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Introduction

Les réformes du système de santé canadien des années 1990 ont eu des répercussions considérables sur le personnel infirmier, en particulier auprès de la nouvelle infirmière diplômée. La nouvelle infirmière diplômée doit faire face à un marché de travail qui est caractérisé par une diminution de postes à temps plein, des ressources limitées et une charge de travail élevée (Decter et Villeneuve, 2001; Gerrish, 2000; Gillis, Jackson et Beiswanger, 2004). La rétention des nouvelles infirmières diplômées est importante puisque, d’après une analyse canadienne sur les ressources humaines, il y aura une pénurie de l’ordre de 78 000 infirmières d’ici 2011 (Association des infirmières et infirmiers du Canada, 2002), soit une réduction de 13 % de la main d’oeuvre de 2001 (O’Brien-Pallas, Alksnis et Wang, 2003) alors que les besoins en santé de la population ne cesseront d’augmenter. Pour ces raisons, une connaissance approfondie des facteurs qui favorisent la rétention des nouvelles infirmières diplômées est nécessaire et justifiée.

Problématique

Les études récentes auprès des nouvelles infirmières diplômées indiquent que celles-ci vivent la période de transition avec beaucoup de difficultés (Ellerton et Gregor, 2003; Oermann et Garvin, 2002). Plusieurs facteurs dans l’environnement de travail contribuent à des niveaux élevés de stress, tels que la peur de faire des erreurs (Boychuk-Duchscher, 2001; Viens, Lavoie-Tremblay et Mayrand-Leclerc, 2002), les interactions avec les médecins (Oermann et Moffitt-Wolf, 1997) et le manque de soutien (Boychuk-Duchscher, 2001). De plus, les nouvelles infirmières diplômées doivent s’habituer à un environnement de travail où les valeurs reconnues ne sont pas les mêmes que celles acquises dans leur programme de formation. L’étude qualitative de Boychuk-Duchscher (2001), réalisée en Saskatchewan, relève la rapidité d’exécution et l’efficacité des méthodes qui prédominent sur l’attention portée aux patients parmi les difficultés vécues par des nouvelles infirmières diplômées en lien avec les valeurs du milieu.

En général, les infirmières s’appuient mutuellement, quoique certains auteurs montrent que ces relations peuvent être une source de stress (Gardner, 1992; Thomka, 2001). Plusieurs nouvelles infirmières diplômées vivent des difficultés lorsqu’il s’agit d’obtenir de l’aide de leurs collègues. Effectivement, les conflits interpersonnels entre infirmières sont des expériences signalées par les nouvelles diplômées. D’ailleurs, dans une étude descriptive effectuée en Nouvelle-Zélande auprès de 551 nouvelles infirmières diplômées durant leur première année de travail, McKenna, Smith, Poole et Coverdale (2003) indiquent que la présence de conflits interpersonnels est réelle et que les nouvelles infirmières diplômées subissent de la violence ou de l’intimidation à l’horizontal. Il en résulte que la nouvelle infirmière diplômée éprouve des difficultés à obtenir le soutien requis pour favoriser son intégration au travail.

Des études récentes démontrent que des programmes d’intégration et l’environnement de travail peuvent diminuer le niveau de stress des nouvelles infirmières diplômées et faciliter leur intégration au travail pour ainsi favoriser leur rétention (Blanzola, Lindeman et King, 2004; Delaney, 2003). Il faut noter que certains auteurs utilisent le terme orientation de façon interchangeable avec le terme programme d’intégration au travail (Issac, 2003). L’intégration au travail comprend le passage de la théorie à la pratique et représente l’étape cruciale de la transition du monde étudiant à celui d’infirmière (Delaney, 2003). Les programmes d’intégration peuvent varier selon l’organisme, mais ils comprennent habituellement une période d’orientation et une période de mentorat. La période d’orientation est celle où l’infirmière débutante n’a pas la charge de patients. Cette phase comprend l’orientation générale à l’institution et une orientation spécifique à l’unité où elle travaille. Ce type de programme a un impact sur la rétention des infirmières (Gerrish, 2000; Gillis, Jackson et Beiswanger, 2004). À ce propos, Squires (2002) a suivi neuf nouvelles diplômées durant quatre mois. Le taux de rétention dans leur milieu est passé de 30 % à 77 % après l’application d’un programme d’orientation, dont la durée originale de quatre semaines fut augmentée à huit semaines. De plus, la durée des programmes d’orientation favorise une diminution du stress et augmente le niveau de confort de la nouvelle infirmière. Beeman, Jernigan et Hensley (1999) ont développé un programme à l’intention des nouvelles infirmières diplômées, et selon les résultats de leur étude, une période de douze semaines est indiquée comme le temps minimum nécessaire pour réussir l’intégration. L’auteur d’une étude plus récente conclut qu’une période d’orientation répartie sur 12 semaines semble être un temps adéquat pour la plupart des nouvelles infirmières (Delaney, 2003).

Le deuxième facteur, l’environnement de travail, joue un rôle important lors de la période d’intégration. Les études récentes indiquent qu’il y a eu une détérioration importante de l’environnement de travail suite aux réformes de la santé durant les années 1990 (Blythe, Baumann et Giovannetti, 2001; Bourbonnais, Brisson, Malenfant et Vézina, 2005; Cummings et Estabrooks, 2003). Il s’en dégage que les infirmières ont dû faire face à de graves problèmes dans leur environnement de travail. Notamment, les infirmières exerçant leurs activités professionnelles dans le système public ont dû travailler avec des ressources limitées et une charge de travail plus élevée (Davidson et al., 2007; Laschinger et al., 2001a). Elles souffrent d’épuisement professionnel (Cummings et Estabrooks, 2003), de niveaux élevés de stress (Blythe et al., 2001; Burke, 2003a, b) et elles ont présenté de l’épuisement et des indices de santé plus faible (Bourbonnais et Mondor, 2001; Cummings et Estabrooks, 2003). Dans ces conditions, lorsque la nouvelle infirmière diplômée considère son environnement de travail comme un milieu non sécuritaire, elle pense quitter la profession et ce phénomène se manifeste au cours de la première année (Gillis, Jackson et Beiswanger, 2004).

Plusieurs études récentes examinent l’intention de demeurer en poste ainsi que le roulement du personnel infirmier. Selon deux recensions des écrits (Coomber et Barriball, 2007; Hayes et al., 2006), basées sur 130 documents, l’insatisfaction au travail et l’intention de quitter l’emploi sont liées au taux de roulement. De plus, l’insatisfaction au travail, l’intention de quitter ainsi que le roulement sont influencés par plusieurs facteurs organisationnels, tels que la charge de travail, le style des gestionnaires, le sentiment d’autonomie (et l’autonomie véritable), les possibilités d’avancement et les horaires de travail. Les facteurs sociodémographiques, comme l’âge de l’infirmière, l’expérience de travail et la formation ne sont pas constamment reliés au roulement dans les études examinées. Coomber et Barriball (2007) soulignent que les facteurs en lien avec l’environnement de travail prédisent plus l’intention de quitter que des facteurs individuels ou des facteurs sociodémographiques. Une étude récente aux États-Unis examinant l’intention de demeurer en poste et l’intention de quitter indique que la satisfaction au travail ainsi que l’engagement professionnel prédisent de façon négative l’intention de quitter l’emploi (Brewer et al., 2008). En dernier lieu, l’étude de Flinkman et al. (2008) sur l’intention de demeurer en poste des jeunes infirmières finlandaises indique que l’intention de demeurer en poste est liée à des facteurs tels que l’épuisement professionnel, un manque de possibilité d’avancement, un manque d’engagement professionnel, un taux peu élevé de satisfaction personnelle et des conflits entre le travail et la famille.

Il existe des hôpitaux aux États-Unis reconnus par les infirmières comme de bons milieux de travail, ceux-ci affichent un faible taux de roulement d’infirmières et se situent dans un marché compétitif (Buchan, 1999). C’est dans les années 1980 que le terme magnet hospitals ('hôpitaux aimants') s’est dégagé permettant de désigner les établissements qui répondent à des caractéristiques précises de l’environnement de travail et de la pratique des infirmières. En effet, les résultats des études sur l’environnement de travail indiquent que les milieux de travail ayant des caractéristiques similaires à celles des magnet hospitals ont un effet important sur le personnel infirmier et la qualité des soins (Laschinger et Leiter, 2006; Scott, Sochalki et Aiken, 1999). En particulier, les infirmières travaillant dans ces hôpitaux ont un taux de satisfaction au travail plus élevé (Laschinger, Shamian et Thomson, 2001; Smith, Tallman et Kelly, 2006; Upenieks, 2002), elles subissent moins d’épuisement professionnel (Leiter et Laschinger, 2006) et, par conséquent, elles sont moins aptes à quitter leur emploi.

Une pratique professionnelle, se caractérisant par un environnement où l’infirmière peut participer aux comités et aux prises de décisions ayant trait à leur profession, est un des éléments importants parmi les caractéristiques des hôpitaux aimants. Les infirmières travaillant dans ces milieux ont une plus grande autonomie (Buchan, 1999). L’importance de la caractéristique de l’autonomie des infirmières dans les milieux de travail a été mesurée lors de recherches au Canada et en Australie (Menon, 2001; Menon et Hartmann, 2002). Il en ressort que le niveau de perception à l’égard du contrôle ainsi que celui concernant les compétences et l’engagement au sein de l’organisation sont reliés à l’autonomie de l’infirmière. Ainsi, le sentiment d’autonomie s’avère plus élevé chez les infirmières travaillant dans un hôpital reconnu comme un magnet hospital (Aiken, Clarke et Sloane, 2000). En dernier lieu, les organisations qui favorisent pleinement la pratique infirmière et encouragent l’autonomie sont des organisations qui appuient une culture de sécurité des patients (Armstrong et Laschinger, 2006).

Cadre conceptuel

Le cadre conceptuel de l’environnement psychosocial de travail optimum a guidé cette étude. Ce cadre conceptuel repose, d’une part, sur le modèle de Kristensen (1999) et, d’autre part, sur les résultats d’une équipe de recherche sur les impacts psychologiques organisationnels et sociaux au travail (Bourbonnais et al., 2000). Le tableau 1 illustre le cadre conceptuel de l’environnement psychosocial de travail optimum et identifie les dimensions et les éléments contribuant au bien-être et à la qualité de vie au travail dans un environnement de pratique infirmière.

Tableau 1

Le cadre de référence pour l’optimisation de la qualité de vie au travail

Le cadre de référence pour l’optimisation de la qualité de vie au travail

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La première dimension est la demande psychologique au travail et elle recouvre trois aspects de la charge de travail : la quantité, la complexité et les contraintes de temps. La demande psychologique au travail correspond à une charge de travail adaptée aux ressources de la personne (Kasarek, 1979). La latitude décisionnelle est la deuxième dimension. Elle englobe deux réalités, soit celle de l’autonomie de compétence et celle se rattachant au pouvoir décisionnel (Kasarek et Theorell, 1990). La latitude décisionnelle permet à l’infirmière d’exercer une pratique professionnelle recouvrant la totalité de son champ d’exercice (Buchan, 1999). En effet, l’infirmière est appuyée par un environnement administratif et clinique qui lui permet de participer au processus de prise de décisions relativement à l’unité ainsi qu’aux décisions organisationnelles. La troisième dimension représente le soutien social au travail qui dérive de deux sources : le soutien de la part des supérieurs et celui venant des collègues (Johnson et Hall, 1988; Karasek et Theorell, 1990). L’aide et la collaboration de la part des superviseurs et des collègues viendraient réduire l’effet de la tension au travail sur la santé.

La quatrième dimension se définit par l’examen de l’écart entre les efforts réalisés et les récompenses attendues (Siegrist, 1996). Les efforts élevés incluent deux composantes, soit l’effort extrinsèque et le surinvestissement. Les facteurs suivants constituent les éléments de l’effort extrinsèque : les contraintes de temps, les interruptions fréquentes, les nombreuses responsabilités, l’augmentation de la charge de travail jusqu’à l’obligation de faire des heures supplémentaires et les efforts physiques nécessaires pour la réalisation du travail. Pour sa part, le surinvestissement traduit les attitudes et les motivations liées à un engagement excessif dans le travail. Les trois sources importantes de récompenses se manifestent, premièrement, sous la forme de revenu monétaire; deuxièmement, par l’estime et le respect au travail, en ce qui concerne l’aspect socio-émotionnel; et, troisièmement, par de bonnes perspectives de promotion et une sécurité de l’emploi (Niedhammer et Siegrist, 1998). La cinquième dimension touche la prévisibilité. Elle se définit comme une faible menace concernant la sécurité d’emploi de la personne, son statut et sa fonction dans l’établissement (Kristensen, 1999). La communication efficace à l’intérieur des organisations permet à l’employé de recevoir les informations pour effectuer son travail et ainsi être en mesure de prévoir l’orientation visée. Le sens au travail représente la sixième dimension, qui s’explique par l’impression qu’une personne a que le travail effectué est important (Kristensen, 1999). La septième dimension est le rapport à la clientèle qui se définit par la charge émotive reliée à la relation d’aide entre le soignant et la clientèle, et la satisfaction de cette clientèle (Viens et al., 2002). La présente étude, basée sur ce cadre de référence, permettra de connaître les dimensions présentes dans l’environnement de travail des nouvelles infirmières francophones diplômées.

But de l’étude

Cette recherche s’inscrit à l’intérieur d’une plus grande étude qui a pour but d’examiner l’intégration des nouvelles infirmières diplômées dans la province du Nouveau-Brunswick. Le présent article s’intéresse plus spécifiquement aux facteurs influençant l’intention de demeurer en poste de la nouvelle infirmière diplômée. La question de recherche est la suivante : Quelle est l’influence des programmes d’intégration et celle de l’environnement de travail sur l’intention de demeurer en poste des nouvelles infirmières diplômées? L’étude se base sur le cadre conceptuel de l’environnement psychosocial (Kristensen, 1999; Bourbonnais et al., 2000). Nous avons ajouté la variable du programme d’intégration à notre question de recherche puisque notre étude s’intéresse à une sous-population d’infirmières (les nouvelles infirmières diplômées) qui ont des besoins uniques. D’après les écrits, les programmes d’intégration influencent le taux de roulement de celles-ci.

Méthode

Cette étude est de type descriptif corrélationnel. La population à l'étude se compose des nouvelles infirmières diplômées francophones du Nouveau-Brunswick. Les variables retenues sont le programme d’intégration, l’environnement de travail et l’intention de demeurer en poste.

La collecte des données

Un questionnaire a été élaboré en collaboration avec l’Association des infirmières et infirmiers du Nouveau-Brunswick (AIINB). Le questionnaire est formé de huit sections avec un total de 74 énoncés. Les sections portent sur les éléments suivants : le statut d’emploi; la période d’orientation; le programme de mentorat; le sentiment d’autonomie; l’environnement de travail; l’intention de demeurer en poste; la formation universitaire reçue; et les données sociodémographiques. Toutes les sections, sauf celles portant sur l’environnement de travail et sur le sentiment d’autonomie, ont été construites par les chercheuses (LeBel, 2006). Trois experts ont procédé à une validation de contenu du questionnaire visant à estimer si les énoncés des questions reflétaient bien les concepts répertoriés. Deux des personnes ont de l’expertise dans la gestion des soins infirmiers et la méthodologie quantitative, et la troisième personne, dans l’élaboration des échelles de mesure. Les commentaires émis par ces juges ont contribué à raffiner le contenu et le questionnaire est jugé pertinent relativement aux variables à l’étude.

Les instruments de mesure

Le programme d’intégration : Le programme d’intégration inclut le programme d’orientation et le mentorat. La section portant sur le programme d’orientation comprend six énoncés : la durée de l’orientation; les éléments présentés et leur niveau d’utilité; l’existence d’une session de suivi; la qualification de la période d’orientation; et la contribution du programme à l’intégration. La section sur le mentorat contient également six énoncés : les quatre premiers énoncés sont de type dichotomique et cherchent à connaître ce qui est présent dans les milieux de travail; l’avant-dernier énoncé demande de préciser la durée de la période de mentorat et le dernier énoncé cherche à connaître ce que le programme a apporté à la nouvelle infirmière diplômée en matière de résultat.

Environnement de travail : Afin de tenir compte de l’environnement de travail et de la pratique professionnelle des infirmières, deux outils sont retenus pour notre recherche : le Practice Environment Scale (PES : Lake, 2002) et l’Empowerment Scale (Menon, 2001). Le PES permet de mesurer des dimensions liées à l’environnement de pratique des infirmières. De plus, les dimensions de l’outil présentent des similitudes avec le cadre de référence retenu pour notre étude. Cet outil est dérivé du NWI (Nursing Work Index) et de données recueillies en 1985-1986 auprès des magnet hospitals (Aiken, Sochalski et Lake, 1997). Le questionnaire sur l’environnement de travail comprend 31 items répartis en cinq sous-échelles : la participation des infirmières dans les dossiers hospitaliers (9 items); la vision des soins infirmiers du personnel infirmier en place (10 items); le leadership et les habiletés de gestion de l’infirmière gestionnaire ainsi que le soutien apporté aux infirmières (5 items); les ressources adéquates et la dotation du personnel (4 items) et les relations collégiales entre infirmières et médecins (3 items). Une échelle de type Likert à quatre niveaux mesure à quel point la personne répondante est d’accord avec l’item, soit de fortement en désaccord (1) à fortement en accord (4). La consistance interne des sous-échelles varie de 0,71 à 0,84 selon les études (Choi, Bakken, Larson, Du et Stone, 2004). Le PES a été utilisé pour les participantes anglophones et la version française du questionnaire a été utilisée pour les participantes francophones. L’étape de traduction inversée du français à l’anglais n’a pas été accomplie au préalable. Cette version est en cours de validation par des chercheurs canadiens.

Parce que le PES ne mesure pas la dimension reliée au sentiment d’autonomie, nous avons utilisé la version française de l’Empowerment Scale (Menon, 2001) portant sur le sentiment d’autonomie. Cet outil comprend neuf items mesurant trois dimensions du sentiment d’autonomie, soit le contrôle perçu (3 items), la compétence perçue (3 items) et l’engagement à l’égard de l’organisation (3 items). L’outil offre un choix de six réponses sur une échelle de type Likert variant de fortement en désaccord à fortement en accord. L’Empowerment Scale fut utilisé dans une étude auprès d’étudiants francophones et anglophones de quatre universités du Québec (Menon, 2001). La traduction suivie de la traduction inversée du français à l’anglais a produit un questionnaire bilingue. L’analyse factorielle fait ressortir la validité de construit des trois sous-échelles : 0,87 pour le contrôle perçu; 0,77 pour la compétence perçue; et 0,86 pour l’engagement à l’égard de l’organisation. La consistance interne des sous-échelles sont les suivantes : contrôle perçu : 0,86; compétence perçue : 0,81 et engagement à l’égard de l’organisation : 0,81 (Menon et Hartmann, 2002).

L’intention de demeurer en poste : La section sur l’intention de demeurer en poste des nouvelles infirmières diplômées (1 énoncé) propose cinq choix de réponses afin de connaître l’intention de la nouvelle infirmière diplômée concernant son emploi pour la prochaine année. Cette échelle est une adaptation d’un instrument de mesure qui a été utilisé auprès des infirmières au Québec (Gagnon et al., 2006). Les choix sont les suivants : je ne quitterai pas, mes plans sont incertains, les chances sont élevées que je quitte mon employeur actuel pour aller dans une autre région au Nouveau-Brunswick, je vais définitivement quitter la province pour une autre province canadienne et, en dernier, je prévois chercher du travail au niveau international. Pour l’analyse des données, un score plus bas sur l’échelle indique que l’infirmière désire demeurer en poste, et, un score plus élevé, l’infirmière va plutôt quitter son emploi.

Variables attributs : Les variables attributs regroupent la section sur le statut d’emploi et la préparation universitaire. La section sur le statut d’emploi cherche à connaître les informations pertinentes liées au statut d’emploi (exemple : type d’emploi, le statut d’emploi actuel) et comporte 12 énoncés. La section sur la préparation universitaire (1 énoncé) permet aux participantes d’indiquer à quel point la formation reçue les prépare à leurs nouveaux rôles et responsabilités en milieu hospitalier. Pour mesurer leur opinion, nous avons utilisé une échelle de type Likert à six niveaux allant de fortement en accord à fortement en désaccord.

Données sociodémographiques : La dernière section concerne les données sociodémographiques et contient huit énoncés à réponse fermée regroupant des éléments d’ordre personnel comme le genre, l’âge et le nombre d’années d’expérience, la langue parlée et écrite, et le lieu de formation, la date de fin du programme d’études et le programme spécifique de baccalauréat.

Échantillon : Le questionnaire a été envoyé au printemps 2005 aux infirmières francophones formées au Nouveau-Brunswick et ayant obtenu leur immatriculation de l’AIINB en 2004. Ces infirmières ont travaillé au sein de la profession infirmière entre 12 et 16 mois. L’AIINB a utilisé sa banque de données afin d’identifier les coordonnées des infirmières diplômées répondant aux critères d’inclusion établis. Ensuite, les questionnaires furent acheminés au domicile de chaque candidate par la poste avec une enveloppe pré-affranchie et pré-adressée demandant le retour dans un délai de trois semaines. Une lettre de rappel fut envoyée au dixième jour suivant l’envoi initial. La lettre d’intention spécifiant les éléments de confidentialité et le respect de l’anonymat était jointe au questionnaire. La décision de la nouvelle infirmière diplômée de remplir le questionnaire fut considérée comme son consentement à participer au projet de recherche. L’approbation du Comité d’éthique de la recherche avec des êtres humains de l’Université de Moncton a été obtenue.

Résultats

La version 13 du programme Statistical Package for Social Sciences (SPSS) a servi aux analyses statistiques. Des analyses de régression et de corrélation de Pearson furent utilisées afin d’établir l’existence de relation entre les variables à l’étude, soit l’intention de demeurer en poste comme variable dépendante et des variables représentant le programme d’intégration et l’environnement de travail comme déterminants de l’intention de demeurer en poste.

Analyse descriptive du questionnaire

Des 276 nouvelles infirmières diplômées répondant aux critères d’inclusion, quatre-vingt-sept infirmières ont retourné le questionnaire, ce qui donne un taux de réponse de 32,0 %. Un peu moins de la moitié des infirmières était diplômées de l’Université de Moncton, tandis que les autres étaient diplômées de l’Université du Nouveau-Brunswick. Le tableau 2 présente les caractéristiques sociodémographiques des participantes. Près de trois quarts des participantes sont d’accord avec le fait que la formation universitaire reçue leur a permis d’assumer les rôles et responsabilités d’une infirmière débutante.

Tableau 2

Profil des caractéristiques sociodémographiques des participantes

Profil des caractéristiques sociodémographiques des participantes

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Quoique la majorité des programmes d’orientation dans les milieux de soins a une durée de 10 jours et plus, il existe néanmoins, plusieurs programmes d’orientation de courte durée. Le taux de participation à une séance de suivi après la période d’orientation est de 38,1 %. Plus de trois quarts des diplômées sont fortement en accord pour dire que la période d’orientation a contribué à favoriser leur intégration au travail, alors qu’un quart d’entre elles sont moyennement en accord. Soixante-neuf pour cent des participantes ont suivi un programme de mentorat offert par l’employeur.

Le tableau 3 résume la moyenne et l’écart type des sous-échelles du sentiment d’autonomie et de l’environnement de travail. La somme des neuf items donne un niveau d’autonomie élevé chez les nouvelles infirmières diplômées, soit 42,36 sur 54. La sous-échelle de la compétence perçue obtient la plus haute somme. En ce qui concerne l’environnement de travail, les sous-échelles de l’importance attribuée à la qualité des soins et les relations collégiales entre infirmières et médecins ont les résultats les plus élevés. Cependant, la sous-échelle de dotation en personnel et ressources adéquates présente le plus bas résultat. Le tableau 4 résume les cinq conditions les plus présentes et les moins présentes dans l’environnement de travail.

Tableau 3

Moyenne, écart type, résultat minimal et maximal du sentiment d’autonomie et l’environnement de travail

Moyenne, écart type, résultat minimal et maximal du sentiment d’autonomie et l’environnement de travail

Résultat minimum et maximum des items= 0-18

Résultat minimum et maximum des items= 0-4

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Tableau 4

Conditions les plus et les moins présentes dans l’environnement de travail

Conditions les plus et les moins présentes dans l’environnement de travail

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Le tableau 5 présente les données relatives à notre variable dépendante, l’intention de demeurer en poste. Un peu plus de la moitié des diplômées ont l’intention de demeurer en poste pour la prochaine année.

Tableau 5

Distribution des réponses concernant l’intention de demeurer en poste

Distribution des réponses concernant l’intention de demeurer en poste

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Test des hypothèses

Notre hypothèse de recherche est mise à l’épreuve par le truchement de deux analyses statistiques : la corrélation et la régression multiple. Nous souhaitons mesurer à quel point l’intention de demeurer en poste est reliée à des variables reflétant les programmes d’intégration (durée de l’orientation et programme de mentorat), le sentiment d’autonomie et l’environnement de travail. Pour les deux variables portant sur les programmes d’intégration, les coefficients de corrélation ne sont pas significatifs. Il en est de même pour les variables attributs, par exemple, le type d’emploi et les facteurs socio-démographiques. Ces variables ne partagent pas de variance avec l’intention de demeurer en poste, donc, elles ne sont pas incluses dans notre analyse de régression. Le tableau 6 présente les corrélations significatives entre l’intention de demeurer en poste et les variables reliées au sentiment d’autonomie et à l’environnement de travail.

Tableau 6

Corrélations significatives entre les variables étudiées

Corrélations significatives entre les variables étudiées

Seuil de signification * < ,05; ** < ,001

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Ce processus d’élimination permet de conserver les variables suivantes pour exécuter une analyse de régression : engagement, participation infirmière, vision des soins infirmiers, leadership et soutien, ainsi que les relations médecins-infirmières. Ces six (6) variables partagent une relation statistiquement significative avec l’intention de demeurer en poste. Puisque ces variables peuvent partager entre elles de la variance commune, il est crucial de savoir lesquelles d’entre elles suffisent à expliquer la majorité de la variance de la variable dépendante. Les résultats de cette analyse de régression (stepwise) se trouvent au tableau 7.

Tableau 7

Récapitulatif du modèle de régression

Récapitulatif du modèle de régression

Seuil de signification * < ,05; ** < ,001

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Ce dernier tableau montre que deux variables (la vision des soins infirmiers du personnel infirmier en place et l’engagement envers l’organisation) permettent d’expliquer 34 % de la variance de l’intention de demeurer en poste. Conséquemment, l’intention de demeurer en poste peut être expliquée d’abord par la sous-échelle correspondant à la vision des soins infirmiers du personnel infirmier en place et ensuite par l’engagement envers l’organisation qu’ont les nouvelles infirmières diplômées. Donc, les diplômées favorisent un environnement de travail dans lequel les soins infirmiers sont basés sur un modèle infirmier plutôt que sur un modèle médical, où il existe une mise à jour des plans de soins et où l’administration s’attend à ce que les soins infirmiers respectent des normes de haute qualité. Également, plus les nouvelles diplômées sont engagées envers leur organisation, moins elles ont l’intention de quitter leur emploi.

Discussion

Les résultats de notre étude indiquent que les nouvelles infirmières diplômées ont un sentiment d’autonomie élevé. Ces jeunes infirmières ont un sentiment d’engagement envers leur employeur et elles perçoivent être en mesure d’influencer les décisions prises dans leur milieu de travail. Ainsi, la possibilité de choisir comment faire son travail, et de contribuer à la prise de décision s’y rattachant, caractérise le pouvoir décisionnel (Kasarek et Theorell, 1990). La latitude décisionnelle est une caractéristique qui se trouve à la base des hôpitaux aimants, car celle-ci permet à l’infirmière d’exercer une pratique professionnelle selon son champ d’exercice (Mayrand-Leclerc, 2002). En effet, l’infirmière y est soutenue par un environnement administratif et clinique qui lui offre l’occasion de participer aux décisions organisationnelles et aux processus de prises de décision à l’intérieur de l’unité de soins. De plus, la possibilité de travailler de façon autonome selon son champ d’exercice est reliée à la satisfaction au travail (Kramer et Schmalenberg, 2003).

Il existe cependant une inconsistance entre les constatations de notre étude et les écrits sur le sujet. Les résultats de plusieurs études mentionnent une faible perception d’autonomie de la part des diplômées (Cho, Laschinger et Wong, 2006; Oermann et Moffitt-Wolf, 1997). Il y a deux raisons qui peuvent expliquer ces différences. En premier, la définition d’une nouvelle infirmière n’est pas consistante dans les écrits et peut aussi influencer les résultats. Dans l’étude canadienne de Cho, Laschinger et Wong (2006), la nouvelle infirmière graduée est une infirmière qui a deux ans ou moins d’expérience, comparée à notre étude, où la nouvelle infirmière graduée a un an ou moins d’expérience. En deuxième lieu, les participantes de notre étude peuvent se sentir autonome dans leur pratique quotidienne sans nécessairement avoir la capacité de pouvoir faire des interventions infirmières autonomes.

Selon le modèle conceptuel de Kramer (1974), c’est durant la période d’intégration que survient le choc du contact avec la réalité. Cette période demande à la nouvelle infirmière diplômée un ajustement continuel, tout en générant plusieurs émotions. Au Nouveau-Brunswick, la mise en place d’un programme de mentorat depuis 2003 peut avoir contribué à augmenter la perception de compétence et d’autonomie chez les nouvelles diplômées de la cohorte 2004. De plus, le préceptorat fait partie du programme de baccalauréat dans les deux programmes de formation en science infirmière dans la province et se situe durant la dernière année du programme qui précède l’obtention du diplôme. Le programme de mentorat dans les milieux de soins ainsi que le programme de préceptorat peuvent avoir contribué à augmenter leur perception d’autonomie. Ainsi, le modelage de rôle incluant le préceptorat et le mentorat pourrait avoir une influence sur la perception qu’elles ont quant à leur compétence. Quelques auteurs ajoutent que ce type de programme a une influence sur l’augmentation de la compétence, la diminution du changement de personnel et l’accroissement de la satisfaction au travail (Decter et Villeneuve, 2001).

Nous n’avons pas trouvé de lien entre la durée du programme d’orientation et l’intention de demeurer en poste. Cependant, plusieurs autres études démontrent un lien positif entre la durée du programme d’orientation et la rétention des nouvelles infirmières diplômées (Gerrish, 2000; Squires, 2002). Nous croyons qu’il peut exister plusieurs raisons pour nos résultats. Parmi ces raisons, nous retenons la possibilité que la qualité du programme d’orientation puisse avoir un effet aussi significatif que la longueur du programme d’orientation dans les milieux de soins. Nous n’avons pas mesuré la qualité du programme d’orientation dans notre étude. Il est difficile de comparer un même type de programme entre les institutions à cause de multiples différences (Connelly et Hoffart, 1998). Une étude récente au Nouveau-Brunswick indique une grande variation dans la durée et le contenu des programmes d’orientation à l’intérieur des milieux de soins (Torpe, 2005).

Nos résultats mettent en lumière le fait que l’intention de demeurer en poste peut être prédite de façon significative par la vision des soins infirmiers du personnel infirmier en place et l’engagement des nouvelles diplômées envers l’organisation. Les résultats de notre étude corroborent ceux des écrits en démontrant l’importance d’un environnement de travail de qualité (Buchan, 1999). Il est primordial pour l’infirmière d’être en mesure de s’occuper de tous les aspects de la santé des patients conformément à la philosophie de sa profession (Baumann et al., 2001b). Cet aspect rejoint le sens au travail attribué par Kristensen (1999) qui précise qu’il est important, pour les travailleurs, d’avoir une certaine influence sur leur environnement de travail. Le cadre conceptuel de l’environnement psychosocial de travail optimum permet de faire un parallèle entre la vision des soins infirmiers du personnel infirmier et la dimension concernant le sens au travail.

Les résultats de l’étude de Gillis et al. (2004) s’avèrent similaires aux nôtres en démontrant l’importance d’un environnement de travail où la contribution de l’infirmière est reconnue pour la qualité des soins et où les gestionnaires encouragent l’autonomie et font preuve de soutien. Dans cette perspective, les résultats d’une étude canadienne récente précisent que le sentiment d’autonomie est fortement relié à l’utilisation d’un modèle de soins infirmiers (Armstrong et Laschinger, 2006). Un environnement n’offrant pas ces caractéristiques peut avoir un effet sur l’épuisement des infirmières et, par conséquent, la sécurité des patients.

Parmi les résultats des analyses descriptives, une des cinq sous-échelles de l’environnement de travail infirmier présente la plus basse moyenne, c’est la sous-échelle correspondant à la dotation en personnel et aux ressources adéquates. D’ailleurs, à la suite des réformes dans le milieu de la santé, plusieurs études soulignent le manque de personnel comme étant un facteur d’influence sur la rétention des infirmiers. Dans cette perspective, Baumann et al. (2001a) ont conduit une étude auprès d’infirmières de deux grands centres universitaires de l’Ontario afin de connaître les conséquences des restructurations en santé. Leurs résultats montrent que l’environnement de travail des infirmières s’est détérioré à cause des charges de travail élevées ainsi que du niveau d’acuité de l’état des clients. Shannon et French (2005) ont fait un résumé des écrits portant sur les impacts des restructurations dans le domaine de la santé. Ces auteures qualifient de condition chronique le manque de personnel de soutien dans les hôpitaux. De même, lors d’un projet de réorganisation du travail d’une unité de soins de longue durée d’un centre hospitalier de courte durée de Québec, Lavoie-Tremblay et Viens (2002) ont décelé les aspects présentant le plus de contraintes pour le travail, soit la demande psychologique reliée à la charge de travail suivi du manque de soutien social au travail.

Les nouvelles diplômées sont en quête d’un milieu de travail répondant à leurs attentes et besoins. Selon d’autres études, par exemple, celle de la Registered Nurses Association of British Columbia (RNABC), un phénomène de migration de l’est vers l’ouest est présent. Gillis et al. (2004) ont conduit une étude auprès des nouvelles diplômées de la St. Francis Xavier University, en Nouvelle-Écosse, ayant entre trois et huit années de service. Les résultats présentent un portrait de la mobilité des participantes dont 98 % sont originaires des provinces atlantiques. Trente-sept pour cent (37 %) d’entre elles travaillent à l’extérieur de la province de la Nouvelle-Écosse, 35 % ont travaillé aux États-Unis, mais seulement 12 % y sont encore au moment de l’étude. Finalement, le Canada atlantique a perdu un tiers de ses diplômées au profit d’autres provinces. Nos résultats semblent tracer un tableau similaire. Dans le contexte actuel de pénurie d’infirmières, il devient urgent d’agir afin de réduire cette mobilité. Grâce à une meilleure connaissance des facteurs influençant la rétention des nouvelles infirmières diplômées, on pourra développer des efforts et des stratégies.

Cette étude comporte plusieurs limites qui influencent la généralisation des résultats. La taille de l’échantillon et la participation volontaire des nouvelles infirmières diplômées ont possiblement influencé les réponses données. En effet, les jeunes infirmières qui sont plus compétentes ont peut-être pris le temps de compléter le sondage. Deuxièmement, les instruments de mesure sont utilisés pour une première fois uniquement auprès des nouvelles infirmières diplômées. L’élaboration de certaines sections du questionnaire par les chercheuses peut également constituer une limite étant donné l’absence de pré-test.

Conclusion

Chaque milieu de travail doit se pencher sur l’environnement de la pratique professionnelle en soins infirmiers, car celui-ci est central au pouvoir de recrutement et de rétention des infirmières dans le milieu. Les approches les plus efficaces sont conçues sur mesure en tenant compte des intervenants, des conditions du milieu et du système de valeurs. Bien que le fait d’accroître le recrutement et de bonifier les avantages sociaux puisse réduire la pénurie de personnel infirmier à court terme, l’amélioration de l’environnement de travail pourrait constituer une stratégie plus efficace à long terme en vue d’augmenter la rétention et de favoriser le recrutement (Gifford, Zammuto, Goodman et Hill, 2002). Pour les infirmières, un milieu de travail qui soutient leur vision des soins infirmiers demeure important. En offrant un environnement de travail stimulant et intéressant ainsi qu’un programme d’intégration adapté aux besoins, les employeurs se donnent des moyens gagnants pour favoriser la rétention des nouvelles infirmières diplômées. Nos résultats apportent des connaissances pour la profession infirmière au Nouveau-Brunswick afin de développer l’ensemble des connaissances visant à créer un environnement de travail qui réduit le roulement du personnel infirmier et plus précisément des nouvelles bachelières diplômées en science infirmière.