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Le Parti libéral du Québec (PLQ) est la seule formation partisane toujours active au Québec qui existe depuis la Confédération[1]. Parmi les facteurs qui expliquent cette longévité, il importe de tenir compte de la capacité du Parti à mettre à jour périodiquement ses positionnements idéologiques eu égard à certains enjeux clés (Lemieux, 2008; Lévesque, 2013). Depuis les années 1960 surtout, c’est ce qu’a fait le PLQ en lien avec le dossier constitutionnel et l’épineuse question de la place du Québec dans la fédération canadienne. La littérature foisonne d’analyses rigoureuses pour couvrir la deuxième moitié du 20e siècle (Bourque et Duchastel, 1995; Dion, 1995; Bouchard, 1999;Lévesque et Pelletier, 2006; Lemieux, 2008; Santafé et Mathieu, 2019). Entre autres, on souligne que les Libéraux défendent généralement une posture plus fédéraliste que leurs adversaires politiques au Québec (Lemieux, 2008, p. 178). Dans le même temps, cet attachement du PLQ envers les institutions et la culture politique canadiennes n’a pas empêché le développement d’une doctrine proprement autonomiste visant à mieux protéger les intérêts du Québec contre les tentatives d’ingérence du gouvernement fédéral durant les décennies 1960-1970 (Lemieux, 2008, p. 179).

De manière un peu schématique, rappelons que le PLQ s’est d’abord opposé frontalement à l’Union nationale (UN) – son principal adversaire politique au sein du système partisan québécois de l’époque – sur le plan constitutionnel et concernant la manière d’appliquer les mesures autonomistes au Québec (Angers, 1997; Lemieux, 2008). Ensuite, les décennies 1980-1990 ont vu naître au PLQ le désir de présenter le projet de la reconnaissance du Québec au sein de la fédération canadienne comme une voie alternative à l’indépendantisme du Parti québécois (PQ), tout en contestant les modalités du rapatriement constitutionnel de 1981-1982 (Laforest, 2014; McRoberts, 2018, Rocher, 2020).

Concrètement, nous identifions l’échec des rondes constitutionnelles de Meech (1987-1990) et de Charlottetown (1992) puis la tenue du référendum de 1995 sur la souveraineté-partenariat comme les événements précurseurs d’une nouvelle phase de réalignement idéologique pour le PLQ (Bourque et Duchastel, 1995; Laforest, 2010; Rocher, 2020). Or, depuis ce moment charnière, de quelles manières le PLQ a-t-il entrepris de (re)configurer son positionnement idéologique en lien avec le dossier constitutionnel au Canada?

Par l’intermédiaire d’une analyse de contenu qualitative de diverses sources primaires, cet article se propose de fournir des éléments de réponse à ce questionnement. Ainsi, il analyse l’essor du réalignement idéologique du PLQ post-1995, qui se caractérise principalement par ce qu’on désignera le « fédéralisme évolutif » et l’accent mis sur le principe de la flexibilité. Notre argumentaire se décline en trois principales étapes.

Premièrement, nous allons discuter des fondements théoriques associés au fédéralisme dit « évolutif ». Ceci servira ensuite d’ancrage analytique. Deuxièmement, nous allons prendre soin de présenter la démarche analytique et méthodologique retenue. Nous allons aussi expliciter les termes sur lesquels repose la présente contribution à la littérature et approfondir les fondements de la problématique qui nous intéresse. Troisièmement, nous allons décortiquer les tenants et aboutissants des trois phases que nous observons dans le processus de réalignement idéologique post-1995 au PLQ en lien avec le dossier constitutionnel précisément (1996, 2001 et 2017). Ce faisant, nous discuterons de l’élaboration graduelle d’une vision libérale du fédéralisme évolutif et insisterons sur la consolidation normative du principe clé qu’est la flexibilité. Enfin, nous conclurons en offrant un bref examen critique du mandat récemment entamé par Dominique Anglade aux rênes du PLQ.

Le fédéralisme évolutif

On trouve dans la littérature un nombre impressionnant de définitions du fédéralisme (voir Palermo et Kössler, 2017). Bien qu’il n’existe pas de figure absolument incontournable qui soit parvenue à (im)poser la base définitionnelle que tous reprennent par la suite, quelques spécialistes de la deuxième moitié du 20e siècle se sont illustrés par la finesse de leur compréhension et interprétation du fédéralisme (Wheare, 1963; Elazar, 1987; Watts, 1996). En nous inspirant de leurs écrits, nous retenons que le fédéralisme correspond à une théorie politique prévoyant un partage des pouvoirs constitutionnels dans un État souverain entre au moins deux ordres de gouvernement, lesquels sont supposés distincts, mais non subordonnés les uns aux autres (Tully, 1995; Rocher, 2006; Gagnon, 2021).

Cela étant, de nombreuses déclinaisons théoriques et normatives gravitent comme autant d’électrons autour de « l’atome fédéralisme » que nous venons de circonscrire. Que l’on pense aux fédéralismes de type « territorial », « multinational », « asymétrique », « personnel », etc., ces différentes déclinaisons mettent l’accent respectivement sur certaines spécificités, ce qui les amène à formuler différentes propositions (lesquelles sont parfois opposées) pour concevoir les architectures institutionnelles et constitutionnelles fédérales (Karmis 2006; Mathieu, Guénette et Gagnon, 2020).

Dans le sillage de ce que les sociologues Gilles Bourque et Jules Duchastel nomment la position fédéraliste du « statu quo flexible » (Bourque et Duchastel, 1995, p. 20), le fédéralisme évolutif se caractérise d’abord et avant tout par une préférence pour les arrangements politiques et juridiques destinés à transformer graduellement le fonctionnement d’un système fédératif par voies paraconstitutionnelles. Plutôt que de miser essentiellement sur une réforme constitutionnelle en bonne et due forme pour moderniser l’architecture institutionnelle du pays, le fédéralisme évolutif priorise le recours à des ententes administratives et intergouvernementales qui sont à même de contourner les écueils associés aux tentatives de révision constitutionnelle formelles (Boismenu, 2008; Brouillet, 2011; Pelletier, 2017). Pour cette raison, les stratégies découlant d’une logique évolutive du fédéralisme sont souvent qualifiées de paraconstitutionnelles ou informelles. Elles viennent ainsi souvent brouiller les cartes en ce qui concerne l’application du partage des compétences prévu dans les textes constitutionnels formels, car elles engagent un système fédéral à s’adapter à de nouvelles réalités et pratiques sans pour autant amender le texte de la loi fondamentale du pays (Poirier, 2004; Simeon, 2006; Poirier et Hartery, 2020; Gagnon et Poirier, 2020). Bref, il s’agit d’une forme de bricolage constitutionnel.

En règle générale, nous dirons des partisans de cette déclinaison du fédéralisme qu’ils considèrent fondamental de parvenir à faire évoluer les systèmes fédératifs en fonction du contexte sociétal et politique ambiant, quand bien même les voies constitutionnelles formelles ne semblent pas accessibles. Certes, on ne rejette pas la possibilité d’avoir recours in fine aux procédures formelles pour modifier la loi fondamentale du pays. En revanche, lorsque cela ne s’avère pas possible, pour quelque raison que ce soit, on est d’avis que des changements paraconstitutionnels doivent être priorisés comme modalité institutionnelle tout aussi légitime. Le fédéralisme dit évolutif est ainsi caractérisé par un pragmatisme particulièrement prononcé, qui se reflète notamment à travers le principe de la flexibilité. Cette perspective théorique conçoit l’architecture constitutionnelle fédérale comme quelque chose de nécessairement évolutif et dynamique – un « arbre vivant », pour reprendre la célèbre métaphore de la Cour suprême du Canada – qui doit pouvoir s’ajuster à l’environnement changeant qu’il dessert (et non l’inverse) (Brouillet et Gagnon, 2017; Gagnon et Schwartz, 2020).

Démarche analytique et cadre méthodologique

Cet article a pour objectif d’approfondir un pan de la recherche sur les partis politiques au Québec, soit les études sur les prises de position politiques du PLQ à travers les documents textuels (voir entre autres Pétry, Imbeau et Bélanger, 2006; Lemieux, 2008, 2012; Pétry et Birch, 2018). Plus précisément, nous nous intéressons à la composante gouvernementale du PLQ (Lemieux, 2008). Cette expression décrit les intérêts et les choix d’un parti politique en matière de gouverne, c’est-à-dire les activités que les partis promeuvent lorsqu’ils sont « à la direction du gouvernement ». Celles-ci peuvent aussi « tenir à leurs actions dans l’opposition, ou même, […] à des activités exercées hors de l’appareil gouvernemental, mais qui n’en concernent pas moins la gouverne d’une collectivité » (Lemieux, 2005, p. 17).

Pour notre part, nous voulons contribuer au développement de cette littérature au moyen d’une analyse sur le réalignement idéologique du PLQ depuis la décennie 1990. Précisément, nous ambitionnons d’élucider le sens plus ou moins explicite qui se trouve dans les discours, énoncés de politiques publiques et textes partisans du PLQ après 1995.

Pour ce faire, nous mobilisons également la notion de réalignement pour décrire des transformations dans les positions des partis politiques en matière de gouvernance et non pas pour rendre compte des mutations électorales dans le temps. Très simplement, par « réalignement », nous faisons référence à tout processus marquant un changement dans le contenu des orientations des partis politiques à la suite de tensions sociétales importantes n’ayant pas été contrôlées, voire résolues (Burnham, 1970, p. 10; Pelletier et Crête, 1988, p. 4). Ainsi, comme le souligne la politologue Stéphanie Chouinard, les réalignements idéologiques au Québec ne sont pas uniquement associés à des mutations au sein du clivage gauche-droite ou à des métamorphoses dans le comportement électoral; ils sont aussi le résultat de réajustements structurels dans les orientations des partis politiques sur l’enjeu de l’avenir politique et constitutionnel du Québec (Chouinard, 2017). Nous nous intéressons donc au repositionnement idéologique des libéraux au lendemain d’un point tournant critique dans l’histoire politique récente du Québec, soit le désamorçage des grands débats constitutionnels au pays. Cette période, qui débute en 1996 à la suite de la deuxième campagne référendaire sur l’indépendance du Québec, fut d’ailleurs déjà associée au début d’une mutation de l’idéologie fédéraliste au PLQ (Bourque et Duchastel, 1995, p. 20; Cloutier, 1998, p. 179).

En bref, la victoire référendaire du camp du « NON » signifie non seulement le maintien du Québec à l’intérieur de la fédération canadienne, mais entraîne aussi un certain essoufflement de la volonté de refaire le pays à l’image d’un fédéralisme qui reconnaîtrait formellement le Québec comme société distincte dans les termes mêmes de sa loi fondamentale. Dans les décennies qui précèdent ce moment, cette dernière posture était principalement incarnée par les Libéraux (Bourque et Duchastel, 1995; Balthazar, 2013; Rocher, 2020). Or, il appert que les échecs associés aux défunts accords du lac Meech en 1990 et de Charlottetown en 1992 ont contribué à ce que les Libéraux en viennent à abandonner leur position en faveur d’un fédéralisme qui puisse formellement reconnaître la souveraineté interne du Québec. Cela s’observe graduellement depuis l’arrivée de Daniel Johnson fils au poste de chef du PLQ en décembre 1993 (Bouchard, 1999;Cloutier, 1999). Néanmoins, comme nous le montrons dans la prochaine section, il faut attendre 1996 pour qu’un véritablement changement de cap intervienne.

À cet égard, nous allons procéder par l’intermédiaire d’une analyse de contenu qualitative (Krippendorff, 2013, p. 27-30) des prises de position du PLQ en lien avec le dossier constitutionnel depuis la seconde moitié de la décennie 1990. Pour les examiner, nous empruntons une approche herméneutique (Imbeau, Tomkinson et Malki, 2021, p. 83). Cela signifie que nous cherchons à cerner l’évolution des prises de position des Libéraux eu égard à la place du Québec dans la fédération et de tout le dossier constitutionnel qui gravite autour de cet enjeu.

Concrètement, nous examinons le positionnement du PLQ face à l’enjeu constitutionnel par l’entremise de documents émanant directement du Parti et d’énoncés gouvernementaux présentés au nom du Gouvernement du Québec ou du ministère du Conseil exécutif[2] lorsque le PLQ est au pouvoir. Nous mobilisons comme matériaux empiriques trois types de sources primaires : 1) les « documents-cadres » à partir desquels un (nouvel) horizon d’attentes sur le dossier constitutionnel est mis de l’avant par les Libéraux; 2) les plateformes électorales[3] et référendaires du PLQ abordant le dossier constitutionnel et intergouvernemental depuis 1994[4] ainsi que 3) les communiqués émis et les discours officiels prononcés par les premiers ministres et ministres responsables du dossier des relations intergouvernementales (lorsque la formation est au pouvoir).

Par documents-cadres, nous faisons référence surtout à deux types de documents : d’une part, il y a les documents gouvernementaux présentés comme étant particulièrement importants et structurants par le Conseil exécutif. D’autre part, il peut aussi s’agir de documents partisans qui revêtent une importance objective et subjective manifeste, pour une formation politique qui n’est pas au pouvoir. Concrètement, notre corpus documentaire est formé de dix-sept sources primaires : cinq documents-cadres, neuf plateformes électorales, une brochure référendaire, trois communiqués et discours officiels[5]. Ces documents ont été retenus car ils représentent ceux dans lesquels le PLQ aborde tout spécialement l’évolution du dossier constitutionnel dans le cadre du système fédéral canadien. Inversement, nous n’avons pas analysé avec le même intérêt et la même attention une foule d’autres documents similaires correspondant pourtant à la même plage temporelle, car le PLQ n’aborde pas de front ni de manière soutenue cette thématique.

Ultimement, la posture constitutionnelle mobilisée par le PLQ depuis la fin des années 1990 s’harmonise très clairement avec la rationalité normative du concept de flexibilité, qui est au coeur de la théorie du fédéralisme évolutif. Si cette posture normative n’est pas nécessairement intériorisée par tous les acteurs clés au sein du Parti (ce qui va bien au-delà de la portée de la présente analyse), elle semble néanmoins s’arrimer en bonne partie à la manière dont les Libéraux abordent, depuis un peu plus de deux décennies maintenant, l’enjeu relatif à la place du Québec dans la fédération canadienne.

Les trois moments forts du réalignement idéologique du PLQ après 1995

Afin d’apprécier la valeur associée au premier moment fort du réalignement idéologique du PLQ après 1995, il importe de le situer dans l’horizon des débats politiques de la première moitié de la décennie 1990. Entre autres, il faut d’abord tenir compte du fait qu’à compter des élections générales de 1994, le PLQ dirigé par Daniel Johnson fils entreprend de définir, dans le programme électoral Agir pour le Québec, une toute nouvelle voie politique qui ne vise pas des transformations constitutionnelles formelles à tout prix (Parti libéral du Québec, 1994, p. 79; Secrétariat aux affaires intergouvernementales canadiennes, 2001; Guay et Gaudreau, 2018, p. 406-407). Toutefois, les contours pratiques et théoriques de cette nouvelle voie politique demeurent relativement abstraits.

Par la suite, durant la campagne référendaire de 1995, le PLQ publie une brochure dans laquelle on semble se rapprocher encore des principes associés au fédéralisme évolutif (Bourque et Duchastel, 1995, p. 21). Entre autres, refusant de se résigner à la seule réforme constitutionnelle formelle, on affirme qu’« en votant NON, nous gardons ouvertes toutes les autres voies qui pourraient satisfaire nos aspirations » (Parti libéral du Québec, 1995, p. 4; notre italique). Qui plus est, en avril 1995, en plein milieu de la mêlée référendaire, le réseau TVA diffuse l’information voulant que Daniel Johnson fils élabore la position du Parti sur le dossier constitutionnel canadien (Bourque et Duchastel, 1995, p. 22; Bouchard, 1999, p. 143). Issu de la Commission politique du Parti libéral du Québec, le rapport en question, intitulé Ébauche d’une politique constitutionnelle du Parti libéral : projet (ou Rapport Richard, Comité sur l’évolution du fédéralisme canadien, 1995), aurait été rédigé sous la présidence de Maurice Richard, le député de Nicolet (Bouchard, 1999; Lévesque et Pelletier, 2006). Le document optait pour l’adoption d’accords administratifs favorisant un certain assouplissement du système fédératif canadien (Comité sur l’évolution du fédéralisme canadien, 1995; Bourque et Duchastel, 1995; Bouchard, 1999).

Or, malgré une proximité idéologique évidente entre cette position du PLQ et ce qu’on associe au « fédéralisme évolutif », il serait précipité de conclure à un réalignement assumé et réfléchi pour deux raisons. D’une part, la brochure référendaire du PLQ mise certes sur la signature d’ententes administratives, mais sans en donner d’explication détaillée et programmatique. D’autre part, l’ébauche de ce document-cadre ne peut pas non plus être prise comme point de départ d’une nouvelle approche du PLQ dans le dossier constitutionnel, car celui-ci n’a jamais vu le jour officiellement (Bourque et Duchastel, 1995, p. 31). C’est pourquoi il faut attendre le dénouement du vote référendaire de 1995 pour qu’un réel changement de direction en la matière prenne forme chez les Libéraux (Rocher, 2020).

À la lumière de l’analyse qui suit, nous allons soutenir que le réalignement idéologique du PLQ en faveur d’un fédéralisme évolutif s’entame en décembre de l’année suivante, lorsque Johnson commande au Comité sur l’évolution du fédéralisme la rédaction d’un nouveau document-cadre, qui sera cette fois rendu public. Cette tendance normative se consolide en 2001 avec la publication d’un rapport des Libéraux présidé par Benoît Pelletier, et deviendra finalement une politique gouvernementale en 2017, sous l’impulsion de Philippe Couillard et Jean-Marc Fournier. Ces trois dates (1996, 2001, 2017) et certains événements qui y sont étroitement associés correspondent aux trois moments forts du réalignement idéologique post-1995 du PLQ.

1996 : la naissance formelle du fédéralisme évolutif

En réaction au programme indépendantiste des péquistes nouvellement dirigés par Lucien Bouchard, le PLQ entreprend d’affirmer l’orientation politique qu’il promeut officieusement depuis la campagne électorale de 1994, à propos du dossier constitutionnel. La publication d’un document formel marquera le coup. Sous la direction de Yves de Montigny, professeur de droit à l’Université d’Ottawa et conseiller spécial du ministre des Affaires intergouvernementales du Québec, le document L’identité québécoise et le fédéralisme canadien : reconnaissance et interdépendance (ou Rapport de Montigny, Comité sur l’évolution du fédéralisme canadien, 1996) est présenté comme étant la plus importante politique constitutionnelle du Parti depuis la parution d’Un Québec libre de ses choix: rapport du Comité constitutionnel du Parti libéral du Québec[6] (ou Rapport Allaire, Comité constitutionnel du Parti libéral du Québec, 1991).

La parution du Comité sur l’évolution du fédéralisme canadien marque la première phase du réalignement idéologique du PLQ mettant en scène le fédéralisme évolutif. C’est à ce moment, en effet, que le PLQ entreprend de proposer un programme politique complet visant à dépasser la voie de la réforme constitutionnelle et d’aménager des rapports intergouvernementaux au sein de la fédération. En raison d’une certaine fatigue constitutionnelle s’observant dans les milieux politiques et dans la société civile plus largement, les changements qui apparaissaient nécessaires et urgents pour surmonter les défis posés par le fédéralisme canadien sont maintenant présentés comme pouvant être pilotés à travers des mécanismes paraconstitutionnels et des ententes administratives, ce qui annonce la volonté d’entretenir des rapports plus harmonieux entre les deux ordres de gouvernement (Comité sur l’évolution du fédéralisme canadien, 1996, p. 1-6). Ainsi, loin d’être « ce carcan rigide que l’on se plaît à dépeindre dans certains milieux », le système fédératif canadien est alors représenté comme « une structure souple qui a fait ses preuves et qui a permis au Québec de se développer dans le respect de ses priorités (Comité sur l’évolution du fédéralisme canadien, 1996, p. 2; notre italique).

Toujours en étant conscients des bienfaits associés à toute modification constitutionnelle qui s’arrimerait à un fédéralisme soucieux des intérêts nationaux du Québec, les Libéraux estiment que « […] sur le plan administratif, le Québec dispose au sein de la fédération canadienne d’un degré d’asymétrie dont on trouve peu d’équivalents dans d’autres fédérations » (Comité sur l’évolution du fédéralisme canadien, 1996, p. 22; notre italique). Deux mécanismes paraconstitutionnels sont ainsi liés à la proposition de continuer à signer des ententes administratives : « la collaboration fédérale-provinciale et la co-décision interprovinciale » (Comité sur l’évolution du fédéralisme canadien, 1996, p. 45). Avec ceux-ci, le PLQ entend développer une diplomatie intergouvernementale dans l’objectif de faire évoluer graduellement le fonctionnement du fédéralisme canadien. La finalité de cette orientation est de « rechercher des résultats plus limités mais concrets [plutôt] que de tenter d’imposer des changements constitutionnels » (Comité sur l’évolution du fédéralisme canadien, 1996, p. 49; notre italique). Le fédéralisme évolutif prend ainsi une forme plus programmatique avec la publication du document-cadre de 1996. Celui-ci se décline à travers l’engagement de mesures paraconstitutionnelles, dont les accords administratifs et la diplomatie intergouvernementale sont le corollaire pratique immédiat.

Or, malgré l’effort théorique fourni par le Comité sur l’évolution du fédéralisme canadien, le nouveau discours des Libéraux, qui s’inscrit clairement dans l’horizon du fédéralisme évolutif, ne trouve pas l’écho espéré tant sur l’échiquier politique fédéral qu’au Québec. On ne parvient pas, en effet, à en insuffler l’esprit à l’occasion d’une rencontre intergouvernementale sur l’unité canadienne, laquelle se déroule à l’été 1997, à Calgary. Daniel Johnson fils estimait pourtant qu’il s’agissait là d’une initiative qui avait le potentiel de convaincre ses partenaires des valeurs associées au fédéralisme évolutif (Bouchard, 1999, p. 153-154; McRoberts, 2018). En fait, le premier ministre du Québec de l’époque, Lucien Bouchard, se montre alors très peu réceptif aux propositions des Libéraux (Bouchard, 1999; McRoberts, 2018). Quelques mois plus tard, en raison du déclin de sa popularité auprès de l’électorat, Johnson annonce son retrait de la vie politique active, en mars 1998. Jean Charest, ancien chef du Parti progressiste-conservateur sur la scène fédérale, hérite de la chefferie (Guay et Gaudreau, 2018).

Les élections provinciales de 1998 sont perçues comme étant essentielles pour tester auprès de l’opinion publique les propositions constitutionnelles soumises par le Comité sur l’évolution du fédéralisme canadien en 1996 et adoptées par les membres du parti en 1997. Dans Le plan pour un Québec plus fort, les Libéraux de Jean Charest s’engagent à adopter « les orientations et propositions contenues dans le document Reconnaissance et interdépendance » (1998, p. 3). Toujours en réaction au programme indépendantiste « de confrontation et de chicane » du PQ, on peut aussi lire que le Parti « propose une démarche pragmatique et réaliste qui repose sur la codécision et la cogestion (Parti libéral du Québec, 1998, p. 3; notre italique). L’arrivée de Charest semble ainsi confirmer la phase de réalignement de l’idéologie du fédéralisme évolutif, même si le principal concerné minimise en cours de route une grande partie des propositions de son programme électoral sur la question constitutionnelle. En fait, le rapport du Comité sur l’évolution du fédéralisme canadien, adopté sous la chefferie de Johnson, finira par être tabletté (Bouchard, 1999, p. 163-164; Guay et Gaudreau, 2018).

Malgré le fait que le PLQ ne remporte pas le scrutin du 30 novembre 1998, celui-ci marque néanmoins l’élection de Benoît Pelletier, professeur de droit constitutionnel à l’Université d’Ottawa, à titre de député provincial de la circonscription de Chapleau. Il devient porte-parole de l’opposition officielle en matière d’affaires intergouvernementales canadiennes et président du Comité spécial du Parti sur l’avenir politique et constitutionnel de la société québécoise dès 1999 (Rocher, 2020). Sous l’impulsion de Benoît Pelletier, le PLQ rédige en 2001 un nouveau document-cadre : Un projet pour le Québec. Affirmation, autonomie et leadership (ou Rapport Pelletier, Comité spécial du Parti libéral du Québec sur l’avenir politique et constitutionnel de la société québécoise, 2001). À cet égard, plutôt que de tourner la page sur le Comité sur l’évolution du fédéralisme canadien, comme l’ont laissé présager certaines actions de Jean Charest, la parution du Rapport Pelletier en vient à consolider la volonté du PLQ d’adopter une orientation constitutionnelle où le fédéralisme évolutif se révèle être au coeur de l’idéologie libérale.

2001 : Benoît Pelletier et la consolidation normative du fédéralisme évolutif

La parution du Rapport Pelletier marque l’avènement d’un deuxième moment fort dans le processus de réalignement idéologique du PLQ en ce qui concerne la question constitutionnelle. À ce propos, les politologues Guy Laforest (2010) et François Rocher (2020) s’accordent pour dire que Benoît Pelletier a non seulement été l’éminence grise de la nouvelle politique constitutionnelle des Libéraux de 2001, mais aussi qu’il a contribué, de façon plus globale, à assurer la pérennité du discours fédéraliste au Québec. Dès l’introduction du Rapport Pelletier, le PLQ appelle « l’émergence d’un fédéralisme plus flexible, plus responsable et plus sensible au respect du particularisme québécois » (Comité spécial du Parti libéral du Québec sur l’avenir politique et constitutionnel de la société québécoise, 2001, p. 11; notre italique). 

Il est aussi rappelé que la rigidité qui caractérise la Constitution canadienne et la lourdeur de toute négociation en fonction des procédures formelles de réforme constitutionnelle font en sorte que cette avenue ne doit pas nécessairement être préconisée. Au contraire, les Libéraux se tournent vers « la grande flexibilité des […] pratiques politiques et administratives, l’efficacité des mécanismes de coopération intergouvernementale existants et la souplesse des […] nombreux accords administratifs fédéraux-provinciaux  » (Comité spécial du Parti libéral du Québec sur l’avenir politique et constitutionnel de la société québécoise, 2001, p. 11). Essentiellement, le PLQ estime que c’est « grâce à ces mécanismes souples et efficaces que le fédéralisme canadien peut continuer d’évoluer sans qu’on ait besoin de recourir à la procédure de modification constitutionnelle » (Comité spécial du Parti libéral du Québec sur l’avenir politique et constitutionnel de la société québécoise, 2001, p. 11). Le principe de la flexibilité, inhérent à la théorie du fédéralisme évolutif, se révèle au coeur de la politique libérale principalement pilotée par Benoît Pelletier.

De même, des mesures paraconstitutionnelles qui permettraient d’assurer une transformation graduelle du fédéralisme canadien, en le rendant progressivement conforme aux demandes historiques du Québec, sont explicitement prônées lorsque la question de la diplomatie intergouvernementale est abordée. La transformation de la fédération canadienne au moyen d’une approche paraconstitutionnelle est présentée comme étant « davantage orientée vers la collaboration fédérale-provinciale et interprovinciale […] » (Comité spécial du Parti libéral du Québec sur l’avenir politique et constitutionnel de la société québécoise, 2001, p. 14).

La victoire des Libéraux aux élections générales du 14 avril 2003 vient consolider le processus de réalignement idéologique, et ce, même si le dossier constitutionnel n’est pas abordé longuement dans le programme électoral Un gouvernement au service des Québécois (Parti libéral du Québec, 2002). C’est effectivement l’occasion pour les Libéraux de mettre sur pied un plan d’action visant à concrétiser les orientations sur le fédéralisme évolutif inscrites dans le rapport publié deux ans plus tôt. En effet, le gouvernement libéral de Jean Charest s’inspire des recommandations de ce document-cadre pour proposer la création du Conseil de la fédération (CDF) (Comité spécial du Parti libéral du Québec sur l’avenir politique et constitutionnel de la société québécoise, 2001, p. 103; Gouvernement du Québec, 2004).

Concrètement, le CDF est un forum de concertation intergouvernementale de type horizontal qui sert à renforcer la collaboration et l’interdépendance entre les gouvernements provinciaux et territoriaux. Il assure aussi la transmission de connaissances et de bonnes pratiques en matière de fédéralisme entre les branches exécutives des provinces et territoires, en plus d’agir à titre d’organe de concertation pour les partenaires fédératifs afin d'analyser la valeur de toute mesure provenant du gouvernement fédéral (Gouvernement du Québec, 2004; Pelletier, 2006; Santafé, 2021). L’entente fondatrice de cet organe de régulation des relations intergouvernementales est ratifiée lors d’une réunion des premiers ministres provinciaux et territoriaux le 5 décembre 2003, à Charlottetown (Conseil de la fédération, 2003).

L’instauration du CDF vient concrétiser la proposition du fédéralisme évolutif prisée par le Rapport Pelletier, en institutionalisant un nouveau forum afin de faciliter l’établissement d’accords bilatéraux ou multilatéraux entre le Québec, les autres provinces et le gouvernement fédéral (Comité spécial du Parti libéral du Québec sur l’avenir politique et constitutionnel de la société québécoise, 2001, p. 149). Cela formalise ainsi deux tendances paraconstitutionnelles associées à la démarche du fédéralisme évolutif, lesquelles se déclinent surtout à travers la notion de flexibilité. Dans le même temps, la logique comme la valeur des pratiques associées aux accords administratifs et à la diplomatie intergouvernementale s’en trouvent officialisés.

Mais l’engagement libéral en faveur d’une transformation du fonctionnement de la fédération canadienne n’est pas uniquement fondé sur la concrétisation de « nouvelles alliances entre les provinces et sur des améliorations non constitutionnelles […] » (Comité spécial du Parti libéral du Québec sur l’avenir politique et constitutionnel de la société québécoise, 2001, p. 15). À long terme, l’objectif est d’apporter « des changements de nature constitutionnelle » au système politique canadien (Comité spécial du Parti libéral du Québec sur l’avenir politique et constitutionnel de la société québécoise, 2001, p. 15). Considérant que le contexte politique d’alors n’était pas favorable à un retour aux négociations constitutionnelles, il devenait pertinent d’« explorer à fond les avenues non constitutionnelles (administratives) de réforme du fédéralisme canadien, lesquelles offrent d’ailleurs un potentiel considérable », qui est de « préparer le terrain en vue d’apporter des changements constitutionnels […] » (Comité spécial du Parti libéral du Québec sur l’avenir politique et constitutionnel de la société québécoise, 2001, p. 15).

Comme l’illustrent par ailleurs ses multiples interventions à titre de membre du Conseil exécutif, la contribution de Benoît Pelletier au programme du fédéralisme évolutif, d’abord introduit sur le plan des idées par Daniel Johnson fils à la fin des années 1990, n’est pas seulement d’ordre pratique. Elle revêt aussi une valeur proprement théorique, car le juriste de formation clarifie la démarche paraconstitutionnelle des Libéraux visant à faire évoluer le fédéralisme canadien de manière graduelle. L’introduction dans la grammaire fédéraliste des Libéraux des notions d’« adaptation paraconstitutionnelle » et de « diplomatie intérieure[7] » reflète ce souci de raffinement conceptuel (Pelletier, 2010, 2017). Cela a d’autant plus d’impact que ce lexique est employé de manière soutenue dans les allocutions mêmes du gouvernement dirigé par Jean Charest, lorsqu’il se prononce sur les enjeux constitutionnels et intergouvernementaux.

En ce sens, Charest défend « […] une formule maintes fois utilisée dans le passé et qui témoigne d’une culture de flexibilité et d’adaptabilité nécessaire au bon fonctionnement du Canada » (Secrétariat du Québec aux relations canadiennes, 2019a, p. 13; notre italique). Cette notion permet de présenter la flexibilité « en termes explicites et positifs, et à en faire une clé incontournable pour le développement à plus long terme de tout le Canada. Ensuite, en ce qui touche à l’expression de la diplomatie intérieure, le CDF « […] fera entrer les relations entre les partenaires fédérés du Canada dans une dynamique renouvelée. Cette diplomatie intérieure visera la construction d’alliances sur des priorités communes; elle favorisera une meilleure compréhension mutuelle des aspirations et des besoins particuliers des partenaires, et elle augmentera l’influence des provinces et des territoires sur l’évolution du Canada » (Secrétariat du Québec aux relations canadiennes, 2019a, p. 35; notre italique).

Il faut aussi mentionner qu’en 2006 le gouvernement de Stephen Harper a fait adopter une résolution à la Chambre des communes soulignant que les Québécois forment une nation au sein d’un Canada uni; ce qui semble correspondre en partie à une logique de fédéralisme évolutif. À l’initiative des Libéraux, l’Assemblée nationale approuve aussi à l’unanimité une motion similaire (Pelletier, 2014, p. 125; McRoberts, 2018, p. 326). Cette action peut être qualifiée de procédé paraconstitutionnel puisqu’elle met en lumière un changement politique symbolique qui concerne l’évolution des rapports de force dans la fédération canadienne.

Quelques années plus tard, dans la plateforme électorale S’unir pour réussir le Québec de demain (Parti libéral du Québec, 2007a), les Libéraux indiquent leur intention de poursuivre leurs démarches dans le dossier constitutionnel. Ils s’engagent à « continuer d’améliorer le fonctionnement du fédéralisme canadien » et le document-cadre de 2001 « demeure la base de [leur] position politique et constitutionnelle sur le fédéralisme canadien » (Parti libéral du Québec, 2007a, p. 70). Cependant, après cet interlude où le dossier de l’avenir constitutionnel du Québec dans la fédération est très présent avant et durant la campagne de 2007, les Libéraux passent sous silence cet enjeu lors des campagnes électorales de 2008 et 2012 (Parti libéral du Québec, 2008, 2012). À la veille du scrutin du 7 avril 2014, Philippe Couillard, successeur de Jean Charest au poste de chef du PLQ, présente un programme s’inscrivant dans le même sillage, priorisant clairement les enjeux économiques et sociaux au détriment du dossier constitutionnel (Parti libéral du Québec, 2014). Bien que Couillard annonce dans une conférence de presse de 2013 qu’il souhaite que « le Québec adhère à la Constitution de 1982 en 2017, date symbolique du 150e anniversaire de la fédération canadienne » (Lecavalier, 2013), un certain immobilisme dans le dossier constitutionnel s’installe. Aucun nouveau document-cadre – partisan ou gouvernemental – n’est présenté entre 2014 et 2016. On ne trouve effectivement que quelques sorties publiques mineures où Philippe Couillard affirme souhaiter que la spécificité du Québec soit reconnue dans la constitution canadienne (Caron, 2014; Legault, 2014).

Le 1er juin 2017, toutefois, cette dynamique change : Philippe Couillard, accompagné de Jean-Marc Fournier, alors ministre responsable des Relations canadiennes et de la Francophonie canadienne, présente l’énoncé de politique publique Québécois, notre façon d’être Canadiens. Politique d’affirmation du Québec et de relations canadiennes (ou Livre bleu[8], Gouvernement du Québec, 2017).

2017 : Le fédéralisme évolutif comme politique gouvernementale

La parution du Livre bleu marque un point d’inflexion dans la ligne partisane du PLQ au sujet de l’enjeu constitutionnel et annonce le début d’une troisième phase dans le réalignement idéologique du fédéralisme évolutif. En effet, le Livre bleu constitue la première publication d’ordre gouvernemental des Libéraux abordant de front le dossier constitutionnel sous l’angle du fédéralisme évolutif – rappelons que les documents-cadres de 1996 et de 2001 sont publiés sous l’impulsion des instances internes du PLQ. Dans la foulée du lancement de cette nouvelle politique, le ministre Jean-Marc Fournier précise le discours libéral qu’on associe ici au fédéralisme évolutif.

Le gouvernement libéral de Philippe Couillard estime nécessaire d’inscrire le principe de la flexibilité dans la pratique quotidienne du fédéralisme et des relations intergouvernementales afin de répondre aux besoins spécifiques du Québec et pour en assurer la pérennité (Gouvernement du Québec, 2017, p. 44). Plus loin dans le document, la notion de « souplesse » est employée comme synonyme de flexibilité :

D’ici à la reprise du dialogue constitutionnel, le Québec demeure ouvert à faire progresser chacun de ces enjeux à l’intérieur d’un cadre plus souple, qui ne requiert pas de négociations constitutionnelles multilatérales. Ainsi, […] toute entente qui permettra de faire progresser ces questions dans le sens des demandes du Québec sera accueillie avec ouverture, en gardant à l’esprit qu’il s’agira d’un pas vers d’éventuels et nécessaires changements constitutionnels.

Gouvernement du Québec, 2017, p. 126; notre italique

La signature d’ententes administratives est une manière « souple de conduire les relations canadiennes » (Gouvernement du Québec, 2017, p. 117). Le gouvernement Couillard mentionne à cet égard que le gouvernement québécois a signé différentes ententes majeures comme l’Accord entre le gouvernement du Canada et le gouvernement du Québec sur la gestion conjointe des hydrocarbures dans le golfe du Saint-Laurent, l’Entente intégrée globale de coordination fiscale entre le gouvernement du Canada et le gouvernement du Québec et l’Accord de libre-échange canadien (Gouvernement du Québec, 2017, p. 117).

Près d’un an plus tard, pour faire suite à la publication du Livre bleu de 2017, le gouvernement Couillard présente le Plan d’action 2018-2022. Québécois, notre façon d’être Canadiens. Politique d’affirmation du Québec et de relations canadiennes (ou Plan d’action, Gouvernement du Québec, 2018). L’objectif auquel répond l’élaboration de ce deuxième document est de préciser davantage la démarche du fédéralisme évolutif envisagée dans le Livre bleu (Gouvernement du Québec, 2018, p. 2). Ce document propose, plus précisément, de mettre en oeuvre les orientations suivantes : 1) privilégier une diplomatie intérieure[9] proactive dans la conduite des relations canadiennes du Québec; 2) alimenter le dialogue entre le gouvernement du Québec et les représentants de la société civile ailleurs au Canada; 3) favoriser les échanges entre les citoyens et les groupes de la société civile du Québec et d’ailleurs au Canada (Gouvernement du Québec, 2018, p. 2). De plus, le SQRC se voit investi du rôle de « catalyseur de la promotion des intérêts du Québec, de l’exercice de ses compétences constitutionnelles et de sa vision du fédéralisme, partout au Canada et auprès de tous les Canadiens et Canadiennes » (Gouvernement du Québec, 2018, p. 1).

Comme on le voit à travers ces trois orientations, les Libéraux sous Couillard abordent la question des rapports entre le Québec et le reste du Canada par-delà le domaine intergouvernemental. Dans une déclaration du 20 avril 2016 devant l’Assemblée nationale, le ministre Fournier affirme que « les relations du Québec au Canada ne sont pas qu’affaires intergouvernementales. Bien sûr, il y a les gouvernements, mais aussi, notamment, les autres acteurs politiques, les acteurs sociaux, économiques et, je dirais, environnementaux » (Secrétariat du Québec aux relations canadiennes, 2019b, p. 61). Même avant la parution du Livre bleu de 2017 et du Plan d’action de 2018 en matière de fédéralisme et de constitution, le gouvernement Couillard semblait déjà avoir une certaine idée de ce qu’il entendait promouvoir par l’expression « relations canadiennes ».

En dépit de la feuille de route présentée dans le Plan d’action en mai 2018, les Libéraux ne proposent aucun engagement formel sur la question constitutionnelle ni sur une éventuelle réforme du fédéralisme durant la campagne électorale de la même année. Le programme Pour faciliter la vie des Québécois (2018) présente une série de réformes dans différents chantiers, notamment en santé, en éducation et en ce qui a trait au développement des régions et des infrastructures; mais il ne contient rien de concret sur l’enjeu de l’avenir du Québec dans le Canada et plus largement le dossier constitutionnel (Parti libéral du Québec, 2018). En dépit de ce qu’on pourrait associer à un mutisme électoral sur l’enjeu constitutionnel canadien au scrutin de 2018, le gouvernement libéral de Couillard concrétise l’orientation politique du fédéralisme évolutif préconisée à travers le Livre bleu et le Plan d’action, en misant sur la signature d’ententes administratives et le développement des « relations canadiennes ». Une centaine d’accords ont effectivement été conclus par le gouvernement Couillard entre 2017 et 2018 (Secrétariat du Québec aux relations canadiennes, s. d.). Les programmes d’appui à la recherche et aux relations canadiennes sont aussi mis de l’avant afin de contribuer à la diffusion et au développement de connaissances sur le fédéralisme canadien et sur les rapports entre le Québec et le Canada (Secrétariat du Québec aux relations canadiennes, s. d.).

L’analyse de contenu présentée dans cet article a permis de dégager le processus de réalignement idéologique du PLQ vis-à-vis le dossier constitutionnel au cours des vingt-cinq dernières années. Ce processus s’est opéré en trois phases, venant consolider au fur et à mesure la portée normative et pratique du fédéralisme évolutif et de son concept phare : la flexibilité. La première phase s’ouvre formellement en 1996, et prend forme avec les travaux qui mènent à la publication du Comité sur l’évolution du fédéralisme canadien. C’est à ce moment que l’urgence avec laquelle on abordait jusqu’alors les enjeux liés au dossier constitutionnel se présente sous un nouveau jour : la feuille de route allait être ponctuée de manoeuvres paraconstitutionnelles dans l’objectif d’établir des relations plus harmonieuses entre les divers partenaires de la fédération. On cherche ainsi à éviter les irritants trop directs, et on préfère les ententes administratives multiples au défi de piloter une autre réforme constitutionnelle globale dans un avenir rapproché.

Lorsque le PLQ dirigé par Jean Charest prend le pouvoir à la suite des élections générales de 2003, il met en oeuvre la deuxième phase de ce processus de réalignement idéologique, lequel est impulsé par l’action et les réflexions que mène Benoît Pelletier depuis quelques années. Concrètement, la logique du fédéralisme évolutif prendra ancrage dans l’avènement du Conseil de la fédération, un organe de réflexion et de diplomatie intergouvernementale qui cherche à consolider la valeur pratique de la non-subordination et de l’interdépendance pour renouveler le fédéralisme canadien. Comme dans la première phase, le principe de flexibilité reste central dans cette deuxième phase. Il le sera encore dans la troisième, qui s’amorce sous le leadership de Philippe Couillard et de Jean-Marc Fournier.

En 2017 précisément, le gouvernement du Québec dirigé par les Libéraux de Couillard présente une nouvelle politique constitutionnelle, intitulée Québécois, notre façon d’être Canadiens, dans laquelle est prônée une fois de plus la valeur de la flexibilité. On retrouve également ce principe dans le Plan d’action 2018, qui vient préciser les modalités d’action privilégiées par le gouvernement.

Au moment d’écrire ces lignes, cinq années se sont écoulées depuis la publication du Livre bleu pilotée par le gouvernement de Philippe Couillard. Malgré les quelques allocutions du ministre Fournier insistant sur l’importance d’établir des rapprochements entre partenaires fédératifs (Secrétariat du Québec aux relations canadiennes, 2018), on peut conclure que les efforts des Libéraux dans le dossier constitutionnel n’ont toujours pas porté fruit. Certes, le gouvernement Couillard semble vouloir, comme Johnson fils et Charest, préconiser une démarche de diplomatie interne en vue de stimuler le dialogue entre les partenaires de la fédération dans le dossier constitutionnel (Montigny et Grégoire, 2018). L’objectif principal de cette approche « est de parvenir à une compréhension commune des éléments fondamentaux que le Québec souhaite voir un jour formellement intégrés dans la Constitution » (Gouvernement du Québec, 2017, p. 125). Toutefois, aucune des initiatives du gouvernement libéral ne permet de conclure à l’amorce de réels changements en la matière.

Depuis, le PLQ s’est donné une nouvelle cheffe, Dominique Anglade, qui devient en mai 2020 la première femme à diriger le Parti. En raison du contexte pandémique, l’accession de l’ancienne présidente de la Coalition Avenir Québec (CAQ) à ce poste a lieu dans une certaine indifférence populaire et partisane, alors que les esprits sont occupés par des problèmes beaucoup plus urgents (Montigny, 2020). Est-ce que l’arrivée d’Anglade à la tête du PLQ annonce une quatrième phase dans le processus de réalignement idéologique face au dossier constitutionnel, ou plutôt une certaine rupture avec le discours de ses prédécesseurs des dernières vingt-cinq années?

La cheffe libérale revendique dans une lettre d’opinion publiée dans le Journal de Montréal que le Québec ait une place distincte au sein de la fédération (Anglade, 2020). Elle détaille une série de demandes politiques qui concernent la souveraineté culturelle du Québec, la limitation du pouvoir fédéral de dépenser, le renforcement de la Charte de la langue française et l’expansion de la doctrine Gérin-Lajoie aux domaines de l’environnement et des politiques climatiques (Anglade, 2020). Bien qu’aucune initiative officielle ne soit lancée par Anglade pour provoquer la discussion sur l’avenir du Québec dans la fédération canadienne, la nouvelle cheffe ne semble pas, a priori, insister d’abord et avant tout sur des mécanismes paraconstitutionnels pour arriver à ses fins.

Il faut néanmoins être extrêmement prudent avant d’annoncer un quelconque changement de cap en la matière. À l’occasion du 34e congrès des Libéraux, après avoir affirmé que le PLQ est « le seul parti franchement fédéraliste à l’Assemblée nationale » (Robitaille, 2021), Anglade annonce effectivement que le Livre bleu de 2017 est toujours la politique constitutionnelle du Parti (Ibid.). Comme preuve, cette politique figure toujours sur la page officielle du Parti, sous l’onglet du dossier « identité et relations canadiennes » (Parti libéral du Québec, s. d.).

Malgré cet endossement du Livre bleu de 2017, certains estiment que sans nouvelle proposition concrète sur la place du Québec dans le Canada, le dossier constitutionnel restera relégué au second plan (Latraverse, 2021; Pelletier, 2021; Robitaille, 2021; Salvet, 2021). Dans tous les cas, le scrutin de 2022 risque d’être déterminant pour les Libéraux. Le Parti de Dominique Anglade aura l’occasion de mieux s’exprimer (ou pas) sur le dossier constitutionnel. Cela permettra dès lors de déterminer si une quatrième phase s’impose au chapitre du réalignement idéologique ayant pris forme dans les années 1990, si le statu quo prend le dessus, ou si nous assistons plutôt à une certaine rupture avec le discours fédéraliste qu’on qualifie ici d’évolutif. S’il est prématuré de porter un jugement plus détaillé, il importe néanmoins de tenir compte des métamorphoses à venir dans le système partisan québécois afin de fonder toute analyse crédible au sujet de l’avenir du dossier constitutionnel au PLQ.