). Les libertaires impliqués dans les entreprises collectives qui habiteront le Bâtiment 7 ont entamé des campagnes de sociofinancement et travaillent aussi à amasser des investissements sous forme de prêts sans intérêt provenant de la communauté-de-commun. Ceci étant dit, la forme d’investissement la plus fréquente est l’apport, par les membres, de temps, d’énergie et de créativité. Il ne s’agit pas d’une implication bénévole ponctuelle, mais d’un investissement profond, prolongé et assidu. Tout le savoir-faire investi est accumulé au fil des ans et partagé avec toutes et tous et, par le fait même, réinvesti dans la communauté-de-commun.

Les membres du CSA sont néanmoins conscients qu’il sera impossible d’éviter les investissements de la Caisse et de l’État et se donnent donc des outils pour encadrer la prise de décision à cet effet. Le CSA est pensé comme une zone d’autonomie financière (ZAF)[26], gardant une ouverture vers le reste de la communauté du Bâtiment 7 et au-delà, tout en se protégeant contre les influences qui seraient propices « “à faire déraper” le projet du CSA vers un projet économique de type économie sociale, c’est-à-dire intégré, dans le contexte actuel, à la logique de la rentabilité capitaliste » [27]. Concrètement, le CSA se donne des critères pour faciliter le débat, qui devra se faire au cas par cas – refuser tout investissement si celui-ci est rattaché à des conditions qui obligeraient le CSA à aller à l’encontre de ses valeurs, principes ou de sa forme organisationnelle horizontale.

En guise de conclusion

L’analyse partagée ici est partielle, incomplète, à l’image du processus révolutionnaire. Ce dernier, à l’échelle du CSA, est semé d’embûches qui n’ont pas pu être relevées ici faute d’espace[28]. Toutefois l’analyse permet de voir comment ce type d’initiative s’insère dans la transformation des processus sociaux fondamentaux que sont l’économie, la politique, la culture.

Les Zapatistes affirment qu’on peut changer le monde en marchant ensemble, dans notre diversité et en se posant des questions (Khasnabish, 2010). On crée ainsi de nouvelles manières d’être, de penser, d’agir, tout en vivant. On travaille à éjecter le capitalisme du siège du conducteur (Gibson-Graham, 2006), en élargissant l’éventail des pratiques non capitalistes ou altercapitalistes liées au travail, à la finance, à la propriété et aux transactions. On recadre et on agit pour vivre autrement l’éducation, les médias et les milieux de vie. Et, transversal à tout ça, l’autonomie collective ; on dispose de soi-même et, ensemble, on contrôle les moyens qui orientent notre destinée.

Parfois on se trompe, on hésite, on n’est pas d’accord ou on est bloqués par un obstacle. On s’arrête. On sort notre boussole éthique. On discute. On s’affronte. On prend une décision. On continue. La révolution, c’est ce processus. Processus qui lie ces mouvements de par le monde, sans plateforme unique, sans structure fédérative formelle, mais qui font partie des mêmes toiles de signification (Gibson-Graham, 2006). Le changement social, suivant cette logique, est le processus par lequel les individus sont transformés, que des nouvelles subjectivités émergent, que les individus et les groupes se transforment mutuellement. Que ce déroulement se manifeste de manière plus ou moins similaire, un peu partout sur la planète, témoigne d’un processus d’ubiquité (Gibson-Graham, 2006) qui pourrait, suivant David Graeber (2014), signifier l’apparition sur les écrans radars d’un moment révolutionnaire en cours.