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Introduction

La gestion des archives a radicalement changé depuis un certain temps déjà, les documents analogiques ayant cédé leur place aux documents numériques ainsi qu’aux données et à leur gestion. Pour les archivistes, ce processus constitue un défi intéressant, de même qu’une occasion de mettre en pratique leurs connaissances et leurs techniques de gestion documentaire, tout en développant de nouveaux modèles de gestion de l’information dans les organisations. Ce processus de changement doit s’opérer en étroite collaboration avec d’autres acteurs importants comme le personnel des technologies de l’information, les responsables des unités administratives et les organismes de gouvernance. Ensemble, il est possible d’analyser les processus opérationnels, de détecter les opportunités et d’établir une méthodologie de travail qui permettra un saut exponentiel dans la gestion de l’information, en se concentrant sur la façon dont l’information est créée, consultée et conservée tout en maintenant son authenticité, son accessibilité, son intégrité, sa disponibilité et sa facilité d’utilisation au fil du temps.

Le présent article décrit comment l’Université de Barcelone (UB) a approché ce changement radical touchant la création et la gestion des dossiers d’admission aux études supérieures. Jusqu’en 2014, ces dossiers étaient consignés dans les registres traditionnels d’admission contenant tous les documents d’admission d’une unité académique particulière de l’UB, d’un grade universitaire ou d’un étudiant, reliés pour consultation et déposés aux archives de l’Université. À partir de 2014, à la suite d’un projet pilote réalisé à la Faculté d’économie et affaires, l’utilisation de dossiers de notation électroniques a été élargie. Ces dossiers incluaient dorénavant les relevés de notes proprement dits et la signature électronique des professeurs. Cela constituait un précédent pour la création et la gestion de documents électroniques à l’Université. Ces nouveaux documents furent créés en format XML et contenaient l’information associée aux notes de l’étudiant, mais avaient aussi la particularité d’incorporer la description archivistique nécessaire à leur intégration automatique dans le système de classement électronique de l’Université. Ils étaient ainsi archivés dès le moment où ils étaient créés, donc archivés « by design », c’est-à-dire dès la conception.

1. À propos de l’UniversitÉ de Barcelone

L’Université de Barcelone (UB), fondée en 1450, est l’une des plus anciennes universités européennes. Située à Barcelone, en Catalogne, elle compte actuellement plus de soixante-treize mille étudiants inscrits dans seize facultés (University of Barcelona, 2022b).

L’UB est une institution de recherche de premier plan, avec six mille professeurs et chercheurs, et près de cinq mille chercheurs en formation. Environ sept cent cinquante thèses de doctorat y sont soutenues annuellement et elle figure parmi les cent meilleures universités selon Reuter (2020). L’UB compte une large communauté d’étudiants étrangers (plus de onze mille), ainsi que 79 programmes Erasmus et autres programmes d’échange international auxquels participent environ sept cent cinquante de ses propres étudiants. Pour ce qui est de son personnel, l’Université emploie plus de huit mille personnes se répartissant entre ses différents campus et facultés.

2. Le SystÈme de Gestion deS DOCUMENTS de L’UB

Le système de gestion des documents de l’UB (SGDUB) est constitué de l’ensemble des normes, outils et ressources au sein du système d’information que l’Université utilise pour la gestion des documents, des archives et de l’information qu’elle génère, reçoit ou conserve (University of Barcelona, 2022b). Le système, en plus de soutenir les activités présentes et passées de l’UB et de ses utilisateurs, a pour objectif d’assurer que les archives restent authentiques, complètes, fiables et accessibles pendant tout leur cycle de vie. Il doit aussi garantir la sécurité, la récupération et la préservation des données en même temps que l’information sur le contexte dans lequel elles ont été créées (Abarca Peris, Campos Martínez, Molina Coballes, Sánchez Monterrubio et Vernet Munté, 2019).

Afin de remplir ses fonctions, le SGDUB a été organisé en un système d’archivage se conformant plus ou moins aux critères classiques, alors que le Service des archives historiques de l’UB est à la tête du système et a pour mission principale de coordonner un réseau de service d’archives intermédiaires. Ces derniers, à leur tour, offrent soutien et conseil au réseau de producteurs d’archives courantes de l’établissement (unités transversales, unités administratives, services, organes directeurs, etc.). La fonction principale du Service des archives historiques, en plus de coordonner le système en son entier, est d’établir des directives, des instructions et des normes et de veiller à la préservation et à la conservation des archives historiques ou à valeur patrimoniale de l’Université. Le Service exerce également une importante fonction de diffusion du patrimoine culturel. Il a la responsabilité d’offrir des services d’information et de référence aux utilisateurs à l’intérieur et à l’extérieur de l’Université, constituant ainsi le point d’accès principal pour les chercheurs. Une autre tâche importante du Service des archives historiques est d’être un bastion de la transparence, une obligation à laquelle il doit se conformer en tant qu’administration publique, de même qu’une bonne façon de mesurer la qualité démocratique de l’institution.

L’élément suivant du système est le réseau des services d’archives intermédiaires qui s’occupent de la gestion des documents semi-actifs (et dans certains cas inactifs) versés par les producteurs des archives courantes. Au moment du versement, le travail de description et de traitement des archives commence. Des services de consultation et de prêt sont offerts aux unités productrices et les documents font l’objet d’un tri avant l’élimination ou le transfert aux archives historiques.

À la base du système de gestion des documents se trouvent les archives courantes, qui sont constituées des documents produits ou reçus par chaque unité (transversale et administrative), service, organisme de gouvernance, etc. Ces documents sont dans leur phase active. Les dossiers et documents produits dans le cadre de ces différentes fonctions administratives seront ensuite versés aux archives intermédiaires correspondantes, suivant les calendriers de conservation établis pour chaque série documentaire.

2.1. Éléments du système

Les systèmes de gestion des archives sont établis au moyen de certains éléments essentiels qui permettent à l’institution non seulement d’organiser les documents qu’elle produit, mais aussi d’en garantir une récupération rapide. Une bonne mise en oeuvre du système garantit des procédures et processus administratifs adéquats et efficients. Notre rôle, en tant qu’archivistes, est d’aider l’organisation à développer sa mission et sa vision, tout en pensant à l’avenir, celui des archives. Toute information doit être accessible aussi longtemps que nécessaire et doit inclure le contexte de création, afin de pouvoir être comprise dans son entièreté.

2.2. Le plan de classification

Classifier consiste à attribuer une catégorie, qui correspond à une activité ou une fonction dans l’organisation, afin de mettre en contexte un document. Traditionnellement, le plan de classification (ou système de classification) était un des éléments principaux de l’archivistique, et plus encore dans un environnement où le seul moyen de repérage était de suivre les groupements de séries dictées par le système même, qu’il fût organique, fonctionnel ou mixte (Abarca Peris, Campos Martínez, Molina Coballes, Sánchez Monterrubio et Vernet Munté, 2019, p. 311-312).

Le plan de classification de l’UB fut établi en 2008 et comprenait initialement jusqu’à cinq niveaux. En 2011, une révision le réduisit à deux niveaux, le premier correspondant aux principales fonctions de l’Université et le second étant réservé aux différentes activités dans chaque fonction. Cette révision alla de pair avec le travail qui fut effectué sur les séries documentaires. Ce sont ces séries documentaires qui depuis forment le support des descriptions archivistiques. Ce sont elles, désormais, qui reflètent les activités et les procédures de l’Université, les séries basées sur le type de documents ayant été écartées. La classification (attribution d’une cotation correspondant aux fonctions et aux activités) constituera un élément de plus de la description associée uniquement à sa fonction spécifique. Ce changement de paradigme a procuré l’avancée nécessaire à la transition de l’analogique vers le numérique qu’allait effectuer le SGDUB. L’archivage dès la conception commençait à se constituer.

2.3. Notice d’autorité

Les notices d’autorité sont un élément essentiel de tout système de gestion d’archives et sur ce point, l’Université ne fait pas exception. Nous avons un logiciel informatique spécifique pour créer et décrire les différentes notices d’autorité existantes depuis les débuts de l’établissement, renseignant aussi sur les présents et futurs producteurs de documents. Cet outil logiciel va plus loin que la simple description archivistique (nous utilisons la norme International Standard Archival Description couramment appelée ISAD(G)) qui permet de contextualiser les différentes collections d’archives. Il génère également la codification unique pour tous les producteurs qui utilisent les différentes applications de l’Université. Même si ces applications ont leur propre identifiant pour la gestion courante, elles utilisent toutes l’identifiant archivistique commun qui est employé pour la description et l’archivage des documents.

2.4. Typologie du document

La typologie du document est un autre élément de la description archivistique qui permet de déterminer la nature du document traité. Aujourd’hui, elle est non seulement utilisée pour la description des documents analogiques, mais elle est une métadonnée essentielle pour tous les documents électroniques générés par les différentes applications.

2.5. Schémas de métadonnées

Au sens strict, les métadonnées sont « des données qui définissent et décrivent d’autres données » (España, 2010) ou, en d’autres mots, de l’information qui fournit des données sur une autre information. En allant encore un peu plus loin, nous les définirions comme :

… tout type d’information sous forme électronique associée à des documents électroniques, de nature instrumentale et indépendante de leur contenu, destinée à fournir une connaissance immédiate et automatique de certaines de leurs caractéristiques, avec pour objectif d’assurer la disponibilité, l’accès, la préservation et l’interopérabilité de ces documents.

España, 2009

Il n’existe pas un type unique de métadonnées ; nous parlons plutôt de métadonnées administratives, descriptives, techniques, etc., mais, pour en définir le cadre, nous nous référerons à la norme ISO 23081 et nous les comprendrons comme les métadonnées de création, de gestion et d’utilisation des documents (Organisation internationale de normalisation, 2006).

Au départ, le schéma de métadonnées de l’UB se réfère à la norme EAD (Encoded Archival Description). Le fait que le système de description des archives analogiques suive la norme ISAD(G) (International Standard Archival Description) est un atout pour l’adaptation de son équivalent numérique. Cela étant, le schéma de métadonnées qui en résulte est une évolution par rapport au système de description des archives analogiques, ce qui permet aussi de se conformer aux changements législatifs ayant eu lieu en Catalogne, en Espagne et en Europe ces dernières années. Ainsi, le produit final contient, entre autres, les éléments (ou métadonnées) de la signature électronique et de la préservation pérenne se conformant au Système ouvert d’archivage d’information (Open Archival Information System) (OAIS).

Ces schémas de métadonnées permettent de générer des documents électroniques qui, dès le moment où ils sont créés ou introduits dans le système, incorporent les données (métadonnées) nécessaires à la description archivistique, garantissant l’exactitude de la description tout au long du cycle de vie du document.

3. Des documents sur support papier aux documents numÉriques

D’une façon générale, toutes les institutions et organisations, nous le savons, produisent et gèrent des documents électroniques depuis des années. Elles en génèrent, mais elles en promeuvent aussi l’utilisation au profit du document sur support papier. Les documents électroniques offrent de nombreux avantages comme des échanges plus souples, le travail en collaboration, des transmissions plus faciles, etc.

En plus des avantages de l’utilisation des documents électroniques, existent aussi les différentes obligations législatives. En Catalogne, ce processus débuta en 2007 avec l’adoption de la Loi 11/2007 du 22 juin sur l’accès électronique des citoyens au service public et culmina avec la Loi 39/2015 du 1er octobre sur la procédure administrative commune des administrations publiques. La première promeut l’usage du support électronique (y compris les documents électroniques) et la seconde oblige les administrations publiques à son utilisation et à sa pleine mise en oeuvre. L’UB, en tant qu’université publique, a l’obligation de disposer d’un système de gestion entièrement électronique.

Parallèlement, l’Union européenne fait une promotion active du gouvernement électronique et de l’administration électronique dans le secteur public. Selon la Commission européenne le gouvernement électronique :

… permet de soutenir les procédures administratives, d’améliorer la qualité des services et d’accroître l’efficacité interne du secteur public. Les services publics numériques allègent substantiellement les charges administratives pesant sur les entreprises et les citoyens en rendant leurs interactions avec les pouvoirs publics plus rapides, plus efficientes, plus pratiques, plus transparentes et moins coûteuses.

European Commission, 2016

De même, la Commission européenne définit l’administration électronique comme :

… l’utilisation des [technologies de l’information et des communications] dans les administrations publiques, associées avec des changements au niveau de l’organisation et de nouvelles aptitudes du personnel, dans le but d’améliorer les services publics et de renforcer les processus démocratiques et de soutien aux politiques publiques.

Commission of the European Communities, 2003

Ces deux concepts, combinés à la législation en vigueur en Catalogne, favorisent un environnement électronique idéal pour les documents, environnement auquel nous, archivistes à l’UB, souhaitons ajouter l’archivistique.

Enfin, et surtout, l’usage de la signature électronique est entré en vigueur en Catalogne en 2015, alors que le règlement de l’Union européenne 910/2014 electronic IDentification, Authentication and trust Services (eIDAS) (Official Journal of the European Union, 2014) en a déterminé les modalités d’exécution (techniquement parlant). Le règlement eIDAS vise aussi l’interopérabilité et la transparence, de sorte que les États membres sont tenus d’établir un cadre commun qui reconnaît les eIDAS des autres États membres et garantit l’authenticité et la fiabilité de la signature. Ils sont aussi tenus de procurer une liste claire et accessible de services de confiance qui puissent être utilisés au sein du cadre commun de signature. Le règlement eIDAS définit aussi deux éléments clés dans l’environnement de la signature électronique : l’identification et la signature. Alors que l’identification se focalise sur le « moyen d’identification relevant d’un schéma d’identité électronique qui figure sur la liste publiée par la Commission » et le « niveau de garantie de ce moyen d’identification électronique qui correspond à un niveau de garantie égal ou supérieur à celui requis par l’organisme du secteur public concerné pour accéder à ce service en ligne dans le premier État membre » (Electronic Identification, Authentification and trust Services, s.d.), les signatures électroniques se focalisent sur les différents niveaux de fiabilité décrits ci-dessous.

La signature électronique est considérée comme avancée si elle répond à certaines exigences :

  • elle fournit une donnée unique de renseignements identificateurs qui l’associe à son signataire ;

  • le signataire a le contrôle exclusif des données utilisées pour créer la signature électronique ;

  • elle peut identifier des altérations des données accompagnant le message survenues après la signature. Si les données signées ont été modifiées, la signature est invalidée ;

  • il existe un certificat de signature électronique, preuve électronique confirmant l’identité du signataire et associant les données de validation de la signature électronique à cette personne ;

  • les signatures électroniques avancées peuvent être techniquement créées en suivant la norme des profils de base des signatures électroniques XAdES, PAdES, CAdES ou ASiC (Associated Signature Containers) spécifiée par l’Institut européen de normalisation des télécommunications (ETSI).

La signature électronique qualifiée est une signature électronique avancée qui est créée par un dispositif de création de signature électronique qualifiée, sur la base d’un certificat qualifié de signature électronique.

Le certificat numérique qualifié de signature électronique est un certificat qui atteste de l’authenticité d’une signature électronique qualifiée délivré par un prestataire de services de confiance qualifié.

En ce qui concerne le processus de mise en oeuvre du projet des relevés de notes de l’Université, tous les systèmes d’identification et de signature électronique doivent être en place et fonctionnels avant la date d’achèvement et de mise en oeuvre du projet.

Ainsi donc, les documents électroniques apportent des avantages, mais aussi des défis aux archivistes. Ils doivent faire partie du système de gestion des documents de l’institution et, tout comme leurs pendants analogiques, ils doivent être authentiques, complets, accessibles, disponibles et utilisables de façon pérenne. Dans ce nouveau cadre de travail, entrent également en jeu les données et les différentes bases de données générées par les applications institutionnelles. En tant qu’archivistes, il nous faut aussi prendre en compte ce scénario et être capables d’attester de l’existence de toutes activités administratives qui souvent ne produisent pas de documents ou d’archives stricto sensu, mais qui génèrent seulement des données.

C’est dans le contexte de ce scénario que nous avons décidé de développer un projet pilote qui allait devenir le premier projet institutionnel global de passage d’un modèle analogique à un modèle numérique au sein du système de gestion des documents de l’institution. Pour la première fois, nous avons réussi à archiver dès la conception.

4. Le concept de l’archivage Électronique DÈS LA CONCEPTION

Traditionnellement, les fonctions et activités d’un archiviste débutent lorsque les dossiers et documents « entrent » dans les dépôts d’archives. C’est alors que commencent ses tâches de créer les notices d’autorité, de fournir un contexte aux documents, de les décrire et, ensuite, de mettre en oeuvre toutes les techniques offertes par la profession pour assurer l’accessibilité et la lisibilité de l’information au fil du temps. Parfois une partie du travail quotidien de l’archiviste est consacrée aux archives courantes, pour lesquelles il rédige des instructions, des manuels ou des guides afin d’aider les utilisateurs à coter les dossiers et documents selon le plan de classification de l’organisation. L’archiviste peut également offrir de la formation aux utilisateurs qui doivent produire une première description archivistique des documents avant leur versement aux archives intermédiaires ou historiques.

Le monde numérique nous a offert une nouvelle possibilité, celle de ne pas attendre l’application des calendriers de conservation et le transfert des documents aux archives pour commencer notre travail. Les systèmes de gestion des documents peuvent en effet incorporer des mécanismes qui permettent aux utilisateurs des services et bureaux de l’Université de coter les documents selon des critères archivistiques et de les classer. Il s’agit d’une réalité, mais il existe aussi une autre réalité moins agréable : celle de la quantité d’information générée par des applications de gestion qui effectuent des procédures administratives sans générer aucune preuve documentaire (mis à part les données stockées dans la base de données). Ces applications génèrent souvent des tonnes de données qui échappent au système de gestion de l’information de l’institution. L’archivage dès la conception cherche à remédier à cette réalité et à les incorporer, dès le début, au système, dans les archives électroniques.

Ainsi, à l’UB, nous avons défini l’archivage dès la conception comme le processus où l’archiviste conçoit et automatise la description archivistique avant la création du document, de telle manière que, dès sa création, il est automatiquement enregistré dans le système de gestion de l’archivage et stocké dans les archives numériques. Simultanément, le plan de classification, le calendrier de conservation, la contextualisation, etc. lui sont appliqués. Ce travail est possible non seulement grâce aux archivistes, mais aussi grâce à l’effort collaboratif des archivistes avec les services des technologies de l’information et les unités administratives. Examinons maintenant le projet Relevés de notes académiques.

5. Le projet relevÉs de notes acadÉmiques

5.1. Introduction

L’UB gère et préserve des relevés de notes datant de centaines d’années dans ses archives. Depuis sa fondation jusqu’en 2014, ces relevés de notes ont été créés sur support papier. À partir des années 1990, un logiciel a permis de gérer les données rattachées à la notation des étudiants de l’Université de façon souple et uniforme à travers l’institution. Le même logiciel permettait, une fois les notes accordées, d’imprimer les relevés, de les signer à la main et de les relier en volumes pour leur consultation future et leur préservation. En accord avec le calendrier de conservation du système de gestion des documents, ces volumes étaient transférés des archives courantes aux archives intermédiaires et finalement aux archives historiques de l’Université.

Pour passer d’un modèle analogique (ou semi-analogique), où la preuve documentaire était sur support papier, à un modèle entièrement numérique, il a été nécessaire d’apporter des modifications aux applications de gestion des relevés de notes. Afin de se conformer à un minimum d’exigences archivistiques, légales et opérationnelles, nous avons décidé ce qui suit :

  • l’application informatique finale devait être simple à utiliser, aussi bien par le personnel de l’administration et des services que par les professeurs (le professeur est un nouvel acteur dans le modèle numérique, les relevés de notes devant être signés électroniquement) ;

  • les utilisateurs n’avaient pas besoin de savoir qu’ils archivaient aussi les documents pendant qu’ils utilisaient le système ;

  • l’application devait se conformer aux exigences légales en vigueur (les relevés de notes doivent être, parmi d’autres exigences, électroniquement signés en conformité avec la réglementation officielle) ;

  • l’application devait être intégrée dans le système de gestion des documents de l’institution et se conformer à ses exigences (plan de classification, schéma de métadonnées, etc.), afin d’atteindre le principal objectif d’archiver dès la conception.

5.2. Méthodologie

Conformément à la méthodologie proposée dans la norme ISO/TR 15489, le projet fut divisé en trois phases.

La première phase se fondait sur une enquête préliminaire et sur l’analyse des activités opérationnelles, qui consistait à faire une évaluation à haut niveau des environnements administratif, légal et opérationnel, puis à déterminer quels rôles et quels groupes effectuaient quelles tâches et quels processus.

La seconde phase se concentrait sur l’identification des exigences requises pour les documents, sur l’évaluation des systèmes existants et sur la détermination de stratégies pour répondre aux exigences. L’objectif était d’identifier les exigences de l’organisation pour la création et la conservation des relevés de notes, d’examiner les systèmes existants dans l’organisation, et de déterminer si les documents étaient créés ou saisis correctement. Il fallait aussi déterminer quels règlements et procédures étaient nécessaires pour garantir que les dossiers de relevés de notes soient créés, utilisés et gérés de façon adéquate.

La dernière phase était celle de la conception du système de gestion de relevés de notes, de sa mise en oeuvre et d’un contrôle de suivi. Elle consistait en une mise à jour du logiciel des relevés de notes pour se conformer aux exigences, et en une phase d’essai pilote du système. Une fois le système en activité, un examen de suivi était mené pour identifier les lacunes et les points à améliorer.

5.3. Mise en oeuvre

Grâce à l’analyse effectuée en collaboration avec tous les groupes de travail et une fois la procédure bien comprise et mise en diagramme, nous avons identifié les documents qui devaient être conservés, leur configuration, la provenance des données, la forme administrative requise et les différents acteurs qui leur étaient associés. D’un point de vue strictement archivistique, ce processus permit d’identifier les créateurs des documents et de déterminer les notices d’autorité correspondantes dans le système de gestion des documents, et aussi d’établir un dossier « modèle » avec ces documents.

Ainsi, chaque sujet pour chaque cours d’études supérieures à l’Université générait un fichier de relevés de notes. Ce fichier devait contenir le relevé de notes proprement dit (format XML), ainsi que le fichier de signature électronique (non jointe au fichier XML). L’analyse du processus avait détecté la possibilité d’ajouter une modification au relevé de notes. Ce fichier pouvait être généré à tout moment après la création d’un fichier de relevés de notes, afin de pouvoir effectuer une correction.

Tous les documents repérés, l’équipe s’appliqua à déterminer et à décrire chacune des métadonnées archivistiques nécessaires à chaque élément de preuve documentaire. Les métadonnées étaient définies au niveau de la série, du fichier, et bien entendu, du document (voir Tableau 1 pour un exemple de niveau document). L’étape suivante fut la programmation, avec l’équipe technologique, de la description de ces métadonnées dans le système de gestion de documents de l’Université (EMC Documentum), dès la création du document.

Tableau 1

Exemple de schéma de métadonnées de documents (texte en Catalan)

Exemple de schéma de métadonnées de documents (texte en Catalan)
Source : Université de Barcelone, Service du e-Government et de la gestion des documents, 2010

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Lorsque le système fut entièrement opérationnel dans son environnement de « préproduction », l’essai pilote fut effectué avec la Faculté d’économie et des affaires. Cette faculté compte le plus grand nombre d’étudiants à l’UB (plus de huit mille étudiants actifs) et constituait donc le parfait environnement pour tester un système qui serait, éventuellement, déployé dans toute l’Université (qui compte plus de soixante-dix mille étudiants actifs). Avant le lancement de la phase d’essai, nous avons organisé :

  • des réunions d’information pour le personnel de l’administration et des différents services ;

  • des sessions de formation sur la signature électronique destinées aux professeurs ;

  • des réunions générales sur l’évolution de l’application ;

  • l’élaboration de manuels et de guides de mise en application.

À l’étape de la formation, un effort particulier fut mis sur l’utilisation correcte de la signature électronique. Cette nouveauté constituait un défi pour la communauté universitaire et méritait une attention particulière. Quand le projet fut lancé, en 2014, la législation relative à la signature électronique était plus restrictive qu’aujourd’hui. Depuis, ses exigences ont été ajustées à la réalité quotidienne et l’Université, profitant de la flexibilité autorisée par la législation, établit ses propres règlements sur l’identification et la signature. La dernière mise à jour de ces règlements date de février 2018 et elle s’applique aujourd’hui au processus d’identification et de signature électronique des documents de qualification. Grâce à cette mise à jour, la gestion des signatures électroniques des professeurs est simplifiée, la signature étant déclenchée par l’entrée des identifiants et mots de passe institutionnels, suivis du code qui leur est propre et qui se trouve sur leur carte de professeur à l’UB. Du point de vue technique, cette action déclenche une signature électronique institutionnelle de haut niveau (signature électronique qualifiée), qui assure l’intégrité du relevé de notes. Ainsi, il ne s’agit pas seulement de se conformer aux obligations légales ; l’avantage archivistique additionnel consiste à obtenir des documents complets, authentiques et fiables.

Pour revenir sur la mise en oeuvre du projet, l’essai pilote mis au jour des éléments à corriger et à prendre en compte, en lien particulièrement avec la fluidité d’utilisation de l’application informatique et avec les connexions par le biais des services Web entre les applications du système. Certains éléments étaient liés à des lacunes dans les descriptions archivistiques (données inconsistantes, descriptions partielles, etc.). Une fois les corrections et mises à jour effectuées, la campagne de déploiement fut lancée à l’échelle de l’Université. Pendant cette phase, plus de cinq mille professeurs furent formés, ainsi que le personnel de l’administration et des services responsables du soutien à la gestion. Le projet fut officiellement lancé durant l’année académique 2014-2015 et est devenu une réalité quotidienne à l’UB depuis ce jour.

6. RÉsultats et conclusion du projet

Ce projet eut pour résultat qu’en septembre 2022, plus de trois cent mille fichiers numériques de relevés de notes avaient été créés et signés électroniquement. Toutefois le plus intéressant, d’un point de vue archivistique, est qu’en plus de réaliser le très désiré archivage dès la conception, nous avons démontré qu’il existe d’autres méthodes que celles déjà existantes pour gérer l’explosion d’information numérique à laquelle nous assistons aujourd’hui.

L’archivage dès la conception, dans la pratique, a déplacé le moment où les archivistes interviennent à l’Université. Comme il a été mentionné, nous sommes généralement situés en fin de chaîne, lorsque nous recevons les documents que nous devons alors classer, décrire et rendre disponibles à la consultation. Toutes ces activités sont désormais réalisées avant la naissance des documents électroniques. Grâce à l’analyse des procédures, nous pouvons décrire la série, identifier tous les documents possibles et les décrire au sein des mêmes applications opérationnelles. Bref, nous déterminons les métadonnées que chaque document doit comprendre au moment de sa création et aussi la place où il doit être classé dans le plan de classification de l’Université.

Le projet a ainsi atteint deux objectifs : obtenir et conserver des documents numériques correctement décrits dans le système de gestion et prévenir la perte d’information dans la phase active. Il existe toutefois un troisième enjeu caché : la conservation de ces objets numériques dans les phases semi-active et historique. Pour répondre à cette nécessité, nous avons développé le projet de connexion de EMC Documentum (les archives électroniques de l’Université) à iARXIU, l’application logicielle de stockage à long terme en cours depuis plusieurs années. Ce système est basé sur l’OAIS et permet la préservation et la gestion des formats (prévenant les risques d’obsolescence des formats de fichiers). Il s’agit ici du dernier morceau du projet. La connexion par le biais de services Web entre EMC Documentum et iARXIU nous permet non seulement de préserver l’authenticité, l’intégrité, la disponibilité et l’accessibilité dans le temps des documents, mais procure aussi un remède à l’obsolescence quand nécessaire, en plus d’assurer la préservation des signatures électroniques de dossiers et documents grâce à la réapposition du sceau numérique. Ainsi, si les archivistes arrivent à analyser et relier toutes les données et informations créées par l’ensemble des outils de gestion de l’Université, à générer les documents nécessaires à leur archivage et, ensuite, à connecter le système de gestion de l’archivage (EMC Documentum) à la plateforme de préservation électronique (iARXIU), ils pourront pratiquement clore le cycle de vie de l’information générée par l’institution et seront un peu plus près d’en assurer l’archivage présent et futur.

Comme l’écrit Erik Sherman :

Pour compliquer les choses, les archivistes font face aujourd’hui à un déluge d’information sans précédent […]. Dans le passé les documents d’archives étaient moins abondants et l’espace de stockage limité […]. Maintenant nous avons le problème inverse, tout est enregistré en tout temps.

Sherman, 2022

Sherman constate avant tout l’explosion de l’information, mais il ne mentionne pas l’information qui ne génère aucune preuve documentaire et qui échappe au système et aux archivistes. Sherman laisse ainsi de côté une grande partie de l’information. L’archivage dès la conception pourrait être une solution de plus à cette réalité pleine de trous documentaires dus à l’obsolescence, aux accidents technologiques ou à l’information qui échappe à notre contrôle.

À l’Université de Barcelone, l’avenir est prometteur. Grâce à l’expérience du projet de relevés de notes, d’autres procédures ont suivi et continuent à suivre la même voie. Une application logicielle standard a même été programmée (conçue et mise en place conjointement par les services techniques de l’Université et les archivistes) pour la gestion de l’archivage dès la conception des procédures administratives générales et, en même temps, le soutien de la gestion administrative courante. L’archivage dès la conception est devenu aujourd’hui la pierre angulaire de l’archivage à l’Université de Barcelone.