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La consommation non appropriée d’anxiolytiques, de sédatifs et d’hypnotiques (ASH) chez les personnes âgées est un problème de santé publique important et constitue l’un des problèmes prioritaires visés par la politique de santé et de bien-être du Québec. La présente analyse veut concourir à l’atteinte de l’objectif visé par le Québec en proposant un cadre conceptuel pour l’étude de la consommation de ces médicaments dans la population âgée.

Selon les données de la Régie de l’assurance-maladie du Québec (RAMQ), en 1992, près de 60 % des personnes âgées de 65 ans et plus avaient au moins une ordonnance de médicaments active (Régie de l’assurance-maladie du Québec, 1992). Les anxiolytiques, sédatifs et hypnotiques (ASH) se retrouvaient au deuxième rang des médicaments consommés et représentaient plus de 20 % de la consommation globale de ce groupe d’âge. En 2000, les statistiques de la RAMQ montraient que 89,8 % des personnes âgées inscrites au régime général d’assurance médicaments avaient fait exécuter au moins une ordonnance durant l’année (Régie de l’assurance-maladie du Québec, 2000). Les anxiolytiques, sédatifs et hypnotiques (ASH) se retrouvaient au quatrième rang des classes thérapeutiques consommées (7,2 %). En 2000, les benzodiazépines comptaient pour 98 % de la consommation totale des ASH, une proportion identique à celle observée en 1992. D’autre part, les données du portrait quotidien recueillies en juin 2000 révèlent que les médicaments du système nerveux central (SNC) représentent la deuxième classe de médicaments la plus fréquemment utilisée (40,5 %) chez les personnes âgées derrière les médicaments du système cardio-vasculaire (49,0 %) (Régie de l’assurance-maladie du Québec, 2001). Dans la classe des médicaments du SNC, la sous-classe des ASH vient au second rang après les analgésiques.

Selon les données de l’enquête Santé Québec réalisée en 1992, près de 17 % des hommes et 27 % des femmes âgés de 65 ans et plus vivant à domicile au Québec ont rapporté avoir consommé des anxiolytiques, sédatifs ou hypnotiques au cours des deux jours précédant l’enquête (Préville et al., 2001). La prévalence annuelle de la consommation de ces médicaments dans cette population serait de 35 % et d’une durée moyenne de 206 jours par an (Préville et al., 2002a). Chez les patients hébergés en centre d’accueil, ce pourcentage varierait entre 60 et 75 % (Hébert, 1986 ; Harrington et al., 1992). Des coûts importants sont reliés à la prise de ces médicaments. En 2000, les coûts relatifs aux benzodiazépines défrayés par le programme de médicaments de la RAMQ se chiffraient à près de 15 millions de dollars (Régie de l’assurance-maladie du Québec, 2001a). Ces chiffres ne tiennent pas compte des coûts reliés aux médicaments dispensés dans les centres hospitaliers et les institutions.

L’effet iatrogène des ASH chez les personnes âgées

Les ASH peuvent avoir un effet iatrogène important. Ils sont reconnus, entre autres, pour leurs effets sédatifs. Ils peuvent paradoxalement induire ou aggraver une maladie psychiatrique. La concentration et la durée d’action de ces médicaments sont augmentées chez les aînés puisque ceux-ci ont une masse musculaire moindre, une augmentation des graisses et une diminution de l’eau corporelle totale (Allard, 1987). Ce phénomène est plus important chez les femmes (Pollock, 1997). Or, les femmes représentent les deux tiers des utilisateurs ayant une ordonnance dont la dose est trop élevée (Régie de l’assurance-maladie du Québec, 1992, 2001). La consommation d’ASH peut occasionner une panoplie d’effets secondaires sur la stabilité, la mémoire et la concentration. La consommation de ces médicaments serait aussi associée à l’hypertension ainsi qu’aux troubles coronariens et rénaux (Gleason et al., 1998 ; Allard, 1987 ; Salzman et Nevis-Olsen, 1992 ; Robitaille et al., 1991 ; Hanlon et al., 1996 ; Thapa et al., 1995 ; Campbell et al., 1995). Les personnes âgées sont également susceptibles de développer une dépendance physiologique et psychologique à ces médicaments (Ettorre et al., 1994 ; Robitaille et al. 1991). Finalement, plusieurs études montrent que ces médicaments sont responsables d’un nombre important d’hospitalisations (Tamblyn et al., 1994 ; Williamson et Chopin, 1980 ; Grymonpre et al., 1988).

Au Québec, plus de 10 % de la population âgée a au moins une ordonnance active caractérisée par un chevauchement thérapeutique, un dosage quotidien trop élevé ou une interaction médicamenteuse pouvant être potentiellement nuisible (Régie de l’assurance-maladie du Québec, 1992). Tamblyn et al. (1994), utilisant les données de la RAMQ, ont estimé que 45,6 % des personnes âgées avaient au moins une prescription à risque élevé durant l’année 1990. Par ailleurs, le risque d’ordonnance potentiellement non appropriée (OPNA) augmente avec l’âge (Mort et Aparasu, 2000). Parmi les médicaments les plus souvent en cause, on retrouve en tête de liste les benzodiazépines (Régie de l’assurance-maladie du Québec, 1992 ; Tamblyn et al., 1994). Selon Préville et al. (2002a), la dose quotidienne moyenne de benzodiazépines consommée par les personnes âgées serait de 5,9 mg d’équivalent diazépam. En outre, près de 70 % des personnes âgées utilisant des benzodiazépines auraient reçu au moins une ordonnance potentiellement non appropriée au cours de l’année ou auraient consommé ces médicaments pour une période supérieure à trois mois. Selon Tamblyn (1996), peu importe le type d’OPNA, le nombre de médicaments consommés est un des meilleurs prédicteurs de la présence d’effets indésirables. Or, selon les données de la RAMQ, parmi les personnes âgées ayant au moins une ordonnance active de médicaments, 62,5 % ont entre deux et quatre ordonnances actives et près de 20 % ont cinq ordonnances actives et plus (Régie de l’assurance-maladie du Québec, 1992).

La consommation d’ASH augmente avec l’avancement en âge (Allard et al., 1995 ; Régie de l’assurance-maladie du Québec, 1992 ; Isacson et al., 1993 ; Taylor et al., 1998). Selon les données de l’enquête de Santé Québec réalisée en 1992, les personnes âgées de plus de 65 ans consomment cinq fois plus de médicaments psychotropes que les individus âgés entre 18 et 64 ans (Préville et al., 2001) et elles sont susceptibles de consommer des psychotropes sur une plus longue période que les individus de moins de 65 ans (Isacson, 1992 ; Egan et al., 2000). La consommation de psychotropes est, par ailleurs, près de deux fois plus élevée chez les femmes âgées que chez les hommes tant au Québec (Allard et al., 1995 ; Préville et al., 2001 ; Régie de l’assurance-maladie du Québec, 1992, 2001) qu’ailleurs (Pollock, 1997 ; Graham et Vidalzeballos, 1998 ; Isacson et al., 1993 ; Salinsky et Doré, 1987 ; Jorm et al., 2000 ; Taylor et al., 1998).Plusieurs chercheurs se sont intéressés aux facteurs qui influencent la consommation des anxiolytiques, sédatifs et hypnotiques des personnes âgées. Cependant, peu d’études ont situé ces facteurs dans un cadre conceptuel général de la consommation de ces médicaments. Notre objectif est donc de présenter une synthèse des résultats de recherche rapportés dans la littérature scientifique portant sur cette problématique et de proposer un cadre conceptuel général de ce comportement de santé.

Le statut de santé des personnes âgées et les ASH

Plusieurs études ont montré que le statut de santé physique était significativement associé à la consommation d’ASH (Allard et al., 1995 ; Weyerer et Dilling, 1991 ; Gleason, et al., 1998 ; Reid et al., 1990 ; Laurier et al., 1992 ; Préville et al. 2001 ; Dealberto et al., 1997 ; Blazer et al., 2000). Selon Préville et ses collaborateurs (2002a), la présence d’un problème de santé chronique serait un des meilleurs prédicteurs de la consommation prolongée d’ASH et de la présence d’une ordonnance potentiellement non appropriée (OPNA).

Tant chez les hommes que chez les femmes, la consommation de ces médicaments est aussi fortement associée à la présence de symptômes de détresse psychologique (Laurier et al., 1992 ; Préville et al., 2001 ; Gustafsson et al., 1996). Les personnes rapportant des symptômes de détresse psychologique auraient aussi un risque plus grand de consommer des ASH de façon prolongée (Dealberto et al., 1997 ; Blazer et al., 2000 ; Taylor et al., 1998). Salinsky et Doré (1987) rapportent que les principales raisons pour lesquelles les personnes consomment des psychotropes sont l’anxiété (66 %), la dépression (53 %) et 60 % des consommateurs mentionnent que ces médicaments avaient été prescrits alors qu’ils traversaient une crise majeure dans leur vie ou lors d’un deuil. Isacson et al. (1993) évaluent, pour leur part, sur la base des données d’une enquête suédoise, que 41 % des prescriptions de psychotropes sont émises pour des troubles du sommeil, 23 % pour des problèmes neurologiques, 20 % pour des problèmes nerveux et 6 % pour d’autres causes psychiatriques. La perception même de son état de santé par le sujet apparaît comme un important prédicteur de cette consommation (Laurier et al., 1992 ; Préville et al., 2001 ; Reid et al., 1990 ; Blazer et al., 2000 ; Paterniti et al., 2002).

Cependant, Préville et al. (2001) ont montré que les personnes âgées en bonne santé utilisaient ces médicaments dans une proportion 7,49 fois plus grande que les individus en santé âgés entre 18 et 64 ans, suggérant ainsi que l’utilisation des ASH n’était pas uniquement déterminée par la présence de symptômes physiques et psychologiques, mais aussi par les caractéristiques psychosociales des sujets.

La consommation d’ASH : un comportement social

Les croyances, valeurs et attitudes des personnes âgées par rapport à la consommation d’ASH seraient des facteurs prédisposants importants. Par exemple, l’usage antérieur de ces médicaments, particulièrement chez les femmes, augmenterait le risque de reproduire le même comportement de consommation lorsque surviennent des difficultés associées à l’âge (Glantz, 1981 ; Cooperstock, 1978). Selon certains chercheurs, ces médicaments se substituent souvent au développement de meilleures habiletés à composer avec les difficultés de la vie et à rechercher des solutions concrètes aux problèmes rencontrés. Cette tendance à utiliser la médication comme un mécanisme compensatoire serait en quelque sorte encouragée par la tolérance de la famille et des amis qui ignorent plus ou moins le comportement abusif (Pérodeau et al., 1992 ; Morse, 1988 ; Glantz, 1981 ; Stewart, 1988). Finalement, le rôle du statut socio-économique des individus sur leur consommation d’ASH n’est pas bien établi. Dans une étude réalisée au Québec, Allard et al. (1995) ont montré une association négative entre le niveau de revenu et d’éducation et la consommation d’ASH chez les personnes âgées, suggérant que les personnes âgées moins fortunées consommaient davantage de ces médicaments. Une autre étude, utilisant les données de Santé Québec, n’a pas permis de mettre en évidence une association significative entre ces variables lorsque l’effet du statut de santé et d’autres facteurs prédisposants étaient contrôlés (Préville et al., 2001). D’autres études supportent l’idée que le statut socio-économique n’est pas associé de façon significative à la consommation de ces médicaments (Dealberto et al., 1997 ; Gustafsson et al., 1996 ; Reid et al., 1990).

Le rôle de l’entourage

Certains chercheurs se sont intéressés au rôle de l’entourage comme facteur pouvant faciliter ou inhiber la consommation d’ASH chez les personnes âgées. Certaines études ont montré que la consommation de médicaments par les autres membres de la famille était un des prédicteurs significatifs de la consommation des individus (Osterweis et al., 1979 ; Cans et Rotily, 1991). Par ailleurs, l’effet du statut marital sur la consommation de ces médicaments est controversé. Les personnes veuves et divorcées semblent avoir une consommation plus élevée que les célibataires (Laurier et al., 1992 ; Jorm et al., 2000). Cans et Rortily (1991) rapportent également que les personnes vivant seules ont plus de chances de consommer ces médicaments. Par contre, d’autres études (Isacson et al., 1993 ; Allard et al., 1995 ; Préville et al., 2001) n’ont pas mis en évidence un effet significatif du statut marital sur la consommation de ces médicaments. L’étude de Allard et al. (1995) suggère que les individus qui consomment des ASH ont de moins bonnes relations avec les membres de leur famille. Selon les résultats de l’étude conduite par Smart et Adalf (1988), le rôle de la famille se traduirait par une diminution de la consommation de ces médicaments chez les personnes âgées, soit parce que la personne âgée reçoit plus de soutien, soit parce que le contrôle exercé par rapport au comportement abusif est plus grand. L’étude de Préville et al. (2001) pour sa part, n’a pas permis de mettre en évidence un effet protecteur significatif de la disponibilité d’un confident, d’un soutien affectif et d’une aide matérielle sur la consommation de ces médicaments lorsque l’effet du statut de santé physique et mentale était d’abord contrôlé.

Le rôle des prescripteurs

Plusieurs chercheurs se sont intéressés à l’association entre les caractéristiques des prescripteurs et la consommation d’ASH chez les personnes âgées. Ces chercheurs suggèrent que les personnes âgées en contact fréquent avec le système de soins auraient plus de chances d’avoir une ordonnance d’ASH. Plusieurs études ont aussi rapporté que la consommation de ces psychotropes variait selon le nombre de visites médicales antérieures des individus (Swartz et al., 1991 ; Gustafsson et al., 1996 ; Blazer et al., 2000 ; Jorm et al., 2000). Selon Tamblyn et al. (1996b), le nombre de médecins et de pharmaciens consultés seraient d’importants prédicteurs du nombre de prescriptions non appropriées. En outre, la consommation antérieure de ces médicaments psychotropes serait un prédicteur important de la présence d’une prescription de psychotropes au cours de l’année qui suit (Ried et al., 1990). Plusieurs chercheurs suggèrent finalement que les médecins ont parfois tendance à prescrire des ASH aux personnes âgées alors que le traitement approprié pourrait être d’une autre nature, mais exigerait plus de temps (Shelowitz, 1987 ; McKim et Mishara, 1987 ; Morse, 1988 ; Hébert, 1991).

Certaines études ont montré que les jeunes médecins étaient de meilleurs prescripteurs que leurs aînés (Haayer, 1982 ; Kern, 1990) et que l’année de graduation des médecins était aussi associée au comportement de prescripteur (Beers et al., 1993). Par ailleurs, les femmes prescriraient moins d’ordonnances non appropriées (Beers et al., 1993). Le type de pratique des médecins serait aussi associé au comportement de prescripteur. Les médecins qui pratiquent un plus grand nombre de jours, voient davantage de patients par jour et offrent un plus grand nombre de services, seraient de plus grands prescripteurs d’ASH (Davidson et al., 1994 ; Beers et al., 1993). Les médecins salariés auraient tendance à moins prescrire que les médecins rémunérés à l’acte (Tamblyn, 1996). Cependant, selon Préville et al. (2002a), les caractéristiques des médecins telles que le sexe, l’âge et l’année d’obtention du diplôme n’influencent pas la consommation d’ASH par les personnes âgées. La région de pratique du médecin et le nombre de visites faites en médecine générale durant l’année seraient cependant associés au comportement d’utilisation.

Pour certains chercheurs, les connaissances et attitudes des médecins par rapport aux problématiques gériatriques seraient associées au comportement de prescripteur. Par exemple, le contact fréquent des médecins avec la clientèle âgée, la compassion pour la souffrance des personnes âgées rencontrées, le désir de répondre à la demande du patient et la difficulté du médecin à reconnaître les changements normaux dans le sommeil reliés à l’avancement en âge seraient associés au comportement de prescripteur (Ferry et al., 1985 ; Schwartz et al., 1989 ; Campbell et al., 1983 ; Folsom et al., 1978). Le processus de légitimation de l’utilisation de ces médicaments par les médecins dépendrait aussi de facteurs socioculturels, en particulier du modèle social de ce qui constitue un comportement de santé « normal » chez les personnes âgées. Par exemple, Linn et Linn (1982) rapportent qu’il existerait une différence significative dans la façon de prescrire des médecins selon l’âge des patients.

Cadre conceptuel de l’utilisation des anxiolytiques, sédatifs et hypnotiques chez les personnes âgées

Les études visant à comprendre le comportement de consommation d’ASH chez les personnes âgées ont jusqu’ici partiellement expliqué les variations de ce comportement de santé. Ce résultat pourrait, en partie, être attribué au fait que la plupart de ces études ne prennent pas en compte l’ensemble des facteurs explicatifs de ce phénomène. En particulier, peu d’études mesurent les attitudes et croyances des personnes âgées face à la santé, aux médicaments et au système de soins. En outre, peu d’études s’intéressent au rôle de l’entourage dans l’adoption et le maintien de ce comportement. Le modèle conceptuel du « illness behavior » (Andersen et Newman, 1981 ; Mechanic, 1978, 1986), peut aider à spécifier adéquatement les hypothèses explicatives de ce comportement de santé et, par conséquent, pourrait être d’une grande utilité lors de la planification d’interventions visant à le modifier.

Dans la perspective théorique du « illness behavior », les individus qui utilisent les services de santé, (tels que les services pharmaceutiques) perçoivent d’abord un besoin, évaluent sa nature, examinent les alternatives et apprécient les coûts et les bénéfices associés à la décision d’utiliser ces services. Selon Mechanic, la perception de ce besoin serait influencée par la présence de symptômes, mais aussi par des facteurs socioculturels. Ce modèle théorique permet de distinguer trois principaux ordres de déterminants de la décision des personnes âgées d’utiliser des ASH : (1) la sévérité perçue des symptômes, qui reflète tant l’évaluation subjective de l’individu ou de sa famille que l’évaluation clinique de la maladie ; (2) les facteurs prédisposants qui recouvrent les caractéristiques sociales, l’histoire de santé ainsi que les attitudes et croyances des individus concernant la maladie, les services médicaux et les professionnels de la santé et (3) les facteurs facilitants/inhibants qui recouvrent les barrières « familiales » à l’accessibilité telles l’opinion des personnes significatives concernant l’utilisation de ces médicaments ainsi que les barrières « communautaires » telles l’accessibilité sociale, économique et géographique. Ce modèle explicatif peut être décrit à l’aide de la figure suivante.

Figure 1

Modèle hypothétique des facteurs affectant l’utilisation des ASH chez les personnes âgées

Modèle hypothétique des facteurs affectant l’utilisation des ASH chez les personnes âgées

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En accord avec cette conceptualisation, la présence d’un problème de santé physique, d’une limitation fonctionnelle et/ou de symptômes de détresse psychologique déterminent la perception d’un besoin lequel constitue la cause la plus immédiate de l’intention et de la décision de consommer des ASH. Outre la sévérité et la persistance des symptômes, les facteurs prédisposants comme les attitudes des répondants et leurs caractéristiques socio-démographiques apparaissent, par ailleurs, comme des facteurs prédisposants pouvant aussi contribuer à la perception de ce besoin. Dans ce modèle explicatif, les caractéristiques du système de soins et des professionnels de la santé apparaissent comme des indicateurs du rôle facilitant ou inhibant que peut jouer le système de soins sur la perception d’un besoin par les personnes âgées et, par conséquent, comme des facteurs pouvant influencer l’utilisation de ces médicaments. Finalement, les caractéristiques de l’entourage apparaissent aussi comme des facteurs contextuels pouvant influencer la perception du besoin des personnes âgées et, par conséquent, leur consommation d’ASH. Comme le suggère ce modèle, ces facteurs peuvent aussi avoir un effet direct sur la consommation d’ASH, indépendant de la perception du besoin de santé.

Discussion

La consommation non appropriée d’ASH chez les personnes âgées est un problème de santé publique important et constitue l’un des problèmes prioritaires visés par la politique de santé et de bien-être du Québec. La présente analyse voulait concourir à l’atteinte de l’objectif visé par le Québec, d’une part, en présentant une synthèse des résultats de recherche rapportés dans la littérature scientifique portant sur cette problématique et, d’autre part, en proposant un cadre conceptuel général de ce comportement de santé.

Pourquoi les personnes âgées en santé consomment plus de benzodiazépines que les sujets de la population générale et pourquoi les femmes consomment plus de benzodiazépines que les hommes même lorsque l’effet du statut de santé est contrôlé ? Jusqu’à présent, peu d’études se sont basées sur un modèle théorique pour répondre à ces questions et pour mettre en évidence le mécanisme d’action de ce comportement social de santé. Nous avons suggéré que le modèle conceptuel du « illness behavior » pouvait aider à spécifier adéquatement les hypothèses explicatives de ce comportement de santé et, par conséquent, pouvait être d’une grande utilité pour le développement d’interventions visant à le modifier.

Pour accroître son utilité, ce modèle conceptuel doit cependant reposer sur des mesures valides de ses concepts. En particulier, sur une mesure valide et fiable de la notion de besoin de santé. Les travaux de recherche entrepris dans cette direction contribueront assurément à une meilleure compréhension de ce comportement de santé. Par ailleurs, comme il s’agit d’un comportement volontaire, il est probable que les attitudes et croyances des personnes âgées concernant la santé, les médicaments et le système de soins en général contribuent de façon significative à l’explication de ce comportement. Or, peu de mesures valides pouvant s’appliquer à la problématique de la consommation d’ASH ont été développées pour évaluer ces attitudes et croyances. Les travaux de recherche conduisant à proposer des mesures valides des différents facteurs touchant les attitudes impliquées dans cette problématique seront aussi d’une grande utilité pour identifier les facteurs modifiables de ce comportement.

Une composante importante de ce modèle concerne les facteurs facilitants-inhibants de l’utilisation d’ASH chez les personnes âgées. La littérature scientifique suggère que les études sur la consommation de ces médicaments omettant de contrôler l’effet de ces facteurs peuvent conduire à une mauvaise évaluation de l’effet des différents facteurs associés à ce comportement. Bien que cette composante du modèle soit difficile à évaluer, les études ayant cette préoccupation ont le potentiel de contribuer à l’identification et la compréhension adéquate des mécanismes d’action des différents facteurs impliqués dans ce comportement et, par conséquent, à l’efficacité des interventions de santé publique qui peuvent être développées.

Ce modèle explicatif constitue une grille générale d’analyse qui permet d’étudier des phénomènes distincts tels : la consommation prolongée d’ASH par les personnes âgées, la fréquence des ordonnances d’ASH potentiellement non appropriées et la consommation d’antidépresseurs. Toutefois, pour être utile, ce modèle explicatif doit être adapté en fonction de la problématique spécifique étudiée. Par exemple, il est probable que les facteurs reliés à la santé et les facteurs individuels prédisposants auront un rôle plus important que les facteurs facilitants/inhibants dans l’explication de la consommation prolongée d’ASH par les personnes âgées alors que les facteurs facilitants/inhibants reliés aux prescripteurs et au système de soins seront plus importants que les facteurs prédisposants et ceux reliés à la santé pour expliquer la prescription non appropriée d’ASH. Par ailleurs, on doit s’attendre à ce que les facteurs explicatifs de la consommation d’antidépresseurs chez les personnes âgées diffèrent de ceux associés à la consommation de benzodiazépines dans cette population.

Ce modèle peut aussi être étendu pour incorporer des mesures d’impact de l’utilisation d’ASH sur des variables d’intérêts d’ordre physiologique (Ex. : concentration de cortisol), psychologique (ex. : symptômes de dépression ou d’anxiété) ou comportemental (ex. : troubles du sommeil). Il peut ainsi contribuer à mieux décrire l’efficacité « effective » de ces médicaments. Ces résultats, lorsqu’ils sont interprétés à la lumière d’un cadre conceptuel tel que celui proposé peuvent être d’une grande utilité pour aider les décideurs à mieux répondre aux besoins de la population âgée. Finalement, ce modèle général peut être utilisé en combinaison avec un devis longitudinal pour étudier les facteurs associés au changement de comportement des personnes âgées. Ce modèle peut être utilisé pour mieux comprendre les facteurs associés au maintien de la consommation d’ASH par les personnes âgées sur une longue période ainsi qu’à la compréhension des facteurs associés à la cessation de cette consommation. La comparaison de ces groupes à travers le cadre conceptuel proposé peut ainsi favoriser le développement de programme de prévention efficace.

Conclusion

Ces pistes de recherche sont des exemples d’application du cadre conceptuel proposé pour mieux comprendre le processus décisionnel individuel et celui qui se joue entre la personne âgée et son environnement. Dans le futur, nous pouvons attendre des retombées pratiques des efforts de recherche consentis pour mieux documenter ces processus, et en particulier, des recherches visant à développer des mesures valides et fiables des différents construits théoriques de ce modèle. Ces retombées seront plus facilement obtenues par la collaboration entre les chercheurs et les cliniciens intéressés par cette problématique. Or, le Québec possède différentes structures de recherche pouvant grandement faciliter ce « réseautage » dont le Réseau de recherche sur le vieillissement, le Réseau de recherche sur l’utilisation des médicaments et le Réseau de recherche en santé mentale et neurosciences.