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Au fil des années, l’Association des archivistes français (AAF) a fait paraître quelques manuels et de nombreuses publications pour aider les archivistes dans leurs différentes tâches. Elle a, par exemple, publié des ouvrages sur les archives privées, les archives d’entreprises, les archives audiovisuelles, les expositions et les déménagements d’archives. L’Association a présenté la première édition de son petit guide sur les archives électroniques en 2014. Elle en offre ici une nouvelle version enrichie et mise à jour. Les auteurs sont trois professionnels chevronnés. Lorène Béchard a été archiviste pendant une douzaine d’années pour le Centre informatique national de l’enseignement supérieur. Elle est, depuis 2022, experte en archivage numérique pour Atos, une multinationale de l’informatique. Lourdes Fuentes Hashimoto est quant à elle archiviste pour le groupe Total où elle a mené plusieurs projets informatiques. De son côté, Édouard Vasseur est professeur à l’École nationale des chartes. Ils ont choisi de procéder à une réédition de l’ouvrage, notamment pour faire état de projets importants concernant les documents numériques et d’une réflexion archivistique qui a mûri. Leur objectif est d’offrir un guide pratique qui peut accompagner les professionnels dans leurs activités quotidiennes.

Le livre se veut une introduction à l’archivage électronique (AE). Il est divisé en trois chapitres, suivis d’une bibliographie sélective et d’un glossaire. La première partie cherche à définir ce qu’est l’AE et à en expliquer les principaux concepts. Selon les auteurs, l’AE correspond à la gestion et à l’organisation de l’information dans le temps quels que soient le support et la finalité des documents. Il ne vise pas uniquement ce qui est d’intérêt historique, mais peut intervenir avec les documents au cours de leur création et de leur utilisation. L’AE est constitué d’un ensemble d’outils, de méthodes et d’actions visant à laisser des traces fiables. Plusieurs types d’applications peuvent être mises en place pour aider à atteindre ces objectifs. Le guide présente les différences entre la gestion électronique des documents, le système de gestion des documents d’activité électronique et le coffre-fort numérique. Des conseils sont également fournis pour comprendre la place du service d’archives dans son organisation et dans la chaîne documentaire. Le manuel inclut quelques indications pour cerner le positionnement de l’informatique dans son institution. L’objectif est alors de cibler les meilleures solutions et de connaître les contraintes qui peuvent affecter les archives. Une courte liste recense ces contraintes qui peuvent être autant juridiques, réglementaires que fonctionnelles. L’archiviste devrait être capable d’évaluer le degré de maturité de l’informatique, notamment en se familiarisant avec des notions comme l’urbanisation et la gouvernance de l’information. Comme plusieurs autres, ces deux termes sont détaillés dans le guide.

Le second chapitre a pour objectif d’aider à définir et à mettre en oeuvre des stratégies d’archivage électronique. Il est d’abord essentiel d’évaluer les spécificités de son environnement en termes de production documentaire. Un tableau est présenté pour aider à en analyser les caractéristiques organisationnelles, techniques et fonctionnelles. Il peut être utile de cartographier les processus et les applications informatiques de son organisme. Le guide détaille diverses méthodologies d’évaluation pour établir les priorités de mise en oeuvre. Une trajectoire doit ensuite être instaurée. L’AE est un projet qui comprend différentes phases faisant toutes l’objet d’une description. Les actions à réaliser, les livrables attendus et les points de vigilance sont expliqués pour chacune des étapes. Le but ultime est d’identifier les archives, de les organiser, d’en définir les règles de gestion et de les conserver de manière appropriée. Plusieurs sujets transversaux susceptibles d’affecter les projets d’AE sont par ailleurs abordés. Il est question des enjeux liés à la protection des données à caractère personnel, à l’accès, à la pérennisation et à la simplification de la vie des services producteurs. Les caractéristiques et problématiques propres aux catégories de fichiers que sont la messagerie électronique, l’image fixe, l’image animée, le son et l’information géographique sont également traitées. Il est en outre expliqué que l’archiviste peut accompagner les services producteurs avec les données qui ne sont pas versées dans un système d’AE. Il devrait minimalement les conseiller à ce propos. Il peut développer une approche de gestion des documents, plus ou moins complexes selon les situations. Il a aussi la possibilité de développer un plan de gestion de données, utile, notamment, dans le cadre de programmes de recherche. Il est en mesure d’accompagner des projets de numérisation, de dématérialisation des processus, de transition vers l’infonuagique ou d’encadrement de pratiques personnelles. Le guide fournit des conseils à suivre pour chacune de ces activités. Il résume en outre une méthode pour auditer des applications en production. Cette analyse peut s’effectuer en quatre étapes comportant chacune des objectifs, une méthodologie et des livrables.

La mise en place et l’exploitation d’un système d’archivage électronique est le sujet du dernier chapitre. Trois phases sont présentées pour définir et cadrer les projets. Il faut d’abord auditer l’existant pour obtenir une bonne connaissance du contexte et des besoins. Cette étape devrait mener à l’établissement des exigences fonctionnelles et de l’architecture du système. Le modèle Système ouvert d’archivage d’information (OAIS) peut aider à délimiter ces dernières. Le guide détaille donc les composantes de cette norme. Divers thèmes aidant à établir les exigences fonctionnelles sont également explorés. Des sections sont ainsi consacrées à la gestion des risques, à la veille sur les formats de fichiers, aux profils d’archivage et aux métadonnées. Ces considérations mènent à la dernière phase du projet. Il s’agit alors d’établir une stratégie de conception du système. Ce dernier peut être établi à l’interne, externalisé ou mutualisé. L’ouvrage présente plusieurs clauses à considérer advenant une externalisation, de même que les facteurs de coût à prendre en compte. La stratégie choisie doit ultimement être formalisée dans un plan d’action. Le livre se termine sur l’exploitation et la gestion d’un système d’AE en production. Il y est question des outils pouvant faciliter ces tâches. Il est impératif d’avoir un plan de continuité et de reprise des activités. Des détails sont par ailleurs fournis pour élaborer un plan de migration des fichiers. Une méthodologie d’examen d’un système en production est finalement donnée.

Le guide de l’AAF constitue une excellente introduction à l’archivage électronique. Le thème est bien défini et expliqué de manière à répondre aux questions des professionnels néophytes. Les principales facettes de l’AE font l’objet de présentations et de conseils qui peuvent effectivement servir d’accompagnement dans le cadre de projets concernant les documents numériques. Plusieurs tableaux facilitent la compréhension et permettent de saisir rapidement les sujets abordés. Des grilles sur la cartographie des applications et l’audit fonctionnel sont inclus au fil du texte. Elles peuvent facilement être réutilisées en contextes réels. L’ouvrage a un caractère pratique. Le propos est succinct et permet de saisir rapidement l’information. Des renvois sont souvent faits vers d’autres outils de l’AAF pour ceux qui voudraient approfondir certains sujets.

Certaines absences sont cependant à regretter dans ce livre. Par exemple, il n’est pas question de la norme ISO 16363, portant sur l’audit et la certification des dépôts numériques fiables, et ce, même si plusieurs pages sont consacrées à l’audit. Les discussions sur la gestion des documents sont autrement assez courtes et peuvent laisser le lecteur sur sa faim. On aurait notamment apprécié quelques conseils sur les enjeux propres aux documents actifs. Il aurait par exemple pu être davantage question de la gestion des versions et des flux de travail. Consacrer quelques phrases à la norme ISO 26122, traitant de l’analyse des processus opérationnels pour les documents, aurait été judicieux. Affirmer que la mise en place d’un système de gestion des documents d’activité électronique est « réservée aux organisations les plus grandes » (p. 51) ne correspond sans doute pas à l’expérience de plusieurs archivistes québécois. La propension des auteurs à utiliser des termes anglais est par ailleurs à déplorer. Cette inclination peut étonner au Québec où l’emploi de la langue de Shakespeare est généralement considéré fautif. Sur les 66 termes du glossaire, une dizaine sont anglais. C’est le cas même si plusieurs d’entre eux font l’objet de traductions disponibles sur le site FranceTerme du ministère de la Culture. Ces recommandations ont été publiées au Journal officiel de la République. Il est difficile de comprendre pourquoi elles ne sont pas utilisées. Les auteurs expliquent que l’expression « système de gestion des documents d’activité électronique » est préconisée par l’Association française de normalisation (p. 11), mais préfèrent tout de même electronic records management system ailleurs dans le texte (p. 39 et 51). L’utilisation de l’anglais nuit parfois à la compréhension. C’est entre autres le cas des expressions « investissement au/to réalisation » et « exploitation au/to production » aux pages 78-79. On notera enfin que certaines définitions du glossaire gagneraient à être améliorées. La description de e-discovery est inadéquate, même d’un point de vue français. On nous dit que ce concept est états-unien, alors qu’il est largement employé dans d’autres États où la common law a cours, y compris le gouvernement fédéral et plusieurs provinces du Canada. Il correspond à un processus qui a fait l’objet de traductions et de plusieurs rapports en français, entre autres par le Groupe de travail No 7 de Sedona Canada. Les archivistes de la Belle Province devraient se référer à ce type d’initiatives plutôt que de se limiter au manuel de l’AAF.

Malgré ces quelques petites lacunes, Les archives électroniques : deuxième édition, enrichie et mise à jour demeure un très bon guide pour débuter des formations, des réflexions ou des projets sur les archives numériques. Il est un outil de référence qui peut constituer une base pour mener des activités concernant les documents électroniques. S’agissant d’un ouvrage produit par l’AAF à l’intention de ses membres, il n’a pas pour vocation de servir les archivistes d’autres pays. Les professionnels du Québec pourront l’exploiter avec profit, mais devraient l’utiliser en concomitance avec d’autres outils plus adaptés au contexte d’ici et aux besoins particuliers de chacun.