L’éthique émerge à la fin du XXe siècle comme un lieu alternatif de critique sociale et politique. C’est au nom du respect de normes éthiques comme guides pour l’action juste, responsable ou bienfaisante que les chercheurs contemporains en appellent à la protection de l’environnement, à une sécurité sociale pour les populations vulnérables, à des règles régissant les expérimentations dans le champ de la santé, à l’intervention préventive face aux génocides ou encore au respect des droits des minorités autochtones ou immigrantes. Les luttes pour la justice sociale, le respect des droits fondamentaux ou la protection de la planète transitent désormais par la justification éthique. Au Canada, les gouvernements fédéraux, provinciaux, voire municipaux se dotent de codes d’éthique. Il en va de même pour la plupart des gouvernements occidentaux, des organismes internationaux, voire des marchés boursiers. L’éthique devient un nouveau lieu, voire un outil de légitimation des pratiques sociales, mais aussi des choix politiques et des stratégies économiques. Parallèlement, face à cette omniprésence de l’éthique dans la sphère sociale, la question des fondements normatifs de ces guides pour l’action se pose avec de plus en plus d’acuité. Existe-t-il des valeurs, des principes ou autres normes universellement valides pour fonder cette éthique? La question est devenue centrale pour les défenseurs et les opposants aux Charte des droits de l’homme, Charte des droits des peuples autochtones, voire pour les tenants de la Déclaration universelle de l’Unesco sur la diversité culturelle adoptée en 2001. Les principes éthiques à la base des multiples chartes et conventions internationales ont-ils une valeur universelle? Doivent-ils respecter les valeurs inscrites dans chacune des moralités locales concernées? Un tel défi pourra-t-il jamais être relevé? L’un des enjeux majeurs de la mondialisation consiste en cette rencontre des éthiques à prétention universelle avec les morales ou éthiques propres à chacun des milliers de groupes ethniques et religieux qui peuplent les quelque 190 États souverains actuels. Au niveau national, sur tous les continents, le défi soulevé par la diversité morale est accentué par l’émergence, à l’intérieur de chacun de ces États, de minorités ethniques et religieuses issues pour la plupart de la migration internationale au siècle dernier. Plus précisément, l’éthique est confrontée au défi, exacerbé par la quête de reconnaissance (Honneth 2000), des porteurs de cette diversité, en particulier dans les États qui ont adopté une forme ou l’autre de multiculturalisme (Kymlicka 2007). La promotion de normes éthiques universelles, voire même nationales, est mise au défi d’une éthique de la reconnaissance tout autant des identités culturelles que des morales véhiculées par chacune des minorités à l’intérieur de la nation (Taylor 1994). Comment appliquer une éthique de la reconnaissance des moralités plurielles sans tomber dans une essentialisation des identités morales, un processus de réification des moralités et des normes éthiques contre lequel ont lutté les relativistes aussi bien que les défenseurs des droits de l’homme? Et ce, sans revenir sur les acquis de l’égalité ni morale, ni politique, ni juridique des individus et des peuples? Pour certains, le défi de l’universalisme éthique devient vital pour la survie des sociétés modernes. Le pape Benoît XVI soutient que c’est le relativisme moral qui est responsable de la corruption des affaires humaines, thème d’ailleurs largement repris par le parti républicain américain et la droite morale lors des dernières élections présidentielles aux États-Unis. Les promoteurs des droits de l’homme, voire des droits de diverses collectivités jugées vulnérables, n’en appellent pas moins, eux-aussi, au respect de principes éthiques universaux qui reposeraient sur des valeurs partagées par l’humain et ce, d’un univers moral local à l’autre. Il n’est donc pas étonnant qu’à la fois la portée et les limites …
Parties annexes
Références
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