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« Ce qu’on veut prouver,
c’est qu’on est capable
de s’organiser. »
Hugo, 3e secondaire,
école Le Vitrail, Montréal

Meunier, La Presse, 2005, p. A10

1. Introduction

Les manifestations de la jeunesse, en grève pour le climat à Montréal en 2019, étaient les plus importantes de l’histoire du Canada en termes de nombre de participants, ainsi que les plus grandes de toute cette mobilisation mondiale (Léveillé, 2019) lancée par Greta Thunberg, une Suédoise née en 2003 qui pratiquait la grève de l’école chaque vendredi après-midi, depuis l’automne 2018. Si de telles grèves d’élèves apparaissaient en 2019 comme une nouveauté, en fait, il n’en était rien.

Ainsi, il y a eu des grèves d’élèves au Québec dès le 19e siècle, par exemple la grève du silence de 1863 des écoliers du Petit séminaire de Québec, en réaction à des notes trop faibles en anglais (Gosselin, 1908, p. 99-100), ou celle des membres de la fanfare du collège Sainte-Anne-de-la-Pocatière, en 1888 ou 1889, à qui on avait refusé de parader lors de la fête du supérieur (Mgr Lebon, 1949, p. 70). La discussion proposée ici présentera brièvement l’histoire méconnue des grèves d’élèves au Québec, puis abordera cette expérience comme objet révélateur d’un conflit politique entre les jeunes et les adultes − dans ou hors de l’école − en complète contradiction avec les propositions des adultes pour « éduquer » les jeunes à la politique et à la démocratie.

2. Limites des études sur l’éducation à la citoyenneté

Le mouvement étudiant postsecondaire québécois a été relativement bien étudié, entre autres dans des monographies (Lacoursière, 2007 ; Theurillat-Cloutier, 2017) et des ouvrages collectifs (Surprenant et Bigaouette, 2013 ; Ancelovici et Dupuis-Déri, 2014). Pour leur part, les grèves d’élèves du niveau secondaire n’ont pas fait l’objet d’études systématiques, même s’il est à prévoir que des recherches seront sans doute menées sur les récentes mobilisations pour le climat (Dupuis-Déri, 2021). Lorsque des études s’intéressent à la politisation de cette cohorte d’âge, il est en général question de socialisation, d’éducation à la citoyenneté et de participation à la vie de l’école ou du quartier, mais la conflictualité est le plus souvent minorée ou tout simplement ignorée.

Pour le dire trop rapidement, ces études se divisent en deux grandes perspectives : la légitimiste et la critique. La perspective légitimiste considère l’enfant comme un adulte-en-devenir qui doit intégrer les valeurs officielles du régime et apprendre à reproduire les bons comportements citoyens – par exemple voter – pour bien s’intégrer à la société une fois l’âge de la majorité atteint. La perspective critique, pour sa part, remet en question l’importance accordée à l’action de « grands personnages » dans l’éducation à la citoyenneté et dans l’enseignement de l’histoire (Bozec, 2018) et déplore le refus de considérer « les actions des gouvernés comme utiles à la démocratisation » des sociétés (Éthier, 2006, p. 675 ; Westheimer et Kahne, 2004). La première perspective, majoritaire dans les études universitaires, oublie les potentialités de l’action collective « conflictuelle ». Elle entretient plutôt l’espoir de pacifier les élèves (Audigier, 2007) pour favoriser le « vivre ensemble », c’est-à-dire l’écoute, la communication non-violente et les débats respectueux, la tolérance et la diversité (Legault, 2010), sans égard pour le fait que des élèves des minorités racisées préfèreraient disposer d’un comité leur permettant de se retrouver ensemble pour parler de leurs expériences particulières, ou encore de leur souhait de voir l’histoire de leur communauté prise en compte dans l’enseignement (Livingstone, Celemencki et Calixte, 2014). Si les valeurs promues sont évidemment importantes, elles ne résument pas, à elles seules, la vie démocratique et la participation politique.

Par leur résonnance avec les normes officielles du régime politique en place, les études universitaires qui s’inscrivent dans la perspective légitimiste peuvent profiter de partenariats de recherche avec des institutions officielles, comme le ministère de l’Éducation, le Directeur général des élections du Québec et même l’Assemblée nationale (Godbout, 2017). Le critère ultime d’évaluation d’une socialisation politique et d’une éducation à la citoyenneté réussies reste alors la loyauté des jeunes au modèle politique officiel et leur respect à l’égard des institutions officielles, comme le parlement, des partis politiques et, surtout, des élections (Reginensi, 2005).

La perspective légitimiste juge qu’il est très important de former les enfants à voter, dès l’école, reprenant à son compte les conclusions d’études des comportements électoraux suggérant que nous voterons plus une fois adultes si nous avons appris très jeunes à le faire (Milner, 2005). Les recherches sur les conseils d’élèves s’inscrivent le plus souvent dans cette perspective légitimiste, adoptant une approche « acritique » et partageant les valeurs et les objectifs politiques de l’Assemblée nationale, d’Élections Québec et du ministère de l’Éducation. On affirme ainsi que

les comités des élèves constituent une des instances de participation des élèves à la gouvernance scolaire et un lieu d’éducation à la démocratie. Ce groupe d’élèves, démocratiquement élus par leurs pairs, les représente auprès de la direction et des membres du personnel de l’école et vise à améliorer la vie scolaire.

Voilà en quels mots trois universitaires du Québec résument leur synthèse de 24 études portant sur les conseils d’élèves en Occident (Pache-Hébert, Jutras et Guay, 2014, p. 3). Un de ces universitaires affirmait devant les médias que « voter, c’est un devoir » (Séguin, 2008). Paradoxalement, ces universitaires admettent que les études sur les conseils d’élèves arrivent à une conclusion « unanime sur cette question : l’adulte accompagnateur […] détient un haut niveau de contrôle » et la « direction détient un droit de veto sur les décisions prises au comité des élèves » (Pache-Hébert et coll., 2014, p. 10-12 ; Godbout, 2017). Or, ce problème politique – il s’agit de domination – n’est pas traité sérieusement, pas plus que n’est discutée la position sociale qu’occupe l’enfant face à l’adulte que résume ainsi Simon (2020) :

Les enfants font en effet l’objet d’une domination, tacite et naturalisée, de la part des adultes qui les entourent, sur les plans économique, juridique, politique, mais également de façon plus symbolique, à travers d’une part l’injonction d’obéissance à laquelle ils doivent se soumettre et d’autre part par le statut de supériorité dont jouissent les adultes. Les enfants doivent écouter les adultes, leur obéir, éviter de les contredire et de remettre en cause leur autorité.

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Selon la perspective légitimiste, il serait aussi important d’entrainer les jeunes à voter en organisant des simulations d’élections officielles. Le directeur général d’Élections Canada a ainsi déclaré que son agence « s’emploie à remédier à la baisse de la participation électorale chez les jeunes » (Allard, 2004, p. A19) par le programme Vote étudiant, mené en partenariat avec l’organisme de bienfaisance CIVIX, qui offre du matériel pour organiser, à l’école, une simulation des élections fédérales. Au niveau provincial, Élections Québec organise, en partenariat avec le Centre de développement pour l’exercice de la citoyenneté, le programme Électeurs en herbe (en anglais, Voters in training), pour vivre « la démocratie en famille ». Le site Internet propose cette explication : « [l]e jour du vote, un bureau est spécialement réservé aux enfants qui accompagnent leurs parents. À cet endroit, ils peuvent, à leur tour, remplir un bulletin de vote et mieux comprendre le fonctionnement de notre démocratie. » (Élections Québec, 2020)

Les adultes s’assurent donc que les jeunes du Québec votent par centaines de milliers chaque année pour le conseil d’élèves et lors des simulations d’élections provinciales et fédérales. En d’autres contextes, on parlerait sans hésiter de prosélytisme et d’endoctrinement de la jeunesse (Dupuis-Déri, 2006). Il s’agit donc d’« adultisme » (Caron, 2018) ou d’« adultocentrisme » (Pagis et Simon, 2020), puisque les adultes n’envisagent la politique des jeunes qu’en fonction d’une formation pour produire un futur citoyen loyal, responsable et conformiste. Or, la question politique de la démocratie et de la participation des jeunes ne devrait-elle pas porter aussi − et surtout − sur leur possibilité « ici et maintenant » de vouloir et de pouvoir décider et agir de manière autonome et même conflictuelle pour exprimer ou défendre leurs intérêts, leurs identités individuelles et collectives et revendiquer plus de liberté, d’égalité, de respect, de dignité et de justice (Garneau, 2016) ?

Il est alors possible de faire appel à des outils théoriques et conceptuels de la philosophie politique pour voir les grèves d’élèves comme autant d’incarnations d’une autre conception de la démocratie, cette fois directe et « insurgeante » (Abensour, 2009), se manifestant dans la désobéissance civile (Cervera-Marzal, 2013) et dans le « désordre » (Breaugh, 2013) d’un peuple − ici composé de jeunes qui proteste et s’affirme dans l’action collective, dont la grève est une des formes courantes.

L’objectif de cet article est de brosser un portrait à larges traits des grèves d’élèves au Québec, d’en identifier les causes, les formes et leur signification politique du point de vue des élèves. Y sera prise en compte cette autre conception de la démocratie qui entretient un rapport conflictuel avec le conseil d’élèves et les objectifs politiques des directions d’établissement, du ministère de l’Éducation, de l’Assemblée nationale, d’Élections Québec et même de plusieurs universitaires spécialistes de l’éducation à la citoyenneté.

3. Méthode

Cette enquête a débuté en 2015 sous l’impulsion de discussions avec des grévistes du mouvement postsecondaire qui m’ont parlé de grèves au secondaire, et après la lecture d’un texte fascinant (Rancière, 2004) sur la vague de grèves dans les écoles de Grande-Bretagne en 1911 (voir aussi Adams, 1991 ; Cunningham et Lavalette, 2016). Une méthode mixte d’enquête a été développée. Premièrement, une recherche par mots-clés (« grève + écolières », « grève + écoliers », « grève + élèves + écoles », etc.) dans les archives des revues et journaux de la Bibliothèque et Archives nationales du Québec, de 1900 à 1990, ainsi que sur les sites web de différents médias québécois de 1990 à aujourd’hui, a permis d’identifier environ 200 grèves d’élèves dans l’histoire du Québec (Dupuis-Déri, 2020d). À noter qu’il est difficile de présenter un chiffre exact, car certaines mobilisations concernent plus d’une école en grève, sans compter que la presse n’a pas couvert toutes les grèves d’élèves, comme le révèlent des indications trouvées dans des autobiographies. Les informations tirées des médias ont été rassemblées dans des tableaux individuels dans lesquels sont précisés : la date, le lieu, la cause, la forme, le nombre de grévistes ainsi que des élèments liés à la répression conduite par les autorités scolaires ou la police (des enquêtes similaires ont été menées en parallèle dans différents pays permettant d’identifier plus de 2 000 grèves [Dupuis-Déri, 2020c] ; j’ai d’ailleurs prévu de publier, en libre accès, ce répertoire des grèves d’élèves dans le monde).

En parallèle, une invitation à participer à une recherche sur la « démocratie et la contestation à l’école secondaire » a été transmise par courriel aux parents de mon réseau social (amitiés, travail) et à des classes de baccalauréat sur les mouvements sociaux, en science politique et en sociologie à l’Université de Montréal et à l’Université du Québec à Montréal (invitation qui a été relayée sur des médias sociaux, sans que j’en sois informé). J’ai ainsi pu réaliser 68 entretiens d’une durée d’environ 1 h 30, avec 47 femmes et 21 hommes, dont 21 personnes d’âge mineur (de 12 à 17 ans) et toujours élèves lors de l’entretien ; un formulaire de consentement était alors signé par les parents (une participante de 15 ans s’est d’ailleurs insurgée à ce sujet : « [j]’ai le droit d’avorter sans le dire à mes parents, mais je ne suis pas libre de parler librement pour une recherche ! »). Les autres avaient la majorité civique et me parlaient de leurs expériences passées (34 personnes avaient entre 18 et 24 ans, 13 avaient 25 ans et plus). Il s’agit donc d’un échantillon par réseau (boule de neige) et volontaire.

Les entretiens étaient le plus souvent individuels, mais aussi en binômes ou en petits groupes de trois ou quatre, en particulier pour les plus jeunes, ce qui a facilité leur prise de parole, les a aidé à se remémorer des situations et a atténué l’aspect formel et inégalitaire de la relation entre l’adulte qui enquête et l’enfant qui doit répondre (Lignier et Pagis, 2017 ; Pagis et Simon, 2020 ; Simon, 2020). J’ai ainsi obtenu des informations au sujet de grèves de 62 écoles publiques et neuf écoles privées (certains élèves ayant fréquenté plus d’un établissement), de Gaspé, Montréal et ses banlieues, Oka, Québec, Rimouski, Shawinigan et Sherbrooke. L’objectif poursuivi en réalisant ces entretiens n’était pas d’identifier des grèves d’élèves que les médias auraient ignorées, mais plutôt de mieux comprendre la manière dont elles s’organisent et se déroulent, les réactions des adultes ainsi que les réflexions des grévistes au sujet de la politique et de la démocratie.

Même s’il ne s’agissait pas d’un critère de recrutement, 30 des 68 personnes interviewées avaient siégé ou siégeaient à un conseil d’élèves au secondaire, et trois autres au primaire, ce qui m’a offert une perspective inattendue sur la « démocratie » scolaire. La grande majorité de cette cohorte aimait l’école (comme la majorité de leurs camarades : [Lignier et Pagis, 2017]) et y réussissait plutôt bien, mais les réflexions concernant leur expérience au conseil étaient presque toutes critiques lorsqu’il était question du pouvoir et de l’autonomie des élèves face aux adultes. Enfin, plusieurs jeunes semblaient très enthousiastes face à l’intérêt porté à leur expérience de grève et m’ont fourni des photos des mobilisations, des argumentaires adressés à la direction et des lettres de la direction aux parents, autant d’artéfacts qui aident à saisir les rapports de pouvoir à l’école.

Je prévois publier d’autres articles s’inspirant de ce matériel, ainsi qu’une monographie traitant du phénomène des grèves d’élèves dans le monde. Cet article se limite toutefois à l’histoire des grèves d’élèves au Québec. Je présenterai d’abord des évènements ayant touché une seule école, puis des mobilisations ayant affecté plusieurs établissements. Cette présentation se base surtout sur l’information trouvée dans les médias. Je proposerai ensuite une analyse spécifiquement fondée sur les entretiens avec les jeunes, pour discuter des tensions induites par la conflictualité des grèves entre ces derniers et les adultes, mais aussi entre différentes conceptions de la démocratie.

4. Grèves circonscrites à une école

Depuis plus d’un siècle, au Québec, des élèves d’écoles secondaires ont déclenché des grèves d’ampleur diverses et pour différents motifs, par exemple contre l’expulsion d’élèves, le renvoi d’une enseignante ou d’un directeur ou l’annulation de la remise des prix de fin d’année pour des questions financières. Voici un rapide survol qui permet d’illustrer la diversité de ces mobilisations, sans toutefois rendre justice à la richesse de l’historiographie à ce sujet (voir aussi Dupuis-Déri, 2020c et 2020d). En 1913, à Montréal, environ 500 élèves de confession juive de l’Aberdeen School ont quitté l’établissement pour se rassembler en face de l’école, au carré Saint-Louis, pour protester contre les remarques antisémites d’une institutrice (MacLeod et Poutanen, 2018), un évènement récemment immortalisé par une bande-dessinée (MacLeod, Poutanen et Broad, 2015). Dans la même école en 1934, une vingtaine d’élèves, dont certains membres de l’organisation Young Pioneers (associée au Parti communiste du Canada), ont déclenché une grève pour obtenir du lait et des vêtements gratuits pour les enfants de parents sans-emploi. « Un écolier » évoquant de « justes revendications » a déclaré à ce sujet, dans une lettre publiée par le journal Vie ouvrière : « [p]auvres ou riches, ce n’est pas de notre faute » (Un écolier, 1934, p. 3). Quelques mois plus tard, la presse catholique s’offusquait d’une grève de 1 500 élèves d’écoles protestantes de Montréal contre l’augmentation des droits d’inscription, suggérant que « des écoliers juifs » et « communistes » manipulaient les autres élèves (Anonyme, 1934, p. 1).

En 1938, la presse a fait grand bruit d’une grève à l’École normale Jacques-Cartier de Montréal pour exiger la démission de deux enseignants aux méthodes douteuses et protester contre le renvoi d’élèves. Les écoles normales avaient pour mission de former le futur corps enseignant de la province et les élèves de 15 à 20 ans logeaient souvent en pensionnat. Les grévistes ont occupé un court moment la Maison des étudiants de l’Université de Montréal, déposé un argumentaire signé par 110 d’entre eux, parlé à la presse, négocié un retour en classe libre de sanction et réclamé la tenue d’une enquête. Les autorités religieuses et scolaires ont bien mené une enquête présidée par l’archevêque de Québec, mais celle-ci a recommandé le renvoi des « instigateurs de la grève » (Anonyme, 1938, 20 janvier, p. 1). Le principal de l’établissement, l’abbé Adélard Desrosiers, a comparé les grévistes aux « soviets russes » et ajouté que :

[l]’enfant n’ayant pas de liberté propre, ne peut s’allier à d’autres enfants également soumis à leurs parents, pour déclarer ce qu’on appelle une grève […], la loi naturelle le défend. […] Que l’on reconnaisse le droit de grève dans nos écoles, et demain, ce sera l’anarchie partout.

Anonyme, 1938, 14 janvier, p. 3

Le journal Le Monde ouvrier (Saint-Michel, 1938, 29 janvier) a riposté en ces mots :

[l]’abbé Desrosiers se demande si des mineurs − on ne veut pas parler de ceux de l’Abitibi − peuvent faire la grève. Légalement, non peut-être, mais moralement, oui. […] C’est un crime de lèse-humanité de la tenir [l’adolescence] dans l’asservissement, d’enchaîner sa volonté, de châtier son intelligence […], de contrarier ses projets d’avenir.

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D’autres élèves ont fait grève pour obtenir un transport scolaire adéquat, par exemple à Petite-Rivière-Nord et à Saint-Augustin, ou pour avoir un système de chauffage fonctionnel, comme à l’école Alexander Galt de Lennoxville où la température intérieure chutait à -15 oC en janvier 1997. La direction de cette école a suspendu les grévistes, qui avaient d’abord déposé une pétition. Le problème, qui perdurait depuis 1969, ne fut réglé que l’année suivante. Une grève a aussi affecté l’école montréalaise Père-Marquette en 1970 pour le droit d’y porter des jeans et de fumer dans l’établissement. Dans les années 1990, plusieurs grèves dénonçaient la discipline trop sévère. Les élèves de la polyvalente Armand-Saint-Onge d’Amqui, ont aussi réclamé une politique antiraciste et antisexiste. Il ne s’agit là que de quelques exemples de grèves d’élèves dans l’histoire du Québec.

Plus récemment, en octobre 2020, des élèves ont manifesté devant leur école, en Beauce, contre les mesures sanitaires imposées par les autorités lors de la pandémie de la COVID-19 (Paris, 2020). Cette même année, des élèves de l’école secondaire Henri-Bourassa à Montréal-Nord ont aussi manifesté afin de dénoncer les gestes d’un enseignant perçu depuis plusieurs années comme misogyne et raciste, et qui a finalement été renvoyé (Croteau, 2020 ; Giroux, 2020).

5. Grèves touchant plusieurs écoles

La première mobilisation de masse d’élèves au Canada est connue sous le nom de « grève du chocolat » et s’est déroulée en avril et mai 1947. Il s’agissait en réalité d’une « grève des acheteurs » (Anonyme, 1947, p. 12), ou d’un boycott, où des milliers de jeunes à travers le pays contestèrent la hausse du prix de la barre de chocolat de 5 à 8 cents (Dupuis-Déri, 2020a ; Fitzsimmons-Frey, 2014). Une autre mobilisation de masse, cette fois-ci provinciale, a touché une soixantaine d’écoles spécialisées et d’arts appliqués en janvier 1966, entre autres au Cap-de-la-Madeleine, à La Tuque, à Louiseville et à Victoriaville. Environ 27 000 élèves ont ainsi protesté pendant deux semaines contre la décision du ministre de l’Éducation, Paul Gérin-Lajoie, d’allonger l’année scolaire de trois semaines, ce qui réduisait leurs chances de se trouver un emploi d’été (Anonyme, 1966). Le premier ministre de l’époque, Jean Lesage, a lancé « un appel à la raison et au gros bon sens » ; « [j]’ai honte parce que de tels exemples peuvent amener le reste du Canada à conclure au manque de maturité du peuple du Québec » (p. 6).

Les élèves ont aussi participé au mouvement nationaliste des années 1960. La crise des écoles de Saint-Léonard en 1968, à Montréal, a mis en opposition la communauté immigrante italienne et la communauté francophone mobilisée contre le projet de transformation de « ses » écoles en établissements anglophones. Des parents francophones ont alors gardé leurs enfants à domicile en signe de protestation, une tactique parentale régulièrement utilisée au Québec et ailleurs dans le monde quand les enjeux touchent les services publics, la langue ou la religion. Quelques mois plus tard, des milliers d’élèves manifestaient devant l’Assemblée nationale pour défendre le français. Le député libéral René Lévesque a parlé d’« embrigadement », suggérant même que les directions d’école obligeaient les élèves à manifester (Lessage, 1968, p. 1).

En décembre 1974, plusieurs écoles secondaires de la région de Québec ont rejoint les cégeps en grève pour une bonification du régime de prêts et bourses. De manière exceptionnelle, les élèves du secondaire ont organisé, en plusieurs endroits, des votes de grève et ont même occupé, jour et nuit, leur établissement scolaire, y instituant un « gouvernement étudiant ». Quelques directions ont demandé, de nuit, l’intervention de la police (Ancienne-Lorette et Charlesbourg) et ont fermé de manière préventive certaines écoles ; un administrateur de la Commission scolaire de Tilly a cependant affirmé, au sujet d’un autre établissement, que « l’occupation se déroul[ait] dans un ordre exemplaire » (Voisard et Fréchette, 1974, p. A6).

Des élèves tentent parfois en vain de déclencher une nouvelle vague de protestation. C’était sans doute l’espoir des élèves de l’école Calixa-Lavallée de Montréal qui ont lancé, de manière anonyme, en 1975, le Manifeste du Front de libération étudiant et organisé une grève à laquelle ont participé 300 des 3 300 élèves de l’établissement. Il s’agissait d’exiger le droit de porter le jeans et de fumer en classe, d’abolir des retenues et des notes justificatives d’absence ainsi que de remplacer des cours d’enseignement religieux par des classes d’éducation sexuelle. « Nos écoles, des prisons », pouvait-on lire sur leurs bannières (Dubuc, 1975, p. A4), alors que le Manifeste appelait à « l’élargissement du Front de libération étudiant » par une série de moyens de lutte, dont « l’occupation, les manifs, la propagande murale (y’a des canettes de peinture pas cher dans les quincailleries), boycottage, trichage dans les examens, insolence » ; selon une journaliste, le directeur a déclaré que « les revendications des élèves “n’[avaient] pas de sens” et que c’[était] un petit groupe qui ne réussi[ssait] pas bien en classe qui prôn[ait] l’anarchie » (Berthault, 1975, 11 mars, p. B1), propos auxquels faisaient écho ceux du porte-parole du conseil d’élèves : « [i]l s’agit d’une gang de drop-out manipulés par le groupe révolutionnaire marxiste-révolutionnaire (GMR [un groupe trotskiste]), qui veulent l’anarchie et qui visent à faire manquer l’année aux élèves » (Dubuc, 1975, p. A4). Des membres du groupe ont tenté d’encourager la révolte à l’école Louis-Joseph Papineau, ce qui s’est terminé par quatre arrestations effectuées par une vingtaine de policiers (Berthault, 1975, 13 mars, p. E6).

En 1979, une grève d’élèves visant à s’opposer à la loi spéciale suspendant le droit de grève des syndicats de l’enseignement a touché plusieurs écoles secondaires catholiques et protestantes de Montréal et de la Montérégie. Les grévistes ont alors repris la tactique caractéristique des grèves scolaires qui consiste à marcher d’une école à l’autre pour encourager d’autres élèves à joindre le mouvement. À Montréal, les élèves de Louis-Hébert ont ainsi marché jusqu’à Père-Marquette, puis vers d’autres écoles, pour manifester devant les bureaux du premier ministre dans l’immeuble d’Hydro-Québec au centre-ville.

En 1981, les élèves ont déclenché une grève en réaction à la décision du gouvernement d’élever la note de passage, la faisant passer de 50 % à 60 %. Le mouvement, comptant jusqu’à 20 000 grévistes, a débuté à la polyvalente de Lévis en février pour s’étendre dans le reste de la province. Le 30 avril, par exemple, une dizaine d’écoles de Montréal étaient fermées, la cafétéria de l’école Joseph-François Perreault était occupée et environ 500 élèves manifestaient devant les bureaux du ministre de l’Éducation. Selon une journaliste, « [l]es jeunes ont utilisé une tactique bien éprouvée : un groupe d’une école “empêche” les autres d’entrer et tous se rendent à une autre école en faisant du chahut pour inciter leurs confrères à quitter leur cours et à les suivre » (Favreau, 1982, p. A4). Le mouvement a forcé le ministre de l’Éducation, Camille Laurin, à accepter d’instaurer progressivement la nouvelle note de passage, d’année en année, en commençant par la première année du secondaire en septembre 1982.

En 1991, plusieurs écoles ont participé au mouvement mondial contre la guerre en Irak. Le 14 janvier à Québec, par exemple, des élèves des Compagnons de Cartier ont marché jusqu’à l’école de la Rochebelle, occupé brièvement le centre sportif de l’Université Laval et manifesté devant l’Assemblée nationale. Le lendemain, environ 3 000 élèves de Sherbrooke ont manifesté pour la paix. La journée suivante, à Montréal, environ 1 500 élèves de nombreuses écoles ont manifesté jusqu’à ce que la police les disperse. Les élèves de la polyvalente Émile-Legault de Ville Saint-Laurent, parmi lesquels 73 nationalités étaient représentées, ont lancé une pétition. La présidente du conseil d’élèves, Johanne Casseus, a déclaré : « [c]’est dommage qu’on ne puisse inviter les [George] Bush, [Brian] Mulroney et [Saddam] Hussein à vivre une semaine dans une école comme la nôtre » (Trottier, 1991, p. A4). Une manifestation d’environ 1 000 élèves du nord de Montréal s’est terminée devant le consulat des États-Unis au centre-ville. Dans certains établissements, la direction a autorisé des actions collectives pour la paix, parfois même organisées par le comité de pastorale, comme à l’école Du Rocher de Grand-Mère où la manifestation s’est terminée par une assemblée à l’église Saint-Paul, en présence de la direction.

La plus impressionnante mobilisation d’élèves du secondaire du Québec, par sa durée, son ampleur, son dynamisme, sa combativité et la répression qu’elle a subie, est sans conteste celle de l’année 1999 contre l’abandon des activités parascolaires (par exemple les sorties scolaires, la radio étudiante, l’aide aux études) comme moyen de pression du syndicat de l’enseignement alors en négociation avec le gouvernement. Le mouvement a débuté en mai pour reprendre en septembre 1999. Le 4 mai, environ 1 000 grévistes ont bloqué, pendant trois heures, le pont Lachapelle, entre Montréal et Laval, à la fin d’une manifestation lancée par des élèves de Saint-Maxime, que des élèves du Mont-de-la-Salle, de Saint-Martin et d’Horizon Jeunesse avaient rejointe. Le lendemain, environ 2 000 élèves ont bloqué le pont Viau entre Montréal et Laval, une tactique dénoncée par des conseils d’élèves. Des grévistes ont mis sur pied, de manière autonome, le comité étudiant pour le rétablissement des activités scolaires, qui se disait prêt à discuter avec les directions d’établissement et les syndicats. Le 12 mai, la mobilisation a touché des écoles de l’Assomption, de Le Gardeur, de Repentigny et de Saint-Gérard-Majella : des grévistes manifestaient devant des bureaux de commissions scolaires et de députés et bloquaient la route 138 ainsi que le pont Pie-IX entre Montréal et Laval. Jonathan Johnson, président du conseil d’élèves de l’école Félix-Leclerc, a déclaré à la presse : « [n]ous ne sommes pas contre les profs, mais nous protestons contre leurs moyens de pression. Ça se fait sur notre dos » (Malboeuf, 1999, p. B6).

La mobilisation a repris à la rentrée d’automne, alors que 450 grévistes se rassemblaient devant la polyvalente Charles-Gravel (Chicoutimi), où la direction a verrouillé les portes pour empêcher les autres élèves de sortir : quelques vitres ont volé en éclats. Le mouvement a aussi touché le réseau anglais, alors que le directeur de la Laurier Macdonald High School de Montréal a suspendu 20 % des élèves de son établissement pour absence injustifiée. À Saint-Lambert, une assemblée d’élèves des écoles Chambly County High School et Penfield Academy a lancé un appel à manifester devant l’hôtel de Ville, avec les parents et sous escorte policière. Le 16 septembre, le mouvement a touché la région de Québec, après que des élèves aient distribué des tracts appelant à manifester. Même si le conseil d’élèves s’y opposait, environ 50 % des élèves de La Camaradière ont quitté l’école pour manifester devant l’Assemblée nationale, avec des élèves de Québec High School, St. Patrick’s High School et Jean de Brébeuf. Pendant ce temps, des grévistes des Compagnons-de-Cartier et de l’école secondaire De Rochebelle défilaient sur le pont de Québec.

La tension s’est maintenue les jours suivants, avec le blocage de l’autoroute de la Capitale à Beauport, de la route 155 par des grévistes de l’école La Découverte de Saint-Léonard-d’Aston et d’un pont à Shawinigan par les grévistes des écoles Val-Mauricie et des Chutes. Une quinzaine de policiers ont procédé à quelques arrestations. Le 21 septembre, 200 élèves de l’école Saint-Jean Baptiste de Longueuil ont traversé le pont Jacques-Cartier à l’heure de pointe matinale, provoquant un « embouteillage monstre » (Presse canadienne, 1999, p. 2). Le même jour, l’autoroute 20 a été bloquée plus d’une heure, dans les deux directions.

Le 22 septembre, la police a repoussé les grévistes de la polyvalente Curé-Mercure de Saint-Jovite qui tentaient de bloquer la route 117. À Montréal, la police a arrêté 36 personnes à la fin d’une manifestation qui avait débuté à l’école Jeanne-Mance, puis circulé devant plusieurs écoles avant de se terminer au parc Jarry. Lors de ce déplacement, des poubelles ont été renversées, des vitrines de commerces et des vitres de voitures de police furent fracassées et des projectiles ont été lancés à des policiers (Des Rivières, 1999, p. A1).

Cette vague de protestation a provoqué un débat public. Un psychologue tentait d’expliquer la situation en affirmant que les jeunes sont facilement manipulables, qu’ils cherchent à assouvir un désir grégaire ainsi qu’une envie de transgression et que leur narcissisme les mène à chercher l’attention des médias (Elkouri, 1999, p. A2). Le président de la Fédération des comités de parents du Québec a déclaré que « [l]a place des élèves est en classe et non pas dans les rues » (p. A13), propos auxquels ont fait écho ceux du premier ministre, Lucien Bouchard : « [j]e comprends que les jeunes soient mécontents […], mais je leur demande de rester à l’école et de ne pas se livrer à ce genre d’activités » (Desrosiers, 1999, 22 septembre, p. A10). Le ministre de l’Éducation, François Legault, considérait pour sa part « inacceptable l’utilisation des élèves à des fins syndicales » (Desrosiers, 1999, 24 septembre, p. A10). Pourtant, la présidente de la Fédération des syndicats de l’enseignement, Johanne Fortier, avait demandé aux élèves de rester en classe et de se limiter à adresser des lettres ou des pétitions aux députés.

La journée du 23 septembre a été fort tendue. À Sherbrooke, 4 000 élèves ont défilé dans le centre-ville, sous la direction du conseil d’élèves qui avait obtenu des autorités la permission de manifester, et mis sur pied un service d’ordre avec les membres d’équipes de football. À Sainte-Thérèse, la direction a suspendu 300 grévistes qui devaient se présenter avec leurs parents pour réintégrer l’école. À Richelieu, la police a dispersé plusieurs centaines de grévistes qui tentaient de bloquer la route 112. Comme l’expliquait une journaliste, « les étudiants ont choisi la voie la plus en vogue depuis que certains producteurs ont impunément installé leurs cochons au beau milieu de l’autoroute 20 […]. Les jeunes ont ainsi l’assurance d’ameuter non seulement les policiers mais aussi les médias. » (Des Rivières, 1999, p. A1). À Montréal, les forces de l’ordre ont arrêté 270 grévistes dans la cour de récréation de l’école Chomedey-De Maisonneuve et leur ont distribué des contraventions de 118 $ pour avoir bloqué le pont Pie-IX pendant 30 minutes. Un commentateur de l’époque soulignait que la police « a choisi comme cible les étudiants d’un des quartiers les plus pauvres de l’est de la ville », alors que la contestation touchait aussi des quartiers très aisés, comme Outremont (Jones, 1999).

Les directions d’établissement ont adopté une approche de plus en plus punitive, notamment en convoquant en retenue une quarantaine d’élèves de l’école des Compagnons-de-Cartier ainsi que plus de 200 élèves de l’école l’Envol de Saint-Nicolas, le samedi 25 septembre, sous la supervision de deux directeurs et de 11 surveillants. Le mouvement commençait à s’essouffler, même si une centaine de grévistes de la polyvalente Saint-Aubin de Baie-Saint-Paul ont bloqué la route 138 pendant 45 minutes, le 29 septembre, et que Clairandrée Cauchy, présidente du Conseil permanent de la jeunesse, déclarait que les jeunes ne faisaient « qu’exercer leur citoyenneté […] et prendre la parole » (Corbeil, 1999, p. A10).

Dans les années 2000, les élèves vont encore se mobiliser en plusieurs occasions, par exemple au sujet du Sommet des Amériques à Québec, en avril 2001, alors que des grévistes de la polyvalente Charles-Gravel de Chicoutimi manifestaient devant un McDonald’s et un bâtiment du gouvernement fédéral à Jonquière. En 2003, plusieurs écoles ont participé à la mobilisation mondiale contre la deuxième guerre des États-Unis contre l’Irak, souvent avec l’approbation de la direction. Plusieurs élèves ont également participé aux deux plus importantes grèves de l’histoire du mouvement étudiant postsecondaire en 2005 et en 2012, alors qu’est mise sur pied l’Association indépendante des élèves du secondaire. Le printemps 2015 est, à son tour, marqué par la fondation de l’Association militante des élèves du secondaire regroupant des élèves d’une dizaine d’établissements. Dans ces contextes, certaines directions ont intimidé et puni des élèves arborant le carré rouge, symbole du mouvement contre la politique d’austérité du gouvernement du Parti libéral du Québec, qui fut ensuite repris par le mouvement étudiant.

6. Discussion : grève, conseils d’élèves et démocratie

L’histoire des grèves d’élèves nous indique, entre autres choses, que des jeunes veulent et peuvent se mobiliser pour défendre leurs intérêts matériels (chauffage, transport, sorties scolaires, etc.), leur identité collective (religion, langue), exprimer leur solidarité (envers des camarades ou le corps enseignant) et participer à un cycle de protestation national (grèves étudiantes postsecondaires) ou mondial (mobilisations contre la guerre ou au sujet du climat).

Les mouvements de contestation des élèves ont aussi pris d’autres formes que la grève : insolence et grabuge pour défier l’autorité, pétitions, sit-in ainsi que célèbres food fights, qui surviennent parfois en vagues, comme en juin 2007, alors que sept écoles ont été touchées en quelques jours à Longueuil, à Drummonville, à Magog et à Montréal. Dans ce cas, l’intervention de la police, à titre préventif et à la demande de la direction, peut mener à des affrontements avec les élèves (Côté, 2008, p. 9). Certaines actions s’apparentent à la désobéissance civile, par exemple lorsque les élèves défient « une ordonnance directoriale » (Anonyme, 1922, p. 6) en fumant ou en ne respectant pas le code vestimentaire, comme le rapportait − en riant − une élève de 15 ans, en 4e secondaire : « [o]n fait ça tout le temps, ça fait partie de notre activisme ». C’était le cas, entre autres, dans les années 1990, lors de mobilisations contre le renvois de filles aux cheveux teints en bleu ou en mauve, par exemple à l’école pour filles Marguerite-de-Lajemmerais (Montréal), où une élève suspendue, Véronique Morrissette, a déclaré que son choix relevait de la « liberté d’expression » (Thibodeau, 1998, p. A7). Environ 250 élèves lui ont manifesté leur appui devant l’école, maquillées de bleu, certaines avec les cheveux teints en bleu, avant de marcher jusqu’aux bureaux de la Commission des écoles catholiques de Montréal. D’autres mobilisations contre les règlements vestimentaires ont touché l’académie Les Estacades au Cap-de-la-Madeleine en 1996, où un appel à la bombe a forcé l’évacuation de l’établissement. À Montréal, les élèves de l’école Robert-Gravel, en 2016, ont choisi de porter des soutiens-gorges ou d’en suspendre à leur casier, alors qu’à l’école Joseph-François-Perreault de Québec, le mouvement des « carrés jaunes », lancé par Célestine Uh, permit de dénoncer un code vestimentaire jugé « beaucoup plus sévère pour les filles » que pour les garçons (Allard, 2018, p. 1, 5 ; Mercier, 2020). Cette perception fut également partagée par de jeunes garçons ayant décidé, à l’automne 2020, de porter la jupe de l’uniforme de leur école en signe de protestation contre le sexisme de leur code vestimentaire (Dupuis-Déri, 2020b).

Les actes de résistance marquent aussi le quotidien des « écoles de réforme » (Myers et Sangster, 2001), aujourd’hui nommées « centres jeunesse », qui ont une mission scolaire. Dans les pensionnats pour Autochtones, où étaient scolarisés des enfants autochtones souvent arrachés à leur famille et forcés de renier leur identité, des élèves ont incendié l’école ou le dortoir, comme l’ont fait les filles de Wikwemikong en 1888 et les garçons du Mohawk Institute en 1903 (Miller, 1996, p. 368-369) ; l’incendie est encore une forme courante de révolte scolaire ailleurs dans le monde, comme le montre Elizabeth Cooper (2014) pour le Kenya.

Enfin, des jeunes s’engagent socialement et politiquement à l’extérieur de l’école, sur des plateformes Web, en dessinant des graffitis, en militant avec un comité de Greenpeace, en participant aux manifestations du Collectif opposé à la brutalité policière, etc. (Gaudet 2020 ; Greissler, Lacroix et Morissette, 2020, p. 145-149).

Quant aux grèves, elles touchent toutes les régions du Québec, le secteur public et privé, anglophone et francophone, et les grévistes peuvent aimer ou non l’école, avoir ou non de bonnes notes, avoir été ou non membres d’un conseil d’élèves. Alors que les adultes déploient tant d’efforts pour convaincre les jeunes des bienfaits des élections et du parlementarisme, ces grévistes n’élisent pas de chef qui dirigerait leur mouvement et ne revendiquent aucune modification législative au bénéfice de leur cohorte d’âge, par exemple abaisser l’âge du droit de vote aux élections. Bref, ces jeunes grévistes ne s’inspirent ni de l’esprit, ni de la forme du parlementarisme, préférant faire de la politique autrement, de manière autonome, directe et conflictuelle.

7. Le point de vue des élèves

Les journaux n’indiquent presque jamais la manière dont les grèves sont organisées et quelles leçons sociopolitiques en tirent les grévistes. Des entretiens avec des jeunes permettront en partie d’éclairer ces zones d’ombre.

La grève à l’école est souvent précédée de rumeurs ou de messages ; il suffit de quelques élèves en général en quatrième ou en cinquième secondaire − pour lancer le mouvement, en criant dans la cour de récréation ou dans les couloirs et en tapant sur les casiers. La fondatrice de Pour le futur Montréal avait conseillé à ses camarades de monter sur une table de la cafétéria pour convaincre les autres élèves de faire la grève pour le climat, ce qui a fonctionné à quelques reprises. Parfois, des élèves qui se connaissent forment un « comité de grève » et organisent une assemblée de grève dans un parc devant l’école, surtout si les négociations avec la direction ne leur permettent pas l’organisation d’une assemblée dans la cafétéria ou le gymnase. La grève peut s’accompagner du blocage des portes (avec des cadenas par exemple), de lignes de piquetage, de graffitis et d’actes de sabotage et de vandalisme. Les directions, pour leur part, sont plus ou moins tolérantes ou répressives. Les actes répressifs dénotent parfois un mépris pour les élèves, voire pour la démocratie.

Par exemple, en 1974, la direction de l’école des Compagnons de Cartier de Québec a suspendu cinq élèves qui avaient publié un journal étudiant sans autorisation, ce qui a provoqué une grève des élèves (Campeau, 1974, p. 28). En 2012, une direction d’école de Sherbrooke a convoqué une élève, en présence du policier communautaire de l’école, parce qu’elle appelait ses camarades sur les réseaux sociaux à s’exprimer à la craie sur le trottoir. La direction l’a menacée de l’empêcher de passer ses examens de fin de secondaire si elle n’effaçait pas cet appel. En 2019, la direction de la polyvalente des Monts de Sainte-Agathe-des-Monts a suspendu deux élèves à qui elle avait refusé, lors de discussions en présence de la police de l’école, d’organiser une assemblée de vote de grève pour le climat, et qui avaient alors choisi d’organiser une assemblée autonome, sans autorisation et sans aide. La direction a considéré le vote de cette assemblée comme étant invalide, « parce que les élèves [avaient] moins de 18 ans » (Carabin, 2020, s. p.), même si la direction prétendait que les élèves auraient dû s’adresser au conseil d’élèves, pourtant élu par des jeunes de moins de 18 ans.

Enfin, les 30 personnes qui m’ont accordé un entretien et qui siégeaient ou avaient siégé à un conseil d’élèves étaient presque unanimement critiques de cette expérience, même si mon échantillon comptait des « super-délégués », c’est-à-dire des élèves ayant siégé plus d’une année à une instance élective (Conseil national d’évaluation du système scolaire, 2018, p. 24). Soupçonnant que la démocratie à l’école était minée par plusieurs problèmes, des membres de l’Association des élèves du secondaire de la Commission scolaire de Montréal, pour leur part, ont réalisé, en 2019-2020, un sondage auprès d’élèves siégeant au conseil de leur école. Ils ont reçu des réponses provenant d’environ 20 établissements. Cette démarche a révélé que plusieurs élèves sont déçus de n’avoir à s’occuper que d’évènements festifs ; les répondants soulignent aussi une grande difficulté à communiquer avec la base, à organiser des mobilisations, par exemple une assemblée générale ou un rassemblement, ainsi que des tensions avec les directions au sujet de la sélection des membres du conseil et de son fonctionnement.

Plusieurs témoignages que j’ai recueillis font état d’adultes qui manipulent les élections du conseil de diverses manières : absence pure et simple d’élection et désignation par les adultes des membres du conseil, refus d’admettre une candidature, élimination d’une candidature ayant remporté l’élection pour attribuer la victoire à quelqu’un d’autre, sous prétexte de s’assurer de la docilité des membres du conseil. Une fois le conseil constitué, ses séances sont toujours encadrées par un ou des adultes qui préparent et proposent l’ordre du jour, participent aux discussions et les encadrent, accordent la parole, valident ou invalident les sujets de discussion et savent bien comment décourager les élèves d’avancer certaines propositions (« Ça sera trop compliqué à réaliser… », « On n’a pas le budget… », « Il faudra voir avec la direction… », etc.). De plus, les directions se réservent toujours un droit de veto face aux décisions du conseil.

Il n’est donc pas étonnant qu’un « super-délégué » qui a siégé au conseil d’élèves pendant toutes ses années au secondaire, en plus d’être délégué au conseil d’établissement où siègent aussi la direction, des enseignants et des parents, m’ait confié :

[t]u te sens important, en réalité, tu ne fais rien. C’est extrêmement encadré : il y a un directeur et un enseignant qui disent ce qu’il est possible de faire ou non. Possible : choisir la couleur des ballons pour les fêtes ; impossible : parler de la grève.

Son expérience de délégué au conseil d’établissement ne lui a pas laissé meilleure impression. Un élève d’une école privée de la banlieue nord de Montréal, qui avait 14 ans lors de l’entrevue, m’a confié son insatisfaction au sujet de la rencontre annuelle de deux heures entre les membres du conseil où il siège et la direction de l’établissement :

On se prépare à l’avance, mais je suis vraiment déçu parce que nos idées sont bonnes, mais on ne nous explique pas pourquoi elles ne sont pas retenues. C’est très, très plate. […] Des fois, on voit qu’ils ne prennent aucune note, qu’ils ne posent aucune question, on voit qu’ils ont déjà refusé cette idée.

Ce sentiment d’aliénation est partagé par une déléguée de l’Association des élèves du secondaire de la Commission scolaire de Montréal, dont les réunions comptaient toujours un accompagnateur qui « limitait [leur] démocratie, car trop protecteur et paternaliste ». Des études montrent aussi la difficulté des jeunes à prendre la parole dans des instances où siègent également des adultes (Bozec, 2018) et le même constat critique se retrouve chez des jeunes en détention dans des centres jeunesse, dotés par la loi d’un comité de résidents et d’un comité des usagers (Greissler et coll., 2020, p. 145-149).

Une « super-déléguée », qui avait 17 ans lors de l’entretien, m’a confié, au sujet du conseil : « [c]’est pour faire croire aux élèves qu’ils ont un pouvoir dans les écoles, mais il n’y a aucune écoute ». Elle a précisé :

[ç]a rassure l’administration qui peut savoir ce qu’on fait : elle a accès aux procès verbaux de nos réunions. Quand il y avait une décision qui concernait les intérêts des élèves, on était écartés du vote ou de la discussion, on ne pouvait pas aborder des sujets comme la grève, le code vestimentaire.

Une autre ex-déléguée considérait le conseil « [c]omplètement apolitique », avant d’ajouter : « [c]’est vraiment du conditionnement à la démocratie représentative comme modèle inévitable ». Elle avait proposé au responsable de la pastorale d’ajouter une touche de « démocratie directe » en organisant une assemblée générale avant l’élection du conseil, mais il « a tout bloqué ». Un autre délégué du conseil d’élèves m’a rapporté avoir discuté avec d’autres élèves de la possibilité de remplacer cette instance par une association avec assemblées délibératives et décisionnelles, comme au cégep et à l’université, mais la vice-directrice a exigé que cette discussion cesse immédiatement, car elle n’était pas supervisée par un adulte.

Plusieurs répondants m’ont aussi confié que les adultes de l’école utilisent les membres du conseil d’élèves pour effectuer diverses corvées : guides bénévoles lors de soirées « portes ouvertes » pour attirer de nouvelles inscriptions, surveillance du respect du code vestimentaire, rappels à leurs camarades d’apporter des chèques pour payer certaines activités, appels pour réserver des autobus en vue de sorties scolaires, aménagement et nettoyage du gymnase pour une fête d’école, etc.

Parfois, des problèmes politiques minant le conseil ont encouragé les jeunes à s’organiser autrement : « [c]e contrôle nous a poussés à l’action autonome, à la démocratie directe. On avait […] le contre-modèle du conseil d’élèves. Je n’ai pas organisé la mobilisation à partir du conseil d’élèves. » Même son de cloche chez une ancienne déléguée dans une école de Montréal qui a été membre de l’Association militante des élèves du secondaire, ce même groupe qui a organisé une manifestation interécoles lors d’une grève étudiante postsecondaire au printemps 2015 :

[c]’était une vraie expérience de mobilisation en dehors des structures de l’école, sans adultes impliqués. C’était nous qui prenions nos décisions, je trouve que c’était extraordinaire. Je n’ai pas retrouvé cette liberté de prendre nos décisions, cette expérimentation de la démocratie. C’était simplement tellement beau.

Certes, ces témoignages ne représentent pas l’opinion ou l’expérience de l’ensemble des élèves du secondaire. Comme chez les adultes, les élèves comptent dans leurs rangs des briseurs de grève − les « renards » (Caron, 2005, p. 187) − et des individus qui préfèrent collaborer avec l’autorité, voire trahir leurs camarades, ou, plus discrètement, obéir aux adultes et à leurs règles par loyauté, déférence, avantage, habitude, apathie, peur ou ignorance. La contestation à l’école peut aussi entrainer des couts, une fois de retour au domicile familial. Mais les témoignages recueillis révèlent aussi la possibilité d’une conscience politique claire et structurée, à la fois critique et programmatique, puisqu’on expérimente un autre idéal de la participation politique et de la démocratie, trop souvent définies par et pour les adultes qui travaillent à l’école, pour le parlement ou pour Élections Canada, réduisant la politique au concept d’élection.

Des jeunes opposent d’ailleurs leurs actions contestataires à la participation électorale, dénuée d’intérêt chez plusieurs de ceux qui ont remporté des élections pour siéger au conseil d’élèves. Une déléguée qui aimait l’école m’a ainsi expliqué que « [l]a mobilisation au secondaire a été une expérience directe, concrète, pratique, de ce que nous voulions ; voter aux élections n’a rien d’un geste concret », alors qu’un autre jeune déplorait que « [l]e choix qui nous est laissé, c’est de voter. On considère que c’est ça, l’action politique : voter. Au secondaire, j’ai vu la forme que j’aime pour m’organiser. » Enfin, plusieurs participants à mon enquête, en atteignant l’âge de la majorité civique, ne votent que pour des partis loufoques (Parti Rhinocéros, par exemple) ou ne votent pas et parviennent à convaincre leurs parents des bienfaits de l’abstentionnisme : « [à] force d’en avoir discuté avec moi, ma mère ne vote plus. Elle m’a même téléphoné et elle était très fière de me le dire. »

8. Conclusion

S’intéresser aux grèves d’élèves et aux critiques exprimées au sujet du conseil d’élèves permet de saisir tout ce qu’on ne peut voir ni comprendre en limitant la démocratie et la participation citoyenne à l’école à une simple formation préparant à l’âge adulte, à travers un enseignement qui valorise les institutions, les principes officiels et la pacification des relations entre individus. Réduire la « démocratie » à l’élection du conseil d’élèves − une instance pensée, organisée, contrôlée et manipulée par et pour les adultes − ne permet pas de voir que les jeunes savent exercer un réel pouvoir autonome (souverain) et constituer un rapport de force avec les adultes qui les dominent politiquement. La grève, entre autres formes d’action collective, relève bel et bien du politique et de l’expérience de la démocratie (directe et insurgeante). Elle permet aux jeunes d’établir des rapports de force avec les adultes dans et hors de l’école, mais aussi avec le conseil d’élèves qui doit souvent être contourné pour agir de manière autonome. Sans oublier que la grève est une forme d’action politique incarnant un idéal sociopolitique bien plus grisant, pour ces jeunes, que l’élection des membres de l’élite qui gouvernent. Est-ce alors possible d’introduire l’histoire des grèves d’élèves dans l’éducation à la citoyenneté ou dans des discussions sur l’histoire de la démocratie ? Sans égard à ce que les jeunes deviendront une fois adultes, on ne peut qu’imaginer l’intérêt pour les élèves d’avoir accès à cette histoire, à leur histoire politique et à celle de tout le pays, car presque chaque adulte a un jour été élève.