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Manifestation de la reconnaissance de l’égalité entre les femmes et les hommes dans les constitutions et les documents de protection des droits fondamentaux, les réformes en droit de la famille sont imprégnées du respect du droit à l’égalité entre les sexes. Dès lors, l’application de ce droit fondamental peut expliquer en partie l’apparition du contrat comme outil de règlement des conflits conjugaux. Le contrat étant présenté par les tribunaux et la doctrine comme un outil de négociation préférable à une solution imposée par les autorités, l’idée de la contractualisation en droit de la famille est séduisante certes. On reconnaît ainsi l’égalité des conjoints et leur liberté contractuelle. Le mari n’est plus le chef de la famille. Le couple n’est plus considéré comme la seule entité. C’est aussi une conséquence des progrès accomplis par les femmes. Elles sont en mesure de décider pour elles-mêmes. L’idée du contrat suppose également qu’il y a eu négociation entre les parties et que la solution agrée à celles-ci. Il se dégage une idée d’harmonie. La contractualisation en droit de la famille reconnaît une nouvelle conception du contrat comme instrument de coopération, de confiance et non comme instrument de coercition.
Cependant, le contexte familial est différent de la réalité commerciale, où deux parties négocient, contractent et exécutent ou non le contrat, et poursuivent leur route séparément. Ainsi, les ententes à la suite d’un divorce ne mettent pas fin à la relation. La présence d’enfants et le versement de pensions alimentaires maintiennent une certaine relation entre les parties. En outre, des circonstances imprévisibles peuvent demander la réouverture des ententes entre les ex-conjoints.
Le présent numéro des Cahiers de droit vise à analyser d’un point de vue juridique la tendance à la contractualisation au moment de la rupture conjugale, et ce, en France et au Québec. Le contrat est-il un outil adapté au contexte de rupture conjugale ? S’il ne l’est pas, comment l’adapter ? Quels en sont les avantages et les inconvénients ? Toutefois, est-ce vraiment un contrat au sens juridique du terme ? Comme le démontrent les textes réunis ici, des deux côtés de l’Atlantique, le consensualisme dans la sphère privée doit être très bien encadré pour protéger les intérêts des parties visées. La solidarité conjugale ne mène pas toujours à des aménagements équitables pour les parties.
Les textes rassemblés dans ce numéro sont le fruit d’une journée de réflexion tenue en avril 2007 sur le sujet de la contractualisation de la rupture conjugale à la Faculté de droit de l’Université Laval. Cette rencontre a été possible grâce à la participation financière du Centre de droit privé de l’Université des sciences sociales de Toulouse, dirigé par la professeure Claire Neirinck, du programme d’échange entre la Faculté de sciences juridiques de cette université et la Faculté de droit de l’Université Laval et de la Chaire d’étude Claire-Bonenfant sur la condition des femmes de l’Université Laval. Que toutes les personnes qui ont pris part à cette journée soient remerciées pour leur grande disponibilité et la qualité des échanges.
Les auteures et les auteurs québécois abordent dans les pages qui suivent la limitation de la liberté contractuelle que constituent, pour certaines personnes, les règles sur le partage du patrimoine familial et l’ouverture sur la liberté contractuelle que représente, pour d’autres, la médiation familiale. Quelle ambivalence dans le Code civil du Québec ! Comme le précise Christine Morin dans son texte intitulé « La contractualisation du mariage : réflexions sur les fonctions du Code civil du Québec dans la famille » :
[Le législateur] a conclu que le contrat n’était pas un outil adapté pour aménager l’ensemble des rapports patrimoniaux entre les conjoints mariés ou unis civilement […] [Le] Code civil exclut la contractualisation des rapports patrimoniaux entre les conjoints mariés ou unis civilement au début de leur union, en les empêchant de se soustraire à l’application du patrimoine familial. En revanche, le Code civil accepte cette contractualisation à la fin de l’union en permettant aux conjoints de renoncer à leurs droits dans le patrimoine familial, de renoncer à la protection de la loi[1].
En proposant la médiation aux couples qui se séparent, le législateur québécois a choisi la voie de la déjudiciarisation et de la privatisation de la rupture conjugale. Il a aussi placé les ex-conjoints devant la contractualisation : ces derniers concluent des ententes qui portent à la fois sur les arrangements concernant les enfants, les aliments et le partage des biens. Or, comme le démontrent Marie-Claire Belleau et Guillaume Talbot-Lachance, dans leur texte « La valeur juridique des ententes issues de la médiation familiale : présentation des mésententes doctrinales et jurisprudentielles », la valeur juridique de ces ententes en droit québécois soulève des controverses. Le médiateur ayant pour rôle de guider les ex-conjoints, et non de leur fournir des conseils juridiques, aucun contrôle de la légalité du contenu des ententes n’intervient. Le résumé des ententes constitue un document dont la valeur juridique demeure indéterminée. En principe, le résumé des ententes devra être utilisé ultérieurement pour rédiger une convention en langage juridique par une conseillère juridique ou un conseiller juridique, idéalement différent du médiateur. Une fois cette tâche terminée, la convention pourra être homologuée par la cour ou par le greffier spécial, pour devenir exécutoire. Toutefois, dans la pratique, certains couples n’homologuent jamais leur entente ou ils entreprennent les démarches pour y parvenir longtemps après l’acceptation et la mise en oeuvre de leurs arrangements. Comme le concluent les auteurs, la médiation familiale engendre des conséquences relationnelles et patrimoniales telles que le résumé des ententes qui en découle ne devrait pas demeurer sans surveillance juridique et judiciaire, même minimale. Malgré cette controverse, les auteurs demeurent convaincus des bienfaits de la médiation familiale.
Au Québec, depuis 1989, les conjoints mariés ou unis civilement (depuis 2002) sont soumis aux règles du partage du patrimoine familial au moment de la dissolution de leur union. Le législateur de cette époque avait jugé que le contrat n’était pas un outil adapté pour aménager l’ensemble des rapports patrimoniaux entre conjoints mariés. Pourtant, certains ont considéré que ces règles portaient atteinte à la liberté contractuelle des époux. Par l’analyse des mémoires et des transcriptions des travaux parlementaires lors de l’adoption des règles sur le patrimoine familial, Christine Morin, dans son texte « La contractualisation du mariage : réflexions sur les fonctions du Code civil du Québec dans la famille », fait ressortir les fonctions reconnues ou non au droit en matière familiale : le Code civil doit-il être au service du bien général en permettant la contractualisation des rapports patrimoniaux des conjoints ? Doit-il plutôt prévenir des situations problématiques en empêchant la contractualisation de certains aspects de la relation ? Les élus de cette époque ont choisi de protéger l’égalité réelle des époux, ce qui inclut l’égalité économique. Ces mesures législatives confirment la position désavantageuse des femmes dans la famille et leur paupérisation à la suite de la rupture du lien conjugal.
Les auteures françaises abordent aussi le « vernis contractuel » que se donnent les aménagements consensuels auxquels en arrivent les ex-conjoints. Elles concluent que le contrat n’est pas un outil juridique adapté aux réalités de la rupture conjugale.
Dans leur texte « Les aménagements consensuels que les couples appliquent à leur rupture sont-ils d’essence contractuelle ? », Claire Neirinck et Maryline Bruggeman dénoncent le recours à la notion de contrat pour qualifier les aménagements consensuels auxquels en arrivent les ex-conjoints à la suite de leur rupture. Elles distinguent, tant dans leur formation que dans leur exécution, les accords liés à la rupture des conjoints de ceux qui sont réellement contractuels. Elles concluent que ces aménagements consensuels témoignent d’un mouvement général de recul de l’ordre public familial en droit français au profit d’une conception de la famille plus individualiste et plus volontaire.
Peu importe la forme que prend l’union conjugale — mariage, PACS, concubinage —, la rupture produit souvent les mêmes effets : la paupérisation de la partie la plus faible de l’union, habituellement la femme. D’où le besoin d’un meilleur encadrement juridique. Dans son texte « Le couple et la contractualisation de la rupture », Claire Neirinck s’oppose à la tentation de privatisation en France qu’est la proposition du divorce « administratif », consigné par un notaire, en cas de divorce par consentement mutuel de couple sans enfant. Elle considère que l’homologation, par le tribunal, de l’entente des ex-conjoints doit être maintenue comme protection minimale, même si le juge n’est pas toujours en mesure d’en vérifier le caractère équitable. De même, les ex-conjoints à la suite de la rupture du PACS ou de l’union de fait ne sont pas vraiment protégés en cas de déséquilibre entre les parties. Le contrat est nettement insuffisant. L’auteure en appelle donc à l’intervention du tribunal français et à l’institutionnalisation de l’union de fait. Elle conclut à l’arasement des différentes formes d’union conjugale.
Le « démariage » des conjoints ne réduit pas l’exercice de l’autorité parentale. Comme les parents sont égaux en droits et en devoirs, c’est au moyen de la convention de séparation qu’ils mettent en oeuvre les actions entourant leurs enfants. Par une forme de contractualisation, les parents devenus ex-conjoints devaient y trouver un apaisement des conflits, un tarissement du contentieux et une matérialisation de leur égalité. Dans son texte « Conventions de rupture et parenté », Maryline Bruggeman constate que les vertus du contrat ne sont demeurées que des illusions perdues en matière de rupture conjugale. Les conflits persistent puisque la situation des parents et des enfants évolue. La garde alternée devient difficile pour l’enfant et les parents en cas de changement de domicile de l’un d’eux. Et, en certains cas, il y a parfois enlèvement d’enfant. Les solutions négociées ne sont plus possibles. L’auteure conclut ceci :
[Le] législateur a nié la réalité : un exercice en commun de l’autorité parentale impose une codécision difficile à obtenir lorsque les parents ne s’entendent plus. Le recours à la résidence alternée accentue cet état de fait : loin de promouvoir la codécision, ce mode de résidence épargne aux parents l’effort de la coopération[2].
Cette auteure remet en question la généralisation de la pratique de la résidence alternée des enfants. Elle propose d’accorder l’autorité parentale au parent qui héberge l’enfant. L’autre parent non gardien aurait des droits de surveillance renforcés. Elle est consciente d’ainsi porter atteinte au dogme de l’égalité des parents. Elle considère que le tribunal devrait avoir un véritable pouvoir d’arbitrage pour décider du meilleur intérêt de l’enfant.
Comme il sera possible de le constater à leur lecture, les réflexions présentées ci-dessous abordent uniquement l’aspect juridique, certes nécessaire mais non suffisant du sujet. Afin que la loi ne soit pas en décalage au regard de la société, des études empiriques devront donc être menées pour mieux comprendre les métamorphoses de l’institution du mariage.
Parties annexes
Note biographique
Louise Langevin
Professeure à la Faculté de droit de l’Université Laval et titulaire de la Chaire d’étude Claire-Bonenfant sur la condition des femmes, à la même université.