Volume 44, numéro 3, 2003
Sommaire (11 articles)
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L’évincement du droit par l’invention de son double : les mécanismes néo-réglementaires en droit public
Daniel Mockle
p. 297–360
RésuméFR :
Cette étude est la suite d’un texte publié en 2002 : « Gouverner sans le droit ? Mutation des normes et nouveaux modes de régulation » (43 Cahiers de Droit 143). Il avait pour objet d’analyse la diversité des nouveaux mécanismes de régulation dans le champ des actes non réglementaires. Cette nouvelle étude reprend le thème de l’évincement du droit pour mesurer l’originalité de ces mécanismes par rapport aux lois et règlements. Si la réinsertion de ces mécanismes néo-réglementaires dans la théorie des normes n’apporte guère de réponse concluante, elle montre en revanche une nette différence entre les modèles de référence et les modèles finalisés par objectifs. Cependant, comme la législation et la réglementation offrent également des procédés de ce type, ce mimétisme montre l’importance des enjeux formels liés à l’élimination des contraintes de forme et de procédure dans l’élaboration de ces mécanismes dits « alternatifs ». La primauté accordée aux résultats par le nouveau management public et la gouvernance accentue ainsi la désuétude apparente des critères de forme et de procédure associés à la légalité et à la validité. Il en résulte des dispositifs normatifs inclassables dans les catégories officielles du droit. La prééminence trop exclusive du modèle classique et centralisé de la loi explique également la recherche de solutions mieux adaptées à la transformation des politiques publiques et des modes de gouvernance.
Si cette évolution traduit la prépondérance de l’effectivité et de la performance dans le choix de procédés réduits à des « outils de gouvernance », elle n’annonce pas pour autant l’apparition d’une contre-catégorie homogène dans le vaste champ des actes non réglementaires. En dépit de cette diversité, le dédoublement du champ normatif en droit public constitue une hypothèse plausible à laquelle les juristes ne peuvent plus répondre par le mode habituel de l’inclusion/exclusion (droit versus non-droit). Ces mécanismes néo-réglementaires sont largement le produit du droit officiel qui les institue et les exclut du domaine réglementaire en vue de répondre aux objectifs induits par le management et la gouvernance. Le droit produit ainsi un double fonctionnel pour instaurer une gouverne néo-juridique dans la formulation des politiques publiques. Les rapports de l’État avec son propre droit deviennent plus complexes, ce qui oblige à revoir la théorie normative de l’État sur une base évolutive et plus contemporaine.
EN :
This paper is a follow-up to an initial paper published in 2002 : “Gouverner sans le droit ? Mutation des normes et nouveaux modes de régulation” [Governing without Law ? Changing Norms and New Regulatory Mechanisms] (43 Cahiers de Droit 143). The purpose of this initial research was to analyze regulatory diversity in areas of non-regulatory acts. The new analysis presented here returns to the “ousting of the law” theme in order to fathom the originality of these mechanisms as contrasted with statutes and regulations. If the reinsertion of such neo-regu-latory mechanisms into the theory of norms does not provide a conclusive answer, it does nonetheless show a sharp difference between referral models and objective-oriented models. Yet, since legislation and regulations also offer techniques of this kind, this imitating demonstrates the importance of the formal stakes related to the elimination of form and procedure in developing these so-called “alternative” mechanisms. The primacy granted to results by new public management and governance thereby emphasizes the obvious obsolescence of the criteria of form and procedure associated with legality and validity. The results take the form of unclassifiable instruments within the official categories of the legal system. The overly exclusive pre-eminence of the classic and centralized legislative model also explains the research for solutions better adapted to changes in public policies and methods of governance.
If this evolution evidences the preponderance of effectiveness and performance in the choice of techniques reduced to “governance tools”, it does not necessarily hail the appearance of a homogeneous counter-category in the vast area of non-regulatory acts. Despite this diversity, duplication in the normative area in public law is a plausible hypothesis against which legal scholars can no longer set up the usual pattern of inclusion/exclusion (law versus non-law). These neo-regulatory mechanisms are to a great extent the product of the official legal framework that institutes them and excludes them from the area of regulatory law so as to respond to objectives induced by management and governance. The legal system thereby produces a bi-functionality to institute a neo-juridical orientation in the formulation of public policies. The relationship of the State with its own legal system becomes more complex, which raises the need to review the State’s normative theory on an evolutionary and more contemporaneous basis.
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L’écolabel est-il un outil du protectionnisme « vert » ?
Kristin Bartenstein et Sophie Lavallée
p. 361–393
RésuméFR :
Le Sommet de la Terre, tenu à Rio de Janeiro, en 1992, a certainement marqué un tournant sans précédent dans la prise de conscience des enjeux environnementaux de la planète et de la nécessité de concilier les pôles économique, social et environnemental du développement durable. La Déclaration de Rio énonce 27 principes devant guider la réalisation de ce grand dessein pour l’humanité. Parmi ces derniers, le principe 8 encourage les États à « […] réduire et éliminer les modes de production et de consommation non viables ». En informant le consommateur de l’impact environnemental net d’un produit, l’écolabel peut devenir un outil du développement durable. Cependant, peut-il aussi être un outil du protectionnisme vert ? Cette question s’impose devant la multiplication des programmes d’écolabels à l’échelle mondiale puisque l’expansion du phénomène des écolabels, applaudie par les uns, suscite néanmoins des doutes chez les autres qui remettent en question la conformité de ces labels écologiques avec les règles du commerce international édictées sous l’égide de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Cette question suscite de vives discussions dans l’enceinte de l’OMC depuis quelques années déjà
Notre article se propose d’analyser la conformité des programmes d’écolabel avec les dispositions pertinentes des accords de l’OMC. Comme notre étude le montrera, la nature même des écolabels, tels qu’ils sont conçus actuellement, fait en sorte qu’ils ne devraient pas violer les règles de droit qui président à ces accords. Toutefois, l’existence d’un débat sur la conformité des écolabels avec les règles du commerce international est le signe d’un conflit politique et économique potentiel, et non négligeable, sur cette question. En dernière analyse, nous concluons que la discussion devrait être poursuivie, mais à un autre niveau, à savoir celui de l’harmonisation des règles régissant les programmes d’écolabels en vue de minimiser les problèmes politiques et économiques que les écolabels sont susceptibles d’engendrer.
EN :
The Rio Earth Summit, held in Rio de Janeiro in 1992, certainly stands out as an unprecedented turnabout in planetary awareness of environmental concerns and the need for reconciliating the axes of sustainable development, namely economic, social and environmental issues. The Rio Declaration sets forth 27 principles intended to orient the achievement of this vast project for humanity. Among these principles, the eighth one encourages States to“[…] reduce and eliminate unsustainable patterns of production and consumption […].” By informing consumers of the net environmental impact of a product, the ecolabel may become a tool for sustainable development. Might it also be, however, a tool for green protectionism ? This issue is inevitable owing to the multiplication of ecolabel programs worldwide since the phenomenal expansion of ecolables, applauded by some yet raising doubts among others who are questioning the conformity of these ecological labels with the international business rules set forth by the World Trade Organization (WTO). Not only is this issue a current one, it has also remained the subject of intense discussions within WTO for several years now.
Our paper attempts to analyze the conformity of the ecolabel programs with the relevant provisions of WTO accords. As our analysis demonstrates, the very nature of the ecolabels, as they are currently designed, is such that they should not violate the rules of law governing these accords. Yet, the existence of a debate on the conformity of ecolables with international business rules is symptomatic of a non-so-negligible political and economic conflict concerning this issue. In the final analysis, we conclude that discussions should continue, but at another level, namely within the harmonization of the rules governing ecolabel programs in order to minimize the political and economic problems that ecolabels may likely cause.
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La proposition d’entente de principe avec les Innus : vers une nouvelle génération de traités ?
Maxime Saint-Hilaire
p. 395–426
RésuméFR :
Dans l’article qui suit, l’auteur rappelle d’abord l’impératif de la conclusion de traités entre l’État et les nations autochtones. Il explique ensuite comment la politique fédérale, selon laquelle les nations autochtones doivent, si elles veulent négocier avec l’État l’aménagement précis de leurs droits spéciaux sur certains territoires, accepter d’abandonner la totalité ou une partie importante de leurs droits ancestraux en échange de droits établis par traité, devient une pierre d’achoppement pour l’entente. Suivent un exposé des principaux rapports, critiques et tentatives hésitantes pour y remédier puis une analyse des solutions de remplacement somme toute insuffisantes qui ont été retenues à l’occasion de la négociation de certains traités. Enfin, l’auteur présente l’actuelle proposition d’entente de principe avec les Innus de Mamuitun et de Nutashkuan, qui pourrait bien annoncer un déblocage du processus général de négociation des revendications de ce type au Canada en faisant le lit d’une nouvelle génération de traités.
EN :
In the ensuing paper, the author first discusses the importance of the treaties entered into by the State and aboriginal nations. He then explains how federal policy becomes a stumbling block for an agreement when aboriginal nations want to negotiate the specific development of their special rights over certain territories and they must agree to abandon all or a substantial portion of their ancestral rights in exchange for rights established under a treaty. The author then goes on to describe the main reports, critiques and timid attempts to find remedies ; he also provides an analysis of alternative solutions, by and large insufficient, that have been considered during the negotiation of certain treaties. Finally, he presents the current draft agreement in principle with the Innu in Mamuitun and Nutashkuan, which could result in an end to the deadlock in the general process for negotiating claims of this kind in Canada, and thereby set the stage for a new generation of treaties.
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La reconnaissance internationale des droits environnementaux : le droit de l’environnement en quête d’effectivité
Maryse Grandbois et Marie-Hélène Bérard
p. 427–470
RésuméFR :
La hantise des contraintes sociales et environnementales apparaît de plus en plus comme une des caractéristiques principales du processus de mondialisation économique. Elle se traduit notamment par une opposition constante des grandes entreprises à toute idée d’universalisation des normes environnementales. Cependant, la reconnaissance internationale du droit à l’environnement pourrait changer cet état de choses et générer peu à peu un contenu normatif minimal, des standards environnementaux nécessaires à la vie et à la santé humaine, liant l’ensemble des acteurs de la société civile. Dès lors, les États et les entreprises ne pourraient plus s’abriter derrière des engagements flous et des termes vagues et les droits environnementaux pourraient, au même titre que les autres droits fondamentaux, donner une voix aux victimes d’atteintes graves à l’environnement. Cet article s’intéresse à l’état du droit international relativement à ces enjeux et à ces attentes.
EN :
An apprehension of social and environmental restrictions is increasingly coming to the fore as one of the main characteristics of the process of economic globalization. This is especially true in the continuous opposition by large businesses regarding any innovation for generalizing environmental standards worldwide. Nonetheless, legal international recognition for environmental issues could change this situation and slowly generate a minimal set of standards governing environmental concerns essential for life and healthy humans, thereby uniting all members of civil society. As such, States and businesses would no longer be able to take refuge behind ambiguous agreements drafted in vague terms and environmental rights could, just as do fundamental rights, give a voice to victims of serious threats to the environment. This paper deals with the status of international law as regards these critical factors and these expectations.
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La reconnaissance du caractère spécifique du commerce agricole à travers la prise en compte des considérations liées à la sécurité alimentaire dans l’Accord sur l’agriculture
Geneviève Parent
p. 471–517
RésuméFR :
La reconnaissance d’un caractère propre au commerce agricole est au coeur des débats entourant les négociations multilatérales de Doha sur l’agriculture au sein de l’Organisation mondiale du commerce (OMC).
D’un point de vue théorique, l’intérêt de cette question réside dans le fait qu’elle se situe dans la vague de changement qui déferle sur l’OMC. En effet, depuis un certain temps, les limites et les théories qui sous-tendent l’existence de l’OMC sont mises à l’épreuve. Parmi les questionnements que soulève cette situation, plusieurs s’interrogent à propos du champ d’action de l’OMC et des incidences de la libéralisation des échanges sur des sujets importants tels que la sécurité alimentaire ainsi que les pratiques agricoles et alimentaires traditionnelles. Les divergences d’opinions des États Membres quant à la manière de traiter les produits agricoles au sein de l’Accord sur l’agriculture sont des symptômes de cette remise en question.
La poursuite du processus de libéralisation des échanges agricoles dépend de la possibilité qu’ont les Membres de l’OMC de prendre en considération la spécificité de leur agriculture dans le contexte de leurs politiques nationales. Les négociations actuelles sont donc de première importance pour encadrer et faire progresser cette reconnaissance.
Cependant, la reconnaissance du caractère multifonctionnel de l’agriculture, proposée par bon nombre de Membres, nous semble une avenue trop vaste qui ouvre la porte à des possibilités de contournement des engagements déjà en place. D’autre part, la vision prônée par les États-Unis et le Groupe de Cairns, selon laquelle les produits agricoles doivent subir une libéralisation calquée sur celle des produits industriels, est trop réductrice et ne permet pas une prise en considération efficace de la spécificité du commerce agricole.
L’avenue appropriée et réaliste pour atteindre cet objectif est de faire fond sur les acquis de l’Accord sur l’agriculture et de les développer afin qu’ils assurent une prise en compte efficace des considérations autres que d’ordre commercial liées à la sécurité alimentaire.
EN :
Recognizing the specific nature of agricultural trade has been at the heart of debates in the multilateral Doha negotiations on agriculture within the World Trade Organization (WTO)
Theoretically, the interest of this issue especially resides in the fact that it is caught up in the whirlwind of changes affecting WTO. Indeed, for some time now, the limits and theories that underpin WTO existence have been put to the test. Among the various questions emerging from this situation, many wonder about WTO’s range of action and the impacts of trade liberalization on important issues such as food safety, plus traditional agricultural and nutritional practices. Differences of opinions between Member States regarding the way in which food products are dealt with under the Agreement on Agriculture are symptomatic of this soul-searching.
The continued process of liberalizing agricultural trade depends on the possibility that WTO Member States have in taking into consideration the specificity of agriculture within the overall context of their national policies. Current negotiations are therefore of prime importance for overseeing this recognition and its ensuing progress.
Nonetheless, the recognition of agriculture’s multifunctional nature, proposed by many Members, appears to us to be a path far too large, which opens a door to means for working around already existing commitments. In addition, the approach set forth by the United States and the Cairns Group, by which agricultural products must undergo a liberalization modeled on that of industrial products, is far too reductionist and excludes an efficient taking in to consideration of the specificity of agricultural trade.
The appropriate and realistic pathway for reaching this objective is to use the gains issuing from the Agreement on Agriculture as a basis and develop them in such a way as to ensure the efficient taking into account of considerations other than commercial ones linked to food safety.
Notes
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La compétence fédérale et le projet de loi sur la procréation assistée
Guy Tremblay
p. 519–537
RésuméFR :
Le projet de loi C-56, devenu C-13, piloté par la ministre de la Santé depuis le 9 mai 2002 concerne les techniques de procréation assistée et la recherche connexe. Il donne suite dans une large mesure aux recommandations de la Commission royale sur les nouvelles techniques de reproduction (commission Baird), dont la version définitive date de 1993. Le projet de loi C-13 a toutefois été conçu comme une mesure se fondant sur la compétence criminelle du Parlement fédéral. Selon l’auteur, plusieurs des dispositions du projet de loi C-13 qui concernent les « activités réglementées », contrairement à celles qui portent sur les « actes interdits », ne peuvent se justifier à titre de mesures criminelles. En particulier, le projet de loi
C-13 s’ingère dans les activités ordinaires des cliniques et des laboratoires de fertilité sans poursuivre à cet égard l’objectif de réprimer un « mal » véritable. La jurisprudence de la Cour suprême de la dernière décennie portant sur la compétence criminelle ne permet pas d’aller aussi loin.
EN :
Bill C-56, now C-13, introduced by the Minister of Health on May 9th, 2002, bears on assisted human reproductive technologies and related research. It seeks to implement many recommendations made in the 1993 final report of the Royal Commission on new reproduction techniques (Baird Commission). Bill C-13, though, purports to be based on the criminal jurisdiction of the federal Parliament. According to the author, many provisions of the bill related to “controlled activities”, as opposed to the provisions bearing on “prohibited activities”, cannot be justified as criminal measures. In particular, the bill would regulate the ordinary operations of fertility clinics and laboratories while having no real “evil” to quell in this respect. Supreme Court decisions of the last decade relating to the purview of criminal law power do not support such a large piece of legislation.
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Une synthèse du droit des Autochtones : à propos d’un ouvrage de Sébastien Grammond
Chronique bibliographique
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ÉRIC A. CAPRIOLI, Règlement des litiges internationaux et droit applicable dans le commerce électronique, Paris, Éditions du Juris-Classeur, 2002, 253 p., ISBN 2-7111-3492-X.
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YSOLDE GENDREAU (dir.), Le lisible et l’illisible – The Legible and the Illegible, Montréal, Éditions Thémis, 2003, 180 p., ISBN 2-89400-156-8.
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BJARNE MELKEVIK, Réflexions sur la philosophie du droit, Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2000, 214 p., ISBN 2-7637-7735-X.