Corps de l’article

Il est impossible d’écarter le caractère intensément problématique des relations entre quelqu’un dont le corps est détérioré et quelqu’un dont le corps est plus ou moins intact […]. Ce n’est pas seulement leur corps qui est détérioré, mais aussi leur façon de penser à eux-mêmes, aux personnes et aux choses du monde extérieur qui s’est profondément modifiée. Ils ont fait l’expérience d’une révolution de la conscience, ils ont subi une métamorphose.

Murphy 1990 : 125-126

Le rôle de la religion est primordial dans l’élaboration du monde que font les individus, par son caractère symbolique médiateur reconnu (Berger 1974). Par un ensemble de rites et de rituels, elle permet de transformer des sentiments, émotions et conflits personnels en des formes acceptables de l’expérience subjective. Il n’existe aucune culture dans laquelle l’acceptation du mal, de la maladie ou d’une sensation de mal-être est une attitude communément admise et encouragée. Éloigner la sensation de mal-être ou nier la réalité de la maladie sont des attitudes qui montrent à quel point les sensations provoquées par une situation sont désagréables et suscitent le rejet. En nous attardant sur la représentation du Mal dans différentes religions, nous pouvons remarquer que sa configuration implique à la fois des domaines physiques, psychiques et moraux. Ainsi, différents systèmes religieux expliquent la maladie et la souffrance à partir d’un cadre d’interprétation permettant de concevoir qu’ils sont causés simultanément par divers types d’influence. De la même façon, les fidèles chercheront des remèdes miraculeux pour comprendre que leurs souffrances ne sont pas exclusivement physiques, mais s’inscrivent dans une dimension physico-morale magique dont la complexité n’est pas prise en compte par la médecine officielle. Une telle caractéristique est sans aucun doute associée à la « modernité » dans laquelle les individus souffrent d’une sorte de déracinement. La religion ou les formes contemporaines de religiosité constitueraient une ensemble de signification (Pace 1999 : 34) dont le rôle serait d’aider les individus à penser leurs conflits personnels (absence de perspective d’ascension sociale, chômage, problèmes conjugaux, maladies) en termes plus concrets, susceptibles d’être résolus. Le Brésil a connu, surtout à partir des annés 1980, une profusion d’Églises évangéliques capables de mobiliser des foules à la recherche de guérisons et de solutions pour ses problèmes personnels ou familiaux. On a vu ainsi surgir des Églises telles que l’Église Universelle du Royaume de Dieu, principale représentante du mouvement néo-pentecôtiste au Brésil – ou bien l’Internationale de la Grâce de Dieu qui rendent publiques, à travers des rituels d’exorcisme, les « entités » qui fragilisent l’individu. Les récits de guérison de ceux qui « ont trouvé Jésus » peuvent être entendus à la télévision ou bien au cours de cultes quotidiens administrés dans les divers temples initialement localisés dans les grands centres urbains, mais qui, par la suite, se sont aussi implantés dans les villages situés à l’intérieur des États. De tels récits recupèrent la dimension du miracle et s’alimentent d’images et d’expériences sensibles vécues par les fidèles au cours des cultes enthousiastes promus par ces Églises.

Cet article examine le cas de femmes converties à l’Igreja Universal do Reino de Deus[1], une Église néo-pentecôtiste née au Brésil à la fin des années soixante-dix et qui, depuis longtemps, est connue dans de nombreux pays comme une Église de guérison, attirant des personnes qui cherchent dans ses rituels une manière de soulager leurs maladies, maux et souffrances[2]. Nous avons choisi d’explorer ici le sens de la souffrance, tel qu’il est appréhendé par les femmes converties à cette dénomination néopentecôtiste. Cet intérêt découle du fait que, parmi les femmes interrogées, la reconnaissance de la situation de crise et la recherche de l’Église Universelle sont fréquemment associées à un état conflictuel dont les effets s’inscrivent souvent dans le corps, bien que les descriptions indiquent des causes et des facteurs d’aggravation qui révèlent une origine de la maladie située dans le champ des relations sociales : alcoolisme du mari, fils drogué, séparation, conflits familiaux, mauvais oeil, envoûtement, etc. C’est pourquoi nous nous proposons de comprendre les souffrances en les associant au champ des interactions sociales, qui transcende la limite de ce qui est physique et personnel : la souffrance est, pour les converties, causée par l’Autre, et vient d’intentions démoniaques et perverses – un Autre qui incarne différentes relations avec les dynamiques magico-religieuses connues des fidèles et appartenant à l’univers socio-religieux brésilien.

Études de cas

Les histoires de souffrance sont souvent rattachées à l’idée que la vie, avant la conversion, se résume à un sentiment de dévalorisation de soi, d’exclusion sociale et d’absence de perspectives. La conversion ou l’adhésion ont lieu au moment d’une expérience extraordinaire, au cours d’un épisode de crise. Nous allons étudier deux cas de conversion : Monica, ex-catholique, 25 ans, célibataire, obreira[3] et coordinatrice d’un groupe de prières, convertie dès l’adolescence à l’Église Universelle ; Liza, 36 ans, ex-catholique, mariée, un fils, convertie depuis quatre ans. L’analyse de ces deux cas montrera de quelle manière sont représentées la souffrance, la crise et la maladie ; nous tenterons de démontrer comment la « maladie », telle qu’elle est décrite dans les récits de vie, ne constitue pas, en soi, le principal événement qui déclenche la conversion. Le processus de conversion est ainsi associé non pas à une unique crise, mais à divers épisodes tout au long de la trajectoire de la convertie.

Monica

Avant-dernière de cinq soeurs, Monica a 25 ans. Dès son jeune âge, elle a été en contact avec diverses religions mais ne s’est jamais convertie ; même ses parents ne se sont jamais sentis attachés à aucune tradition religieuse. Le candomblé, le spiritisme, le catholicisme étaient, dans l’enfance de Monica, un cadre générique dans lequel s’organisaient des notions également génériques du fait religieux ; ce cadre servait moins à coopter une nouvelle fidèle qu’à simplement classer les choses qui méritaient le respect.

Je n’avais aucun discernement […] ici il y a des terreiros partout. Quand j’étais petite, je savais que les trucs de mes copines par exemple, c’était des trucs de saint, de macumba, alors je ne touchais pas, je respectais, j’en avais même peur, parfois j’allais à des fêtes dans les terreiros. Mais je ne savais pas distinguer […] le spiritisme n’était pas aussi fort ici à Cachoeira à cette époque […] l’église catholique, tout le monde y appartenait, tout le monde était obligé de faire la communion, d’être baptisé […] les évangéliques ont toujours existé mais c’était un mouvement faible.

Monica découvre l’Église à treize ans, par l’intermédiaire d’une voisine qui l’invite à participer à un groupe de jeunes de l’Église Universelle. La musique et le fait d’appartenir à un groupe l’attirent immédiatement. Après avoir suivi les cours préparatoires pendant neuf mois, Monica devient obreira, et l’est depuis huit ans. Le « temps de la souffrance » commence dès l’enfance et les événements auxquels elle a dû faire face expliquent son caractère vindicatif, sa nervosité, sa violence exacerbée, qu’elle contrôle depuis sa conversion :

J’étais claire de peau, je ressemblais beaucoup à mon père et il m’aimait beaucoup ; lorsqu’il est mort, tout le monde a commencé à me maltraiter, me battre et je suis devenue nerveuse. Un jour que mon frère me battait, je l’ai affronté et l’ai frappé aussi, alors il a attrapé un couteau… ma grand-mère a eu très peur et a crié à l’aide. Après je suis venue vivre ici avec une jeune fille, elle me traitait mal, elle me prenait pour une esclave.

Son processus d’adhésion et de conversion fait émerger des expériences douloureuses interprétées, dans ses récits, comme autant de symptômes d’une vie non chrétienne. Ainsi, Monica trouve une explication plausible non seulement à ce qu’elle a vécu, mais aussi au comportement des membres de sa famille : tous des non-chrétiens qui ne connaissaient pas la Parole.

Monica se voit comme quelqu’un qui a toujours été rejeté par sa famille : ses frères la maltraitent, sa mère ne la protège pas ; il ne lui reste que son père avec lequel elle entretient une relation qu’elle trouve satisfaisante. Mais ses parents se séparent, et son père va habiter avec une de ses maîtresses, laissant sa famille dans une situation difficile. Plus tard, il quitte sa maîtresse, qui pour se venger, lui jette un sort ; il en meurt. Lorsque la situation économique de la famille s’aggrave, la mère de Monica la place à douze ans dans une famille dont elle est censée garder les enfants tout en continuant sa scolarité sous la responsabilité de sa patronne :

– Tu travaillais comme femme de ménage?
– Ma mère m’a mise là-bas pour que je puisse aller à l’école, elle croyait que j’allais seulement surveiller l’enfant. Mensonge! Tu vois, la femme me demandait de laver ses sous-vêtements pleins de sang, et moi je n’avais que douze ans. […] Et ici, à l’Église, j’ai découvert l’avenir, et je le réalise grâce à l’Église, aux amis obreiros et… à mon fiancé, bien entendu. S’il n’y avait pas eu l’Église, je ne sais même pas ce que je serais devenue aujourd’hui. […] Je n’aimais pas ma mère. J’ai souffert énormément dans mon enfance, comme je te l’ai raconté, j’avais le sentiment que personne ne m’aimait parce que j’étais la plus claire de la famille ; mon père m’aimait bien, mais ma mère me battait souvent, et mon frère cadet aussi, et quand je voulais me défendre, ma mère intervenait et me frappait. […]
– Et pourquoi était-elle contre toi, Monica?
– Parce que j’étais claire, elle était foncée et mon père m’aimait bien.

Toute cette expérience de souffrance a contribué à renforcer une manière d’être qui l’éloignait de Jésus. Interrogée, Monica assimile le fait d’être nerveuse, brutale et de perdre le contrôle sur elle-même à des comportements considérés comme masculins.

J’étais vindicative […] je me battais comme un garçon… et un jour où j’allais acheter du pain, je l’ai vu [copain d’école], il était appuyé contre un mur, j’y suis allée, l’air de rien, et je lui ai filé un coup… Ma mère disait que je me battais comme un mec. Je l’ai choppé comme ça.

À l’Église, dans une ambiance favorable, elle se sent en confiance avec ses amis et assume des responsabilités. La conversion aide Monica à découvrir sa féminité, les rôles socialement définis et valorisés de la femme : une femme préparée au mariage, à la maternité, à la famille – caractéristiques féminines idéal-typiques largement valorisées dans les couches populaires brésiliennes. Son fiancé, avec l’appui d’un obreiro de l’Église, l’aide à retisser des liens avec sa mère, invitée au temple pour participer à la cérémonie des fiançailles :

C’est moi qui me bats pour ma famille […] la seule fois que ma mère a été à l’église, c’est le jour de mes fiançailles, parce que je pleurais, pleurais… je lui ai parlé et je lui ai dit que si elle ne venait pas, le pasteur ne pourrait pas me fiancer…

Pour Monica, la conversion a été cruciale dans son développement en tant que sujet (doté d’une personnalité, d’une volonté et d’initiatives propres), capable de s’insérer activement dans la société – un individu déterminé qui invoque avec foi ses désirs et dont la participation à la sphère du travail est encouragée.

Dans le champ relationnel, la conversion a permis à Monica de substituer aux anciens comportements peu sociaux (nervosité, perte de contrôle, disputes sans raisons apparentes), une manière d’être qui la place dans une position privilégiée et lui permet d’être « bien vue » par son réseau social : une femme de Dieu sait écouter et rester calme, ce qui lui donne équilibre et bon sens dans sa relation avec autrui, lui permet d’agir avec amour, le coeur pur, libéré des mauvaises influences typiques des relations mondaines. En même temps, apprendre ces comportements, c’est se montrer capable de susciter des sympathies et de « gagner des âmes pour Jésus ».

Le monde n’était, pour la Monica d’avant la conversion, qu’un réseau de relations négatives, de gens peu fiables, indifférents aux valeurs morales. L’Église fonctionne comme une autorité qui propose la moralité, en imposant un comportement considéré comme celui du « vrai croyant ». Ce nouveau comportement s’oppose clairement aux mésaventures et aux excès de sa vie mondaine antérieure qui la plaçaient en position de fragilité. Être croyant est pour Monica un apprentissage qui met en évidence le contraste entre émotions incontrôlables et « émotions rationalisées »[4].

Liza

Liza a 36 ans et quatre ans d’adhésion à l’Église Universelle. Mariée depuis quinze ans, elle a un enfant. Ex-catholique, Liza a été baptisée dix mois après son premier contact avec l’Église Universelle qu’elle a connue à travers une campagne d’évangélisation menée dans la ville. Elle a quitté l’Église catholique, à laquelle elle n’a jamais vraiment appartenu, si ce n’est par sa dévotion aux saints, tradition de famille qu’elle a importée dans sa propre maison :

Je recourais à beaucoup de saints, je demandais ceci, cela, et rien ne se résolvait […] parce qu’il y avait tellement d’obstacles et tant de saints qu’on ne savait pas trop… […] J’étais catholique seulement par le nom, n’est-ce pas? Mais nous, qui avons des saints chez nous … eh bien, on demande! Seulement, au moment du résultat … rien n’apparaît! Alors, on commence à être oppressé, à se révolter devant nos problèmes, et à ne pas trouver la force. Cette force-là, je l’ai rencontrée : c’est Jésus!

Son processus de conversion à l’Église Universelle commence par la souffrance vécue dans son mariage avec un alcoolique. Interrogée sur ce qui a motivé son rapprochement de l’Église, elle dit :

Ah! mais moi, je n’ai pratiquement rien eu du côté de la santé ; non, c’était quelque chose de spirituel, une chose spirituelle due au vice de mon mari, parce qu’il buvait beaucoup. J’ai souffert, mais ce n’est que quand j’ai rencontré Jésus-Christ, seulement à partir de ce moment-là, que j’ai été libérée de tout ça, parce que Jésus soulage. Mais des trucs de santé moi jamais… grâce à Dieu. Vous ne pouvez pas savoir ce que c’est que d’être avec quelqu’un qui boit! C’est ça qui m’a fait venir à l’Église. J’y suis allée par douleur, pas par amour!

Le fait d’être mariée à un alcoolique a causé de nombreux problèmes familiaux, financiers et d’ordre moral, le mari ne pouvant ni faire vivre la famille ni donner le bon exemple ; le fils ne respectait plus le père et incitait sa mère à se séparer :

C’était comme ça, mon mari buvait, alors tout nous manquait, c’était une souffrance! Manque de tout, de paix aussi. Ce n’est pas qu’il traitait mal son fils, non, là ça allait bien, mais à cause de la boisson mon mari méprisait mon fils […]. Il devenait aveugle, parce qu’on devient sourd, muet et aveugle quand on boit, c’est pas vrai? C’est surtout mon fils qui se révoltait, il disait : « oh, maman, largue-le! » Parce qu’il voyait son père rentrer ivre ; il allait au travail et il revenait vers 2 ou 3 heures de l’après-midi déjà saoûl. Alors mon fils voyait ça tout le temps, et ses camarades lui disaient : « regarde, ton père est là, bourré et complètement nase ».

Parallèlement au problème familial, Liza identifie d’autres éléments constitutifs de son sentiment d’oppression : les dettes que son mari avait contractées dans un petit bar dont elle était propriétaire avec son frère, et la mort de son deuxième fils, décédé à la naissance. L’oppression venait également du fait qu’elle n’avait personne avec qui partager sa souffrance :

J’en parlais mais personne ne voyait de solution… parce qu’il n’y en avait pas! J’ai déjà eu des envies de me tuer… à cause de lui et des problèmes d’argent! Je n’avais aucun appui… parfois on cherche même quelqu’un pour se libérer un peu et on ne trouve pas… c’est sur son mari qu’on veut compter, mais je ne comptais pas sur lui, je ne le trouvais pas. J’avais envie de me suicider et même de le tuer… oppressée, je veux dire, plutôt révoltée… c’est un problème! Et tu cherches dans toutes les directions pour trouver une solution, tu vois? Tu n’en trouves pas, tu ne vois rien à l’horizon.

La révolte et l’oppression de Liza se sont manifestées par des signes de violence et de nervosité, au point de vouloir tuer son mari pour se débarrasser de ce qui l’oppressait. C’est là, nous raconte Liza, la preuve qu’elle était, elle aussi, possédée par une entité démoniaque qui avait contaminé l’espace domestique :

Je crois que c’était le diable, le diable en personne! Le diable vient pour tuer, voler et détruire… quand on ne le connaît pas, on suit sa volonté, sans le savoir… sans même savoir ce que l’on est en train de faire, n’est-ce pas? Mais à partir du moment où on le connaît, on comprend tout… Zé Pelintra, le démon. C’est un démon qui met les vices à l’intérieur des gens, qui détruit les mariages… les vices, et c’était vraiment ça.

Les problèmes de Liza commencent à se résoudre avec sa conversion. Son adhésion à l’Église lui permet de maîtriser des comportements socialement négatifs, responsables de la tension qui régnait au sein de la famille. Liza justifie son manque d’auto-contrôle par le comportement de son mari, mais reconnaît qu’elle est aussi coupable. Elle apprend à tolérer les comportements qu’elle juge incorrects ; alors que son mari continue à boire, elle apprend à se contrôler :

ça a changé ma façon d’être, j’étais très agressive. Mais ça a changé, grâce à Dieu, aujourd’hui c’est différent. J’étais nerveuse, mauvaise, mais je m’en repens. Il [le mari] était guidé par le diable… et moi, pour ma part, je ne l’étais pas par Dieu et je le regrette. Si j’avais connu Dieu avant, je ne l’aurais pas fait. Je n’en pouvais plus. J’ai été très cruelle avec lui parce que… je le battais, je le jetais sous la douche pour le laver et lui, il s’en foutait. Aujourd’hui je regrette amèrement ce que j’ai fait.

Émue, Liza raconte sa propre adhésion et le baptême de son mari à l’Église Universelle, dont il est devenu membre après avoir abandonné l’alcool grâce aux correntes[5] auxquelles elle s’est astreinte pendant plusieurs mois :

Il est venu parce qu’il n’en pouvait plus non plus, il était tombé, il avait le visage tout enflé. Il buvait vraiment, un jour ma mère lui a parlé et il y est allé. Il disait souvent qu’il y allait, mais ce jour-là, il l’a fait. Il est baptisé. Grâce à Dieu, Jésus m’a donné la paix. Dieu me donne la paix et la rédemption. […] Il y a eu tellement [de correntes], Dieu seul le sait… Celle [la corrente] d’Israël est très forte. Celle-là a donné des résultats! […] parce que son problème c’était les copains et aussi parce qu’il passait son temps dehors se mélangeant avec n’importe qui […]. Si on l’appelait pour aller quelque part il y allait, il se mélangeait avec le premier venu et la personne parfois ne sait même pas que le démon est ici, de partout, pour inciter à faire ce qu’il ne faut pas.

Pour Liza, l’alcoolisme du mari est un problème de relation avec le monde du mal. Il cesse d’être une maladie ou un choix personnel pour devenir le résultat de l’action d’entités malignes. Évidemment, il s’agit ici d’une interprétation que l’informante construit au cours de sa trajectoire de conversion et qui l’aide à comprendre et à mieux accepter le comportement de son mari, l’incitant à chercher une solution pour le couple. Pour remédier à sa souffrance, Liza trouve une piste dans les rituels de l’Église : il est nécessaire de persévérer puisque, tout comme la souffrance, l’extirpation du mal est un processus long et douloureux. Il est donc important de participer à des correntes, de se soumettre à différents rites, de poursuivre le traitement. Dans le discours de l’Église, la souffrance est une expression du mal, et sa forme dépend du degré de contact de l’individu avec ce dernier. À ce sujet, on peut noter que, en même temps qu’il se concentre sur la guérison d’un mal individuel, le discours de l’Église Universelle récupère également un mal d’ordre collectif. Il y a un démon ponctuel de la maladie, qui cause tumeurs et cancers, associé à un démon collectif, fruit de liens familiaux ou de voisinage. C’est pour cette raison qu’existent le rituel de l’exorcisme (vendredi de la délivrance) et les rituels de récupération de la santé (le mardi de la santé) qui, grâce aux chaînes, visent à résoudre les conflits sociaux et familiaux, en enseignant un comportement différent avec la famille, le conjoint, les amis. Les affects « positifs », comme l’amour et la compréhension, sont valorisés dans ces sessions.

Le miracle de la guérison

J’étais vraiment au bout du rouleau, je touchais le fond du puits, je faisais des rêves, des cauchemars, des crises de nerfs, j’avais de la fièvre, je vomissais, j’avais des envies de suicide, des envies d’en finir avec la vie des autres, une angoisse profonde, une oppression, ma vie était une obscurité, je vivais hors de moi-même, même l’air me manquait… après tout cela, je suis devenue humble, j’ai ouvert mon coeur et j’ai reconnu le pouvoir de Jésus. Aujourd’hui, je suis guérie, Jésus a fait des miracles dans ma vie.

Cette citation rassemble des extraits de discours provenant de différentes converties. Elle pourrait provenir de n’importe quelle fidèle de l’Église Universelle du Royaume de Dieu. « Aujourd’hui je suis guérie » fait référence à toutes les maladies ou « quasi-maladies », celles qui n’ont pas de nom, les maladies relationnelles, le mauvais oeil, la jalousie, l’adultère, l’alcoolisme. Les cas de Monica et Liza sont représentatifs des « souffrances féminines » – même si les causes et les contenus sont différents pour l’une et l’autre – racontées par de nombreuses femmes converties.

Une première observation s’impose concernant cette quête de solutions pour des problèmes spécifiques : les associations symboliques établies par le sujet entre les signes corporels et le contexte social dans lequel il vit. Analysant les récits de vie de nos deux informatrices, tant les causes que leurs propres conceptions de la souffrance et de la maladie sont ancrées dans des significations construites localement – dans leur cas, il s’agit de constructions qui engagent un univers magico-religieux très particulier à la vie locale des habitants de la ville. De même, de nombreux conseils de recherche thérapeutiques proviennent du contexte relationnel dans lequel l’individu est inséré et auquel participent non seulement la famille, mais aussi les amis et voisins[6]. Le second élément en jeu dans ce processus, impliquant une recherche d’appui, une substitution de thérapie et une réinterprétation du problème, vient du fait que celui-ci, déjà situation-limite, cesse d’être un « problème-tension » pour se transformer en « problème-conflit ». Le problème en tant que tension est vécu comme quelque chose de supportable dont les contours sont définis, soit par un cycle d’événements qui détériore plus encore la situation, soit par un cycle d’améliorations. C’est pour cette raison que, dans cette phase, il reste encore quelques espoirs, qui, comment diraient les informatrices, ne sont qu’illusions (faux espoirs), car ils se fondent sur l’erreur de penser que l’on va un jour dépasser le problème. Le « problème-conflit » est différent : c’est le fond du puits. Dans ce cas, il est courant d’entendre des femmes dire que la quête de l’Église Universelle est le résultat d’une expérience de conflit intense, quand la personne, malade, ne maîtrise plus sa maladie. Citons L. Silveira Campos :

Mais c’est dans le groupe des personnes qui vivent des situations limites de souffrance, déçues par la médecine officielle, que l’Église Universelle fait le plus d’adeptes. Beaucoup d’entre eux se définissent, en arrivant dans ces « secours d’urgence » spirituels, comme des « déçus » par la science, des gens qui ne croient plus qu’en une seule possibilité d’espérance : le miracle.

Silveira Campos 1997 : 352

Il est vrai que, lorsqu’il reconnaît son impuissance et choisit une réponse ou une solution à son affliction, le malade est juge des propositions qui lui sont faites. Néanmoins, il serait exagéré de penser que « le culte pentecôtiste est une prestation de services thérapeutiques pour ceux qui n’ont pas d’accès économique ou culturel aux thérapies officielles de la médecine, de la psychothérapie et de la psychiatrie » (Silveira Campos 1997 : 352). Analyser la guérison offerte par l’Église comme un simple produit ne nous éclaire pas beaucoup sur les raisons pour lesquelles les gens continuent à fréquenter les cultes. De même, on se demande ce qui fait que l’individu continue à fréquenter l’Église lorsqu’il est guéri. Le fait de penser la guérison comme un produit de marché (qui suppose un prix, un fournisseur et un consommateur - acheteur) éclaire tout au plus le cas d’une certaine « clientèle fluctuante » qui vient aux cultes, participe, s’engage stratégiquement dans une corrente, ou assiste parfois aux réunions en raison d’un intérêt spécifique. Dans les récits sur les souffrances, le processus de guérison recouvre diverses dimensions, de même que l’acte du « choix » est complexe. Pour ceux qui se considèrent comme guéris par l’Église, la guérison a commencé avec l’acceptation de sa possibilité, la transformation du concept personnel de bien-être qui accompagne une sensation d’amélioration.

Analyser la « souffrance » décrite par les converties n’est possible qu’à la condition de comprendre que la conversion implique un changement dans la signification attribuée au problème. C’est pourquoi, dans les récits de vie, le temps qui précède la conversion est représenté comme un temps de l’ignorance, qui laisse le champ libre aux maladies et aux souffrances qui sont les fruits de l’ignorance de la Parole. Chez les femmes rencontrées, la résolution d’un problème ou la guérison sont contées sous forme de miracle : le miracle de la santé dispense des médecins et des remèdes. Le mouvement de recherche et de contact avec l’Église est sous-tendu par l’idée que cette dernière est une sorte de service de secours spirituel ouvert à tous[7], et celui qui y fait appel espère qu’elle lui apportera ce qu’elle annonce de façon claire, la guérison du corps malade.

La souffrance, réduction du potentiel (et de la capacité) d’action, nous amène à considérer les adhésions à l’Église Universelle d’une manière moins magico-pragmatique que celle qui consiste à voir dans l’institution un simple « service de secours spirituel ». Les fidèles, en cherchant à reconstruire leurs aspirations et leurs desseins perdus dans un « temps de souffrance » (avant-conversion), même si les raisons de cette perte sont investies d’un caractère mystique, restent mobilisées autour d’associations éthiques, régies par un compromis moral avec soi-même et, par conséquent, avec tout l’univers des relations familiales et personnelles. À ce sujet, regardons le récit d’une autre informatrice :

Mon problème et celui de mon mari était la macumba préparée par la voisine […]. Avant de rencontrer l’Universelle, je suis allée dans des maisons de démons [terreiros d’Umbanda] pour essayer de me délivrer de la malédiction […]. À l’Universelle, j’ai découvert que ça ne vaut rien. Il vaut mieux fermer ma porte, prier, venir à l’Église tous les jours et ne pas faire attention aux voisins. Ici les crentes [croyants] m’aident beaucoup. Ma maladie a disparu.

Éliane, 34 ans, mariée, femme au foyer

En d’autres termes, même si les causes des maladies prennent leurs sources dans le monde magique, habité de démons, exus et encostos, on voit dans les descriptions que l’extirpation de la souffrance passe par une lutte éthique contre ces entités maléfiques ou dévoreuses[8] : une lutte menée par différentes actions éthiques, rationnelles, comme recomposer la famille, rechercher du travail, éviter les vices.

Dans de nombreux cas, les émotions négatives sont éliminées également par des expériences cathartiques, qui, une fois investies d’un sens religieux, alimentent des réponses légitimes aux conflits vécus :

Un beau jour, mes yeux ont commencé à me faire mal, vraiment mal, le soir ça s’était transformé et ça me faisait toujours mal, on aurait dit que mes yeux s’étaient déplacés sur mon visage. Je me suis dit que j’allais retourner dans cette église. Lorsque j’ai pris la décision d’y revenir, j’y suis allée, je me suis assise dans le temple, et quand le pasteur a regardé mon visage, il a dit : « Vous avez un problème, n’est-ce pas? ». J’ai dit oui, c’est dans la vue, et le pasteur a prié. Avant les yeux étaient comme ça, un en haut et l’autre en bas, ça semblait triste, différent… Dieu m’a aidée et le pasteur me donnait l’onction tous les jours. J’ai commencé à participer à des correntes, j’ai récupéré ma vue […]. Je crois que c’est une chose [un sortilège] sur laquelle j’avais marché ou un truc qu’ils avaient jeté à mon mari, et comme je l’avais défendu, c’est moi qui l’ai attrapé, quelque chose de mauvais.

Benta, 58 ans, retraitée

Nous ne pouvons nier le fait que pour la personne dont l’histoire est reproduite ici, sa maladie des yeux a été une expérience légitime, le sentiment que quelque chose de pathologique agissait et transformait son apparence physique normale. Là où tous les signes semblent annoncer l’apparition d’une pathologie d’origine physique, elle détermine que le facteur prépondérant est d’ordre surnaturel, résultat d’un problème relationnel. Résultat de quelque chose de mauvais, adressé ou non à la victime, la maladie peut aussi être provoquée par quelqu’un, et la forme qu’elle revêt dépend du degré de fragilité de cette dernière : des conceptions élaborées au sein du groupe émerge l’idée selon laquelle un corps faible ou opressé est le fait d’une prédisposition, mais également d’une négligence. Dans le premier cas, la maladie comme tendance, on parle d’héritage familial, obsession (esprit d’obsession) propre aux spirites. Dans la maladie comme négligence, conception proche des religions afro-brésiliennes, il existe un processus qui peut être mis en rapport avec une « médiumnité » imparfaitement réalisée, pendant laquelle l’« élu » a négligé sa dévotion et ses offrandes aux orixás.

Dans les deux cas, la maladie n’est pas éminemment une entité pathologique, c’est plutôt une dynamique d’engagement dans des situations où le mal – comme force générique – a agi. Telle qu’elle est racontée, elle se rapproche beaucoup d’une dynamique de souffrance. La souffrance n’est jamais décrite en termes ponctuels, au contraire, son caractère séquentiel s’inscrit dans une dimension temporelle, où la permanence, la récurrence et la répétition des événements négatifs lui donnent l’aspect d’un processus : l’envie, la macumba, la désillusion, « quelque chose » qui agit dans l’obscurité, qui veut prendre le mari ou attenter à la vie de quelqu’un de la famille : toutes causes qui impliquent un processus plus long, qui se développe dans le temps et occasionne une perte progressive de soi. Dans ce cycle, le temps de la souffrance – dont l’axe est composé d’évènements ponctuels et critiques – est marqué de moments de soulagement, récupération et réconfort ; temps de tromperie, empli de palliatifs passagers, de faux Dieu consolateur ou d’« Églises faibles » qui allégeaient les tensions : les femmes expliquent ainsi la raison pour laquelle elles ne se sont pas converties avant.

L’expression toucher le fond du puits est « hypercognized » dans le discours des converties. De cette expression découle l’idée que la souffrance n’est plus un problème-tension, mais un problème-conflit. Ce conflit est loin d’être négligeable et semble marquer le point fort d’une trajectoire de souffrance, de même qu’il préside au début d’un processus de substitution des valeurs et sentiments passés. Si la souffrance a un caractère de processus – qui se développe dans et avec le temps – la compréhension de la manière dont les individus interprètent ce champ problématique demande, avant tout, une explication des phases distinctes et des événements qui se sont succédé au cours de la période. L’époque qui précède la conversion est décrite comme un temps d’ignorance, dans la mesure où elle est le résultat d’une histoire personnelle non autonome. La fraction temporelle où s’inscrit le premier acte de déraison (quand on nie la Parole pour la première fois), et le moment qui précède l’acceptation de la Parole est un temps circulaire, qui décrit l’action des tensions liées aux interactions sociales (mondaines) moralement condamnables qui se répètent et persistent : c’est la dynamique du monde, de la persécution et du mal. Sortir du monde consiste à se libérer des relations antérieures et à les remplacer par un flux de réciprocité qui apparaît à l’intérieur du temple, des relations sociales choisies.

Certaines histoires montrent que la souffrance résulte d’anciennes tensions restées latentes qui réapparaissent au cours de l’existence, surtout au moment où le corps semble fragilisé du fait de certaines relations sociales. Les converties cherchent, à partir de cette idée, à expliquer les liens entre passé et présent, par l’intermédiaire de ces moments critiques qui font réapparaître les dimensions endormies. Les cas de Monica et Liza sont particulièrement représentatifs de cette situation, mettant en évidence la crise comme résultat d’une dynamique cumulative d’échecs qui finissent par pousser l’individu à renoncer à un cours « normal » de vie.

Les descriptions de la souffrance, utilisées pour caractériser l’état de la personne avant la conversion, montrent des dimensions importantes de la sémantique néopentecôtiste. Les signes de souffrance s’inscrivent dans deux domaines : le domaine particulier du corps proprement dit, qui, à partir d’une fragilité quelconque, met en évidence une situation d’incapacité à assumer de façon convenable le rôle social réservé à chaque individu dans une société ; et le domaine des relations sociales, touché par les modifications qui accompagnent une sensation d’un certain Mal résultant de l’impossibilité du type de relations souhaité. D’une manière plus large, dans les conceptions des converties, ces deux domaines – le corporel et celui des interactions sociales – présentent un grand intérêt et sont ceux qui gouvernent une vie saine en société. Cette conception s’étend jusqu’aux attentes des effets de la conversion. D’ailleurs, nous remarquons que l’Église Universelle propose, dans son discours, la réparation des problèmes dans ces deux domaines. Ainsi, la conversion rend-elle possible le retour à une normalité : une idée fortement marquée et liée aux conceptions populaires du « valorisé » et du « non-valorisé ».

Dans les récits, en général, la souffrance vient de situations liées à la mort, à l’infidélité, à l’alcoolisme, aux maltraitances. L’analyse du caractère négatif de ces événements est rattachée à l’idéal de la « personne locale ». Comme l’observe Clifford Geertz, la « notion de personne » est, en général, liée à des idéaux déterminés qui informent des comportements, attitudes et conceptions (1984). De fait, la construction de la subjectivité est organisée et justifiée dans le cadre d’une élaboration d’attentes sociales. Dans les entretiens, « l’idéal de personne » (dans ce cas particulier, la conception de la femme) qui émerge des conceptions des converties est celle d’une femme responsable de la maison, tournée vers sa famille et dont les comportements ne sont pas extrêmes. On observe que l’Église Universelle ratifie le modèle traditionnel de « personne » en renforçant le profil de la femme responsable de la famille, qui s’occupe de ses enfants et veille à la spiritualité et à l’équilibre de la cellule familiale. En même temps, l’Église Universelle, par un discours tourné vers la prospérité, l’argent, la richesse pour être heureux, semble encourager les femmes à s’insérer dans le marché du travail, même s’il ne s’agit que d’occupations modestes. Parmi les fidèles, nous constatons une constante référence au fait de réussir à améliorer la situation économique de la famille, rationalisation à laquelle elles disent s’être intéressées à partir de la conversion. Beaucoup parlent de l’aide psychologique de l’Église dans leur recherche de travail ; d’autres montrent comment l’Église a un rôle effectif et pratique dans ce processus, surtout parce qu’elle est le moteur du succès dans la vie financière de certaines converties. Les effets de la conversion sont divers. Il n’existe pas de modèle unique, d’interprétation unidimensionnelle qui permette la compréhension des cas de conversion à l’Église Universelle. Pour de nombreuses converties, la rencontre avec l’Église coïncide avec la libération des maladies ; pour d’autres, il s’agit d’une découverte de potentialités nouvelles dans le monde du travail ; pour d’autres encore, une vie de découverte de ses dons (dans le cas de celles qui s’engagent comme obreiras dans le temple). Néanmoins, s’il est vrai que la conversion repose sur différents facteurs et causes, il y a un thème qui se profile dans la grande majorité des récits : la conversion a aidé ces femmes à reconfigurer leur souci de prospérité et de bonheur pour la famille, en montrant plus d’intérêt pour la responsabilité de la sphère domestique. Dans ce cas, ce retour à la famille est considéré comme l’indicateur d’une bonne gestion des émotions indésirables, fruits d’un désordre personnel qui assiège le corps ou s’installe dans la famille, et dont les origines sont exogènes (diable, mauvais oeil ou système social en général). L’Église Universelle récupère le sens populaire, les aspirations et désirs de ceux qui sont exclus socialement.

Conclusion

Les différents cas et récits entendus et analysés peuvent être pris comme représentatifs de la majorité des expériences vécues par la plupart des converties. Les récits de maladies physiques, concrètes, en vérité, semblent servir de cadre générique à l’intérieur duquel sont organisés les faits, orientant l’attention de ceux qui entendent les témoignages de guérison vers le caractère efficace des rituels de l’Église ; en même temps, les récits sur la maladie et la guérison visent à exposer la dimension du miracle (« Jésus guérit »), fortement présente dans les récits et enseignée par le discours propre à l’institution.

La « pédagogie rituelle » de l’Église Universelle construit un lien entre le bien-être et la libération des démons. Le discours de la causalité est un ensemble complexe dans lequel tous les facteurs sont imbriqués. Des gens qui se sentent possédés récupèrent l’idée de l’existence du démon, mise à disposition par l’Église comme moyen d’organiser leur défense. Dans ce cas, il est important de prendre en compte la hiérarchisation des problèmes par les fidèles, l’accent mis sur certains éléments au détriment des autres. Fréquenter le médecin et l’église c’est attribuer à chacun une fonction spécifique : à l’un, le symptôme, à l’autre la cause. En analysant le discours de l’Église, on remarque que l’insistance mise sur les rituels de délivrance ou de libération ne ferme pas la porte à d’autres thérapies professionnelles ou officielles comme la médecine et la psychiatrie. Ainsi le lien causal entre possession et maladie n’est pas fermé en soi.

À la lumière des cas présentés, on peut voir comment l’adhésion est pour les individus un processus au cours duquel ils réinterprètent leurs conflits et comment les résultats de la conversion peuvent être ressentis dans divers domaines. Ainsi, les converties sont invitées à expérimenter des sensations corporelles d’amélioration et une satisfaction intérieure croissante, et, dans un autre domaine, elles sont encouragées à établir des relations positives avec leur entourage. Parmi les cas étudiés, nous observons que, parallèlement aux idées de guérison, de grâce obtenue et de nécessité de construction de la rédemption, apparaissent d’autres facteurs qui participent au processus d’adhésion : la vie au temple, l’appartenance à un groupe religieux, la relation avec le pasteur, la construction d’un nouveau réseau amical. De même, dans les rituels pour arrêter les conflits, la musique et l’expression corporelle sont des éléments valorisés dans le discours des fidèles. En d’autres termes, les fidèles croient que l’adhésion à l’Église Universelle les a aidées à dépasser leurs conflits, rendant possible une auto-connaissance qui les conduit à trouver en elles la solution des problèmes pratiques, sans qu’elles soient absentes du monde, comme dans le pentecôtisme classique.

L’idée selon laquelle les gens se convertissent à l’Église Universelle en raison d’une maladie (maladie personnelle ou maladie d’un membre de la famille) et viennent au temple chercher une solution magique à leurs problèmes ne révèle pas grand chose du rôle important joué par certains événements dans cette décision. C’est parce qu’une analyse de la conversion doit débuter par la compréhension de la manière dont les convertis définissent et organisent ces événements de la vie quotidienne qu’il est nécessaire de comprendre la conversion à partir de l’avant-conversion. Ainsi, analysées dans leur complexité et leurs évolutions temporelles, les histoires de conversion sont généralement associées à différents thèmes, révélant de cette manière que le sens initial de la conversion n’était pas seulement lié à la maladie mais plutôt à un ensemble de situations problématiques, dont les contours nous renvoient à la nature et au champ d’action de l’individu. En étudiant les cas de conversion de femmes au pentecôtisme et à l’umbanda, John Burdick (1998) conclut que l’une des explications possibles du grand nombre de femmes qui fréquentent les deux cultes est la fréquence de problèmes dans le domaine domestique, séparations, infidélités, etc. Ainsi, il semble que les maladies qui sont présentées comme la cible des cures et exorcismes s’enracinent beaucoup plus dans la dynamique des relations sociales.

Le corps est à la fois porteur et producteur de signes. Il est également un objet de discours. Le corps, cette superficie où s’inscrivent des signes, devient surtout primordial lorsqu’il est soumis à une urgence, à un moment extraordinaire (Augé 1992). Des événements essentiels, de transition ou qui impliquent un changement du statut personnel (naissance, mort, reproduction, mariage, séparation, etc.), sont des moments où le corps devient plus présent, rappelant à l’individu le problème de la finitude : le cycle de la vie est l’histoire d’une relation progressive au corps.