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L’économie sociale

Quel cap pour Christophe Itier, haut-commissaire à l’ESS ?

Il était pressenti. Voilà Christophe Itier officiellement investi haut-commissaire à l’économie sociale et solidaire (ESS) et à l’innovation sociale auprès de Nicolas Hulot, ministre de la Transition écologique et solidaire. Parmi ses attributions : animer et coordonner l’action des différents ministères en matière d’ESS et d’innovation sociale ; promouvoir les modes d’entreprendre et de développement économique remplissant les conditions définies par la loi de 2014 ; et être l’interlocuteur des responsables de l’ESS sur tous ces sujets.

Directeur général pendant sept ans (jusqu’à sa nomination) de la Sauvegarde du Nord, une association qui compte 1 500 salariés et accompagne 37 000 personnes en difficulté, Christophe Itier, 48 ans, a également présidé le Mouvement des entrepreneurs sociaux (Mouves). Surtout, il a coordonné les travaux d’élaboration de la partie ESS du programme présidentiel d’Emmanuel Macron, comportant trois volets : un « social business act », soit des mesures d’ordre fiscal et législatif pour donner un coup d’accélérateur aux entreprises sociales et solidaires, tous statuts confondus ; un volet consacré à l’innovation et à son financement ; enfin, un troisième volet reposant sur la mesure de l’impact social qui est, à ses yeux, un enjeu majeur de l’ESS.

Sa mission est loin d’être simple et, pour y parvenir, Christophe Itier devra élaborer, d’ici la fin de l’année, une feuille de route de l’ESS ainsi qu’un nouveau schéma d’organisation national et territorial afin de renforcer la capacité d’action et de coordination de l’administration en charge de l’ESS. Ainsi, dans un entretien accordé à La Croix (6 septembre), il se fixe pour mission de « faire reconnaître le secteur dans toutes les politiques de croissance et d’emploi. […] un travail de fond à mener auprès des administrations, notamment de Bercy […] ». Pour réussir, il compte aussi sur les acteurs de l’ESS qui doivent « prendre leur part à ce travail, en ayant une parole plus forte et mieux organisée, de façon à davantage peser dans les décisions ». Sans doute la participation de ces acteurs devra-t-elle également souligner que le projet de l’ESS ne se limite pas à l’emploi, même s’il l’inclut, et que toutes ses composantes ne se reconnaissent pas nécessairement dans toute stratégie de croissance.

Le label américain B-Corp s’invite dans l’ESS

Les 2 vaches (groupe Danone), La ruche qui dit oui, Camif.fr ; Nature & Découvertes… Près de quarante entreprises de toute taille et de tout secteur affichent le label B-Corp en France. Ce label, géré par l’organisme sans but lucratif B-Lab, est censé certifier que l’entreprise est socialement responsable et bénéfique à son environnement, et qu’elle ne poursuit pas seulement le profit. Lors de son lancement en 2006, un de ses fondateurs, l’entrepreneur Jay Coen Gilbert, expliquait : « nous devons passer à un capitalisme du xxie siècle qui crée de la valeur aussi bien pour les actionnaires que pour la société ». C’est donc un label certifiant un type de démarche de responsabilité sociétale de l’entreprise (RSE). Pour le décrocher, les entreprises candidates doivent se soumettre à un questionnaire en ligne qui comporte entre 200 et 300 questions portant sur la gouvernance, les collaborateurs, la communauté ou encore le modèle économique. Le questionnaire est gratuit mais la labellisation, elle, est payante, et varie en fonction du chiffre d’affaires.

Au niveau mondial, le mouvement se propage à grande vitesse et a gagné plus d’une cinquantaine de pays. Trente États américains et plusieurs pays (Suisse, Luxembourg, Italie) ont modifié les lois pour intégrer le concept de « Benefit Corporation » et ainsi protéger les entreprises au cas où leurs actionnaires les accuseraient de privilégier la RSE au détriment des profits alors que, dans la logique B-Corp, les deux dimensions doivent être mises sur le même plan. Manifestement, B-Lab ne trouve pas son label redondant pour les entreprises de l’ESS, qui vont pourtant au-delà de cette démarche par leurs engagements, leur fonctionnement et leur gouvernance. Sur la page « France » du site, la campagne est lancée en ces termes : chez B-Corp, « associations, acteurs de l’ESS, entreprises engagées de toutes tailles oeuvrent pour développer et adapter les principes fondateurs de B-Corp dans un état d’esprit résolument moderne, joyeux et international ». La preuve que l’affichage ESS (sans la totalité du contenu) devient commercialement intéressant et fait l’objet d’un phénomène de mode. Au point que certaines entreprises de l’ESS pourraient être tentées de se banaliser ou, comme le disait Claude Vienney (1994), de « muter » ?

La « société commerciale de l’ESS »

Une étude de l’Observatoire national de l’ESS dresse l’état des lieux des « sociétés commerciales de l’ESS » reconnues par la loi ESS de 2014. L’étude le rappelle, ces entreprises sont des sociétés qui, tout en affichant le statut de société anonyme (SA) ou de société à responsabilité limitée (Sarl), répondent aux quatre caractéristiques suivantes : elles poursuivent un but autre que le seul partage des bénéfices ; leur mode de gouvernance est démocratisé ; elles appliquent le report à nouveau de leurs bénéfices et possèdent une réserve obligatoire ; elles s’interdisent d’amortir ou de réduire le capital. Au titre de cette reconnaissance de 2014, ces « sociétés commerciales de l’ESS » peuvent bénéficier d’avantages (financiers, de visibilité, de réseaux).

Rappelons que les coopératives sont, elles aussi, des « sociétés commerciales de l’ESS » relevant du Code du commerce. Quant aux associations loi 1901, elles peuvent être imposables sur leurs bénéfices comme des sociétés commerciales lorsqu’elles remplissent la règle dite des « 4 P » (un Produit est vendu, à un Prix connu, à un Public autre que les adhérents, en faisant l’objet d’une Publicité). La vraie différence entre la société commerciale et les autres formes entrepreneuriales de l’ESS : l’une est une société de capitaux quand les coopératives, associations, mutuelles sont des groupements de personnes.

En avril 2017, trois ans après leur reconnaissance, l’Insee répertoriait 236 de ces sociétés commerciales au statut de sociétés par actions simplifiées (SAS) ou Sarl. Un chiffre non négligeable. Grâce à l’étude publiée par l’Observatoire national de l’ESS, nous savons désormais que 60 % de ces « sociétés commerciales de l’ESS » sont des SAS, et 13 % sont des Sarl. Alors que les autres acteurs de l’ESS (associations, coopératives…) sont davantage représentés dans l’action sociale, les sports, la culture, près des trois quarts des « sociétés commerciales de l’ESS » se situent dans des secteurs « conventionnels » : 33,9 % ont pour secteur d’activité le soutien aux entreprises, 19,5 % relèvent de l’industrie et de la construction et 14,4 % du commerce équitable. Parallèlement, elles sont nombreuses à faire appel à l’agrément entreprise solidaire d’utilité sociale (Esus) afin d’être facilement reconnues par les autres entreprises et par les réseaux comme faisant partie de l’ESS à part entière. Enfin, les motivations invoquées par les dirigeants pour le choix de ce statut traduisent leur souhait d’être perçus comme des entrepreneurs performants, de se démarquer des acteurs « traditionnels » de l’ESS. A la fois « dans » l’ESS et à côté…

L’économie circulaire veut faire la part belle aux initiatives de l’ESS

Fin septembre, Brune Poirson, secrétaire d’Etat auprès de Nicolas Hulot, ministre de la Transition écologique et solidaire, a présenté sa feuille de route sur l’économie circulaire, qui s’intègre au Plan climat du quinquennat. La secrétaire d’Etat et son ministre de tutelle ambitionnent de « réconcilier l’économie et l’écologie », c’est-à-dire de réduire les émissions de CO2 tout en créant des emplois. A cette occasion, la secrétaire d’Etat a insisté sur sa méthode : la feuille de route s’appuiera en grande partie sur les initiatives locales de l’ESS, qu’il s’agisse de « ressourceries », d’association de tri, d’entreprises innovantes de l’ESS, etc. La feuille de route devrait donc recenser des pratiques concrètes qui ont montré leur efficacité et proposer des dispositifs pour les étendre à l’échelle nationale. Par ailleurs, une plateforme collaborative sera lancée fin octobre pour recueillir les attentes et propositions des citoyens en matière d’économie circulaire. Dans le même esprit participatif, un hackathon (concours de programmeurs informatiques)  sera organisé par le ministère et l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) afin de faire émerger de nouvelles analyses des données sur les déchets produits en France.

Le fonds NovESS réalise son premier investissement

NovESS, un véhicule d’investissement dédié à l’ESS, était lancé en juin 2016 par la Caisse des Dépôts (en partenariat avec des investisseurs institutionnels français comme BNP Paribas, BNP Paribas Cardif, CNP Assurances, Crédit Coopératif, l’Ircantec, la Mutuelle Territoriale, l’Union Mutualiste Retraite, etc.). A l’occasion de la Semaine de la finance solidaire (28 septembre au 5 octobre), NovESS a annoncé son premier investissement : une prise de participation de 2,5 millions d’euros dans la société coopérative Enercoop, fournisseur d’énergie électrique 100 % renouvelable, et pionnière de ce domaine en France. Un joli coup de pouce au développement de la coopérative dont le tour de table a permis de totaliser une levée de fonds de 5,7 millions d’euros en tout. Rappelons que la société coopérative Enercoop, créée en 2005, offre à ses clients, particuliers et professionnels, un approvisionnement direct auprès de producteurs d’énergies renouvelables, ainsi que des services pour les aider à mieux maîtriser leur consommation. De son côté, la société Mandarine Gestion, chargée de la gestion du fonds, a pu rappeler sa raison d’être : « L’économie sociale et solidaire est un secteur en pleine mutation et à fort potentiel de croissance dont les besoins de financement, notamment en fonds propres, sont importants. L’objectif du fonds NovESS est de permettre aux structures de l’ESS de changer d’échelle, grâce à une offre de financement complète et adaptée, et d’accélérer l’innovation sociale. » Le fonds NovESS a en effet pour ambition d’investir 100 millions d’euros dans les associations, coopératives, mutuelles et sociétés commerciales de l’ESS en France.

Les associations

La dynamique des créations d’association

L’étude annuelle « La France associative en mouvement » de Recherches & Solidarités offre une image somme toute encourageante de la création d’associations en France. 73 320 nouvelles associations ont été créées en 2016-2017, essentiellement dans le domaine de la culture (22,2 %) et des sports (15,3 %). Ceci confirme le retour de l’embellie après les années 2010-2013 marquées par un tassement des créations d’association. La dynamique de création est la plus forte dans le sud de la France (Paca) où il s’est créé l’an dernier plus de treize associations pour 10 000 habitants (ce qui ne veut pas dire que les associations y sont les plus dynamiques : il en naît et meurt beaucoup). C’est en Ile-de-France, suivie de la région Rhône-Alpes, que l’on trouve le plus d’associations en activité effective. Sur un plan plus qualitatif, l’étude révèle que 88 % des associations ne fonctionnent qu’avec des bénévoles : la mutation du bénévolat reste la principale préoccupation des dirigeants associatifs. En effet, en l’espace de quelques années, sous l’effet de la professionnalisation des associations, les bénévoles sont devenus plus motivés et compétents, choisissant leurs engagements en fonction de leur savoir-faire. En corollaire des compétences qu’ils mobilisent, ces bénévoles ont une exigence plus forte concernant l’efficacité des actions menées au sein de leur association. Ainsi, 56 % des associations interrogées se disent préoccupées par la disponibilité des ressources humaines bénévoles au sein de leur association, et 44 % par le renouvellement de leurs dirigeants bénévoles.

Les contrats aidés : une remise à plat, mais laquelle ?

Contrats starter, emplois d’avenir, contrats uniques d’insertion… Les contrats aidés, destinés aux publics les plus éloignés du marché du travail (demandeurs d’emploi de longue durée, jeunes en grande difficulté…), correspondent à des emplois spécifiques pour lesquels l’embauche et l’accompagnement sont appuyés financièrement par l’Etat. En juin dernier, la Cour des comptes critiquait cette « jungle de dispositifs » qui coûtent entre 2 et 3 milliards d’euros par an et qui, selon elle, « sont loin d’avoir fait la preuve de leur efficacité ». Puis, juste avant l’été, la ministre du Travail, Muriel Pénicaud, annonçait la réduction de leur nombre de 456 000 en 2016 à 280 000 pour 2017 – chiffre revu à la hausse et désormais fixé à 320 000 contrats aidés pour 2017. Or, ces contrats représentent 7 % des emplois dans l’ESS soit 170 000 emplois au bénéfice des jeunes et des personnes éloignées de l’emploi. Il est nécessaire de maintenir les emplois d’avenir et de faire évoluer le modèle des autres types de contrats aidés afin de les rendre plus efficaces dans la lutte contre le chômage, explique l’UDES qui s’oppose à la baisse brutale des contrats aidés, et demande l’ouverture d’une concertation, rejoint en cela par la plupart des acteurs de l’ESS. Et de préciser que, dans le secteur de l’accompagnement des adultes handicapés, de l’animation périscolaire, de l’aide et des soins à domicile ou des régies de quartier, les conséquences risquent d’être désastreuses. « Cette mesure aura des conséquences sur la capacité des structures à répondre à leurs missions sociales, au détriment de l’accompagnement des plus fragiles », souligne Sébastien Darrigrand, délégué général de l’UDES qui précise : « Elle aura aussi un effet direct sur l’emploi. Toutes les personnes qui ne sont pas embauchées en contrat aidé resteront au chômage. » Une analyse confortée par la dernière étude de la Dares parue en mars 2017 pour qui, à court terme, les contrats aidés, particulièrement ceux du secteur non marchand, permettent de soutenir efficacement l’emploi. Ainsi, elle estime que 21 000 emplois ont été créés en 2015 grâce à l’augmentation du nombre de contrats aidés : 13 000 dans le secteur non marchand, 4 000 dans le secteur marchand et 4 000 dans les structures de l’insertion par l’activité économique. À plus long terme, en revanche, les effets sur l’insertion professionnelle sont mitigés et nécessitent sans doute des études plus poussées. Enfin, souligne l’étude, les anciens bénéficiaires sont plutôt satisfaits de leur passage dans ces dispositifs : six mois après leur sortie de contrat unique d’insertion, 74 % des anciens bénéficiaires trouvent que le contrat aidé leur a permis de se sentir utile et de reprendre confiance, et cela particulièrement pour les bénéficiaires d’un contrat dans le secteur non marchand.

Lisa Telfizian

La coopération

Il y a 70 ans, adoption de la loi Ramadier portant statut de la coopération

Les années qui ont suivi la guerre ont été marquées par les difficultés économiques, mais aussi par une forte aspiration à une démocratie sociale et économique. C’est ce contexte qui a permis la mise en place de la Sécurité sociale, et l’adoption de réglementations moins connues comme la loi du 10 septembre 1947 portant statut de la coopération. Avant cette date, le seul cadre réglementaire « généraliste » appliqué à la coopération était le titre III de la loi du 24 juillet 1867 sur les sociétés à capital variable. La diversité croissante du mouvement s’était traduite par une avancée inégale des législations selon les branches coopératives, plus ou moins bien pourvues selon l’implication de l’Etat en leur faveur. Votée sous le gouvernement du socialiste Paul Ramadier, éphémère président du Conseil (janvier-novembre 1947) mais inlassable militant coopérateur, la loi de 1947 se présentait surtout comme un outil d’identification des principes fondateurs propres à l’ensemble des structures du monde coopératif : la double qualité d’associé et d’usager, la rémunération du capital par un intérêt fixe et limité, la distribution proportionnelle des dividendes sous forme de ristournes, le caractère impartageable des réserves, le fonctionnement démocratique selon la règle « un homme, une voix », le caractère variable du capital et du nombre des sociétaires… En somme, il s’agit sous une forme plus sophistiquée des fondamentaux édictés en 1844 dans le règlement des Equitables pionniers de Rochdale, rappelés par l’Alliance coopérative internationale (ACI) dans sa déclaration de 1995 sur l’identité coopérative. La loi de 1947 a été modifiée par la loi du 31 juillet 2014 relative à l’ESS.

Pour rappel, les huit plus gros chiffres d’affaires de la coopération française [1]

  1. E. Leclerc (distribution) : 44 milliards d’euros de chiffre d’affaires, 109 000 salariés.

  2. Groupe Crédit Agricole (banque) : 30 milliards d’euros de chiffre d’affaires, 140 000 salariés.

  3. Système U (distribution) : 23 milliards d’euros de chiffre d’affaires, 80 500 salariés.

  4. BPCE (Banque populaire-Caisse d’Epargne) : 23 milliards d’euros de chiffre d’affaires, 108 000 salariés.

  5. Groupe Crédit Mutuel (banque) : 15 milliards d’euros de chiffre d’affaires, 83 650 salariés.

  6. Astera (distribution pharmaceutique) : 8,4 milliards d’euros de chiffre d’affaires, 33 500 salariés.

  7. In Vivo (céréales) : 5,7 milliards d’euros de chiffre d’affaires, 8 000 salariés.

  8. Sodiaal (lait) : 4,8 milliards d’euros de chiffre d’affaires, 9 500 salariés.

La coopérative Sodiaal face à la crise laitière

La coopérative Sodiaal, qui rassemble 20 000 des 60 000 producteurs laitiers français, occupe le huitième rang des coopératives françaises. Propriétaire des marques Candia, Entremont et Yoplait, elle est aussi la troisième coopérative laitière européenne et la cinquième mondiale. En dépit (ou à cause) de cette prospérité, elle a dû faire face à la grogne des producteurs très malmenés par la chute des cours du lait qui a suivi la fin de la politique européenne des quotas laitiers en avril 2015. En juin dernier, les producteurs-coopérateurs ont bloqué le siège de Sodiaal à Guingamp, dans les Côtes-d’Armor, pour demander une révision à la hausse des tarifs de la coopérative, accusée d’être trop pingre à l’égard de ses adhérents. En signe d’apaisement, l’assemblée générale de juin a décidé de redistribuer 25 millions d’euros aux producteurs. Cependant, au-delà de la question du prix auquel la coopérative achète le lait à ses adhérents, ces tensions traduisent le fossé qui s’est creusé entre les coopérateurs et les responsables censés les représenter. Une réforme de la gouvernance semble nécessaire pour que tous les acteurs puissent réinvestir la coopérative qui est leur propriété commune. Telle est d’ailleurs l’analyse des chercheurs Xavier Hollandts et Bertrand Valiorgue, auteurs du Référentiel pour une gouvernance stratégique des coopératives agricoles [2].

Les coopératives agricoles et la production d’agriculture biologique

A l’occasion de la troisième Semaine de la coopération agricole qui s’est tenue en mai 2017, Coop de France a lancé une déclaration d’engagement des coopératives pour développer les filières biologiques, en garantissant la valorisation et la traçabilité de leurs produits. La coopération agricole entend ainsi satisfaire une demande croissante des consommateurs, même si sa part dans la production d’agriculture biologique est déjà très élevée [3] et représente 90 % des porcs bio, 55 % des volailles, 71 % de l’alimentation pour bétail, 48 % des oeufs, 43 % des viandes bovines, 70 % des agneaux, 78 % de la récolte des céréales. Certaines filières biologiques ont été moins investies par les coopératives, comme la collecte de lait biologique (36 %), la production de fruits et légumes (25 %) et la production vinicole (20 %).

Les coopératives jeunesses de services (CJS) [4] : quel bilan à la fin de l’été ?

Ce concept, venu du Québec il y a une vingtaine d’années, a le vent en poupe et la faveur de la presse régionale dans les dix régions où fonctionnent des CJS. Durant l’été 2017, quarante-sept CJS ont été créées (trente-deux en 2016) pour aider des jeunes âgés de 15 à 19 ans à organiser collectivement leurs jobs estivaux. Il s’agit généralement de proposer des services (bricolage, jardinage, animation, nettoyage, garde d’enfants…) à des particuliers ou à des structures comme des maisons de retraite. Les CJS bénéficient de l’aide des communes, des communautés d’agglomérations et d’associations diverses qui leur apportent un soutien logistique et financier. A l’heure du bilan et de la rentrée, les jeunes coopérateurs constatent que le gain est plus qualitatif que financier. Si l’enthousiasme collectif est propice à l’élaboration et à la mise en oeuvre des projets, les revenus tirés de cette activité restent très modestes une fois les charges payées. La CJS est cependant un lieu d’initiation au mode démocratique d’une structure coopérative et un espace de convivialité, ce qui explique que la plupart des participants souhaitent réitérer l’expérience l’été suivant. Ces coopératives sont coordonnées au niveau national par le programme « Coopérer pour entreprendre », sous l’égide du ministère des Sports.

SCOP-TI en difficulté : appel au socio-financement

Trois ans après sa fondation, la société coopérative provençale de thé et infusions SCOP-Ti, fondée en 2014 par les anciens salariés de Fralib à Gémenos (Bouches-du-Rhône), reste financièrement fragile. Afin de pouvoir assurer la publicité de ses produits et consolider leur place sur le marché de la grande distribution, la coopérative a décidé en juin de lancer une vaste campagne de financement participatif. Celle-ci a déjà rapporté plus de 110 000 euros en deux mois. Les salariés espèrent recueillir les 700 000 euros qui leur permettraient de disposer d’une trésorerie suffisante pour le développement de leurs activités. La petite Scop devrait recevoir prochainement le soutien conséquent d’une des plus grosses Scop de France, UP anciennement Chèques Déjeuner, qui regroupe 700 coopérateurs et 3 500 salariés dans le monde entier.

Cuba : interrogations autour de la fermeture de la coopérative Scenius

A Cuba, les coopératives ont le droit de fonctionner hors du cadre étatique depuis la loi de décembre 2012 qui a autorisé, à titre transitoire et expérimental, la création de coopératives non agricoles, dans un contexte de dégel des relations avec les Etats-Unis. Il y en existe aujourd’hui environ 400. L’idée du gouvernement de Raul Castro était alors de concéder une certaine privatisation de l’activité économique, dans un cadre collectif promouvant des idéaux – en l’occurrence coopératifs – compatibles avec ceux de la Révolution. Le concept n’a pas manqué de séduire les travailleurs qui ont accédé par ce moyen à des salaires bien plus avantageux que lorsqu’ils étaient fonctionnaires. Cependant, le développement des coopératives de production (notamment dans le bâtiment) s’est trouvé entravé par l’inexistence d’un marché de gros et la difficulté à se procurer des matières premières importées, tandis que sévit toujours l’embargo mis en place par les Etats-Unis en 1962. Sans doute parce qu’elles étaient moins soumises à ces contraintes pratiques, et parce qu’elles répondaient à des besoins quotidiens de la population, les coopératives de services ont connu un essor plus significatif, à l’instar de la coopérative Scenius. Fondée en 2014 par trois associés, cette coopérative qui compte aujourd’hui 328 employés, fournit une activité de conseil, en comptabilité notamment, aux entreprises d’Etat en majorité. Or, cet élan vient d’être brisé en plein vol par la décision de fermeture des pouvoirs publics, au motif que les activités de Scenius outrepassaient le cadre dans lequel elle avait été autorisée à fonctionner. Au-delà de son impact très circonscrit, cette mesure ne manque pas d’interroger sur les intentions des dirigeants cubains concernant l’avenir des coopératives de diverses natures qui fleurissent sur l’île. Il est probable que le destin de celles-ci, et de l’économie cubaine en général, soit lié à la normalisation des relations avec les Etats-Unis… en recul depuis l’élection de Donald Trump.

Les mutuelles

Rentrée mutualiste dans le brouillard

Alors que près de mille délégués mutualistes ont participé aux journées de rentrée de la Mutualité française qui se tenaient les 28 et 29 septembre à Nancy, bien des questions demeurent en suspens sur les intentions du gouvernement en matière de politique de santé et de politique publique de l’ESS. Une délégation de la FNMF, menée par son président Thierry Beaudet, a bien été reçue à Matignon le 4 septembre, mais il semble que le Premier ministre Edouard Philippe ait simplement réitéré les promesses du candidat Macron sans préciser les modalités de leur mise en oeuvre. Les mutualistes ne peuvent que souscrire à la volonté du gouvernement de réduire les restes à charge pour les patients (optique, dentaire, audioprothèse…), dans un objectif louable de lutte contre le renoncement aux soins et contre les inégalités en matière d’accès aux soins. Cependant, il n’est pas prévu de relever le plafond des remboursements par la Sécurité sociale. Demeure donc la question du financement de cette mesure qui ne peut être résolue par une injonction gouvernementale sur le mode « les mutuelles paieront », élégante façon de reporter sur les organismes mutualistes la grogne des assurés qui seraient inévitablement touchés par la hausse des tarifs de leurs contrats. Un autre motif d’inquiétude pour les responsables mutualistes est la diminution du nombre des contrats aidés qui va toucher les établissements sociaux et médico-sociaux.

Le monde mutualiste a son mot à dire sur les politiques de santé

Dans ce contexte d’incertitude, le pire serait, pour le mouvement mutualiste, d’attendre de savoir à quelle sauce il sera mangé. Bien au contraire, la Mutualité française entend, selon les termes de son président à l’assemblée générale de juin 2017, « être acteur et force de proposition ». Cette volonté s’est concrétisée lors de la campagne présidentielle par une interpellation continue des candidats sur leurs intentions en matière de politique de santé. Elle puise sa légitimité tant dans le rôle fondateur des mutuelles dans l’histoire de la protection sociale, que dans leur importance actuelle dans la prise en charge des frais de santé. Celle-ci est confirmée par une étude de la Direction régionale des études statistiques et sociales (Drees) publiée en juillet 2017 [5] sur les parts de marché des organismes complémentaires : en matière de remboursement de frais de santé, les mutuelles occupent toujours le premier rang, en intervenant à hauteur de 52 %, contre 30 % pour les sociétés d’assurance et 18 % pour les institutions de prévoyance. Pour les autres risques sociaux (décès, invalidité, retraite), les sociétés d’assurance gèrent la plus grande part : 40 %, contre 32 % pour les mutuelles et 18 % pour les IP.

Quel avenir pour les mutuelles étudiantes ?

Celles-ci pourraient se voir retirer la gestion du régime obligatoire de l’Assurance maladie des étudiants, qui serait adossé au régime général de la Sécurité sociale. Le régime étudiant a connu suffisamment de dysfonctionnements depuis l’affaire de la MNEF dans les années 90 pour que l’on puisse envisager cette mutation sans trop de regrets, à condition qu’elle permette une amélioration rapide de l’état sanitaire de la population étudiante, actuellement très préoccupant pour les étudiants issus de familles modestes. Selon une enquête effectuée par La mutuelle des étudiants (LMDE), 20 % des étudiants renoncent à des soins pour des raisons financières et 19 % n’ont pas de couverture complémentaire santé.

L’initiative mutualiste des prostituées

Le Syndicat du travail sexuel (Strass) a entrepris des démarches pour créer une mutuelle permettant aux prostituées de bénéficier d’une prise en charge en cas d’incapacité de travail. Econduit par certaines mutuelles soucieuses de leur réputation, il a rencontré une écoute positive auprès de la Mutuelle de prévoyance interprofessionnelle (MPI), qui l’assistera dans la mise en place de ce dispositif solidaire.

La pingrerie de l’Etat à l’égard des fonctionnaires mutualistes : trop peu connue…

Trop souvent friande des charges assassines de certains responsables politiques et économiques à l’encontre des fonctionnaires, l’opinion publique méconnaît totalement les inégalités dont ceux-ci sont victimes, notamment en matière de protection sociale complémentaire. En effet, si les employeurs privés mettent la main à la poche pour financer à 50 % minimum la cotisation santé de leurs salariés, tel n’est pas le cas dans la Fonction publique d’Etat… ou à un niveau ridiculement bas (3 % en moyenne du montant de la cotisation. Six agents sur dix perçoivent moins de 2 euros par an). Dans ce domaine, la généralisation de l’ANI (Accord national interprofessionnel) a continué de creuser le fossé entre les travailleurs du secteur privé et les agents publics.

Du fait que leur ministère est particulièrement mal doté, les enseignants – très majoritairement adhérents à la MGEN – paient leur cotisation mutualiste au prix fort. Sur la base de ce constat, la Mutualité Fonction publique (MFP) a décidé de lancer une campagne de sensibilisation sur le thème « Ma santé concerne tout le monde », contribuant ainsi à détricoter le fantasme trop partagé des privilèges de ses adhérents.

Le renouvellement du référencement d’acteur(s) de complémentaire santé des fonctionnaires d’Etat

La procédure ministérielle de référencement d’acteur de complémentaire santé, dont le cahier des charges a été publié en décembre 2016, aura des conséquences variables sur la protection sociale des différents agents de la Fonction publique selon le ministère auquel ceux-ci sont rattachés. Alors qu’au ministère de l’Economie et des Finances, le seul acteur de référence retenu est une mutuelle, la MGEFI (Mutuelle générale de l’Economie et des Finances), dans d’autres ministères, c’est la mise en concurrence – autrement dit « la loi du marché » – qui prévaut. Au ministère de la Justice, la mutuelle historique a été supplantée par Intériale, en partenariat avec Axa. Au ministère de l’Education nationale (un million d’agents), un triple référencement hisse sur le podium Intériale et CNP Assurances aux côtés de la MGEN. Le rapprochement imminent MGEN-Istya-Harmonie permettra-t-il de conserver envers et contre tous l’esprit mutualiste chez les enseignants ? Peut-être, à condition que les pratiques restent suffisamment solidaires pour que les adhérents potentiels puissent constater une plus-value qualitative au sein de ce nouveau groupe baptisé VYV.

Patricia Toucas-Truyen