Résumés
Résumé
Cet article fournit une grille de lecture de la politique monétaire libanaise sur la période récente, à travers les trois principales contraintes auxquelles est confrontée la Banque du Liban : l’endettement public, la dollarisation de l’économie et l’ancrage du taux de change. L’analyse montre que la Banque du Liban est en quelque sorte coincée entre l’enclume du régime de change fixe et le marteau de l’endettement public. Il s’agit d’une situation critique, typique d’une crise financière dite de « première génération ».
Abstract
This paper provides an analytical grid of the Lebanese monetary policy over the recent period, through the three main constraints with which the Bank of Lebanon is confronted: public debt, the dollarization of the economy and the fixed exchange rate. The analysis shows that the Bank of Lebanon is to some extent caught between the devil of the fixed exchange rate and the deep blue sea of public indebtedness. This critical situation is typical of a “first generation” financial crisis.
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Parties annexes
Notes
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Cet article rassemble une partie des réflexions et analyses que j’ai effectuées à la Faculté des sciences économiques de l’Université Saint-Joseph de Beyrouth (USJ) depuis quelques années. Je tiens à remercier mes collègues et étudiants de l’USJ pour leur accueil, leur aide et leurs questions stimulantes, ainsi que les arbitres et l’éditeur de la revue pour leurs remarques constructives. Je suis seul responsable des opinions émises.
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[1]
La base de donnée de la Banque du Liban est diffusée en ligne sur : http://www.bdl.gov.lb/ edata/index.asp. Il faut noter cependant que les périodes de disponibilité des données ne sont pas homogènes (certaines statistiques sont disponibles depuis 1965, en données mensuelles le plus souvent, en données trimestrielles sur certaines sous-périodes, d’autres ne sont disponibles qu’à partir de 1994 ou 1995). Celles de 2004 étaient tout juste disponibles au moment où le travail a été commencé. Sauf mention explicite, les données utilisées dans cet article proviennent de cette source (les détails sont disponibles auprès de l’auteur). Les autres sources de statistiques macroéconomiques régulières sont essentiellement le FMI, l’Economist Intelligence Unit et quelques banques libanaises, en particulier la Banque Audi, http://www.asib.com, mais avec des fréquences moins élevées que celles des sources monétaires et financières. Les statistiques budgétaires et fiscales, à partir de 1998, sont disponibles sur le site du ministère des Finances, http://www.finance.gov.lb/.
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[2]
Il est nommé la première fois en mai 1993, son mandat ayant été renouvelé en 1999 puis en 2005.
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[3]
Ce qui nous intéresse ici n’est pas le problème général de la dette publique et de sa soutenabilité (voir par exemple Ayoub et Raffinot, 2005 pour une étude récente appliquée au Liban), mais plus précisément de montrer ce qui fait de l’endettement public une contrainte sur la politique monétaire.
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[4]
La rencontre dite « de Paris I », en février 2001, était une rencontre préparatoire à la conférence de Paris II de novembre 2002.
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[5]
Les Country Profiles de l’Economist Intelligence Unit (EIU) citent le Fonds monétaire international et la Banque Audi comme sources des données du PIB. Le ministère des Finances donne en ligne les ratios de dette publique brute et nette en proportion de PIB (http://www.finance.gov.lb/Public+Finances/Public+Debt/#), à partir desquels il est facile de reconstituer l’estimation officielle du PIB nominal. Sur la période 1996-2003, la différence est inférieure à 3 %. EIU semble surestimer le PIB jusqu’en 1999, et le sous-estimer par rapport au ministère des Finances depuis 2000. Pour 2004, l’estimation de EIU est inférieure de 13 % à celle du ministère des Finances!
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[6]
Bizarrement, seuls les dépôts du gouvernement auprès de la Banque du Liban et des banques sont pris en compte dans les statistiques officielles de dette publique nette publiées par le ministère des Finances et reprise par le FMI. Comptabiliser en plus la réserve de réévaluation montrerait une augmentation encore plus rapide de l’endettement net du secteur public de 1993 (-12,6 % du PIB) à fin 2002 (172,5 % du PIB), date à partir de laquelle la réserve de réévaluation devient négligeable par rapport à la dette totale (cf. accords de Paris II).
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[7]
Les séries statistiques sont disponibles sur http://www.bdl.gov.lb/edata/index.asp. Le calcul présenté ici rapporte la somme des encaisses (vault cash) et des dépôts auprès de la BDL à l’actif des banques commerciales, à la somme des dépôts du secteur privé résident, du secteur public, des secteurs privé et financier non résidents, au passif des banques commerciales.
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[8]
Il peut en particulier s’agir de l’euro (ou des devises qui l’ont précédé historiquement, surtout le deutschemark) : on rencontre alors de le terme « d’euroïsation ».
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[9]
La dollarisation des actifs et des passifs fait référence aux bilans des agents non financiers. Elle se retrouve, inversée, au bilan des banques, dans la mesure où les banques sont les intermédiaires principaux dans les placements et financements.
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[10]
Ponsot (2003) insiste sur la distinction entre ces deux dimensions de la dollarisation. Son analyse est reprise par Minda (2005).
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[11]
Il s’agit des dépôts en compte courant à vue, comptes d’épargne à vue, dépôts à terme et comptes créditeurs divers.
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[12]
Des enquêtes ponctuelles sont menées. Par exemple, Stix (2001) fournit les résultats d’un sondage sur la détention de billets étrangers, mené depuis 1997 dans cinq pays d’Europe centrale et orientale, sous l’impulsion de la Banque nationale d’Autriche.
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[13]
La Banque centrale européenne s’intéresse au rôle international de l’euro, en particulier à la détention d’euro dans les pays tiers. Voir la Review of the International Role of the Euro et la section consacrée à cette question dans chaque édition (pour l’année 2005 : http://www.ecb.int/pub/pdf/other/euro-international-role2005en.pdf).
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[14]
Committee on Payment and Settlement Systems (CPSS), Payment Systems in Lebanon, publications n° 58 (CPSS 2003) et n° 28 (CPSS 1998), voir http://www.bis.org/publ/cpss58.htm et http://www.bis.org/publ/cpss28.htm.
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[15]
Sur son site, la Banque du Liban ne publie pas la composition de l’encaisse des banques (vault cash).
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[16]
Les données mensuelles sont disponibles en ligne sur le site de la Banque du Liban.
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[17]
Aux dysfonctionnements économiques engendrant une perte de confiance s’ajoutent la contrebande et les trafics internationaux illicites qui approvisionnent le pays en devises étrangères. Cf. Melvin et Ladman (1991).
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[18]
Loi monétaire selon laquelle « la mauvaise monnaie chasse la bonne », attribuée à Sir Thomas Gresham, banquier anglais du XVIe siècle. Voir Mundell (1998) ou Selgin (2003).
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[19]
Les dépôts en compte courant représentaient environ 25 % du total des dépôts des résidents dans les banques commerciales au début des années soixante-dix, contre 8 à 10 % au début des années deux mille. Sur les mêmes périodes, les dépôts à terme sont passés de 35-40 % du total des dépôts des résidents à 87 %.
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[20]
Pour des échéances identiques, pour une banque identique, les risques liés à la liquidité de l’actif ou à la faillite bancaire ne comptent pas.
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[21]
La baisse des taux sur les dépôts en comptes à terme en livres s’est accélérée en 2003, vraisemblablement en raison du succès annoncé de la conférence de Paris II, qui a permis de relâcher la pression sur la livre et d’améliorer les anticipations.
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[22]
Au vu des statistiques reprises dans le graphique 8, on ne peut qu’être très imprécis sur les échéances : le « terme » des dépôts n’est évidemment pas précisé, puisque sous l’appellation « dépôts à terme » sont comptabilisés des dépôts de maturités variables. Pour se donner une idée précise des anticipations de change, il faudrait que le gouvernement émette des bons du Trésor de même échéance dans les deux devises (livre et dollar), ce qui n’est pas le cas à ce jour.
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[23]
Il peut s’agir de coûts monétaires (frais et commissions bancaires) ou non monétaires. Ainsi, la libéralisation peut se traduire tout simplement par une autorisation de ces dépôts en devises étrangères, ce qui revient à considérer que leur coût non monétaire pour les résidents passe d’une valeur infinie (interdiction) à une valeur finie.
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[24]
Baliño et alii (1999) rapportent (note 33, p. 21) qu’aux Philippines, la dollarisation pourrait avoir été encouragée par le fait que le système électronique de paiements interbancaires en dollar était plus efficace que le système en pesos reposant sur la livraison physique des chèques.
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[25]
Il s’agit de stratégies dites orthodoxes, car elles ne reposent pas sur des contrôles administratifs des prix et des salaires. Depuis le début des années quatre-vingt-dix, une stratégie de « ciblage de l’inflation » est choisie par un nombre croissant de pays (Voir Stone et Bhundia, 2004).
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[26]
D’après Eken et Hebling (1999 : 1), une politique de stabilisation fondée sur le taux de change a été décidée à la fin de 1992. Nous reviendrons sur le régime de change dans la troisième partie de cet article.
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[27]
La conférence de Paris II a permis à la Banque du Liban de reconstituer ses réserves de change. Le ratio des réserves de change sur dépôts en devises combine l’évolution heurtée des premières et l’augmentation continue du montant des seconds.
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[28]
Les crises financières qui ont frappé les pays d’Asie du Sud-Est en 1997 et 1998 sont en partie au moins dues à ces différences de maturités et de devises dans les bilans bancaires (cf. Cartapanis, 2004).
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[29]
Un résumé des règles prudentielles se trouve sur le site de l’Association des banques du Liban (http://www.abl.org.lb/). Voir aussi Banque Audi (2004), chapitre 7. Pour l’ensemble des lois relatives à la profession bancaire, publiées en arabe et rarement en anglais ou en français, voir le site de la Banque du Liban (http://www.bdl.gov.lb/circ/index.htm).
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[30]
La classification est maintenant donnée en ligne par le FMI sur : http://www.imf.org/external/ np/mfd/er/index.asp. Au 31 décembre 2004, le Liban fait partie d’un groupe d’une vingtaine de pays notés comme opérant sous un régime de facto différent du régime de jure.
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[31]
En fixant le taux de change à l’intérieur d’une fourchette de 1 500 à 1 515 livres pour 1 dollar US, inférieure à ± 0,5 %, la Banque du Liban remplit plus que largement les conditions d’un régime de change fixe rappelées dans le tableau 2.
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[32]
Les taux sur les dépôts (taux créditeurs) représentent une charge pour les banques, les taux sur les crédits (taux débiteurs) sont un produit, la différence est appelée marge d’intermédiation bancaire : l’activité bancaire est rentable si cette marge est positive.
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[33]
Une éventuelle conférence de Paris III était évoquée dès la conclusion des accords de Paris II. Elle a finalement eu lieu le 25 janvier 2007. Voir le site du ministère des Finances du Liban : http://www.finance.gov.lb/Reports+and+publications/reports+related+to+Paris+III+conference/.
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[34]
La question de la dollarisation officielle a été soulevée surtout pour les pays latino-américains. L’Équateur a dollarisé officiellement son économie en 2000. Pour des revues en français, voir par exemple Quenan (2000), Minda (2005). Une bibliographie complète se trouve sur le site www.dollarization.org.
Bibliographie
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- (http://www.eg.ird.fr/activites/Papier.htm).
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