Dossier : Corruption de la démocratie ?Corruption and Democracy

Corruption de la démocratie ?IntroductionCorruption and DemocracyIntroduction[Notice]

  • Marc-Antoine Dilhac

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  • Marc-Antoine Dilhac
    Université de Montréal

Généralement associée aux oeuvres classiques de Platon à Rousseau en passant par Aristote et Machiavel, la notion de corruption avait pour ainsi dire disparu de la carte de la philosophie politique, tant chez les auteurs qui se réclament de la théorie critique que chez théoriciens analytiques de la justice plus soucieux d’élaborer des principes politiques que d’examiner les institutions qui les réalisent. Or, depuis le milieu des années 1990, la corruption fait l’objet d’un regain d’intérêt qui se manifeste par une augmentation du nombre de publications, des événements académiques et des programmes de recherche financés sur ce thème. Comment peut-on expliquer ce phénomène ? Il faut reconnaître d’abord que la corruption n’a pas cessé d’être étudiée en économie, en science politique et en sociologie, et ces différentes disciplines constituent évidemment une source importante de la réflexion philosophique. Sous leur influence, l’usage de la notion de corruption a étendu au domaine privé, celui de l’entreprise et du marché, alors qu’il était plutôt réservé aux actes impliquant des personnes dotées d’une autorité publique (fonctionnaires, représentants politiques, gouvernants). Cependant, dans la plupart des études, la corruption reste comprise dans son acception juridique c’est-à-dire comme un acte qui consiste à utiliser sa fonction pour obtenir des gains personnels. En introduisant les notions de règles et d’échange, on peut définir la corruption comme le fait pour un agent (x), ayant un contrôle sur des règles dans le cadre d’une fonction (publique ou privée), d’utiliser son pouvoir pour favoriser un agent (y) en suspendant l’application des règles en échange d’une faveur de la part de l’agent (y). La catégorie de corruption comprend ainsi des actes que le droit traite séparément comme les pots-de-vin, la collusion, le délit d’initié, le trafic d’influence, le conflit d’intérêt, etc. Mais cette définition réduit la corruption à une violation de règles légales accomplie par des individus, à la moralité personnelle défaillante, dans le cadre de leur fonction. Cela n’intéresse pas beaucoup la philosophie politique qui privilégie l’analyse des institutions et des rapports de pouvoir, et la justification des règles publiques. Cela explique sans doute pourquoi cette dernière est restée relativement silencieuse sur les enjeux de la corruption. Cependant, les analyses économiques en théorie des jeux et de l’information et les analyses sociologiques fonctionnalistes ont permis d’une façon inattendue de replacer la corruption sur la carte de la philosophie politique, notamment dans la région des théories de la démocratie. En effet, les travaux dans ces domaines ont introduit dès la fin des années 1940 deux caractéristiques cruciales d’une analyse politique de la corruption : la première caractéristique est « l’amoralisation » des agents et de leurs relations, en particulier dans la sociologie fonctionnaliste de la déviance chez Merton ; la deuxième est la conception de la corruption comme un phénomène systémique. Ces deux caractéristiques sont en réalité parfaitement solidaires. Dans la mesure où l’on ne cherche plus la cause de la corruption dans le caractère vicieux des individus, on est plus enclin à reconnaître l’importance du contexte, du jeu des intérêts bien compris, de l’économie des incitations et de l’articulation des règles institutionnelles. On peut dès lors reprendre l’hypothèse classique que les individus sont des fripons (knaves) ou encore des démons dotés d’un entendement (Teufeln) pour étudier le système de règles et l’agencement institutionnel qui favorisent ou limitent les comportements corrompus. L’intérêt croissant pour la corruption en philosophie politique s’explique ensuite par la résurgence de la théorie républicaine sous l’impulsion des travaux de J. G. A. Pocock et Quentin Skinner en histoire de la pensée politique, puis de Philip Pettit et John Maynor entre autres, en philosophie politique. …

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