Corps de l’article

Introduction

Au Québec, majorité francophone au sein d’une fédération anglophone (McAndrew, 2010), les relations ethniques sont fortement influencées par la valorisation d’une culture commune. Cette vision de la citoyenneté a pour objectif connexe, comme le rappelle Juteau (2015), de supprimer les barrières tracées par l’origine ethnique dans l’espace public. Cette citoyenneté est portée, depuis la Charte de la langue française de 1977 (McAndrew, 2010), par la langue française d’une part et par la laïcité et l’égalité des genres d’autre part. Récemment, cette conception de la citoyenneté a été réitérée par l’adoption de la loi sur la laïcité de l’État de 2019, faisant suite aux travaux de la Commission de consultation sur les pratiques d’accommodement reliées aux différences culturelles de 2007 (Juteau, 2015; Seymour et Gosselin-Tapp, 2020). Ce contexte fait en sorte qu’au sein de la province, comme dans plusieurs sociétés qui accueillent une population immigrante, l’éducation à la sexualité, en raison des idéologies qu’elle porte et de la diversification de la population, est un sujet de division sociale et politique (Halstead, Reiss et Reiss, 2003; Shipley, 2017; Svendsen, 2017). En effet, les croyances, les attitudes et les comportements concernant la sexualité sont influencés par le bagage social, culturel et religieux (Gagnon, 2008) et un décalage dans les cadres de référence peut créer des résistances spécifiques à l’école sur ce thème (Aouli, 2011; Morin, 2022). En 2018, le milieu scolaire québécois a entamé l’implantation d’un nouveau programme d’éducation à la sexualité qui se décline sous forme de contenus obligatoires (MEES, 2018). Ces contenus, planifiés de la maternelle à la cinquième année du cycle secondaire, visent à accompagner les jeunes tout au long de leur développement psychosexuel. Notre article propose une recension exploratoire des écrits scientifiques abordant la place de la diversité culturelle et religieuse au sein de la littérature sur l’éducation à la sexualité à l’école et il offre des recommandations pour bonifier les pratiques existantes.

L’école québécoise et la prise en compte de la diversité culturelle et religieuse

La diversité culturelle et religieuse est une réalité qui s’impose de façon incontournable dans le paysage québécois (McAndrew, Balde, et Groupe de recherche Immigration, équité et scolarisation, 2015b). En 2010, les écoles de la région de Montréal regroupaient 80 % d’élèves issus de l’immigration. La proportion de ce groupe d’élèves est en augmentation depuis plusieurs années partout dans la province (Mc Andrew et al., 2015b; MELS, 2014). Ces enfants, nés à l’étranger ou nés au Québec d’au moins un parent né à l’étranger (Comité de gestion de la taxe scolaire de l’île de Montréal, 2018) forment, avec les enfants des minorités visibles et des minorités religieuses, ce que nous définissons dans cet article comme la diversité culturelle et religieuse, en cohérence avec la définition qu’en fait le Gouvernement du Québec (2008). Par minorités religieuses, nous référons aux groupes identitaires religieux (juifs, musulmans, mormons, etc.) qui, en raison de la Charte des droits et libertés de l’État québécois, reçoivent des traitements différenciés (Brodeur, 2008). Mais, du fait de leur présence historiquement majoritaire au sein de la société québécoise, les groupes catholiques et protestants sont exclus de la définition des minorités religieuses utilisée dans le cadre de cet article. Nous n’incluons pas non plus les peuples autochtones et les peuples des Premières Nations, car nous considérons que ces populations ont des spécificités associées à un contexte historique particulier au Canada. De plus, les écrits scientifiques portant sur ces populations sont différents de ceux s’intéressant aux populations issues de l’immigration.

Pour s’adapter au portrait culturellement diversifié de la population, l’école québécoise, depuis les années 2000, s’est engagée dans un processus continu d’adaptation systémique à la diversité, afin de faciliter l’intégration de ces élèves (McAndrew, Balde et Groupe de recherche Immigration, équité et scolarisation, 2015a; Potvin, Audet et Bilodeau, 2013). Différentes stratégies ont été mises en place, en particulier la création d’un comité consultatif sur l’intégration et les accommodements raisonnables en milieu scolaire en 2007, ayant pour objectif de proposer une stratégie liée à l’intégration des jeunes issus de l’immigration ou de communautés culturelles, religieuses ou linguistiques différentes. Une autre stratégie a consisté, en 2013, à augmenter le financement offert par le ministère de l’Éducation pour le support à long terme aux élèves issus de l’immigration présentant des difficultés. Néanmoins, l’adaptation de l’école québécoise à la diversité culturelle et religieuse de la population scolaire demeure un défi, tant pour trouver une configuration optimale des enseignements liés aux enjeux culturels et religieux destinés aux élèves que pour une intégration effective des élèves aux enseignements.

Éducation à la sexualité et spécificité des jeunes issus de la diversité culturelle et religieuse au Québec

Les jeunes relevant de la diversité culturelle et religieuse, et plus spécifiquement ceux issus de l’immigration, sont en constant dialogue entre les influences de leur société d’origine et celles de leur société d’accueil (Duchesne, 2010), ce qui conduit à ce que leur cadre de référence se façonne de manière dynamique et parfois conflictuelle (Mulatris et Liboy, 2020). Plusieurs auteur·e·s identifient la sexualité, notamment les rôles de genres prescrits et valorisés par la société d’accueil et d’origine, comme étant des dimensions identitaires favorables aux décalages culturels (Al Zaabi, Heffernan, Holroyd et Jackson, 2019; Duffy, Fotinatos, Smith et Burke 2013; Martinez et Phillips, 2008; Meschke et Peter, 2014; Benoit, Rousseau, Ngirumpatse et Lacroix, 2008; Siche, 2016; Vatz Laaroussi, Kanouté, Rachédi, Noël-Gaudreault et Raîche, 2008; Yahyaoui, El Methni, Ben Hadj Lakhdar et Gaultier, 2010). En termes de transformation du cadre de référence lié à la sexualité des jeunes issus de l’immigration au Québec, il y a une oscillation entre le conservatisme moral en matière de sexualité et une attitude plus « libérale », présente au sein de la société d’accueil. Les rôles sexuels, les fréquentations amoureuses occasionnelles, la valorisation de la diversité sexuelle et de genre, l’importance d’une sexualité axée sur le plaisir au détriment d’une sexualité reproductrice sont tous des sujets qui mettent en valeur ces attitudes libérales. Pour les jeunes issus de la diversité culturelle et religieuse, des études rapportent un maintien des croyances présentes dans le pays d’origine concernant la place accordée à l’union libre et à l’égalité des genres au sein du couple (Barragan, 2014; Duchesne, 2010). Cette dynamique entre plusieurs cadres de référence liés à la sexualité peut avoir un impact sur la manière dont ces jeunes reçoivent et intègrent les contenus d’éducation à la sexualité enseignés à l’école.

Cadre théorique

La notion même de diversité culturelle et religieuse implique une relation de pouvoir entre groupes minoritaires et groupe majoritaire, qui fait émerger des inégalités sociales dont les milieux d’enseignement ne sont pas à l’abri (Larochelle-Audet, 2018; Potvin, Audet et Bilodeau 2013). Afin de tenir compte de ce rapport de pouvoir, l’analyse sur laquelle se base cet article a été guidée par le concept de frontières ethniques (Barth, 1969). Dans les sociétés démographiquement influencées par l’immigration, la relation inégalitaire entre groupe majoritaire et groupes minoritaires se traduit par l’instauration et la perpétuation d’une culture sociétale à l’image du groupe majoritaire construite autour d’un nombre limité de traits culturels, revendiqués et attribués comme éléments différenciateurs (Hamel, 2006). Ceux-ci visent à délimiter la « frontière ethnique » entre les membres et les non-membres du groupe, instaurant une dichotomie Nous⁄Eux (Barth, 1969). L’adoption de ces caractéristiques par les personnes minorisées sous une pression à l’assimilation, ou leurs revendications à ne pas les adopter, modulent alors leur capacité à jouer certains rôles dans la société (Barth, 1969; Juteau, 2015). En contexte d’éducation à la sexualité, des auteur·e·s ont identifié la promotion des droits LGBTQ+ et des femmes (Jaunait, Le Renard et Marteu, 2013; Puar, 2007) et des pratiques d’éducation à la sexualité laïques et basées sur des données probantes (Rasmussen, 2017) comme étant des éléments différenciateurs associés à l’Occident. Cette « identité ethnique » se présente dans les discours et les écrits comme étant différente des « autres cultures », associées à une vision de la sexualité archaïque, patriarcale et influencée par la religion. Cette dichotomie (Puar, 2007; Svendsen, 2017) crée une hiérarchie en termes de croyances associées à la sexualité et a pour conséquence d’associer l’éducation à la sexualité de manière exclusive à l’Occident (Svendsen, 2017).

Méthodologie

Cet article, en mobilisant une recension de la littétaure, a pour objectif de brosser un portrait exploratoire de la manière dont les écrits scientifiques abordent la notion de diversité culturelle et religieuse en lien avec l’enseignement de l’éducation à la sexualité à l’école. Ce travail est le premier, à notre connaissance, à offrir une synthèse sur ce thème.

Une revue de la littérature a été effectuée à partir d’une recherche dans les bases de données Sage Journals, JTSOR et Érudit à l’aide des mots clés suivants et de leurs équivalents en français : sexu* education AND cultur* diversity, cultur* based sexu* education et sexu* education AND immigra*. Les parutions des dix dernières années (2010 à 2020) ont permis d’obtenir 797 résultats (99 dans Sage Journal, 69 dans JTSOR et 629 dans Érudit). Sur ces résultats, 25 articles ont été conservés dans une première étape de sélection. Tous les articles abordant les enjeux de l’éducation à la sexualité auprès d’une population scolaire relevant de la diversité culturelle et religieuse comme sujet principal ont été conservés. À la suite d’une lecture approfondie, 17 articles ont été sélectionnés comme corpus final, car ils abordaient ces enjeux pour une population au minimum d’âge scolaire et dans un pays présentant un contexte social en matière d’immigration et de diversité culturelle et religieuse au sein de ses populations scolaires comparables à celle que nous retrouvons au Québec, et ce, afin de faciliter les comparaisons entre contextes nationaux. Ce corpus mobilise des écrits provenant principalement des États-Unis (13), mais aussi de Nouvelle-Zélande (1), du Canada (2) et de Corée (1). L’étude coréenne a été conservée puisque les auteur·e·s brossent un portrait de la problématique comportant plusieurs similitudes avec le contexte québécois (forte augmentation de la proportion de jeunes porteurs et porteuses de plusieurs cultures) et le Canada est utilisé comme référence de comparaison pour leurs résultats.

L’analyse thématique (Paillé et Mucchielli, 2016) a été mobilisée pour traiter les données. Une première étape de codification a été réalisée à la lecture des textes du corpus à l’aide du logiciel d’analyse qualitative NVivo. De cette première lecture ont émergé des thèmes illustrant le propos des auteur·e·s, qui ont ensuite été associés en regroupements thématiques, permettant ainsi de construire une représentation structurée du contenu répondant à l’objectif. Ce processus, qui s’est fait sur la base de la ressemblance et la récurrence des idées et la possibilité d’association des thèmes, s’est déroulé de manière itérative jusqu’à obtention de regroupements thématiques exclusifs et complémentaires entre eux, fournissant un portrait global du corpus.

Résultats

La section qui suit présente les trois catégories conceptuelles ayant émergé de l’analyse et permettant de comprendre comment la diversité culturelle et religieuse est abordée dans les écrits scientifiques en éducation à la sexualité. La première catégorie, celle de la diversité homogénéisée, donne accès au paradigme essentialisant avec lequel les populations relevant de la diversité culturelle et religieuses sont analysées dans une partie du corpus. La deuxième catégorie, celle de la perspective critique permettant l’inclusion au delà de la diversité, recense les recommandations en matière d’inclusion de la diversité culturelle et religieuse en éducation à la sexualité énoncées par les auteur·e·s adoptant un paradigme critique. Finalement, la troisième catégorie traite de la place centrale des éducateurs et éducatrices comme figures de soutien en éducation à la sexualité en contexte de diversité culturelle et religieuse et de l’importance que ceux-ci jouent en éducation à la sexualité.

Une diversité homogénéisée

En portant attention à la manière dont les populations relevant de la diversité culturelle et religieuse sont abordées dans le corpus, on constate que de nombreuses études s’intéressent aux différents groupes ethnoculturels mais de manière indépendante, par exemple les Afro-descendants (Agbemenu, Devido, Terry, Hannan, Kitutu et Doswell, 2018) ou les « latinos » (Baker, Gleason, Naai, Mitchell et Trecker, 2013; Garcia-Reid, Lardier, Reid et Opara, 2020; Golman, Luu, Ricks, Norris et Nguyen, 2021; Griffith, Campbell, Allen, Robinson et Stewart, 2010; Jolly, Archibald et Liehr, 2013; Mwaria, Chen, Coppola, Maurice et Phifer, 2016; Naidoo, Adeagbo et Pleaner, 2019). Les groupes sont identifiés et différenciés sur la base de caractéristiques fixes, laissant sous-entendre qu’il y a une homogénéité au sein du groupe et que les personnes d’un même groupe sont semblables (Mayo, 2011). Est alors étudiée la présence de différences entre le groupe majoritaire et les groupes relevant de la diversité culturelle et religieuse ou encore sont comparés les différents groupes ethnoculturels entre eux. La présence de différences est tenue pour acquise, justifiant ainsi le besoin d’adaptation des programmes d’éducation à la sexualité aux spécificités dites « culturelles » des populations (Baker et al., 2013; Garcia-Reid et al., 2020; Griffith et al., 2010; Jolly, Archibald et Liehr, 2013; Kwon, Kang et Kim, 2021; Mwaria et al., 2016).

L’intérêt pour les caractéristiques « culturelles » s’exprime dans ces articles uniquement en matière de facteurs de risque et de protection associés à la sexualité (Bosma, Orozco, Barriga, Rosas-Lee et Sieving, 2019; Garcia-Reid et al., 2020; Jolly, Archibald et Liehr, 2013; Kwon, Kang et Kim, 2021; Mwaria et al., 2016). Ainsi, les auteur·e·s s’intéressent aux comportements à risque (sexualité non protégée, sexualité en contexte de consommation d’alcool ou de drogue, etc.) ou aux expériences de vulnérabilisation des jeunes relevant de la diversité culturelle et religieuse plutôt qu’à leurs expériences globales ou positives associées à la sexualité. Cet angle d’approche reproduit les stéréotypes à l’égard de la sexualité des groupes minorisés, qui seraient plus à même d’adopter des comportements sexuels à risque (Bosma et al., 2019; Jolly, Archibald et Liehr, 2013; Kwon, Kang et Kim, 2021) que le groupe majoritaire (blanc). Cette approche a le potentiel de participer à maintenir une conception hiérarchique du rapport Eux/Nous (Juteau, 2015; Puar, 2007) en matière de sexualité.

Inclure au-delà de la diversité : perspective critique

Cette section des résultats présente une approche de l’éducation à la sexualité proposant un changement de paradigme par rapport à celle adoptée par les études précédemment présentées. En opposition à la vision statique de la diversité présentée plus haut, cette approche pluraliste et dynamique de la diversité culturelle et religieuse (Banks et Banks, 2012; Latham, Sales, Boyce, Renfro, Wingood, DiClemente et Rose, 2010; Mulatris et Liboy, 2020) distingue une hétérogénéité entre les personnes relevant de la diversité culturelle et religieuse (Latham et al., 2010; Mayo, 2010) et est influencée par une vision intersectionnelle des identités (Crenshaw, 1989). Le concept d’intersectionnalité développé par Crenshaw (1989) permet d’aborder l’identité en considérant ses différentes facettes et en les recentrant dans les processus de pouvoir. Au lieu d’être abordées comme caractéristiques spécifiques de l’identité d’une personne, les expériences vécues par les individus sont considérées comme résultant du croisement de ces facettes selon un positionnement sur divers axes d’oppression.

S’inscrivant dans une vision critique de l’éducation à la sexualité (Jones, 2011), certain·e·s auteur·e·s du corpus proposent d’aborder le programme d’éducation à la sexualité comme un dispositif au service des élèves. Pour eux, les écoles devraient être des milieux où la diversité est reconnue, enseignée (Mayo, 2010; Mulatris et Liboy, 2020) et valorisée (Garcia-Reid et al., 2020), plutôt que des milieux où est imposée une vision normative de la sexualité teintée par l’expérience du groupe majoritaire. Dans cette optique, il est proposé d’impliquer activement les jeunes relevant de la diversité culturelle et religieuse dans la création des programmes d’éducation à la sexualité (Le Grice et Braun, 2018; Mwaria et al., 2016). Cette approche rompt avec la tendance à référer à la diversité culturelle et religieuse en termes de module complémentaire à intégrer en supplément du contenu « générique » (Baker et al., 2013; Le Grice et Braun, 2018). Pour Le Grice et Braun (2018), les programmes d’éducation à la sexualité représentent une occasion de légitimer le cadre de référence des populations relevant de la diversité en matière de sexualité afin de contrecarrer les stéréotypes et les visions négatives concernant leur sexualité (Le Grice et Braun, 2018; Mayo, 2011; Mulatris et Liboy, 2020).

Pour ces auteur·e·s, une manière de renverser la tendance actuelle est d’élaborer des programmes prenant en compte explicitement les aspects politiques (Mayo, 2010) et sociohistoriques (Le Grice et Braun, 2018) de la sexualité, tout en reconnaissant son caractère holistique (Le Grice et Braun, 2018; Mayo, 2011). Cette proposition fait écho à la critique de Mayo (2011) quant à l’orientation individualiste des programmes actuels, qui ne tiennent pas compte des barrières sociostructurelles influençant les comportements sexuels des jeunes. On propose que les programmes tiennent compte des pressions d’assimilation à la culture majoritaire vécues par les jeunes relevant de la diversité culturelle et religieuse ainsi que leur désir de conserver leurs caractéristiques culturelles (Bosma et al., 2019), dites d’origine. Pour Mayo (2011), les programmes d’éducation à la sexualité devraient amener l’ensemble des jeunes à faire des choix répondant à leurs aspirations individuelles et collectives, plutôt que de chercher à « bien agir ». Amener les jeunes à se connecter à leurs croyances en abordant celles-ci lors de l’enseignement des contenus présente le potentiel de leur redonner un pouvoir d’agir en matière de sexualité (Jolly et al., 2013; Le Grice et Braun, 2018; Mayo, 2011).

Dans l’optique de mettre en place une éducation à la sexualité correspondant aux réalités des jeunes relevant de la diversité culturelle et religieuse (Mwaria et al., 2016), Le Grice et Braun (2018) proposent de mettre de l’avant leur sentiment d’appartenance en l’abordant d’un point de vue collectif plutôt qu’individuel. À cet égard, plusieurs auteur·e·s soulignent la pertinence d’impliquer les parents et la famille élargie (Agbemenu et al., 2018; Garcia-Reid et al., 2020; Golman et al., 2021; Kwon, Kang et Kim, 2021) ainsi que les groupes culturels et religieux dans les programmes d’éducation à la sexualité (Golman et al., 2021; Kwon, Kang et Kim, 2021; Latham et al., 2010; Vallerand, Charbonneau, Lavoie et Houzeau, 2016). Il ne s’agit pas simplement de mention dans les contenus, mais d’implication directe des population relevant de la diversité culturelle et religieuse dans l’élaboration et l’implantation des programmes. À cet effet, Golman et al. (2021) proposent que les instances de santé publique mettent les parents au courant de l’ampleur de certaines problématiques associées à la sexualité touchant les jeunes afin de les sensibiliser et les impliquer dans leur résolution. Agbemenu et al. (2018), pour leur part, recommandent de développer le sentiment d’auto-efficacité des parents relevant de la diversité culturelle et religieuse à aborder des sujets relatifs à la sexualité en adaptant les ressources à leurs besoins. La pertinence de ces interventions s’inscrit dans l’importance que la famille et la collectivité ont dans les discussions touchant à la sexualité pour une partie de ces jeunes (Bosma et al., 2019; Gabbidon et Shaw-Ridley, 2019).

Diverses manières de favoriser l’inclusion et la participation des jeunes relevant de la diversité culturelle et religieuse en éducation à la sexualité sont recensées dans le corpus. Des auteur·e·s proposent d’y arriver en faisant concorder les interventions à la diversité de croyances présentes au sein des classes culturellement et religieusement variées (Kwon, Kang et Kim, 2021; Mulatris et Liboy, 2020; Mwaria et al., 2016) ou en adaptant le vocabulaire (Mwaria et al., 2016) et les symboliques des contenus (Baker et al., 2013; Le Grice et Braun, 2018). Pour Mayo (2011), les jeunes devraient se voir offrir des occasions de discuter des enjeux sociaux et politiques touchant la diversité culturelle et religieuse, tels que le racisme sexuel, la diversité sexuelle et de genre ou l’intégration de la spiritualité dans la sexualité. Elle inscrit ces discussions dans un processus démocratique d’inclusion de la diversité et de remise en question des normes traditionnelles (Mayo, 2011). Pour leur part, Gabbidon et Shaw-Ridley (2019) et Mulatris et Liboy (2020) préconisent la reconnaissance, dans les programmes et les pratiques d’éducation à la sexualité, de la présence et de l’influence de certains tabous culturels en matière de sexualité. En effet, certains sujets ne seraient pas nécessairement abordés au sein des milieux familiaux ou communautaires, tels que le spectre des identités sexuelles et de genre ou des pratiques sexuelles (Mulatris et Liboy, 2020).

Lorsqu’il est question de religion plus spécifiquement, deux tendances semblent se dessiner au sein du corpus. D’un côté, l’appartenance religieuse est traitée par certaines auteur·e·s comme une caractéristique implicite à l’appartenance ethnoculturelle (Golman et al., 2021). C’est ce qui amène certain·e·s, comme Griffith et al. (2010), à associer la résistance de certains milieux religieux à aborder des sujets relatifs à la sexualité à la présence de « barrières culturelles » plutôt qu’à la présence de tabous ou d’interdits religieux. Cette manière d’aborder ces questions présente l’éducation à la sexualité comme étant incompatible avec toute notion religieuse et se traduit, en recherche, par un manque de documentation des initiatives d’éducation à la sexualité implantées au sein de milieux religieux, alors que ces initiatives collaboratives en santé publique sont bien documentées (Golman et al., 2021).

D’un autre côté, certains auteur·e·s vont davantage nuancer leurs analyses. Par exemple, pour Vallerand et al. (2016), au-delà de l’appartenance religieuse, c’est le type de pratique et un fort sentiment d’appartenance à une culture confessionnelle qui influence négativement certaines attitudes en matière de sexualité chez les jeunes relevant de la diversité culturelle et religieuse. Cette posture à l’égard de la religion s’accompagne d’une vision de l’éducation à la sexualité prônant des pratiques qui amènent les jeunes à réfléchir de manière critique sur les traditions et les normes (Mayo, 2011), tant d’un point de vue religieux que séculaire, pour leur permettre de comprendre l’influence des concepts moraux en matière de sexualité (Banks et Banks, 2012). La spiritualité faisant partie d’une vision holistique de la sexualité, il est indéniable pour Vallerand et al. (2016) que les effets des discours religieux sur l’ouverture des jeunes en contexte d’intervention doivent être pris en considération pour favoriser l’atteinte des objectifs d’éducation à la sexualité. Dans cette lignée, plusieurs recommandent la création de partenariat avec les milieux religieux (Golman et al., 2021; Griffith et al., 2010), tant dans l’élaboration des programmes que dans leur implantation. Effectivement, certains leaders religieux sont ouverts à s’impliquer en éducation à la sexualité et reconnaissent la pertinence de fonder les interventions sur des données probantes (Golman et al., 2021) et non uniquement sur des notions morales. On sait que le partenariat avec les milieux religieux en éducation à la sexualité facilite l’accès à certaines populations ainsi que l’atteinte des objectifs (Golman et al., 2021). Ces leaders sont bien implantés dans leur communauté (Golman et al., 2021; Griffith et al., 2010) et font office de figures de confiance pour de nombreux parents relevant de la diversité culturelle et religieuse (Griffith et al., 2010). C’est donc pour ces multiples raisons que certain·e·s auteur·e·s, rompant avec une vision « neutre » de l’éducation à la sexualité (Rasmussen, 2017), voient la pertinence d’aborder la spiritualité en éducation à la sexualité (Agbemenu et al., 2018; Banks et Banks, 2012; Griffith et al., 2010).

La place centrale des éducateurs et éducatrices comme figures de soutien en éducation à la sexualité en contexte de diversité culturelle et religieuse

La troisième thématique qui émerge de la recension des écrits concerne la place centrale des éducateurs et éducatrices en éducation à la sexualité en contexte culturellement et religieusement diversifié. Ils et elles représentent une figure de soutien primordiale pour intervenir adéquatement. Il en ressort qu’ils et elles doivent adopter une attitude d’ouverture et de non-jugement au moment d’aborder les sujets d’éducation à la sexualité avec les jeunes relevant de la diversité culturelle et religieuse (Poteat, Calzo, Yoshikawa, Rosenbach, Ceccolini et Marx, 2019). Plusieurs mettent aussi de l’avant la pertinence de développer une sensibilité aux impacts des intersections identitaires des jeunes relevant de la diversité religieuse et culturelle sur leur vécu en matière de sexualité (Kwon, Kang et Kim, 2021; Le Grice et Braun, 2018; Mayo, 2010; Poteat et al., 2019). Des auteur·e·s mettent en garde les éducateurs et éducatrices qui pourraient avoir tendance à imposer leur vision ou leur expérience de la sexualité (Le Grice et Braun, 2018; Mayo, 2010). Ils et elles préconisent plutôt de faire la place à une multiplicité de réalités. Par exemple, ce n’est pas parce qu’un éducateur ou une éducatrice n’a jamais vécu de racisme dans le cadre de ses relations sexuelles ou amoureuses que cette réalité n’existe pas et ne peut pas toucher des jeunes de son groupe.

Les jeunes relevant de la diversité culturelle et religieuse reconnaissent aux éducateurs et éducatrices une crédibilité de source d’information fiable en matière de sexualité (Poteat et al., 2019). Toutefois, ces derniers rapportent un besoin de développer un meilleur sentiment d’auto-efficacité à enseigner l’éducation à la sexualité en contexte de diversité culturelle et religieuse (Garcia-Reid et al., 2020; Mwaria et al., 2016). Ce besoin est à prendre en compte, car les jeunes ont tendance à avoir une plus grande ouverture à discuter de sujets sensibles lorsqu’ils et elles sentent que l’adulte qui les accompagne est outillé∙e pour aborder ces sujets (Poteat et al., 2019).

Poteat et al. (2019) proposent que les éducateurs et éducatrices soient formé∙e∙s à maîtriser les enjeux d’immigration (identité immigrante, processus migratoire, acculturation, barrière linguistique, etc.). D’autres auteur·e·s vont plus loin en soulignant que les discriminations raciales vécues par les jeunes peuvent aussi s’associer à d’autres dimensions de leurs identités (statut socioéconomique, genre, appartenance à une diversité sexuelle, langue, etc.), les mettant ainsi davantage en situation de vulnérabilité (Kwon, Kang et Kim, 2021; Le Grice et Braun, 2018; Mayo, 2010). Par exemple, une jeune lesbienne croyante et pratiquante peut se sentir en situation de vulnérabilité dans sa famille à cause de son orientation sexuelle, et à l’école à cause de sa religion, les deux s’alimentant mutuellement (ex. : « tu n’es pas une lesbienne respectable si tu acceptes les préceptes de ta religion qui persécute les gais et lesbiennes »). Les messages négatifs à leur égard véhiculés à l’école sont d’autant plus problématiques pour ces jeunes que cette dernière devrait encourager l’égalité des chances et être un facteur de soutien plutôt que de mise à l’écart. Les éducateurs et éducatrices ont à cet égard une grande responsabilité. Ils et elles devraient être en mesure de guider les jeunes dans l’acquisition de savoirs pratiques permettant de faire face à ces défis sociaux (Bosma et al., 2019). Ils et elles ont le potentiel de mettre à profit l’intersection des identités à travers des mises en situation révélant cette complexité (conflits de valeurs personnelles; situation conflictuelle avec les parents, etc.), en renforçant l’estime de soi et en renforçant l’acquisition de compétences comme la communication interpersonnelle pour s’affirmer dans le respect.

L’attitude à adopter par les éducateurs et éducatrices pour mettre en place un climat favorable aux apprentissages en éducation à la sexualité en contexte de diversité culturelle et religieuse est également un enjeu important. L’adoption d’une attitude de non-jugement est capitale afin que les jeunes soient en mesure de discuter de sexualité (Jolly et al., 2013). Bien que cette attitude soit à mettre de l’avant dans tout type de milieu (diversifié ou non), en contexte de diversité culturelle et religieuse, cette attitude de non-jugement soulève des enjeux spécifiques. Comme le soulignent Vallerand et al. (2016), les éducateurs et éducatrices ne sont pas exempt∙e∙s de préjugés ou de méconnaissance touchant les populations relevant de la diversité culturelle et religieuse. Pensons notamment aux préjugés assez répandus concernant la prise de risque dans les relations sexuelles chez les « latinos » ou à la surreprésentation de la violence sexuelle chez les Afro-américains. Même si les études ne font pas état de leur présence, il se peut que des préjugés chez les éducateurs et éducatrices concernant la sexualité des jeunes orientent leurs interventions. C’est pourquoi plusieurs auteur·e·s recommandent que chacun∙e réfléchisse de prime abord à ses croyances et à ses normes culturelles concernant la sexualité en intégrant une perspective critique (Kwon, Kang et Kim, 2021; Vallerand et al., 2016), afin de ne pas confondre ses propres besoins avec ceux des élèves (UNESCO, 2018).

Dans certains cas, les difficultés sont parfois incommensurables pour des interventions en contexte de diversité culturelle et religieuse. Par exemple, comment promouvoir les droits de la diversité sexuelle et de genre, tout particulièrement le droit des personnes trans, et demeurer allié∙e des communautés plus conservatrices qui promeuvent les rôles traditionnels entre les genres ? Une perspective critique invite à se distancier à la fois du relativisme culturel et du nationalisme sexuel. Alors que le premier postule que les différences de nature culturelle ne devraient pas être jugées par l’éducateur ou l’éducatrice, le second instrumentalise les droits sexuels pour juger, voire stigmatiser, les différences culturelles. La mise en oeuvre de cette double distanciation reste néanmoins nébuleuse dans la littérature, et exige davantage de recherche sur cette praxis.

Finalement, Poteat et al. (2019) reconnaissent aux éducateurs et éducatrices la responsabilité d’instaurer au préalable un climat de respect et d’ouverture pour aborder les sujets touchant à la diversité culturelle et religieuse en lien avec la sexualité. Un tel climat permet aux jeunes d’exprimer et de partager des opinions, des croyances et des visions du monde variées de manière respectueuse. Pour Vallerand et al. (2016), l’établissement d’un tel climat passe nécessairement par l’évitement des situations où un∙e jeune aurait à se défendre, défendre sa culture ou sa confession religieuse (ce qui est le cas si on associe des communautés ou des groupes à des comportements sexuels pour ensuite les condamner ou les comparer à d’autres groupes). Poteat et al. (2019) ajoutent que l’établissement d’un climat favorable en classe permet non seulement l’adoption de normes prosociales chez les élèves (le respect), mais aussi l’expression des désaccords et l’acceptation de points de vue divergents.

Somme toute, quelques auteur·e·s proposent des pistes concrètes d’intervention afin que les éducateurs et éducatrices adoptent une posture de soutien bienveillante. Cette posture (Gabbidon et Shaw-Ridley, 2019) met l’accent sur l’écoute, afin de favoriser l’aisance des jeunes relevant de la diversité culturelle et religieuse à aborder les sujets sensibles sans craindre les discriminations (Poteat et al., 2019). Pour Poteat et al. (2019), il revient aussi aux éducateurs et éducatrices d’encourager le passage chez les jeunes des paroles aux actes (par exemple la mise en place de groupes de discussion ou d’associations d’élèves s’intéressant aux enjeux associés à différents types de diversité au sein des écoles), l’objectif étant d’amener les jeunes à développer un sentiment d’efficacité personnelle en matière de justice sociale et de lutte contre les discriminations. Des auteur·e·s rapportent que lorsque les jeunes ont l’opportunité de discuter de justice sociale, ils et elles sont plus à même de le faire par la suite avec leurs pairs et devenir des personnes citoyennes sociopolitiquement sensibilisées et impliquées. Les jeunes ont alors l’opportunité de développer ce que Bosma et al. (2019) appellent des savoirs pratiques du quotidien (real life skills and social knowledge), leur permettant de faire face aux discriminations et ainsi mieux vivre en société.

Limites

Cette étude présente deux limites principales au niveau méthodologique. Tout d’abord, la recension d’écrits n’a pas été faite de manière exhaustive. Le portrait émergeant de celle-ci étant le reflet des articles ayant été sélectionnés, il présente une vision limitée aux contextes des études du corpus qui est principalement constitué de textes issus du contexte états-unien (pour 14 sur 17 articles). Bien que les États-Unis soient géographiquement très proches du Québec, les enjeux d’immigration y sont abordés de manière différente. Ensuite, les textes, à l’exception de ceux de Vallerand et al. (2016) et de Mulatris et Liboy (2020), ont été rédigés en anglais. La langue étant un vecteur important de la culture, le fait que les articles soient rédigés dans une langue appartenant à une culture dominante au niveau international peut conduire ce que l’expression de points de vue minoritaires soit limitée.

Conclusion

En conclusion, cette recension de littérature avait pour objectif de brosser un portrait exploratoire de la manière dont les écrits scientifiques sur l’éducation à la sexualité abordent la notion de diversité culturelle et religieuse en lien avec l’enseignement de l’éducation à la sexualité à l’école. Elle permet de mettre de l’avant la nécessité que des réflexions structurelles sur les oppressions soient intégrées aux pratiques d’intervention pour mieux prendre en considération la diversité culturelle et religieuse en éducation à la sexualité.

Penser la diversité culturelle et religieuse en éducation à la sexualité comme étant la norme et implanter des programmes inclusifs auprès de l’ensemble de la population scolaire est une idée prometteuse issue de cette recension des écrits. Le fait d’accorder un rôle actif et prédominant aux jeunes et aux communautés de la diversité culturelle et religieuse dans l’élaboration, l’implantation et l’évaluation des programmes d’éducation à la sexualité semble comporter de nombreux avantages, en particulier leur donner du pouvoir d’agir en matière de sexualité et valoriser leurs connaissances expérientielles. Les contenus et le matériel gagneraient eux aussi à être repensés en considérant la diversité culturelle et religieuse comme la norme. Cette approche, valorisée par les auteur·e·s adoptant une posture critique, a le potentiel de renverser la tendance actuelle, qui est d’aborder la diversité culturelle et religieuse en tant que contenu complémentaire, associant ainsi la normalité au point de vue de l’expérience du groupe majoritaire et participant de ce fait au processus de marginalisation des expériences relevant aussi bien de la diversité culturelle et religieuse que de la diversité sexuelle et de genre (Descheneaux, Pagé, Piazzesi et Pirotte, 2018). De plus, afin de favoriser l’implantation d’un programme inclusif, les éducateurs et éducatrices gagneraient certainement à recevoir une formation basée sur des principes d’inclusion, antioppressive et offerte en collaboration avec les acteurs et actrices relevant de la diversité culturelle et religieuse. Cette mesure aurait le potentiel d’augmenter leur sentiment d’auto-efficacité et leur aisance à aborder les sujets touchant la diversité culturelle et religieuse avec leurs groupes, tout en favorisant un climat d’ouverture et de respect favorisant l’épanouissement de l’ensemble des jeunes.