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Le but ultime de l’analyse proposée par Carole Blackburn dans son étude du discours colonialiste consiste à mettre en perspective les principes fondamentaux auxquels les jésuites adhéraient alors, et ceux-là même qu’ils ont créés de toutes pièces.
L’introduction de l’ouvrage s’articule très précisément autour de l’action conduite par Paul Le Jeune et son influence dans le contexte historique de l’époque. Il s’agit simultanément d’aborder de façon circonstanciée l’interprétation des Relations des jésuites, qui rapportent de manière exhaustive les voyages et explorations des missionnaires jésuites en Nouvelle France au cours de la période 1610-1791. Le texte révèle clairement les certitudes dont faisaient alors état les jésuites sur la « sauvagerie » des autochtones en contrepoint à leur propre « supériorité » ; toutefois, les interrogations multiples que suscite ce même texte quant au degré de compréhension des autochtones sont étayées par des exemples d’interprétations erronées qui relèvent, quant à elles, du manque de compétence des jésuites dans la langue des peuplades en voie de colonisation. Le lecteur de l’ouvrage de Carole Blackburn est donc en mesure d’identifier la problématique de la situation créée par la démarche des jésuites.
Par ailleurs, la caractéristique essentielle de l’analyse proposée par Carole Blackburn est de se concentrer spécifiquement sur la dimension non discursive de la rencontre-confrontation entre les jésuites et le peuple aborigène de Nouvelle France : cet intérêt porté aux relations entre le discours et les contextes auxquels il se rapporte confère une authenticité réelle à la perspective ethnolinguistique dans laquelle se situe l’ouvrage. Le lecteur prend donc progressivement conscience de la distance entre les potentialités des termes utilisés dans le discours et leur quasi-absence d’impact dans la réalité extra-textuelle. C’est ainsi qu’est mise en relief dans toute sa complexité la relation tripartite entre les négociants hurons, les pères jésuites et leurs homologues français.
L’analyse diachronique, qui établit un parallèle entre les processus économiques et politiques, d’une part, et les approches anthropologiques classiques, d’autre part, est structurée par chapitre de la façon suivante : l’arrivée des jésuites en Amérique de Nord et le climat économique en France ; le point de vue interprétatif des jésuites sur les habitants aborigènes qu’ils considèrent comme des « sauvages » occupant une terre stérile et inhospitalière ; l’examen de la teneur des principes fondamentaux des jésuites sur la loi et l’ordre en Amérique du Nord ; les thèmes de l’obéissance et de l’humilité dans la perspective de la punition rédemptrice. Le tout s’accompagne de données très riches qui éclairent les difficultés cognitives que les jésuites devaient surmonter au cours de leurs missions.
Le spécialiste en ethnolinguistique et en linguistique anthropologique trouvera dans cet ouvrage un brillant compte-rendu sur la supériorité de l’écriture comme moyen incontournable de l’expression d’une vérité qui se veut absolue : le nécessité de réconcilier l’exigence jésuite en matière d’autorité et la logique culturelle préexistante du peuple qu’ils tentaient alors de convertir au christianisme.