Corps de l’article

Introduction

Le danseur et chorégraphe franco-malien Ousmane « Babson » Sy[1], aussi connu sous le nom de Baba, prend la direction du Centre chorégraphique national de Rennes et de Bretagne en 2019. Son travail de décolonisation du mouvement et son style l’afro-dance spirit marquent la scène française grâce à la house, « ce style hypnotique hérité du hip-hop, né dans les clubs de Chicago et de New York dans les années 1970[2] ». Sa mort subite, le 26 décembre 2020, lance une série d’hommages élogieux dans la presse qui surviennent dans un contexte tendu et très médiatisé autour de la question de la décolonisation des arts et de la pensée. Quelques jours après sa disparation, Le Figaro publie un entretien avec la chercheuse Isabelle Barbéris intitulé « L’Opéra de Paris formaté par l’idéologie décolonialiste ? ». Condamnant « les idéologies indigéniste, racialiste et “décoloniale” (transférées des campus nord-américains) [qui] y sont bien présentes, nourrissant une haine des “Blancs” et de la France[3] », Barbéris est l’une des cent intellectuel·le·s signataires d’un manifeste publié dans Le Monde en octobre 2020 dont les propos sont symptomatiques d’une ignorance bien française des échecs du postcolonialisme. Ce discours universaliste s’est déjà fait entendre avec notamment Pascal Bruckner[4], Caroline Fourest[5], ou Pierre-André Taguieff[6]. Le manifeste du Monde se situe dans la lignée de l’appel des quatre-vingts intellectuel·le·s paru dans Le Point en 2018 dans lequel on accusait déjà les mouvements décoloniaux de « racialisme, différentialisme, ségrégationnisme[7] ». Alors que la danse se diversifie et se nourrit volontiers de discours, de mouvements et de pensées venus de l’extérieur, ce débat montre une crainte institutionnelle de l’invasion de l’Hexagone par des concepts provenant d’une France non blanche qui regrouperait les cultures postcoloniales postmigratoires[8] telles que les nomment les chercheuses Kathryn Kleppinger et Laura Reeck, qui rassemblent les personnes nées en France de parents originaires d’anciennes colonies françaises. Cette crainte de l’affirmation sur scène des héritiers du colonialisme se révèle, ici, une stratégie d’écart et de déni.

Inspiré par le travail de Lydie Moudileno[9], de Maboula Soumahoro[10] et, surtout, du collectif Décolonisons les arts ![11], cet article cherche à rendre compte du débat idéologique, culturel et politique à l’oeuvre aujourd’hui en France, opposant antiracistes et universalistes. S’il n’est pas nouveau, ce débat montre la résistance française à se défaire encore aujourd’hui d’une construction du corps, de sa mobilité et de son esthétique qui valorise une blanchité eurocentrée – le terme « blanchité » désignant ici non plus la blancheur au sens biologique mais au sens politique, social et culturel dans sa position de domination et de privilège. Cette résistance devient une stratégie permettant d’éviter de repenser les limites de l’universalisme français comme valeur de la République. À l’inverse, cet article plaide pour un travail de décolonisation de la danse à un niveau institutionnel afin d’inclure dans le patrimoine de la France des danses comme la house, héritière méconnue du hip-hop, dont les représentants français tel Babson dominent pourtant à l’international.

Approche transversale

Pour comprendre ce débat, je propose de mettre en dialogue trois domaines de recherche qui, selon moi, coexistent sur et hors scène : l’approche intersectionnelle, les études postcoloniales et les études en danse. Introduite par la militante afroféministe Kimberlé Williams Crenshaw en 1989[12], l’intersectionnalité montre l’importance de ne pas isoler les paramètres de discriminations, et propose de penser la race, la classe et le genre en même temps, afin de montrer la multiplicité des dominations agissant sur un·e même individu·e. Rappelons d’emblée que, depuis mai 2013, le mot « race » est supprimé de la législation française. La République et son système pénal deviennent alors ce que le monde anglo-saxon qualifie de colorblind, c’est-à-dire un État qui ne verrait pas la couleur de peau de ses citoyens et y serait de fait insensible. Cette décision sémantique et symbolique engendre une diminution de l’action publique pour les luttes raciales ainsi qu’un phénomène de partition sociale. Si la race n’existe pas biologiquement, elle existe en tant qu’opérateur social de différenciation. Le retrait du mot de la Constitution est-il pour autant opératoire ? Permet-il de dépasser le racisme et les discriminations basées sur la race ? Interdire les statistiques ethniques semble au contraire renforcer le silence autour d’un système de domination, de discrimination et de représentation encore largement influencé par la notion souveraine de blanchité. Depuis l’introduction de l’intersectionnalité par Crenshaw en 1989, ces trois catégories identitaires (race, classe et genre) se sont complexifiées et enrichies grâce à une compréhension plus élaborée de l’identité, incluant la différentiation entre « cis genre » et « trans genre », ou encore l’importance d’y intégrer la religion et le statut d’immigration d’un·e individu·e, afin de comprendre les structures et les systèmes qui le ou la dominent[13]. La notion de classe, quant à elle, est à présent contestée en France comme « seul outil de lecture permettant de décrypter le système des oppressions[14] ».

L’effritement actuel de l’hégémonie de la classe en France au profit d’une valorisation des questions raciales, religieuses et migratoires témoigne du passage d’une société postcoloniale à un décolonialisme structurel. Les théories postcoloniales questionnent l’héritage culturel laissé par le colonialisme à la fois dans les pays qui ont subi la colonisation française et en France, où sont nées ces cultures postcoloniales post-migratoires mentionnées plus haut. Aujourd’hui, le postcolonialisme se pense également à travers le décolonialisme. « Une décolonisation des arts passe d’abord par la compréhension des phénomènes et des processus d’effacement qui sont à l’oeuvre et qui […] peuvent s’avancer masqués » (DA, p. 123), explique Françoise Vergès. « Décoloniser c’est apprendre à voir de nouveau, de manière transversale, intersectionnelle, à dé-naturaliser le monde où nous évoluons, fabriqué par les êtres humains et les régimes économiques et politiques. » (DA, p. 120) En réaction au mouvement décolonial, le président Emmanuel Macron accuse en juin 2020 le monde universitaire d’avoir « encouragé l’ethnicisation de la question sociale en pensant que c’était un bon filon » et d’avoir ainsi « cass[é] la République en deux[15] ». La question de l’universalisme français en tant que valeur de la République atteint ses limites ici, lorsque « la doctrine républicaine se heurte aux impensés du passé colonial et aux défis du présent postcolonial[16] ».

L’étude de la danse force l’étude de la mise en spectacle des corps et des politiques qui l’animent ; politiques qui, dans le cas de la France, favorisent l’absence de diversité raciale dans le milieu des arts de la scène. Pour répondre à cet effacement, l’association Décolonisons les arts ! s’est formée en 2015 avec pour objectifs « d’identifier les causes des absences, dénis, oublis, et points aveugles dans la représentation des racisé·e·s[17], et dans les formes de narration, de méthodologie ou de formation dans les institutions artistiques et culturelles, au cinéma, au théâtre, dans la danse, la musique, les arts vivants, et les musées » (DA, p. 7). Mettre en dialogue ces trois domaines de recherche permet, dans un premier temps, de présenter la danse house comme intersectionnelle en ce qu’elle désobéit à une hiérarchie chorégraphique bien établie qui renforce toujours plus un fantasme d’uniformité républicaine. L’effritement de ces hiérarchies engendre une série de questions face à la résistance qu’elle rencontre. Que perturbent vraiment les danseurs et danseuses de house lorsqu’ils ou elles se rendent visibles en sortant des clubs ? Que perturbent vraiment les danseurs et danseuses métisses intégrant la scène de l’Opéra de Paris ? Pour reprendre la très belle question de Leïla Cukierman : « Y aurait-il danger à voir figurer “cela”, l’innommé, l’impensé, le refoulé colonial sur les scènes de théâtre ? » (DA, p. 88)

La house, danse intersectionnelle « désobéissante »

Dans son documentaire Une envie de clubbing réalisé en 2019, le danseur et chorégraphe français Meech De France explique les origines de la house et à quoi tient sa richesse stylistique :

[I]l faut parler de l’Afrique, des danses traditionnelles afro-caribéennes qui viennent alimenter la culture house. Dans les années 20 et 40, il y a le blue note, le Lindy Hop. Il y a les danses comme les danses swing qui viennent aussi alimenter les claquettes et l’esprit jazz. Dans les années 50-60, on est plutôt sur une musique freestyle où on a les premières machines qui commencent à arriver. Puis la funk va devenir le rap et le hip-hop, et le disco va donner naissance aux musiques électroniques et à la musique house. Le hip house[18].

Cette généalogie très documentée qu’offre Meech De France permet de mettre en avant à la fois l’étendue des influences de la house et l’éclatement des barrières qu’elle propose entre les différentes écoles de mouvements, encore largement cloisonnées. Les pas de base de la danse house – pas de bourré empruntés au jazz, jacking, loose-legs, etc. – se mêlent à d’autres styles – salsa, samba, afro jazz, capoeira, claquettes. Ce mélange stylistique s’explique également par le fait que la house se danse et se transmet essentiellement en discothèque sur de la musique house et sous forme de battles, qui confrontent les danseurs et les danseuses à un public hautement participatif. « Les boîtes de nuit sont des modèles de communautés progressistes et de véritables lieux d’auto-construction[19] », soutient Meech De France. C’est en cela que la house est profondément intersectionnelle, en étant à l’intersection de plusieurs styles de danse, certes, mais, avant tout, en se positionnant à l’intersection de plusieurs corps, ailleurs marginalisés, et de nombre d’histoires qui les ont forgés.

L’héritage stylistique multiple de la house lui permet de dépasser les discours qui se sont construits autour du hip-hop et des danses de rue, comme le rappelle la chercheuse Felicia McCarren : « Les formes de danse hip-hop sont arrivées en France au début des années 1980 et ont d’abord été reprises dans les communautés de banlieue et d’immigrants, devenant ainsi un lieu de débat sur l’assimilation et le multiculturalisme[20]. » Au cours de la première décennie où il se répand en France, le hip-hop est surtout associé aux caractéristiques sociodémographiques de ses danseurs et danseuses, aux difficultés de leur situation sociale et au langage corporel extrême qu’ils ou elles créent en réponse à leurs conditions de vie, comme si « la marque de l’Afrique [était] gravée dans les corps[21] ». Hip-hop, house, krump, waacking, voguing, autant de danses aux histoires politiques fortes, dont l’esthétique « africaniste », telle que définie par la chercheuse Brenda Dixon Gottschild[22], offre un ensemble de qualités qui proviennent d’un mélange d’éléments communs à de nombreux groupes pourtant différents, provenant de l’Afrique et de ses diasporas : polyrythmie et polycentrisme, équilibre dans l’asymétrie et une prédominance de la satire.

« Comme son nom l’indique la house est une maison qui accueille toutes les communautés. Qui dit accueil de toutes les communautés dit accueil de toutes leurs histoires dans cette même maison[23] », explique Meech De France. Grâce, entre autres, au festival international de danse hip-hop Juste Debout dont la finale se déroule au Palais omnisports de Paris-Bercy depuis 2008, la France semble être devenue une de ces maisons. Créé par le Franco-camerounais Bruce Soné, dit Ykanji, le festival rassemble des dizaines de milliers de spectateurs chaque année. Au cours de sa carrière, Babson a remporté quatre victoires (2003, 2004, 2006, 2012) dans la catégorie house de Juste Debout. Avec lui, MaMSoN, Meech De France, Nadeeya, Toyin ou encore l’Américain Ejoe Wilson, installé à Paris, ont fait de l’Hexagone un territoire intimement lié à la house aujourd’hui. Ils ont mis la France sur la carte mondiale de la danse urbaine. Pourtant, en France, la danse est encore reconnue par les lieux où elle est rendue visible. Un club, la rue, une MJC (Maison des Jeunes et de la Culture) ne sont pas des lieux de diffusion institutionnalisés puisque : premièrement, ils ne sont pas subventionnés par l’État, étant en dehors des scènes conventionnées ; deuxièmement, la rue et les clubs accueillent des corps qui appartiennent à des imaginaires coloniaux sur lesquels l’acceptable et le dominant se sont construits.

Aujourd’hui, les danses afrodescendantes sont présentes sur des scènes nationales subventionnées et explorées par des chorégraphes aux influences multiples. Pour ne citer qu’eux, Bintou Dembele a chorégraphié Les Indes galantes sur le plateau de l’Opéra de Paris en 2019 avec des danseurs de krump, ou encore Danser Casa de Mourad Merzouki avec des acrobates et danseurs de hip-hop. Ce passage de la rue à la scène rencontre des résistances car il désobéit à un ordre géographique et économique bien établi : les danseurs et danseuses racisé·e·s appartiendraient au club, à la banlieue et à la rue, alors que les danseurs et danseuses blanc·he·s appartiendraient à la scène, à la République. La danseuse hip-hop et chorégraphe Sandra Sainte Rose Fanchine rappelle l’importance de ne pas « céder à l’injonction institutionnelle de mélanger ces stylistiques aux danses hégémoniques classiques et contemporaines » (DA, p. 81). Ce besoin de résister à cette injonction a pour but de dépasser l’ordre géographique qui renvoie à un autre ordre : ce n’est que lorsqu’il fusionne avec la danse contemporaine que le hip-hop semble être perçu comme « civilisé, porteur d’abstraction et de sens » (DA, p. 82).

La singularité de Babson se trouve dans sa résistance à adapter sa danse pour la scène traditionnelle. Au contraire, il force à repenser ce que le club et le format des battles produisent et permettent, que la scène empêche. La passivité du spectateur qui consomme les corps dansants interdit l’engagement et la réception active tant physique qu’intellectuelle. Le « faire ensemble » et le participatif semblent réservés à d’autres corps, d’autres espaces, d’autres marges. Dans la house, la danse se fabrique en réponse directe à son public et est motivée par lui. De son côté, la scène n’est pas un espace d’échange, c’est un espace de réception où les regardés sont jugés pour leur excellence. Ainsi, se distancier de la fabrique de la danse, c’est se distancier du labeur, c’est opposer le corps (dansant et exécutant) à l’esprit (fantasmé assez vif pour s’autoriser une passivité corporelle). On ne cherche pas le « lien avec le peuple » (DA, p. 92), on cherche une hiérarchie dans le divertissement : face au danseur et à la danseuse qui produisent grâce à leur corps, il y a l’oeil, l’émotion et l’intellect. Comme si dans le fait d’être un « oeuvrier[24] » se créait une hiérarchisation du spectateur·trice, comme du danseur et de la danseuse et une « sacralisation de certaines formes d’art » (DA, p. 99).

La danse classique, harmonie de quels corps ?

Parallèlement aux transformations qu’apporte la house, la danse classique entre dans le débat de la diversité avec Benjamin Millepied qui a pris la direction de l’Opéra de Paris en 2014. Alors qu’il accueille les premiers·ères danseurs et danseuses racisé·e·s, il rencontre une résistance institutionnelle telle qu’il décide de quitter son poste après seulement deux ans. Selon la direction de l’Opéra et les critiques et chercheur·euse·s signataires des différents manifestes universalistes cités en introduction, la présence sur scène de danseurs et danseuses non-blanc·he·s perturberait l’uniformité fantasmée des corps et « amoindrirait » le prestige du lieu, comme l’explique Barbéris : « Pour promouvoir les danseurs, quelle que soit leur “couleur”, il faudrait commencer par ne pas amoindrir la vision de leur art, ni rabougrir le prestige de l’institution qui les forme et les accueille[25]. » Le choix du mot « accueil » est ici central, car la présence d’un danseur ou d’une danseuse non-blanc·he ne va pas de soi sur le plateau de l’institution tricentenaire. En réponse à cette hostilité raciale, quatre cents salarié·e·s signent en janvier 2021 un manifeste intitulé De la question raciale à l’Opéra national de Paris dénonçant le manque de diversité et le racisme ambiant au sein de l’Opéra. Ils et elles demandent aussi une actualisation de certaines scènes issues du répertoire classique : la « Danse des négrillons » dans La Bayadère (rebaptisée « Danse des enfants » par Millepied), par exemple, ou certaines scènes de Casse-Noisette dans lesquelles les personnages orientalisés sont historiquement dansés par des danseurs et danseuses blanc·he·s à la peau grimée afin de correspondre à une vision orientaliste du personnage non-blanc. Cette demande d’actualisation du répertoire est reçue comme un « appauvrissement du répertoire[26] », une atteinte au patrimoine national.

Ce que révèle l’inquiétude des universalistes dans la présence d’un métissage au sein du corps de ballet classique est la nostalgie évidente de la ballerine romantique, de sa blancheur et de ce qu’elle représente : l’impérialisme français. Lorsque, au xixe siècle, Théophile Gautier écrit que « la première condition qu’on doive exiger d’une danseuse, c’est la beauté », quel corps fantasme-t-il ? Un corps féminin sans aspérité, aux « formes élégantes et correctes[27] », un corps blanc, « gracieux », harmonieux. Sur quel corps est basée cette harmonie ? De quelle uniformité parle-t-on ici ? Perturbé par des ballerines métisses telles Chloé Anaïs Lopes Gomes, Letizia Galloni ou Misty Copeland aux États-Unis (première danseuse étoile afro-américaine du American Ballet Theater), le communautarisme blanc de l’Opéra de Paris ne semble plus être un « péché capital[28] » lorsqu’il favorise l’entre-soi de classe. « La déstructuration des mentalités coloniales revient à déstructurer l’ordre établi et inversement » (DA, p. 97). Ainsi, en reproduisant différents tableaux canoniques de Degas de même que sa sculpture Petite danseuse âgée de quatorze ans, Misty Copeland permet de repenser l’harmonisation raciale comme valeur républicaine du ballet classique. L’universalité du corps blanc est une invention européenne, explique Achille Mbembe : « [L]e Blanc est, à plusieurs égards, une fantaisie de l’imagination européenne que l’Occident s’est efforcé de naturaliser et d’universaliser[29]. »

Conclusion : du discours en mouvement

Dans un texte non publié qui précède L’archéologie du savoir, Michel Foucault écrit : « Nos discours, ce sont toujours d’autres discours, transformés, ils se constituent sur un jeu illimité de discours[30]. » À son insu, le philosophe décrit ici la danse house qui ne limite pas la langue de la connaissance à un seul vocabulaire et discours, mais est le résultat d’une pluralité de genres, d’écoles et de styles. En se formant et en se produisant internationalement, les danseurs et danseuses de house sont exposé·e·s à des lieux et des publics aux attentes, aux pensées et aux histoires tout aussi multiples.

Ousmane Babson Sy a mis un point d’honneur à valoriser les accents de ses danseurs et danseuses, qu’ils soient verbaux ou corporels. Tout comme un accent parlé indique immédiatement le bilinguisme d’une personne, un accent dansé indique également une tradition de mouvements, elle-même faite d’autres accents, et ainsi de suite. Cette généalogie d’accents, de discours, de vocabulaires est ce que cherchait Babson lorsqu’il a fondé Paradox-sal en 2012, une compagnie 100 % féminine qui met en avant la puissance de danseuses spécialisées dans des traditions de mouvements différentes – certaines font du locking, d’autres du waacking, ou encore du popping –, qui se retrouvent pourtant autour d’une langue commune : la house. Le défi du chorégraphe fut de ne pas unifier les chorégraphies, mais d’atteindre un niveau de virtuosité sans effacer les parcours et discours individuels.

Si les institutions résistent, les danseurs et danseuses, pour leur part, sont prêt·e·s à prendre la parole et à mettre en mouvement ces discours hybrides et multiples. Danser est devenu plus politique que jamais, car la danse est un des lieux où résonne aujourd’hui le débat politique, social et culturel pour une vision républicaine à réinventer et à décoloniser.