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Cet ouvrage s’inscrit dans le renouveau de l’approche anthropologique des questions relatives à la relation entre les humains et l’environnement. Il aborde principalement les questions de changement social, de perception autochtone de la nature et de sa dégradation, de conservation de l’environnement et de pratiques agro-écologiques durables. Il fait aussi honneur à un mode d’enquête et d’écriture chères à l’anthropologie classique en ancrant son argument dans l’ethnographie de communautés locales. La question centrale que pose le texte porte sur le rôle que jouent les perceptions de différents acteurs dans l’appropriation sociale de l’environnement bio-physique.
Dans l’introduction, les auteures présentent l’esprit dans lequel fut menée l’enquête auprès de groupes autochtones du sud de l’État mexicain du Veracruz. Elles expriment ouvertement la volonté de participer à la construction des paramètres d’un développement local participatif fondé sur la durabilité écologique et la responsabilité collective. L’introduction annonce aussi les concepts et méthodologies sur lesquelles leur enquête s’appuie, la « perception » apparaît ainsi comme le concept organisateur de l’ouvrage.
Le premier chapitre consiste en une contextualisation historique à la fois politique, économique, sociale et environnementale des communautés étudiées. On y montre la profondeur des mécanismes qui ont, depuis les réformes agraires, provoqué la transformation des paysages montagnards et des structures agraires traditionnelles de cette région. La dégradation environnementale, en ces termes, aurait pour causes l’instauration progressive d’un système d’ejidos qui remplace l’utilisation communautaire traditionnelle des terres et l’introduction de l’élevage bovin qui renverse graduellement la milpa. Ces facteurs auraient contribué, en plus du rôle des agents extérieurs aux communautés, à former la perception contemporaine des autochtones à l’égard des changements environnementaux.
Le second chapitre explore justement les fondements culturels de la perception autochtone. Les auteures y discutent, sur un plan essentiellement théorique, de ce qu’elles appellent la « normativité environnementale traditionnelle nahua ». Le chapitre s’articule principalement autour des chaneques, les protecteurs mythiques de la nature décrits par les informateurs autochtones. Ces entités agiraient comme médiatrices de l’usage du bien commun et réguleraient l’accès des humains aux ressources de la forêt et des rivières. Détenant autrefois un fort pouvoir symbolique, le chaneque n’occupe plus le même espace dans l’imaginaire collectif issu du nouveau contexte décrit au premier chapitre.
Le troisième chapitre explore ce contexte plus en profondeur. Une description détaillée des pratiques et perceptions multiples amène à comprendre que les laissés-pour-compte des ejidos, dans un contexte communautaire de moins en moins solidaire, n’ont souvent d’autre choix que d’exploiter des ressources fragiles à la dérobée et sans souci de pérennité. Devant ce constat, les auteures énumèrent la multiplicité des perceptions indigènes, tenant compte de facteurs générationnels, religieux et de genre, en ce qui a trait aux différents aspects de la dégradation environnementale, ses causes, ses responsables et la possibilité d’y remédier. Il s’en dégage un portrait complexe témoin d’un imaginaire collectif fragmenté par le changement social.
Les auteures s’intéressent ensuite à ceux qu’elles nomment les formateurs d’opinions : l’Église, l’école et l’autorité locale. Elles abordent plus précisément les discours de ces acteurs sur la dégradation environnementale, propos qui témoignent de leurs visions hétérogènes. Devant le portrait complexe qui s’en dégage, les auteures concluent simplement ce chapitre en annonçant que la question environnementale demeure tout de même un sujet d’intérêt majeur dans les communautés et pour l’ensemble des acteurs.
Pour donner suite à leur intention annoncée de participer à la construction d’un développement local, écologique, collectif et durable, Lazos et Paré présentent dans le dernier chapitre une expérience collective de responsabilisation sociale liée à la protection de l’environnement. Elles font la genèse de deux initiatives locales d’éducation à des pratiques agricoles. Ces projets visent à pérenniser les ressources grâce aux technologies de pointe en agro-écologie, tout en respectant les particularités culturelles autochtones – dont l’entité chaneque. Ces types de projets suscitent une nouvelle responsabilité sociale qui permet de freiner l’impact social, économique et culturel de la dégradation environnementale.
La principale qualité de cet ouvrage réside en la finesse de son approche ethnographique. Chacun des arguments principaux et secondaires avancés s’appuie sur une série de citations pertinentes provenant directement des entrevues menées par les chercheuses et leur équipe. Cette richesse et la variété des citations concernant les perceptions a toutefois l’inconvénient de limiter quelquefois la portée des synthèses qu’on en fait.
Cet ouvrage dénote aussi le souci de transparence des auteures. Elles décrivent soigneusement les motivations de l’enquête de même que les principaux fondements théoriques et méthodologiques qui sous-tendent leurs arguments. Cette limpidité sera utile pour les lecteurs et chercheurs qui s’intéressent aux modalités de l’enquête anthropologique abordant les questions environnementales. De même, Lazos et Paré ne cachent pas leur intention de contribuer à la réflexion qui vise à réorienter les pratiques de développement local et participatif. Le livre encourage d’ailleurs la décentralisation des pratiques de développement et de conservation afin que se multiplient les approches locales fondées sur la participation communautaire et l’intégration des savoirs « traditionnels » et « modernes ». Alors que cet argument évoque l’inefficacité structurelle de l’État national en la matière, les auteures expriment curieusement en conclusion leur souhait de voir ces nouveaux paramètres du développement local articulés aux instruments juridiques nationaux pour définir une nouvelle normativité efficace, acceptée et assumée par la population. C’est donc sur une note ambiguë que se termine l’ouvrage, ce qui ne lui retire toutefois en rien son intérêt.