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Cet article[1], qui prend la forme d’une documentation de pratique, présente un projet de cocréation – le projet 1820-1905@ – touchant à la réception et à la production de contenus multimodaux liés à des contenus du programme québécois de Géographie, d’histoire et d’éducation à la citoyenneté au primaire[2]. Le recours en réception aux oeuvres de littérature pour la jeunesse en format numérique disponibles sur la plateforme Biblius y est central, tout comme l’utilisation du logiciel CoSpaces permettant à des élèves du primaire de s’engager dans une activité de production de réalité virtuelle éminemment multimodale.

Afin de décrire ce projet et de le réfléchir, nous nous appuyons sur quatre principes directeurs de la cocréation, soit l’approche dite des 4P (portrait du milieu, processus de cocréation, projet, production) issue de recherches antérieures menées par l’équipe de la Chaire de recherche en littératie médiatique multimodale (Lacelle et al., 2019; Richard et Lacelle, 2020). De sorte, le projet est d’abord contextualisé et problématisé (partie 1), décrit selon cette approche des 4 P (partie 2) puis réfléchi au regard principalement de l’enseignement-apprentissage de l’univers social au primaire en contexte de LMM (partie 3).

Bien que cet article s’appuie sur une nécessaire rigueur scientifique et un souci d’enrichir les réflexions théoriques à l’égard, entre autres, d’une didactique de la réception et de la production de contenus multimodaux sur différents supports – ici en classe d’univers social –, il importe de préciser qu’il a comme objectif principal de documenter une pratique en offrant une large place à l’expérience des praticien·ne·s[3] et de leurs élèves.

1. Mise en contexte

Comme plusieurs projets de la Chaire de recherche en LMM, le projet 1820-1905@ est né de la rencontre d’idées et de besoins d’acteur·rice·s de l’éducation provenant d’horizons multiples (milieu de la recherche, milieu scolaire et organismes ou ressources dédiés à l’éducation ou à la culture). Il s’inscrit plus largement dans la problématique de l’évolution des pratiques communicationnelles et les impacts de la modification de ces dernières sur l’éducation et la culture (Lacelle et al., 2017). Il prend aussi appui sur la volonté de favoriser le développement et le transfert de connaissances dans le domaine de la LMM.

Plus spécifiquement, le projet 1820-1905@ est intégré à une vaste étude visant le Soutien au développement de démarches d’édition numérique jeunesse au Québec à partir de pratiques favorables de production, diffusion et réception (2017-2020), soutenue par le Fonds de recherche du Québec en société et culture (FRQSC). Considérant la démocratisation des écrans et la nécessaire mise en lumière de la production littéraire numérique développée pour les jeunes publics, cette étude souhaitait documenter les enjeux, les besoins et les meilleures pratiques de production et de diffusion d’oeuvres littéraires numériques pour la jeunesse ainsi que les pratiques de réception des jeunes. Pour ce faire, la Chaire de recherche en LMM s’est jointe à plusieurs partenaires touchés par l’édition numérique jeunesse au Québec dont Bibliopresto, un organisme à but non lucratif qui appuie les bibliothèques en leur offrant des outils et des services numériques. En collaboration avec cette organisation, il a été convenu que la Chaire en LMM pourrait prendre en charge le volet « recherche » pour le développement de la plateforme de prêts numériques à l’école : Biblius[4]. Plus spécifiquement, l’objectif suivant, duquel est né, entre autres, le projet 1820-1905@, a été fixé : documenter les usages de la plateforme Biblius dans la conception et l’expérimentation d’activités de littératie numérique en classe.

C’est en poursuivant cet objectif auprès plus spécifiquement de l’une des écoles ciblées par la phase d’implémentation restreinte de la plateforme Biblius (l’École primaire des Grands-Vents) et pour un champ disciplinaire donné (le domaine de l’univers social), que s’est déployé le projet 1820-1905@. Ce dernier touche donc plus spécifiquement à la bonification (espérée) des pratiques d’enseignement et d’apprentissage de la géographie et de l’histoire au primaire (Araújo Oliveira, 2019; Larouche et Araújo Oliveira, 2014), en visant l’élaboration et l’expérimentation en classe d’activités de littératie numérique impliquant l’usage de la plateforme de prêts numériques. Il a conséquemment permis de documenter les usages de Biblius dans la conception et l’expérimentation d’activités de littératie numérique en classe d’univers social, et en adéquation avec les visées de recherche de la Chaire en LMM, il a contribué à une réflexion déjà en cours (Martel, 2018) visant à structurer les fondements d’une didactique intersémiotique de la réception et de la production de contenus multimodaux sur différents supports en sciences humaines et sociales.

Plusieurs recherches récentes réalisées dans des espaces de création numérique ayant démontré sa pertinence pour développer des compétences en littératie à travers divers projets éducatifs ou pédagogiques (Bull et al., 2017; Lacelle et al., 2019, 2022; Lacelle et Parent, 2019; Oliver, 2016; Smith, 2018), le recours à une démarche de cocréation a été retenu. Une telle démarche de cocréation implique la participation collaborative de divers acteur·rice·s en fonction des contextes scolaires et culturels (élèves, enseignant·e·s, animateur·rice·s, chercheur·euse·s, conseiller·ère·s pédagogiques, artistes, bibliothécaires, etc.), et ce, dans toutes les étapes de création d’une activité pédagogique (Lacelle et al., 2019).

2. Description du projet de cocréation 1820-1905@

Dans ce qui suit, le projet 1820-1905@ est présenté en prenant appui sur les principes directeurs de cocréation ou méthode des 4 P (Lacelle et al., 2019; Martel et al., 2020; Richard et al., 2017; Richard et Lacelle, 2020). Ceux-ci balisent la description et l’analyse d’un projet de cocréation autour de quatre catégories, soit 1) la réalisation d’un Portrait ethnographique et socioculturel des acteur·rice·s et des milieux; 2) la description du Processus de cocréation; 3) la description du Projet cocréé; et 4) la présentation et l’analyse de Productions des élèves.

2.1. Portrait

Le projet 1820-1905@ s’est déroulé dans une école du Centre de services scolaire de la Seigneurie-des-Mille-Iles (CSSMI) – l’École des Grands-Vents – située à Sainte-Marthe-sur-le-Lac. L’établissement partenaire, ciblé dans le projet Biblius pour la phase de déploiement restreint, comptait au moment du projet 599 élèves du préscolaire à la 6e année et présentait un indice de défavorisation établi à 4. Sur le site de l’école[5], on peut lire que différentes activités pédagogiques permettant de favoriser la motivation et la persévérance sont mises en place, dont l’utilisation quotidienne, avec les élèves de 5e année, d’outils technologiques. Dans ces groupes, les élèves sont en effet invité·e·s à travailler quotidiennement avec un appareil numérique (Chromebook) qui leur est prêté pour l’année. Parallèlement, le CSSMI met à la disposition de l’ensemble de sa population étudiante du matériel informatique tel qu’un ordinateur, une caméra numérique, une imprimante (sous contrôle des enseignant·e·s), en plus de fournir un accès à son réseau Internet. Outre le volet technologique, l’école primaire possède une bibliothèque sous la responsabilité d’une bénévole; au besoin, il est aussi possible d’accéder aux services de deux bibliothécaires et de deux technicien·ne·s en documentation du CSSMI.

2.1.1. Portrait des acteur·rice·s

Au sein de l’École des Grands-Vents, deux enseignant·e·s de 5e année (coauteur·rice·s de cet article) et leurs élèves, au nombre de 47, ont été spécifiquement impliqué·e·s dans l’équipe de cocréation du projet 1820-1905@. À ces ressources enseignantes et leurs élèves se joignent une bibliothécaire de la CSSMI, une chercheuse de la Chaire de recherche en LMM et des assistant·e·s de recherche (engagé·e·s dans des études supérieures). Toutefois, en amont du projet, il convient aussi de préciser l’implication de partenaires liés à Bibliopresto et à Biblius, dont Nancy Lusignan (chargée de projet) et le soutien de Nathalie Lacelle et Monique Lebrun, respectivement directrice et cochercheuse de la Chaire en LMM. De même, un partenariat (essentiellement financier) connexe avec le volet éducation de Littérature québécoise mobile (LQM) est à souligner.

Les deux enseignant·e·s, Sébastien et Isabelle, cumulent respectivement 27 et 24 années d’expérience et sont, au sein de leur école, des modèles inspirants quant à leur engagement, à leur ouverture et à leur désir de renouveler leurs pratiques et d’adapter ces dernières aux enjeux et aux réalités de l’éducation d’aujourd’hui. Plus spécifiquement, au regard de l’enseignement de l’univers social, iels mènent depuis plusieurs années des projets pédagogiques novateurs leur permettant, entre autres, de couvrir le programme en dehors d’une approche magistrocentrée et d’une utilisation exclusive des manuels scolaires et des cahiers d’apprentissage (Boutonnet, 2013). Notamment, Sébastien et Isabelle mobilisent les nombreuses ressources numériques permettant de couvrir le programme d’univers social (dont les outils mis à disposition par RÉCITUS – https://www.recitus.qc.ca/), en plus de proposer une variété de productions, souvent interdisciplinaires et numériques, par lesquelles les élèves peuvent témoigner de leur compréhension des réalités sociales à l’étude[6]. Le fait que leur classe soit une classe numérique (selon le projet spécifique de l’école pour les 5e années) facilite, d’ailleurs, l’accès aux ressources numériques. Au sein du projet 1820-1905@, iels ont assumé l’élaboration de la séquence d’enseignement-apprentissage et son implantation dans leurs groupes respectifs. Iels ont également formé leurs élèves à utiliser la plateforme Biblius.

La bibliothécaire, chargée de l’implémentation restreinte de la plateforme Biblius au sein du centre de services scolaire partenaire, cumule de son côté plus de 15 années d’expérience en tant que bibliothécaire. Diplômée d’une maitrise de l’École de bibliothéconomie et des sciences de l’information (EBSI) en 2005, elle en était au moment du projet 1820-1905@ à sa 10e année d’expérience. Au sein de l’équipe de cocréation, elle était responsable de la plateforme Biblius et du volet formation quant à son utilisation auprès des enseignant·e·s. Elle était aussi chargée de les assister lors de problèmes techniques en classe, en plus d’informer l’équipe des usages légaux de la plateforme et des oeuvres s’y trouvant.

Représentante de la Chaire en LMM, la chercheuse engagée dans le projet 1820-1905@, coautrice, est didacticienne en sciences humaines et sociales. Elle est principalement préoccupée par le développement des compétences de recherche et de littératie en classe d’histoire. Cofondatrice du LIMIER, un groupe dédié à la littératie illustrée (www.lelimier.com), elle est aussi membre du Groupe de recherche en LMM depuis plus d’une décennie et de la Chaire en LMM, ce qui explique ses nombreuses collaborations dans ce champ de recherche. Au sein de l’équipe de cocréation, elle a principalement soutenu la réflexion des enseignant·e·s impliqué·e·s quant à la didactique des sciences humaines et sociales, à la prise en compte du programme Géographie, histoire et éducation à la citoyenneté et à la mobilisation des oeuvres pour la jeunesse (littéraires et documentaires) pour approcher et s’approprier des réalités du passé.

Enfin, deux étudiantes au doctorat dont l’une est en sciences de l’information et l’autre en didactique de la LMM (autrice principale), ainsi qu’un étudiant à la maitrise, complètent l’équipe de cocréation. Tout au long du projet, iels ont soutenu chaque acteur·rice impliqué·e dans les différentes tâches nécessaires à sa réalisation, en plus de permettre à l’équipe de bénéficier de leur expertise à l’égard, entre autres, des pratiques novatrices en matière de cocréation d’activités de littératie numérique et du recours en classe à la réalité virtuelle.

2.1.2. Précisions sur les ressources matérielles

Outre l’accès inédit au déploiement restreint de la plateforme Biblius (donc au prêt de livres numériques dans les bibliothèques scolaires, dont celles du CSS partenaire), les ressources matérielles mobilisées par le projet 1820-1905@ sont principalement celles accessibles pour toute l’École des Grands-Vents (p. ex., ordinateurs fixes, tableau numérique interactif [TNI], connexion Internet, suite Google Éducation) et celles dédiées aux classes numériques de 5e année (un Chromebook prêté par élève ayant permis notamment la consultation des oeuvres numériques). Au moment du projet, peu de ressources humaines étaient toutefois dédiées au soutien technique et formatif pour l’utilisation du numérique à l’école. C’est plutôt l’enseignant pivot du projet 1820-1905@, Sébastien, sur une base volontaire, qui assurait un tel soutien auprès de ses collègues, avec le soutien cependant d’une équipe APO[7] de la Direction du service des technologies de l’information (DSTI), dévouée selon ses mots.

En parallèle, les ressources technologiques et numériques ayant pu être prêtées ou acquises pour les besoins spécifiques du projet sont les suivantes : prêt de iPods et de casques de réalité virtuelle en carton par la DSTI; licence CoSpaces Edu payée par la Chaire de recherche en LMM.

2.2. Processus de cocréation

Le processus de cocréation du projet 1820-1905@ s’inscrit à l’intérieur de plusieurs phases au cours desquelles des choix, négociés, ont dû être pris, puis explorés, élaborés et diffusés sous forme d’activités de littératie numérique en univers social exploitant la plateforme Biblius.

En amont du projet 1820-1905@, les conditions et les objectifs du partenariat établi entre la chercheuse principale du projet Soutien au développement de démarches d’édition numérique jeunesse au Québec à partir de pratiques favorables de production, diffusion et réception (Nathalie Lacelle, aussi directrice de la Chaire de recherche en LMM) et l’organisme Bibliopresto ont été fixés. À cette étape, il a été convenu que l’équipe de recherche prenait la responsabilité du volet « recherche » du projet Biblius grâce auquel il serait possible de mieux comprendre et de documenter des projets pédagogiques (dix au total) tournés vers l’usage de la plateforme Biblius dans des milieux ciblés. Au regard de ses propres préoccupations, la Chaire en LMM souhaitait aussi poursuivre son objectif général de documenter les pratiques en LMM des ressources enseignantes et des jeunes à l’école.

Au sein des projets ainsi documentés par le partenariat établi, un concerne spécifiquement le domaine de l’univers social : le projet 1820-1905@, qui a connu son propre parcours de cocréation explicité dans ce qui suit.

2.2.1. La cocréation du projet 1820-1905@

Le projet 1820-1905@ est né de l’intérêt premier pour les deux enseignant·e·s impliqué·e·s à réfléchir et à produire au sein de l’expérimentation de la plateforme Biblius un projet pédagogique tourné vers l’enseignement du programme d’univers social en 5e année du primaire. Sa cocréation (rencontres virtuelles et échanges de courriels) a mobilisé les enseignant·e·s concerné·e·s, la chercheuse attitrée au projet, la bibliothécaire responsable du volet Biblius et une assistante de recherche ayant une expertise spécifique en LMM et sur les outils et les supports numériques. Les élèves ont été invité·e·s à commenter l’expérimentation du projet, mais n’ont pas contribué à sa planification. Globalement, les échanges menant à la cocréation n’ont pas exigé de grandes étapes de négociation; les idées et les expertises des membres s’étant complétées de manière très harmonieuse.

Étant donné le recours attendu aux oeuvres disponibles sur la plateforme Biblius, très tôt dans le processus de cocréation, il a été décidé de s’appuyer sur la lecture d’oeuvres de littérature pour la jeunesse à caractère historique. De même, très rapidement (dès la première des trois rencontres de cocréation), les périodes historiques couvrant la société québécoise de 1820 et surtout les sociétés canadiennes de 1905 ont été ciblées comme objets d’étude. Ce choix se justifie principalement parce que ces sociétés sont, aux yeux des enseignant·e·s engagé·e·s dans le projet, traditionnellement plus difficiles à traiter avec les élèves et pour lesquelles la bonification de leurs pratiques pédagogiques était souhaitée. C’est aussi à ce même moment que les enseignant·e·s ont émis le voeu d’intégrer au projet des activités de lecture et d’écriture de textes documentaires et narratifs conduisant ultimement à une production mobilisant la réalité virtuelle (une potentialité du numérique non explorée dans leur école).

Ce sont principalement la bibliothécaire sollicitée pour le projet et la chercheuse, du fait de leur connaissance du corpus des oeuvres de littérature pour la jeunesse touchant à des thématiques historiques, géographiques ou citoyennes, qui ont nourri (seconde rencontre) l’équipe de cocréation au regard des textes disponibles pour étudier la société canadienne de 1820 et celle de 1905 (ces derniers sont présentés plus loin). Toutefois, c’est davantage les enseignant·e·s qui ont sélectionné les sources documentaires par lesquelles les élèves étaient invité·e·s à approfondir leur compréhension des sociétés à l’étude. Pour ce faire, les enseignant·e·s se sont appuyé·e·s sur des sources, hors de l’utilisation d’un cahier ou d’un manuel spécifique, habituellement utilisés en classe d’univers social. Par exemple, les dossiers documentaires de RÉCITUS pour la société canadienne de 1820 et celle de 1905 ont été retenus.

Pour planifier le recours à ces sources multiples (oeuvres de fiction et oeuvres documentaires pour la jeunesse et dossiers documentaires), il a été proposé (troisième rencontre) par la chercheuse d’organiser le projet en deux phases. Dans un premier temps, il a été convenu de placer les élèves dans une posture de découverte et d’enquête prenant appui sur l’exploration (individuelle ou collective) de multiples oeuvres pour la jeunesse. Une telle incursion leur a permis de s’identifier à des personnages – réels ou fictifs (Martel, 2018) – et conséquemment de s’initier à des réalités de la société de 1820, puis à celles de 1905. Lors de cette phase (touchant plus spécifiquement le recours à Biblius), il a été proposé par les enseignant·e·s de lier aux activités de lecture des ateliers d’écriture permettant aux élèves de consolider progressivement leur compétence à décrire des réalités historiques et géographiques, et plus spécifiquement des personnages (la production ultime étant justement liée à la présentation en réalité virtuelle d’un personnage de 1905). De même, la bibliothécaire a rappelé l’importance durant cette étape de bien accompagner le recours à Biblius. Dans un deuxième temps, il a été convenu de traiter plus spécifiquement des sociétés canadiennes de 1905 (société québécoise; société des Prairies; société de la Côte Ouest) en appuyant davantage cette étude sur des dossiers documentaires (accessibles en ligne) et la réalisation d’une production permettant à chaque élève de (re)présenter par le biais de la réalité virtuelle un personnage ou un groupe important de cette période historique.

En ce qui a trait à la démarche de cocréation touchant plus spécifiquement à la production finale attendue dans le projet 1820-1905@, ce sont d’abord et avant tout les enseignant·e·s qui ont témoigné de leur intérêt pour une utilisation de la réalité virtuelle en classe. Ayant déjà par le passé proposé à leurs élèves de rédiger une page de journal intime autour d’un personnage historique pour ultimement se filmer lors d’une lecture animée, iels souhaitaient par cette mobilisation de la réalité virtuelle rendre plus vivante l’exploration de la vie d’un personnage ancré dans un temps et un lieu précis, ici les sociétés canadiennes au début du 20e siècle. Pour réfléchir à ce souhait et surtout le concrétiser, l’équipe de cocréation (particulièrement les représentantes de l’équipe de recherche) a consulté un représentant du RÉCIT[8] univers social (RÉCITUS) et exploré les différents outils disponibles, leur accessibilité et leur facilité d’utilisation pour des élèves du primaire. Dès la deuxième rencontre de cocréation, il a été convenu de recourir à CoSpaces, une plateforme en ligne permettant de produire des créations en 3D, sans toutefois pouvoir utiliser, malgré un souhait exprimé en ce sens par l’enseignant, les personnages Scratch déjà disponibles sur RÉCITUS (pour des raisons de faisabilité technique). C’est par la suite toute l’organisation très pragmatique de ce volet du projet (achat de la licence CoSpaces, collecte des outils technologiques nécessaires pour une utilisation maximale, planification de la formation à CoSpaces à offrir aux élèves, etc.) qui a nécessité plusieurs allers-retours entre les membres de l’équipe de cocréation. En parallèle, lors de la troisième rencontre de cocréation, il a été décidé, après proposition de l’enseignant, d’inviter les élèves à poursuivre leur exploration de la fiction historique dans la production en réalité virtuelle attendue. De sorte, l’intention suivante de production à donner aux élèves a été définie : choisir un personnage représentatif de l’une des sociétés canadiennes à l’étude vers 1905 et présenter par le biais des potentialités de la création virtuelle ce personnage dans une fiction réaliste, donc vraisemblable sur le plan de l’histoire et de la géographie.

2.3. Projet

Malgré la pandémie et les modalités changeantes du contexte dans lequel s’est vécu le projet (dont l’enseignement en ligne), les deux enseignant·e·s ont réalisé l’entièreté du projet 1820-1905@ envisagé après la période des fêtes 2020-2021.

2.3.1. Phase 1 du projet. Découverte de l’histoire via Biblius… et exploration de CoSpaces

C’est lors de la première phase du projet que la plateforme Biblius et le corpus d’oeuvres pour la jeunesse sélectionné ont été mobilisés. Certaines de ces oeuvres ont été lues à haute voix par les enseignant·e·s, d’autres ont été consultées en petits groupes ou ont été lues individuellement. Chaque lecture a généralement été associée à un atelier ou à une tâche d’écriture, sans compter les nombreuses discussions suscitées en classe. Plusieurs ateliers d’écriture permettant aux élèves de se familiariser avec la production de courts textes variés en univers social ont aussi été proposés en amont pour préparer les élèves au projet 1820-1905@[9].

Dans le tableau 1, les oeuvres (nature et titre) mobilisées dans le projet sont identifiées et présentées selon leur ordre d’utilisation. De même, les principales tâches liées à leur exploration sont sommairement décrites. Nous laissons intentionnellement dans l’ombre les autres sources consultées, généralement les dossiers documentaires de RÉCITUS, et les tâches connexes permettant aux élèves de compléter leur compréhension des sociétés à l’étude, dont celle de la société canadienne de 1820 (compétence 1) et celle de la société québécoise vers 1905, en considérant les changements survenus entre 1820 et 1905 (compétence 2)[10].

Tableau 1

Oeuvres de littérature pour la jeunesse explorées par l’entremise de Biblius

Oeuvres de littérature pour la jeunesse explorées par l’entremise de Biblius

Tableau 1 (suite)

Oeuvres de littérature pour la jeunesse explorées par l’entremise de Biblius

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Parallèlement à cette riche exploration littéraire de réalités historiques diverses et l’écriture de textes variés, les élèves ont aussi, à cette phase du projet, entrepris l’exploration de CoSpaces. Pour ce faire, les enseignant·e·s leur ont présenté des vidéos explicatives élaborées par le RÉCIT Arts et des activités tutorielles sélectionnées lors de la démarche de cocréation.

2.3.2. Phase 2 du projet. La société de 1905 à travers la vie d’un personnage en réalité virtuelle

Ayant exploré plusieurs réalités sociales de la période 1820-1905 par le biais des oeuvres consultées sur Biblius et ayant une connaissance de l’outil CoSpaces, les élèves, lors de la deuxième phase du projet, se sont lancé·e·s dans l’étude plus précise des sociétés canadiennes vers 1905, pour ultimement présenter un personnage ou un groupe représentatif de celles-ci dans une production en réalité virtuelle.

Pour démarrer cette étape importante, les enseignant·e·s ont d’abord effectué avec l’ensemble de leur groupe-classe un survol des trois grandes régions à l’étude pour cette époque, soit le Québec, les Prairies et la Côte Ouest. Les dossiers documentaires ont également été présentés aux élèves qui étaient amené·e·s à mieux comprendre ce qui caractérise et ce qui distingue ces sociétés au regard, entre autres, du territoire, de la population, des personnalités marquantes et des groupes sociaux, de la langue, de la religion, de la vie quotidienne et de l’économie (agriculture, industries, commerces). Le tableau 2 présente les sources utilisées par les enseignant·e·s pour constituer ces dossiers documentaires en version numérique.

Tableau 2

Dossiers documentaires soumis aux élèves à propos du Canada vers 1905

Dossiers documentaires soumis aux élèves à propos du Canada vers 1905

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Une fois ces dossiers explorés, les élèves ont été appelé·e·s à choisir un personnage (ou un groupe) et à décrire son occupation et le territoire où il vit. Pour les aider, une banque de personnages ou de groupes pour chacune des sociétés a été rendue disponible (cette banque ayant été produite lors de la démarche de cocréation du projet pour lever des obstacles possibles; voir annexe 1).

Pour bien se représenter la vie du personnage ou du groupe choisi, les élèves ont dû s’engager dans une collecte individuelle de données permettant de compléter un plan de travail et un cahier de notes à propos de différents aspects d’étude ciblés (p. ex., lieu d’habitation, milieu de vie, âge, religion, langue, occupation principale, origines, etc.). C’est une fois cette étape de recherche documentaire complétée qu’iels ont eu à rédiger une fiction réaliste sur le personnage choisi. Comme il était attendu que les élèves construisent leur fiction à travers une lettre écrite par leur personnage destinée à un·e ami·e de celui-ci, un atelier traitant du format d’une lettre à visée descriptive a été proposé. Ultimement, cette production écrite visait ces deux objectifs : 1) permettre aux élèves d’organiser les informations géographiques et historiques recueillies à propos de leur personnage; et 2) mettre en lumière les aspects centraux sur lesquels il convenait d’élaborer la production finale, soit la production en réalité virtuelle.

Après donc l’écriture de la lettre et sa correction formative (pour notamment valider la rigueur de la description proposée), la création des personnages et du milieu de vie de ceux-ci grâce à CoSpaces a pu être amorcée. Les élèves ont eu plusieurs semaines pour créer virtuellement leur personnage (aspects physiques et habillement) et l’environnement (aspects du territoire, objets liés à la vie du personnage, animaux côtoyés, etc.) de ce dernier. De plus, iels ont dû enregistrer leur lecture à voix haute de la lettre rédigée pour intégrer cet enregistrement audio à leur production en réalité virtuelle.

Lorsque les productions numériques attendues ont été terminées, les élèves ont finalement été invité·e·s à effectuer un bilan du projet en présentant brièvement leur personnage et l’environnement construit, ainsi que des éléments d’apprentissage acquis sur les sociétés canadiennes au début du 20e siècle. Il leur a également été demandé d’identifier les difficultés rencontrées et de porter un jugement appréciatif sur le projet dans son ensemble. Parallèlement, les enseignant·e·s ont répertorié, pour diffusion, l’ensemble des productions virtuelles des élèves des deux classes dans une page Web dont le fond présente une carte du Canada et des liens cliquables situés géographiquement.

2.4. Production

Plusieurs productions en réalité virtuelle et plusieurs bilans réflexifs ont été colligés à la suite du projet par les deux enseignant·e·s, entre autres, pour entrevoir quelles compétences en LMM dans le contexte d’un projet en univers social ont été mobilisées (voir lien cliquable précédent). De même, le projet dans son ensemble a permis la production et l’analyse d’un grand nombre de traces, produites à la fois par les enseignant·e·s (p. ex., les différents documents produits pour accompagner les élèves dans le travail de lecture, d’écriture, de recherche documentaire, etc.) et par les élèves (p. ex., les annotations de lecture, les traces laissées dans les ateliers de lecture et d’écriture, les traces de recherche documentaire, les lettres produites, les productions virtuelles élaborées et les bilans réflexifs réalisés à voix haute et enregistrés).

Pour cet article, considérant que la production finale attendue reste inédite dans le contexte de l’enseignement-apprentissage de l’univers social au primaire, nous examinons deux productions en réalité virtuelle réalisées par un·e élève de chacun des groupes-classes impliqués. Ces deux productions ont été sélectionnées, car elles représentent bien les attendus du projet. Il est important toutefois de préciser que les deux enseignant·e·s considèrent que les apprentissages réalisés par l’ensemble de leurs élèves ont été très significatifs, et ce, bien que les productions témoignent d’écarts (observables aussi dans les autres productions scolaires) au regard de la qualité de la forme et parfois du contenu historique (présence d’invraisemblances, identification de certains anachronismes et compréhension partielle de la réalité à l’étude).

2.4.1. Production 1

La première production (S03) concerne l’étude de la société québécoise vers 1905. Elle présente un personnage appartenant aux notables, soit un riche notaire dans la ville de Québec. La lettre produite est adressée à un ami d’enfance à qui le personnage dévoile son quotidien. L’élève dont les productions sont ici analysées, Laurent (nom fictif), prend le temps de présenter la famille du personnage (sa femme, un fils et un animal de compagnie) et explique que la maison dans laquelle il vit vient tout juste d’être construite. Il évoque également combien le travail de notaire est exigeant en termes de temps (près de 55 h par semaine), mais tout de même flexible par rapport aux horaires et aux conditions de travail très favorables de plusieurs de ses concitoyen·ne·s. Laurent mentionne aussi les divertissements de l’époque, soit le bingo et les jeux de cartes, ainsi que les sorties dans les endroits plus huppés de la ville que son personnage et sa famille peuvent se permettre étant donné leur statut socioéconomique. Le contenu de la lettre, et donc l’audio, fait également allusion à la voiture du personnage, un achat dispendieux pour l’époque, pour souligner la vie plus aisée de notaire.

En plus de lire la lettre d’une manière plutôt naturelle, en y mettant des intonations et en jouant un peu plus le rôle de son personnage, Laurent présente bien visuellement l’environnement de l’époque. Entre autres, il a pris énormément de temps (confirmé selon ses dires lors du bilan) à créer la maison bourgeoise dans laquelle habite son personnage. Ainsi, au lieu de prendre un bâtiment ou une structure déjà conçu par le logiciel, l’élève a choisi de créer de toute pièce la maison, s’assurant d’avoir des chambres pour tous les membres de la famille à l’étage, ainsi qu’une cuisine et une salle à manger de grande taille. Bien que l’intérieur semble plus contemporain étant donné les choix des matériaux proposés par l’outil de création CoSpaces, le souci de représenter un bâtiment riche représentatif de l’époque est apparent. L’élève évoque même dans son bilan avoir sélectionné le personnage de notaire en ville pour justement pouvoir créer une grande maison inspirée d’images provenant de ses recherches documentaires. Il précise aussi que ses choix ont été motivés par son désir de devenir architecte et son objectif d’explorer toutes les potentialités de CoSpaces.

Étonnamment, il s’agit d’une des rares productions qui possède un paysage de nuit. En effet, la ville est clairement représentée par des édifices aux fenêtres illuminées et un ciel sombre. Dans son bilan, l’élève évoque avoir été surpris que l’électricité soit seulement accessible dans les grandes villes en 1905. On peut présumer qu’il a gardé cette information en tête lors de la création de son espace, ce qui expliquerait ce choix d’un paysage de nuit pour la création en réalité virtuelle. Dans un même ordre d’idées, on peut penser que ses nouvelles connaissances quant au caractère luxueux et rare de la voiture au début du siècle dernier servent d’assises à sa production, d’où son souci de représenter la voiture, à laquelle il fait allusion dans la lettre, à côté de la maison.

Contrairement à plusieurs productions, les animations sont beaucoup plus discrètes et surtout plus vraisemblables dans la création de cet élève. Lors de son bilan, il explique avoir utilisé les modalités de la programmation davantage pour la création de la villa, par exemple pour animer les portes lors de la visite. En parallèle, les personnages, réalistes dans leur présentation visuelle, sont davantage fixés dans leur environnement. Ce n’est toutefois pas faute de compétence en programmation, car dans son bilan, Laurent précise ne pas avoir eu de difficultés avec la programmation et être très motivé à réaliser d’autres projets similaires.

2.4.2. Production 2

La seconde production numérique (I19) concerne l’étude de la société de la Côte Ouest vers 1905. Créée par Jacob (nom fictif), elle présente la vie quotidienne de Sam, un jeune homme qui pratique le commerce de bois avec son père. Dans sa lettre adressée à un ami (dont on peut entendre la lecture dans la production), l’élève explique que son personnage, de descendance anglaise, vit en campagne avec sa famille (deux parents et un petit frère) près de Victoria pour effectuer le commerce du bois. Il décrit la coupe du bois et le traitement des billots jusqu’à leur vente, et comment le jeune homme et son père procèdent. Jacob y souligne aussi que les journées de congé, soit la fin de semaine, servent essentiellement au repos, comme le souhaitent les principes de la religion protestante, et aux activités de pêche permettant de compléter leur alimentation.

Deux scènes sont représentées dans le CoSpaces. Une première présente une scène de la vie professionnelle des bucherons. Une deuxième présente la famille réunie autour de la table de la cuisine pour partager un repas. La lettre est lue dans les deux scènes; ce n’est pas le cas pour l’ensemble des élèves qui ont effectué ainsi plus de deux espaces à visiter dans leur production numérique.

Le premier environnement (ou première scène) s’inscrit dans un paysage d’hiver où les arbres, nécessaires au métier de bucheron, occupent un espace important. En plus d’y voir un cheval, avec un homme à ses côtés, qui tire un attelage avec un tronc d’arbre, on voit au loin un autre homme couper un arbre près d’une grange. Un portail, présentant une image des montagnes de la Côte Ouest, accueille de plus le visiteur du CoSpaces. Lorsqu’on entre dans l’espace, on constate que le bucheron est animé, avec sa hache à la main, alors que les hélices d’une sorte de moulin tournent à vive allure. En se déplaçant vers la grange dont les portes sont ouvertes, il est possible de voir un troisième personnage assis à un semblant de pupitre, occupé à écrire sur du papier. Grâce aux explications fournies par le fichier audio, et avec le bilan de retour de l’élève, on comprend que le personnage près du cheval est en fait Sam, l’auteur de la lettre, et que l’homme qui buche au loin représente le père de famille. Le troisième personnage près de la grange évoque le frère. En plus de bien dépeindre ses personnages et de les lier à des actions représentatives du métier de bucheron, l’élève démontre un souci pour la représentation des outils liés au métier du protagoniste.

La seconde scène présente la famille dans une petite maison de bois, à table, près du foyer. On retrouve le personnage de Sam, son frère, ses deux parents et une figure qui semble être le grand-père. Considérant que l’élève explique que le cheval a été acheté par le grand-père pour mieux exploiter les bois environnants, il parait logique que cette figure soit présente. Jacob a pris soin dans cette scène de représenter la famille lors d’un souper, en reproduisant dans chacune des assiettes un aliment. De plus, il a ajouté un feu sous la forme d’un GIF (image animée en boucle) pour le foyer, évitant ainsi de manière ingénieuse la programmation d’un feu dans CoSpaces. La pièce rectangulaire élaborée présente bien la cuisine, puis les lits de la famille, tous sur un côté du mur, ainsi que la porte qui mène à l’extérieur, et donc à la première scène. Bien que la maison et les personnages soient moins animés dans cet espace, on peut constater que l’élève a pris soin d’afficher tous les personnages dont il est question dans sa lettre, en plus de s’assurer que la maison ne soit pas trop grande, symbolisant ainsi le statut social de son personnage à décrire.

Dans son bilan réflexif, Jacob évoque comme principale difficulté les limites de la banque d’images de CoSpaces pour adéquatement représenter des réalités du passé ou des réalités selon des saisons données (ici l’hiver). Limité donc dans ses choix, Jacob présente, dans la scène du travail, des personnages qu’il juge trop peu vêtus pour un hiver dans la forêt de la Côte Ouest. De même, la mère, dans la deuxième scène, porte aux dires de l’élève une robe qui ne concorde pas avec l’époque. Un autre obstacle nommé est la difficulté de représenter adéquatement le bâtiment de travail des bucherons; c’est pourquoi l’élève a choisi la grange déjà disponible dans la banque d’éléments de CoSpaces. Jacob indique qu’avec un peu plus de temps, il aurait aimé peaufiner cet aspect, puisqu’il est conscient – et cela témoigne d’une posture critique fort pertinente – que la grange n’est pas un choix logique de bâtiment pour le traitement des billots de bois vers 1905.

3. Analyse et interprétation du projet 1820-1905@

La réalisation du projet 1820-1905@ nous a permis de documenter un projet d’une grande richesse touchant à la fois au déploiement exploratoire dans les écoles de la plateforme Biblius (et des oeuvres pour la jeunesse touchant à l’histoire qu’elle contient) et au recours en classe aux compétences de LMM en contexte numérique pour l’enseignement-apprentissage de l’univers social au primaire. Dans ce qui suit, certains constats qui ont émergé de cette expérience sont mis en lumière pour à la fois nourrir la pratique sur le terrain et la réflexion théorique.

3.1. La littérature à portée… d’écran : les potentialités de Biblius

Sans conteste, le prêt numérique d’oeuvres de littérature pour la jeunesse touchant des contenus du programme de formation de l’école québécoise (ici, l’univers social) facilite la lecture en classe et hors classe de romans et d’albums (documentaires et de fiction) variés. Levant les obstacles budgétaires qui réduisent les possibilités d’achats de livres analogiques pour la classe et compensant les limites actuelles en ressources matérielles et humaines de certaines des bibliothèques scolaires du Québec (Fédération des professionnelles et professionnels de l’éducation du Québec, 2017), la plateforme Biblius démultiplie en fait les possibles en matière d’accès aux livres.

Aux dires des enseignant·e·s impliqué·e·s dans le projet 1820-1905@, dès lors que les élèves ont en main les outils nécessaires à la lecture en ligne[11], Biblius offre à tous·tes un accès rapide aux publications choisies par leurs titulaires. En tout temps, à l’école comme à la maison, les jeunes peuvent lire ces textes et même les annoter, avec les outils nécessaires. Projetées sur le TNI ou consultées sur des tablettes ou des ordinateurs, les oeuvres de littérature pour la jeunesse ainsi « empruntées » par l’entremise de Biblius facilitent de surcroit les lectures collectives, en sous-groupes, en dyades ou individuelles, selon l’intention. Le soutien d’une ressource humaine – ici la bibliothécaire du CSS – s’avère toutefois essentiel pour pallier les difficultés pouvant se présenter lors de l’étape d’initiation à la plateforme de prêts. Une telle ressource, si elle a l’expertise nécessaire, est aussi un précieux allié pour le choix des oeuvres selon les intentions pédagogiques et le développement des compétences informationnelles des élèves[12].

Dans le cadre du projet 1820-1905@, touchant plus spécifiquement au domaine de l’univers social, le recours à Biblius a permis aux élèves de consulter une grande variété d’oeuvres leur offrant l’opportunité de plonger dans les époques étudiées et, conséquemment, de s’en construire une première représentation. De même, selon les enseignant·e·s, une telle exploration du passé dans des oeuvres ciblées a gardé engagé·e·s les élèves et les à motiver à en connaitre davantage sur les réalités évoquées. De sorte, les bienfaits documentés du recours à la littérature en univers social (Martel, 2018) s’observent pour le projet vécu.

3.2. La participation au développement des compétences en LMM en contexte numérique

Un projet comme celui de 1820-1905@, s’appuyant sur des activités de littératie en réception et en production de contenus multimodaux, vise assurément le développement de compétences en LMM et le développement plus large de la compétence numérique. En permettant de documenter les pratiques en LMM de deux ressources enseignantes et de leurs élèves, il permet de surcroit de participer à l’identification des conditions par lesquelles un tel développement est facilité.

Dans le cadre du projet, les traces laissées et les productions créées par les élèves témoignent que les activités proposées suscitent des apprentissages ou consolident des acquis à l’égard de la lecture modale (roman) et multimodale (prise en compte conjointe du texte et de l’image dans les albums ciblés), et de la production modale (textes variés) ou multimodale (recours complémentaire et parfois très riche aux modes visuel, linguistique et sonore dans les productions virtuelles). Plus largement, il participe au développement de la compétence numérique, entre autres, pour ces dimensions : exploitation du numérique pour développer des compétences disciplinaires; production du contenu avec le numérique[13]. Les pratiques, riches et variées, mises en oeuvre par les enseignant·e·s témoignent, quant à elles, d’apprentissages ou d’acquis en matière d’accompagnement et de soutien à la lecture et à l’écriture multimodales et au développement de la compétence numérique, notamment en ce qui a trait à tout l’accompagnement élaboré pour recourir à Biblius et à CoSpaces.

Les difficultés rencontrées restent toutefois nombreuses, entre autres, en ce qui concerne les limites techniques des outils mobilisés, ici CoSpaces (p. ex., les difficultés associées au codage, au manque de « skins »[14] qui représentent l’époque, aux difficultés à déplacer certains éléments, etc.). Plus largement, les limites des compétences techniques (chez certain·e·s élèves et les enseignant·e·s), pour ce qui relève de la programmation, sont aussi une entrave à nommer. Il est également impossible de ne pas souligner les habituelles difficultés de lecture (qu’on lise sur écran ou non) de certain·e·s élèves et les efforts que plusieurs doivent aussi déployer dès qu’il leur est demandé d’illustrer leur compréhension d’un contenu en produisant des textes variés, voire des productions complexes comme celle exigée dans le projet 1820-1905@. Dans ce qui suit, ce qui relève spécifiquement des apprentissages recherchés en univers social et des difficultés rencontrées est exploré.

3.3. Le développement de compétences et de savoirs en univers social

D’entrée de jeu, enseignant·e·s et élèves sont unanimes : un projet tel que celui vécu avec 1820-1905@ est motivant au regard de l’univers social. Il permet d’approcher autrement, par le biais d’oeuvres numériques pour la jeunesse (souvent méconnues et trop peu explorées), puis d’une production finale en réalité virtuelle, des réalités du passé. De plus, l’ancrage exploratoire dans la vie de personnages d’hier facilite, aux dires de plusieurs élèves, l’appropriation et la rétention des informations construites. Ce caractère construit du savoir, qui sous-tend l’obligation des élèves à s’engager dans une démarche de recherche et de traitement de l’information, n’est pas sans expliquer aussi cette appropriation riche en contexte numérique.

Dans leur bilan réflexif, certain·e·s élèves adoptent, de plus, une posture critique témoignant d’une capacité à porter un jugement sur la qualité « historique » de leur production. D’autres, sans adopter de manière explicite cette posture, témoignent dans leur production (écriture de la lettre et représentation virtuelle de leur personnage et de son environnement) d’un réel souci de vraisemblance. Certain·e·s ont même le souci d’éviter les anachronismes, malgré les limites imposées par CoSpaces. Pour ce faire, ces élèves disent chercher à rester le plus fidèles possible aux informations qui ont été collectées en cours de projet. Il serait malhonnête toutefois de ne pas indiquer que quelques élèves se préoccupent beaucoup moins de la qualité « historique » de leur production, concentré·e·s davantage sur le plaisir de construire un environnement virtuel qui leur plaît et qui leur permet d’explorer les potentialités de CoSpaces. D’autres aussi, malgré leur apparent engagement, parviennent plus difficilement à construire les connaissances recherchées[15].

Malgré les apports du projet 1820-1905@ pour l’enseignement-apprentissage de l’univers social au primaire, certaines difficultés font obstacle. Ces difficultés, selon les enseignant·e·s impliqué·e·s, concernent justement la recherche documentaire d’informations précises et complètes pour les personnages ciblés par les élèves. Il demeure en effet ardu pour les personnes enseignantes comme pour les élèves de trouver des sources adaptées et riches d’informations pour plusieurs catégories de personnages du Canada du début du dernier siècle. De même, le traitement et la sélection de l’information demeurent laborieux pour plusieurs élèves qui ont, dès lors, besoin d’un fort soutien.

Dans le contexte d’un projet comme celui de 1820-1905@ et considérant les pratiques pédagogiques (souvent exemplaires) des enseignant·e·s qui y ont collaboré, une grande majorité des élèves parviennent, malgré les obstacles nommés, à maitriser peu à peu les différentes habiletés inhérentes à la démarche de recherche et de traitement de l’information en histoire et en géographie, en plus de construire des connaissances sur les sociétés à l’étude. Au regard de l’enseignement-apprentissage de l’univers social, c’est à cet effet un projet pertinent. De surcroit, un tel projet contribue aussi au développement en contexte numérique de compétences de littératie disciplinaire (Martel, 2018) et plus largement de compétences en LMM en faisant de la classe d’univers social un lieu de réception et de production multimodales.

En conclusion

Pour la suite des choses, c’est fort de l’expérience de cocréation vécue et de la réalisation en classe du projet 1820-1905@, né de cette démarche, que nous espérons poursuivre les pratiques et les réflexions qui en ont émergé. Celles-ci interpellent de manière prometteuse le recours aux potentialités du numérique par, entre autres, la plateforme de prêts d’oeuvres pour la jeunesse numériques Biblius et la mobilisation de la réalité virtuelle à l’école. De même, elles s’ancrent dans la mise en oeuvre en classe d’univers social d’une didactique intersémiotique de la réception et de la production favorable à la construction par les élèves d’une compréhension de l’hier et de l’aujourd’hui, de l’ici et de l’ailleurs.