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Introduction

Jusqu’à récemment, les petites et moyennes entreprises (PME)[1] et les entreprises de tailles intermédiaires (ETI)[2] étaient, en France, largement restreintes au financement bancaire, le financement par appel aux marchés financiers demeurant marginal.

Les explications théoriques à ce phénomène sont bien connues (voir par exemple les modèles sur la recherche et revente d’information de Hirshleifer, 1971; Ramakrishnan et Thakor, 1984 ou Sobel, 1985) et peuvent s’appliquer à la question de l’information disponible sur le demandeur de fonds : partant du principe que l’information disponible sur une entreprise est proportionnelle à sa taille, il est de ce fait plus coûteux d’obtenir une information crédible sur la qualité d’une petite entreprise (sa capacité à engendrer des bénéfices futurs, à rémunérer créanciers et actionnaires), ce qui conduit les apporteurs de fonds à se reporter vers les entreprises de plus grande taille (Holmstrom et Tirole, 1997).

C’est la raison pour laquelle les banques ont un avantage comparatif pour financer les PME. En tant que gérantes des moyens de paiements de l’entreprise, et a fortiori lorsqu’existe une relation de crédit, les banques ont, de fait, une information privilégiée sur la conduite de l’entreprise. De par leur position, elles bénéficient d’un coût plus faible pour observer la qualité de l’entreprise (Diamond, 1984).

Elles disposent donc d’une information profitable – la rente informationnelle. Elles peuvent en profiter de façon privée en octroyant un crédit. Mais elles supportent aussi en ce cas la totalité du risque. Les banques peuvent ainsi souhaiter se débarrasser d’une partie du risque auprès des investisseurs financiers; mais, pour cela, il faut leur reverser une fraction de la rente d’information en contrepartie (Allen et Santomero, 2001).

Or, certaines innovations financières récentes permettent de faciliter ce partage; par exemple, la titrisation de crédit PME au niveau « prêt par prêt » (loan-level), initié par la Banque centrale européenne (BCE) début 2013, ou la mise en place du marché du placement privé (Euro PP), fin 2012 en France. Le placement privé consiste à mettre en relation une entreprise en besoin de financement avec des investisseurs institutionnels apporteurs de financement, par l’entremise d’une banque (l’arrangeur de l’opération). On peut donc lire ces innovations comme des tentatives de faciliter la revente d’information par la banque auprès des investisseurs.

Cependant, ces raisons théoriques ne suffisent pas à expliquer l’intérêt porté à ce type de solution. Face aux réglementations bancaires internationales visant à réduire l’occurrence et l’ampleur des crises bancaires et financières, les banques sont amenées à répondre à des demandes prudentielles strictes en matière de ratios de capital et de ratios de liquidité. On peut considérer que le respect des ratios de capital n’affectera vraisemblablement pas la capacité des banques à financer l’économie[3]. En revanche, les ratios de liquidité imposent aux banques de détenir une grande proportion d’actifs plus liquides, et donc d’octroyer relativement moins de prêts–actifs de long terme et peu liquides–aux entreprises. Dans ce contexte, les banques ont choisi de chercher des voies alternatives au crédit pour financer les PME.

L’objectif de cet article est de montrer que, si le placement privé a bien sa place dans l’éventail des financements destinés aux PME-ETI, son succès dépendra de l’évolution des autres modes de financement, traditionnels ou alternatifs; et que, d’autre part, la conjoncture actuelle et les politiques de soutien au crédit conduisent à douter d’un essor massif et rapide de ce marché.

Dans une première partie, cet article détaille en quoi consiste le placement privé et en dresse un premier bilan. Dans une seconde partie, le placement privé est mis en contraste avec les autres modes de financement. En conclusion, on décrit les perspectives de ce marché.

1. Le placement privé

Le placement privé a déjà fait ses preuves aux États-Unis (sous l’appellation US PP) et en Allemagne (sous l’appellation Schuldschein). En France, il se développe à partir de 2012 à l’initiative des entreprises, des assureurs et des banques, qui cherchent à standardiser ce type d’opération. Pour encadrer le développement de ce nouveau mode de financement, la « Charte relative à l’Euro PP » a été publiée en mars 2014, sous la supervision du gouvernement, par neuf associations représentant les principaux acteurs de la Place de Paris[4].

Nous commençons par décrire le placement privé en indiquant quel intérêt y trouve chaque partie prenante (1.1), avant de préciser ces deux modalités d’application (1.2 et 1.3), puis nous en dressons un premier bilan succinct (1.4).

1.1 Description générale et avantages pour les parties prenantes

En France, le placement privé est d’abord apparu comme une réponse directe à la nouvelle réglementation du NYSE Euronext de juillet 2012, qui rend obligatoire la notation des entreprises voulant se lancer sur le marché obligataire public (dans le cadre d’un Initial Bond Offering). Ainsi, le marché de l’Euro PP s’adresse aux ETI et aux grosses PME n’ayant pas accès au marché obligataire public, à cause d’une absence de notation ou d’une taille insuffisante de financement demandé.

Le fait que les entreprises émettrices sur ce marché ne soient pas notées implique une bonne capacité d’analyse de crédit des investisseurs. C’est dans ce contexte que la présence des banques dans le modèle est importante : les investisseurs non bancaires peuvent ainsi bénéficier du système interne de notation des banques et de leur expertise en analyse financière.

La relation entre les acteurs s’étend pendant toute la durée du placement privé. Avant que la mise en place de l’opération soit analysée et soumise aux comités de décision de la banque et des investisseurs, des séances de due diligence sont organisées : il s’agit de réunions entre le management du groupe et la direction financière de l’emprunteur, la banque arrangeur, et les investisseurs. Ces entretiens préalables peuvent s’étaler sur plusieurs semaines.

Une fois l’opération réalisée et jusqu’à l’échéance, l’emprunteur a l’obligation de transmettre à ses investisseurs des éléments liés à son activité, les données et perspectives financières, ainsi que tout changement interne qui pourra affecter sa capacité de remboursement.

Les investisseurs sont protégés par des clauses financières (financial covenants), à l’instar des clauses de contrat de prêts bancaires standards. En cas de non-respect de certains seuils (par exemple, lorsque le ratio de gearing–dette à moyen et long terme sur capitaux permanents–devient supérieur à 60 %; ou lorsque le ratio actifs courants sur passifs courants est en deçà de 1,1), l’investisseur peut obtenir un remboursement anticipé de la dette. Ces ratios sont calculés semestriellement. En revanche, si par la suite l’émetteur obtient une notation de bonne qualité (investment grade), les clauses ne s’appliquent plus (fall-away covenants).

Ce marché semble donc répondre à une demande. Quels sont les trois principaux avantages du placement privé pour les différentes parties prenantes? 1) Les banques, contraintes par les nouvelles réglementations, arrivent à réduire le risque dans leur bilan, tout en maintenant une relation commerciale avec l’entreprise. 2) Les investisseurs, qui dans un contexte de taux bas sur le marché monétaire, obtiennent de meilleurs rendements. Il s’agit principalement des compagnies d’assurance, qui, dans le cadre de la nouvelle réglementation Solvabilité II, recherchent une diminution de leur exposition en actions. Enfin, comme nous l’avons évoqué, les opérations sont accompagnées de covenants; ces clauses financières visant à rassurer et protéger les investisseurs, autrement dit, pallier le manque d’information sur des entreprises qui ne sont pas nécessairement notées par une agence ou cotées en bourse. 3) Pour les entreprises, outre l’accès à un financement alternatif au crédit bancaire, l’avantage consiste en un effet positif sur son flux de trésorerie. Étant donné que le remboursement de la dette est in fine, il s’ensuit une amélioration des capex (dépenses d’investissement de capital) en limitant les amortissements de dettes sur les exercices à venir. Un autre avantage du marché de l’Euro PP est un effort marketing limité.

Les entreprises, en collaboration avec la banque chargée à l’origine du financement, peuvent choisir entre deux modes d’exécution, en fonction de leurs besoins mais aussi de leurs caractéristiques : le format prêt (loan) ou obligataire.

1.2 Le format loan

Il s’agit d’un placement privé sous forme de prêt, un coinvestissement entre un nombre réduit d’acteurs.

La banque arrangeur, en général une banque d’affaires, a un rôle essentiel de conseil et placement envers les investisseurs (compagnies d’assurance ou de gestion d’actifs souhaitant diversifier leurs placements). Prenons l’exemple des premières associations de ce genre : accord entre l’assureur Axa et la banque Société Générale en juin 2012; puis entre Axa et la banque Crédit Agricole, quelques mois plus tard. Les montants prévus pour le financement restent significatifs, avec des enveloppes unitaires entre 30 et 100 M€. L’investissement d’Axa se fait dans une logique de « buy and hold ». Alors que la banque est sollicitée pour l’origination du prêt et pour les négociations avec le client, Axa représente le souscripteur principal. Cependant l’engagement de l’assureur ne peut pas être supérieur à 80 % du prêt : le solde reste dans le bilan de la banque arrangeur, comme garantie sur la solidité du prêt.

Les entreprises visées doivent répondre à certains critères : chiffre d’affaires consolidé de plus de 250 M€; dette brute consolidée de plus de 150 M€; profil de crédit équivalent à un investment grade (note de crédit allant de AAA à BBB-) ou crossover (note de crédit allant de BBB à BB). Les transactions sont menées sous une confidentialité identique à un contrat bilatéral. Pour cette raison, les informations sur les opérations Euro PP en format loan ne sont pas publiques. Cela peut attirer des entreprises familiales ou coopératives ne souhaitant pas publier leurs comptes.

1.3 Le format obligataire

Pour mieux répondre aux critères d’investissement des compagnies d’assurance[5], le placement privé est plus souvent contracté sous format obligataire, avec des titres qui sont ensuite cotés sur NYSE – Euronext–Paris ou au Luxembourg. L’investisseur ne participe plus à un prêt, mais achète des obligations.

La préférence des investisseurs pour ce format rend le marché plus flexible. Il n’y a pas de contraintes de taille (chiffre d’affaires ou dette brute consolidée) pour les emprunteurs, mais seulement de qualité (profil de crédit équivalent à un investment grade)

En revanche, la cotation des obligations implique des critères plus stricts d’information et de transparence, comme par exemple la publication des comptes consolidés, des informations semestrielles ou même trimestrielles. De plus, la société émettrice a l’obligation de publier un prospectus visé par l’Autorité des marchés financiers.

Ces critères de transparence peuvent s’avérer contraignants pour certains émetteurs (volonté de garder la confidentialité des comptes, difficulté à publier un prospectus). Dans ce contexte, des opérations de placement privé sous format obligataire hors cote se sont développées. Une telle opération bénéficie des mêmes avantages de confidentialité que l’Euro PP en format loan.

1.4 Bilan de la première année

Depuis le placement privé du groupe agroalimentaire Bonduelle en septembre 2012, le marché de l’Euro PP en France monte en puissance. Vu le caractère confidentiel du segment loan du marché, nous analyserons ici les opérations Euro PP obligataires. Sur 2012, ce marché s’élève à 3 Mds€, avec 25 opérations réalisées par les entreprises françaises[6]. La majorité des opérations s’est conclue pour des montants supérieurs à 100 M€.

La maturité pour ce type d’investissement conjoint varie entre 5 et 7 ans. Le prix d’une opération Euro PP obligataire est en général calculé par rapport au taux mid-swap, auquel s’ajoute une marge qui varie entre 1,5 % et 3,85 %[7]. C’est un coût supérieur au taux d’intérêt bancaire, voire même légèrement supérieur au prix du marché obligataire d’entreprise, qui s’explique par le manque de liquidité de l’instrument (logique de « buy and hold » et absence de marché secondaire).

Entre janvier et août 2013, le marché atteint 2,8 Mds€, avec 30 opérations[8]. Cela permet aux entreprises de trouver des financements à des montants inférieurs aux émissions habituelles (avec un minimum observé de 5 M€ pour la société foncière Atland).

Ces éléments plaident en faveur de l’essor du placement privé. Cependant, celui-ci pourra être contrarié par des formes concurrentes de financement nouvellement mises en place.

2. Les autres modes de financement des pme-eti

2.1 Les deux extrêmes : crédit bancaire et marchés financiers (Initial Bond Offering, EnterNext)

Le crédit bancaire demeure la principale ressource des PME recherchant un financement externe (graphique 1). Cette prépondérance doit être lue comme le résultat d’une asymétrie d’information plus forte pour ces entreprises, comme évoqué en introduction. Un prêt classique, privé et non négociable, permet à la banque de s’approprier la totalité de la rente d’information qu’elle a accumulé sur les firmes. Cette production d’information fait du prêt une activité rentable.

Graphique 1

Part des dettes bancaires vs part des obligations dans l’endettement financier des sociétés non financières

(en %)

Part des dettes bancaires vs part des obligations dans l’endettement financier des sociétés non financières

*principalement les dettes intragroupe

Source : Banque de France, Economie et Statistique, La situation des entreprises. (Disponible sur le site : https://www.banque-france.fr/economie-et-statistiques/entreprises/structure-et-performances-des-entreprises/la-situation-des-entreprises-dossier-statistique.html)

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Cependant, sur les marchés des actions ou obligations, la charge de la recherche d’information revient en partie aux investisseurs. Les entreprises peuvent se signaler à eux en prenant à leur charge la production d’un socle conséquent d’informations : documents multiples, audits ou certifications des comptes plusieurs fois par an, etc. La plupart des petites entreprises n’en ont pas les moyens, et sont donc de fait écartées des marchés.

Pour pallier ce problème, l’opérateur boursier de la place de Paris, NYSE-Euronext, a tenté de développer des marchés spécifiques.

Du côté des obligations, l’offre IBO (initial bond offering) est proposée en juillet 2012. Elle permet aux PME-ETI, cotées ou non, d’accéder à l’épargne des particuliers par une offre publique d’obligations cotées dans un cadre standardisé. Le plancher d’émission (5 millions d’euros) est inférieur aux emprunts obligataires classiques. L’IBO se veut une alternative au placement privé des obligations auprès d’investisseurs institutionnels. Cependant, le coût de cette offre est significatif. Le taux d’intérêt de l’emprunt est d’environ 7 % l’an, mais surtout les frais rémunérant la diffusion d’information s’élèvent à environ 5 % du montant de l’émission[9]. Ces frais recouvrent : la sollicitation obligatoire d’une note par une agence de notation[10], les coûts de certification des comptes, de communication financières, etc. Dans ces conditions, on comprend que cette offre reste limitée car elle s’adresse aux plus grandes et aux plus rentables des PME-ETI (seules trois émissions ont vu le jour dans la première année d’existence).

Du côté des actions, il s’agit d’EnterNext, une cote dédiée aux petites valeurs lancée au printemps 2013. À la suite du rapport Rameix-Giami publié fin 2011, gouvernement et régulateur de marché sont sensibilisés à la question du financement des capitaux propres des PME-ETI et constatent l’inaction de NYSE-Euronext dans ce domaine. La création d’EnterNext apparaît donc comme une réponse à ces critiques. La cote consiste à réunir les compartiments d’Euronext déjà dédiés aux petites et moyennes capitalisations[11] avec Alternext, une cote destinée aux PME innovantes et dont les règles d’agrément sont plus souples. Au total, environ 750 entreprises sont cotées. L’objectif affiché est de tripler les introductions en bourse sur ce segment en trois ans[12]. Notons que même si cet objectif était atteint, nous serions encore loin d’épuiser le stock des PME-ETI. De plus des doutes subsistent sur la volonté de NYSE-Euronext de réellement développer ce segment de marché. Il s’agit ici d’un conflit entre la vocation d’une société de bourse privée (donc à but lucratif) et une activité d’utilité commune (le développement des PME-ETI en France). Enfin, le projet n’a prévu aucune disposition forte visant à limiter la difficulté d’accès à l’information, qui est pourtant la raison pour laquelle ce mode de financement reste limité : EnterNext propose certes des services pour augmenter la visibilité des sociétés cotées, mais cela exclut de fait les entreprises n’ayant pas les moyens de rémunérer ces services.

2.2 Les politiques de soutien au crédit (Bpifrance et BEI)

Les organismes publics mettent en place des outils pour faciliter leur accès au crédit à destination des entreprises n’ayant pas accès aux marchés financiers du fait d’une demande informationnelle élevée. Ces politiques ont l’avantage d’avoir un caractère contracyclique.

Ayant l’objectif de simplifier l’offre publique de soutien des entreprises, Bpifrance, banque publique d’investissement fondée par le gouvernement français en 2013, réunit deux pôles : Bpifrance Financement (ex-OSEO) et Bpifrance Investissement (CDC Entreprises, FSI et FSI régions)[13]. Les dispositifs de l’organisme pour faciliter l’accès au crédit des entreprises sont : 1) le cofinancement des investissements PME – ETI en partenariat avec les établissements bancaires : 1,5 Mds€ sur le 1er semestre 2013 pour 1 516 entreprises (en baisse de 11 % par rapport au 1er semestre 2012 à cause d’une faible demande de crédit d’investissement de la part des entreprises[14]); et 2) la garantie des prêts bancaires (à hauteur de 40 % à 70 %) : 2,2 Mds€ sur le 1er semestre 2013 pour 37 591 dossiers[15]. À la suite du rapport Gallois sur la compétitivité, Bpifrance met en place début 2013 un fonds de garantie pour le renforcement de la trésorerie[16] de 500 M€ (dont 146 M€ utilisés sur le 1er semestre 2013).

Au niveau européen, les politiques de soutien au crédit sont menées par la Banque européenne d’investissement (BEI) qui agit en collaboration avec les établissements bancaires, avec un financement à hauteur de 50 % du montant total du prêt. Le montant sollicité par l’entreprise doit être inférieur à 25 M€. L’implication de la BEI dans un projet ne doit pas influencer le processus d’analyse et de décision de financement de l’établissement de crédit. En effet, si la BEI soutient la banque qui octroie le crédit, cette dernière reste seule responsable de l’analyse du risque et de la décision de financement. Le statut de la BEI[17] lui permet d’obtenir des ressources à faible coût, ce qui permet d’offrir des prêts à un taux avantageux.

L’augmentation du capital de la BEI de 10 Mds€[18] permet, au niveau de la France, une augmentation du montant de financement accordé par la BEI de 7 Mds€ (dont 770 M€ utilisé pour le financement des PME) [19], [20] étalé sur trois ans (2013 à 2015[21]) contre 4,3 Mds€ en 2012. Dans cette logique, en 2013, la BEI accorde à Bpifrance une ligne de crédit supplémentaire de 750 M€ pour le financement des PME et des ETI innovantes[22].

2.3 Titrisation de crédit aux PME-ETI

Troisième type d’alternative, la titrisation est avancée comme solution pour le soutien au financement des PME-ETI. Pour les banques, cela donne la possibilité de céder tout ou une partie de leurs créances et réduire ainsi leur besoin en fonds propres.

Il faut cependant éviter les deux écueils de la crise de 2007-2009 : 1) des émetteurs davantage intéressés par le volume et la rentabilité que par la qualité de crédit, puisque le risque était sorti du bilan; et 2) des investisseurs dépendants des agences de notation, car ayant une compréhension limitée du sous-jacent des titres et du risque des actifs.

Avec la perte de confiance des investisseurs, l’émission des produits titrisés sur le marché européen passe de 460 Mds€ en 2006 à 25 Mds€ en 2009, pour atteindre 88 Mds€ en 2010. Le phénomène est accompagné d’un manque de liquidité sur le marché secondaire.

En revanche, l’émission totale ne diminue pas, car les banques gardent les actifs titrisés dans leurs bilans pour les utiliser en tant que garantie à la Banque centrale européenne (BCE) contre opérations de refinancement. Ce fut notamment le cas en 2008 à l’égard des tensions de liquidité sur les marchés[23].

Les crédits titrisés adossés à des prêts PME ont suivi la même tendance. Même si la sous-catégorie présente un taux de défaut faible de 0,23 % (observé en Europe dans la période mi-2007 – fin 2012)[24], elle représente seulement 7 à 16 % des produits titrisés en Europe (période 2001 – 2010)[25]. De plus, une grande partie est retenue par les banques pour les opérations de refinancement de la BCE.

Dans ce contexte, les institutions européennes ont mis en place plusieurs mesures pour relancer la titrisation.

L’article 122a de la directive européenne CRD II stipule que : 1) l’émetteur de produits de titrisation a l’obligation de détenir dans son bilan au moins 5 % de l’enveloppe globale de produits de titrisation (principe dit « skin in the game ») et de tenir les investisseurs informés sur son pourcentage de détention; et 2) l’investisseur a l’obligation d’avoir une compréhension complète de la position de l’instrument de titrisation et du risque des actifs sous-jacents. La mise en pratique de cette obligation n’est cependant pas définie.

Par ailleurs, la BCE a lancé début 2013 l’action ABS loan-level. Il s’agit de l’obligation pour les émetteurs d’ABS (asset backed securities, crédit titrisé) de fournir des informations, dans un format standardisé, sur chaque prêt du portefeuille, en opposition à l’approche globale qui prévalait auparavant. Cette approche prêt-par-prêt, obligatoire pour les instruments mis en garantie à la BCE contre une opération de refinancement, devrait aider et inciter les investisseurs privés à mieux évaluer le risque des ABS.

Au niveau de la banque centrale nationale, la Banque de France est sur le point de lancer un véhicule de titrisation simple et transparent, ayant comme sous-jacent les prêts bancaires aux PME-ETI. Pour gagner la confiance des investisseurs, la Banque de France s’engage à noter ces nouveaux FCT (fonds communs de titrisation). Cette action peut ainsi réduire la dépendance aux agences de notation. De plus, les banques pourraient utiliser les ABS adossés aux prêts aux PME-ETI pour refinancement auprès du marché interbancaire.

Les crédits éligibles doivent concerner des sociétés notées au moins « 4+ » selon la cotation Banque de France. Sur un échantillon de 280 000 entreprises, cela signifie qu’environ 30 % des sociétés pourraient être incluses dans ce nouveau dispositif[26].

Là encore, la réforme du code des assurances devrait faciliter l’accès des compagnies d’assurance aux produits titrisés adossés aux prêts aux entreprises. Cependant, tant que les taux bancaires restent à des niveaux bas, le rendement de ces produits sera sans doute peu intéressant pour ces investisseurs.

2.4 Fonds d’investissement, « business angels », capital-risque

L’appel à l’épargne peut enfin passer soit par le recours à des fonds d’investissements spécialisés en PME-ETI, soit directement par apports de fonds propres ou d’instruments de dette venant de particuliers fortunés (bienfaiteurs ou « business angels ») et/ou d’entreprises (capital-risque).

En matière de fonds d’investissements, ceux-ci ont davantage de moyens et de surface financière pour supporter la prise de risque et les coûts de recherche d’information inhérents aux PME-ETI. Depuis quelques années, des fonds proposés par AXA, Cardif, NOVO ou Rothschild se spécialisent dans l’achat de titres de dettes des PME-ETI. Le total de leurs placements attendrait 1 milliard d’euros, ce qui est significatif[27]. D’autres fonds sont réalisés en partenariat avec une quinzaine d’émetteurs (projets MICADO). En définitive, selon les cas, les taux émetteurs s’étalonnent de 5 à 8 %, et la rentabilité pour les investisseurs est proche de 5 %. Sans doute plus sécurisant pour un ménage que la souscription à une IBO (émission d’obligation d’entreprise), ce type de fonds pourra demeurer une source pérenne de financement. Cependant, puisqu’il s’agit de titres de dettes, les mêmes limites s’appliquent (accès restreint à un faible nombre des plus rentables des PME-ETI). De plus, en cas de retour d’une conjoncture favorable, l’accès retrouvé au crédit bancaire concurrencerait sérieusement ces fonds.

Graphique 2

Position du placement privé dans le financement des PME-ETI

Position du placement privé dans le financement des PME-ETI
Source : Auteurs

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Concernant les particuliers et le capital-risque, il s’agit d’un des rares cas de finance directe à destination des PME-ETI. La prise en charge par les réseaux de business angels de la recherche d’information sur les projets intéressants à sélectionner, puis sur le suivi des entreprises après octroi du financement, ne peut se faire qu’en contrepartie d’une espérance de rémunération très conséquente. Ceux-ci peuvent donc détenir un pourcentage élevé de parts. Toutefois, les individus capables de supporter ce coût de participation au financement[28] ainsi que ce niveau de risque sont, de fait, en nombre limité. Selon Artus (2013), ce segment du financement est le seul qui soit réellement défaillant pour les PME-ETI : en France, le nombre et le montant[29] des projets financés par les business angels restent relativement faibles, au détriment des plus petites PME des secteurs innovants.

Cela explique peut-être l’engouement récent pour le financement participatif (crowdfunding), ou plus massivement, par le fait que de nombreuses grandes entreprises développent des stratégies de financement de startup innovantes qu’elles ne contrôlent pas forcément, parfois en confiant le financement à des fonds ad hoc de capital-risque ou capital-innovation d’entreprise (corporate venture)[30]. Bien que des entrepreneurs comme Charles Beigbeder (Gravitation) ou Xavier Niel (Free) semblent considérer qu’il s’agit d’une stratégie de long terme, cela restera sans doute confiné au secteur, certes primordial, des technologies à la pointe de l’innovation, avec des tours de financements relativement limités, allant de 1 à 10 millions d’euros.

Conclusion

Il est tentant de situer un mode de financement au regard du poids respectif des banques ou des marchés financiers dans sa mise en oeuvre (voir graphique 2). En arrière-plan se situe la question de l’information qu’il est nécessaire d’obtenir pour mettre en place le financement en question. Qui peut le plus peut le moins : si une PME-ETI a suffisamment de moyens d’information pour convaincre des investisseurs anonymes en bourse, elle a, a priori, encore plus de chances de convaincre la banque avec laquelle elle entretient des relations de long terme[31]. Inversement, pour une PME déjà en difficulté de financement auprès des banques, il serait illusoire, ou du moins rarissime, d’espérer recourir aux financements alternatifs.

Qu’en est-il en matière de désintermédiation? Sur EnterNext ou sur le marché obligataire, les asymétries d’informations étant plus fortes en matière de PME-ETI, il est peu probable que des ménages ou des institutionnels investissent directement. L’intermédiation resterait donc forte, qu’elle soit le fait des banques ou des investisseurs institutionnels (Opcvm, assurances-vie, fonds de pension, fonds alternatifs). Concernant la titrisation, les produits restent largement émis par des banques d’affaires, filiales de grands groupes bancaires, et destinés au marché interbancaire ou aux investisseurs institutionnels. Enfin, même s’il est contemporain d’un relatif recul du crédit bancaire aux PME-ETI, le placement privé ne signifie pas, lui non plus, un recul du rôle des banques puisque ce sont elles qui organisent le placement, qu’il s’agisse d’un placement pour compte propre de grands groupes financiers, ou à destination d’un fonds de gestion pour compte de tiers – ce qui constitue alors une double intermédiation. En définitive, si la part du crédit bancaire dans le financement devrait effectivement se stabiliser à un niveau plus faible en comparaison des titres financiers tant que la croissance restera faible, le crédit bancaire restera sans doute la première source de financement aux PME-ETI.

Enfin, le succès du placement privé dépendra in fine de l’intérêt qu’y trouvent les parties prenantes. Du côté des banques, nous avons vu que les nouvelles réglementations bancaires jouent en faveur du placement privé. Cependant, le fait de réduire le risque en partageant le financement peut ne pas suffire à compenser la faible rentabilité de l’opération pour la banque, coincée entre de faibles marges sur le taux du crédit et une obligation de servir une rentabilité élevée à l’assureur partenaire du placement. Du côté des assureurs, la logique de diversification des actifs finira par atteindre une limite, au-delà de laquelle on voit mal ce qui les pousserait à réduire encore davantage la part de leur portefeuille investie dans les placements habituels. Finalement, du point de vue des PME-ETI, ce panorama a montré que les possibilités alternatives de financement, adaptés à la taille et au cycle de vie de l’entreprise, ne sont pas si rares (cf. aussi Pollin, 2013).

Dans le contexte actuel, ce sont plutôt les raisons d’investir qui font défaut, comme le souligne le dernier rapport annuel de la conférence des Nations unies sur le commerce et le développement[32].