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Le droit de rétention est traditionnellement défini comme le droit de retenir une chose que l’on devrait normalement restituer. Ainsi lorsqu’un créancier détient un bien appartenant à son débiteur, il peut le retenir tant qu’il n’est pas payé. Le professeur Augustin Aynès le décrit comme la « [f]aculté reconnue à un créancier de retenir un bien de son débiteur pour faire pression sur celui-ci, la rétention est un instrument de garantie dont la consécration peut apparaître injustifiée tant au regard de sa technique que de son esprit[1] ».

Le droit de rétention constitue avant tout un acte spontané de justice privée. Le bien est ainsi pris en otage[2] aux yeux du débiteur et surtout des tiers. Il fait appel à des notions de justice ancestrale, primaire, voire même biblique. Il pourrait être compris comme une manifestation de la loi du talion souvent réduite à l’expression « oeil pour oeil, dent pour dent[3] ». Nos sociétés dites modernes[4] ont consacré le droit de rétention et lui ont donné une force, à certains égards, invincible[5]. Cette situation de fait conférant une sorte de toute-puissance à celui qui s’en sert est paradoxalement consacrée par le droit positif. En effet, les droits français et québécois ont légalisé le droit de rétention dans leur corpus civil comme un principe aux articles 1592 du Code civil du Québec[6] et 2286 du Code civil français[7]. Les deux législations ont cependant une approche différente : le droit québécois considère le droit de rétention comme une exception d’inexécution et, dans certaines situations précises, comme une sûreté légale (art. 2651 (3) C.c.Q.) ; le droit français lui confère, à certains égards, les effets attachés à une sûreté conventionnelle (art. 2286 C. civ.). Au-delà de certaines différences de techniques juridiques et de politique législative — comme la possibilité d’envisager en droit français un droit de rétention fictif sans détention —, le droit de rétention constitue un mécanisme original de garantie ayant une nature plurielle qui peut revêtir plusieurs applications pratiques (1) et avoir des effets notables quant à son opposabilité à l’égard des tiers (2). En effet, le droit de rétention est opposable aux tiers — et même parfois au propriétaire non tenu à la dette —, et ce, sans publicité préalable et formelle. Notre objectif est de rendre compte qu’en dépit d’une qualification juridique différente dans les deux pays considérés et de l’existence de spécificités juridiques propres à chaque législation, le droit de rétention répondrait en réalité à une définition fonctionnelle de la notion de sûreté et mériterait, à ce titre, un traitement uniforme dans les deux législations quant à sa publicité vis-à-vis des tiers.

1 Le droit de rétention : une institution originale ayant une nature plurale

Le Code civil du Québec a posé un principe général du droit de rétention à l’article 1592, inséré dans le livre V dans la partie consacrée à l’exécution des obligations[8]. En France, le Code civil l’a récemment inséré à l’article 2286[9] au titre des dispositions préliminaires du livre IV consacré aux sûretés[10]. La comparaison des exigences législatives encadrant le droit de rétention dans les législations française et québécoise permettra de rendre compte de la nature plurale de cette institution aux multiples applications (1.1) mais aussi de son caractère original (1.2).

1.1 Le droit de rétention : une nature plurale

Le droit de rétention donne l’impression d’une institution aux multiples visages. Mais avant d’évoquer les multiples applications possibles du droit de rétention dans les deux droits (1.1.2), l’analyse comparée des différentes conditions juridiques exigées en France et au Québec révèle que la connexité reste la condition juridique essentielle pour conclure en l’existence d’un droit de rétention (1.1.1).

1.1.1 Le lien de connexité : une condition essentielle et commune aux droits français et québécois

Au Québec, le droit de rétention issu de l’article 1592 C.c.Q. suppose que soient réunies cinq conditions : l’existence d’un contrat ; la détention par le rétenteur d’un bien fondée sur ce contrat ; le droit de propriété du contractant sur ce bien ; la connexité entre le bien et la créance ; et l’exigibilité de cette créance. Ainsi, en droit québécois, à la seule lecture de l’article 1592, le droit de rétention ne peut exister en l’absence de relation contractuelle ou encore si le bien détenu n’appartient pas au contractant, ce qui n’est pas le cas en droit français.

En effet, l’article 2286 C. civ. permet d’invoquer le droit de rétention dans une relation contractuelle synallagmatique (art. 2286 (2) C. civ.) ou même en dehors de toute relation synallagmatique (art. 2286 (3) C. civ.). L’exigence de la propriété du bien n’apparaît pas non plus dans le texte législatif français. Concernant les caractères d’exigibilité et de liquidité de la créance, les deux droits se rejoignent sur ce point en exigeant ces deux conditions[11].

Le critère fondamental qui caractérise le droit de rétention est celui de la connexité. Les droits français et québécois sont, à ce titre, très clairs et imposent d’établir un lien de connexité entre la créance et la détention de la chose. Cette connexité prend plusieurs formes. Selon le principe général posé par le droit français, cette connexité peut être soit matérielle[12], soit juridique[13], ou conventionnelle[14]. En revanche, pour le droit québécois, le principe posé à l’article 1592 C.c.Q. paraît plus restrictif dans la mesure où il ne vise que le cas de la connexité juridique lorsque la créance et la chose retenue sont nées à l’occasion d’un même contrat. À la seule lecture de cette disposition, les cas de connexité matérielle et conventionnelle semblent exclus. Toutefois, au-delà du principe général arrêté lors de sa réforme de 1991, le Code civil du Québec comporte aussi des dispositions particulières qui visent d’autres cas de rétention. Précisément, certaines de ces applications particulières impliquent une connexité matérielle[15] ou une connexité conventionnelle. Dans le premier cas, la créance du rétenteur est née à l’occasion de la chose retenue. À titre d’illustration, la créance du transporteur est née lors de la détention des biens pour lesquels il a rendu ses services (art. 2048 C.c.Q.). La créance du possesseur d’un immeuble de bonne foi, sollicitant le remboursement des impenses, qui est née du fait de la possession, justifie aussi d’une connexité matérielle (art. 963 C.c.Q.). Dans le second cas, lorsqu’il y a connexité conventionnelle, le droit québécois ne l’a pas exclue, bien au contraire. Il a adopté une position originale, sur ce point, par rapport au droit français. Il a considéré que le rétenteur d’un bien meuble pouvait retenir la chose au sens de l’article 1592 C.c.Q. et invoquer une priorité de troisième rang[16]. Toutefois, seuls les rétenteurs d’un bien de nature mobilière sont prioritaires. Ainsi, les créanciers justifiant d’un droit de rétention sur des biens immeubles[17] ou sur des biens meubles non susceptibles d’être vendus en justice[18] ne peuvent être considérés comme des créanciers prioritaires. Ces rétenteurs ne pourront bénéficier d’un droit de préférence accordé en vertu d’un rang prioritaire. Toutefois, ils se serviront de l’article 1593 C.c.Q. pour invoquer l’opposabilité « à tous » de leur droit de rétention. Sont également exclus de la catégorie des prioritaires les créanciers gagistes. Ceci marque encore une différence avec le droit français.

En effet, le créancier gagiste n’est plus considéré depuis la réforme québécoise de 1991 comme un rétenteur protégé par un privilège[19]. La réforme de 1991 a eu notamment pour résultat de supprimer un grand nombre de privilèges pour les remplacer par des priorités. En ce qui concerne le gage, il a été certes maintenu lors de l’adoption du Code civil du Québec de 1991, mais il prend désormais la forme d’une hypothèque mobilière avec dépossession et a été amputé de son droit de rétention. Le créancier gagiste ne peut se cacher derrière ce droit de rétention face à un autre créancier ordinaire, hypothécaire ou privilégié (articles 2770 C.c.Q. et 604 du Code de procédure civile[20]). Seul le droit de préférence lui servira de rempart. Des règles de rang prévues dans le Code civil du Québec pour chaque catégorie de créanciers concernés permettent au créancier rétenteur d’établir alors son rang prioritaire.

Dans ces conditions, le droit de rétention sur un bien meuble peut être considéré comme une priorité, c’est-à-dire une cause légitime de préférence s’il répond aux conditions prévues par les articles 2647 et 2651 (3) C.c.Q. L’idée d’une confusion possible entre le gage et le droit de rétention, entretenue par le droit français, a été rejetée par le droit québécois qui fait, nous semble-t-il, du droit de rétention sur bien meuble une sûreté légale à part entière. Nous verrons cependant que, en dépit de ce contraste apparent, les deux droits se rejoignent sur les effets possibles du droit de rétention, c’est-à-dire quant à son opposabilité aux tiers.

Pour en revenir à la notion de connexité, on pourrait dire que le droit français paraît a priori plus abouti en prévoyant dans une seule disposition — l’article 2286 C. civ. — les trois cas de connexité nécessaires pour établir l’existence d’un droit de rétention. Il faut préciser que cet état résulte d’une récente réforme qui a élargi le domaine d’application du droit de rétention en légalisant des solutions jurisprudentielles antérieures. Avant la réforme française intervenue par ordonnance du 23 mars 2006[21], il n’existait pas un principe général du droit de rétention, mais seulement des règles particulières accordant un droit de rétention dans certaines situations prévues par le Code civil français et étendues à d’autres hypothèses par les tribunaux[22]. La réforme a consacré les différentes applications possibles du droit de rétention sous un seul article 2286 C. civ.

1.1.2 Les applications pratiques

Au Québec, à côté d’un principe général du droit de rétention encadré dans un contexte contractuel et se présentant comme une extension de l’exception d’inexécution[23], se greffent d’autres cas de rétention mettant en exergue soit une connexité juridique, soit une connexité matérielle qui ne satisfont pas nécessairement les conditions prévues par l’article 1592 C.c.Q.[24]. Ainsi, des droits de rétention dits nommés[25] figurant dans le Code civil du Québec, et même dans certaines lois statutaires[26], ont été prévus, par exemple, au bénéfice : de celui qui, par son travail, a créé ou transformé un bien meuble (art. 974 C.c.Q.) ; de l’administrateur du bien d’autrui, (art. 1369 C.c.Q.) ; du transporteur pour le fret, les frais de transport et les frais d’entreposage (art. 2058 C.c.Q.) ; du mandataire (art. 2185 C.c.Q.) ; du dépositaire pour les frais encourus pour conserver le bien déposé ou les dommages occasionnés (art. 2293 C.c.Q.) ; de l’hôtelier sur les bagages et effets non personnels des clients (art. 2302 et 2303 C.c.Q.). Les tribunaux reconnaissent aussi à l’acheteur de bonne foi, qui a acheté dans le cours des activités d’une entreprise un bien qui n’appartenait plus à son vendeur, le droit de retenir le bien jusqu’au remboursement du prix payé par le véritable propriétaire sur le fondement de l’article 1714 C.c.Q.[27]. Ainsi, le droit de rétention est d’application large du fait de ces prévisions légales particulières ; on le retrouve dans le cadre de contrats synallagmatiques et unilatéraux et même hors champ contractuel.

En France, le Code civil prévoit aussi des applications particulières accordant ainsi un droit de rétention à de multiples bénéficiaires, comme l’ouvrier spécificateur qui a façonné des matières appartenant à autrui (art. 570 C. civ.), le cohéritier tenu au rapport pour les impenses (art. 862 C. civ.), le vendeur au comptant, l’acheteur troublé dans sa possession (art. 1653 C. civ.), le possesseur de la chose perdue ou volée acquise dans une foire ou une vente publique (art. 2277, al. 1 C. civ.), le dépositaire (art. 1948 C. civ.), le locataire (art. 1749 C. civ.), le créancier gagiste mis en possession (art. 2340 C.civ.) et l’antichrésiste (art. 2387 et 2391 C. civ.). Des dispositions spéciales concernant les notaires[28], les huissiers[29] leur assurent un droit de rétention sur les dossiers de leurs clients pour assurer le paiement des frais et avances[30]. Ces dispositions reposent sur l’idée d’un droit de rétention découlant d’un rapport juridique, contractuel ou d’un simple rapport matériel[31]. Également, par des dispositions spéciales insérées dans le Code de commerce et le Code monétaire et financier, un droit de rétention fictif a été accordé au créancier gagiste sur un véhicule automobile et au créancier bénéficiant d’un nantissement de comptes-titres[32] ainsi qu’au créancier gagiste sans dépossession de droit commun[33].

1.2 L’originalité du droit de rétention

Le droit de rétention est original, d’une part, par rapport à d’autres institutions civilistes connues comme l’exception d’inexécution (1.2.1) et, d’autre part, compte tenu d’une transformation notable de cet outil sous l’effet du phénomène de la dématérialisation du droit (1.2.2). En effet, dans certains cas, et notamment en droit français, le créancier rétenteur ne justifie d’aucune détention matérielle du bien pour exercer son pouvoir de rétention. Ce pouvoir de rétention fictif fait mentir l’adage selon lequel « pour retenir, il faut tenir ».

1.2.1 Les distinctions par rapport à d’autres institutions

Le droit de rétention a bien souvent été comparé à l’exception d’inexécution. Il en est proche puisqu’il tire sa force d’un rapport d’obligations. En droit québécois, il est envisagé comme le prolongement de l’exception d’inexécution[34]. Tout comme dans le cas de l’exception d’inexécution, le créancier refuse de rendre le bien si le débiteur n’exécute pas la prestation attendue. Ainsi, on pourrait dire que le droit de rétention est une exception d’inexécution arrivée à maturité[35]. Toutefois, son intimité avec l’exception d’inexécution ne doit pas conduire à son assimilation. Le domaine du droit de rétention est plus étendu : il vise tant les rapports synallagmatiques qu’unilatéraux. Autre différence, le rétenteur a déjà exécuté sa propre prestation, alors que celui qui invoque l’exception d’inexécution se défend de ne pas exécuter sa propre prestation sous prétexte de la carence contractuelle de l’autre partie. L’exception d’inexécution trouve sa raison d’être dans l’interdépendance des prestations réciproques des parties en cause. Or, la rétention se justifie du fait du seul lien de connexité entre la créance et le bien retenu. Enfin, l’exception d’inexécution peut être invoquée dans des multitudes de cas faisant naître un rapport synallagmatique puisque la force obligatoire du contrat sous-entend l’invocation d’une telle exception. En revanche, c’est la loi qui attribue à un créancier le droit de retenir la chose jusqu’au complément de la créance due, et ce, dans certains cas précis. Le droit de rétention tire sa force au-delà du lien obligationnel et bien au-delà du contenu implicite du contrat. Il intervient dans les relations que le débiteur peut entretenir avec ses autres créanciers. Il gèle la position des autres. Il est un perturbateur[36] ou un gêneur[37]. En réalité, il a un effet radical sur la position des autres. Il rompt l’ordre établi, l’égalité avec les autres créanciers et même l’ordre des préférences.

Le droit de rétention peut dérouter puisqu’il peut prendre l’apparence ou risque d’être assimilé voire même intégré au sein d’autres institutions[38], comme la compensation[39], le gage ou le privilège, appelé désormais « priorité » en droit québécois depuis la réforme de 1991. Certaines techniques juridiques permettent à un contractant de retenir des sommes dues comme dans le cas du propriétaire d’un immeuble sur le prix du contrat pour payer les ouvriers bénéficiaires d’une hypothèque légale de la construction (art. 2123 C.c.Q.) ou du locataire pour les dépenses faites pour l’exécution de travaux autorisés (art. 1867 C.c.Q.). Ce droit de retenue, qui peut être d’ailleurs prévu d’avance et accepté par les parties à un contrat, bien souvent combiné avec un droit de compensation, ne doit pas être assimilé à un droit de rétention au sens de l’article 1592 C.c.Q.[40], ni même de l’article 2651(3) C.c.Q., à moins d’adopter une conception extensive de la notion de sûreté. Compte tenu du cadre légal actuel, il s’agirait plutôt d’une simple défense comparable à une exception d’inexécution.

Par ailleurs, il est intéressant de revenir sur l’étroitesse apparente des relations entre gage et droit de rétention. Le droit de rétention a longtemps été l’effet attaché au gage traditionnel. En droit français, il a permis et permet encore au créancier gagiste de s’assurer du paiement de son obligation en retenant légitimement la chose que le débiteur lui a remise lors de la constitution du gage. En revanche, le législateur québécois[41] n’a pas maintenu le droit de rétention comme un effet traditionnel du gage. Au Québec, le droit de rétention s’est émancipé par rapport aux effets du contrat de gage pour compter parmi les priorités, catégorie distincte.

1.2.2 L’existence d’un droit de rétention fictif : un droit de rétention renouvelé ou altéré ?

Le droit français continue de lier le droit de rétention au gage et l’a même fictivement admis pour les gages spéciaux sans dépossession comme le gage automobile et le nantissement de comptes-titres[42]. Plus encore, le législateur français a récemment persisté dans cette voie du changement en consacrant le droit de rétention, en dehors de toute idée de possession matérielle, comme un effet attaché au gage sans dépossession de droit commun[43].

Quant au droit québécois, même s’il a supprimé le droit de rétention comme un effet traditionnel du gage, il a récemment créé une situation juridique encore plus puissante que le droit de rétention, celle du statut de l’« acquéreur protégé[44] » conféré au créancier gagiste justifiant d’une maîtrise lors d’un gage constitué sur des valeurs mobilières ou sur des titres intermédiés. En effet, ce nouveau gage par maîtrise[45] grevant des valeurs mobilières ou des titres intermédiés met en place des règles exorbitantes comparées à celles connues jusqu’à alors. En sus d’obtenir un super rang en l’absence de toute publicité faite aux tiers[46] et de permettre aussi en cas de défaut du débiteur une vente sans préavis par le créancier[47], le gage par maîtrise confère au créancier gagiste le droit d’empêcher les autres créanciers d’exercer leurs recours hypothécaires, car il a acquis ses droits « libres de toute revendication[48] ». Il a donc le droit de les ignorer[49], ce qui est une prérogative exceptionnelle par rapport au régime de droit commun, notamment au regard de l’article 2706 C.c.Q. qui ne permet pas à un créancier gagiste d’empêcher un autre créancier, titulaire d’une hypothèque sur le même bien, d’exercer ses droits de créancier saisissant ou hypothécaire.

Ce statut d’« acquéreur protégé[50] » confère une situation prioritaire au créancier gagiste par maîtrise. C’est précisément le gage par maîtrise qui lui permet de jouir de cette situation exceptionnelle lui accordant une situation monopolistique sur les valeurs mobilières et titres intermédiés. Il jouit d’une exclusivité sur les biens ainsi gagés bloqués à son profit. Cette situation rappelle clairement le pouvoir de blocage ou de contrôle, exercé ordinairement par un rétenteur.

Le droit de rétention est donc multiple, car présent dans plusieurs situations légalement prévues. On pourrait utiliser le pluriel : d’un simple droit de rétention agissant sur les rapports d’obligations entre créancier et débiteur, il peut constituer une véritable priorité, garantissant l’exécution de la créance pour devenir un outil puissant de blocage empêchant toute revendication de la part des autres créanciers dans le cas d’un gage par maîtrise. Il a subi en outre une transformation profonde puisqu’il est admis, en droit français, dans des cas où aucune détention ne se justifie. Il s’est dématérialisé en quelque sorte, tout comme le concept de gage qui a connu ces dernières années, en droit français et aussi en droit québécois, une altération de son mécanisme[51].

Rappelons que « pour retenir, il faut d’abord tenir[52] ». On peut dire que le législateur français a innové au point de dénaturer le concept originel du droit de rétention[53]. Cette extension poursuivait un objectif précis, à savoir le renforcement de l’efficacité du gage sans dépossession dans un contexte de procédure collective[54] pour faire concurrence au gage avec dépossession qui, quant à lui, est muni d’un droit de rétention. À l’instar de certains auteurs[55], force est de constater que la condition juridique élémentaire de la connexité entre le bien retenu et la créance pour considérer comme valide le droit de rétention paraît absente puisque le créancier ne peut pas justifier d’une réelle détention entre le bien et la créance. Ainsi, le législateur a fictivement permis au rétenteur, non pas de bloquer le bien, mais plutôt ses utilités : il s’agit d’un pouvoir de blocage, voire d’un pouvoir de nuisance[56], à l’encontre du débiteur et des autres créanciers de celui-ci.

Une fois l’existence de plusieurs droits de rétention soulignée, il est question à présent de s’attacher aux effets des droits de rétention à l’égard des tiers. Finalement, l’existence d’une possible unité pourrait se dégager à partir du caractère fonctionnel du mécanisme du droit de rétention qui s’assimile, en raison de ses effets, à une sûreté conventionnelle.

2 Les droits de rétention : l’effet unitaire d’une sûreté fonctionnelle

Nous avons vu qu’il existait plusieurs droits de rétention. On pourrait se poser la question de savoir si ces droits révèlent en fait d’un mécanisme unique ayant le même effet qu’une sûreté. On peut avancer quelques éléments du débat. Le Code civil français ne se prononce pas franchement sur cette question, même s’il a inséré le principe du droit de rétention à l’article 2286 dans les dispositions préliminaires du livre iv consacré aux sûretés. Quant au Code civil du Québec, il traite du droit de rétention à l’article 1592 dans le livre V, partie consacrée à l’exécution des obligations. Par ailleurs, l’article 2651 (3) C.c.Q. a octroyé au rétenteur d’un bien meuble, au sens de l’article 1592 dudit Code, la qualité de créancier prioritaire. Toutefois, ce n’est pas pour autant que les tribunaux québécois admettent facilement sa qualification en sûreté mobilière et, par conséquence, tous les effets qui y sont attachés[57]. Quant au droit positif français, certains auteurs[58] et certaines décisions de la Cour de cassation[59] semblent hostiles à l’admettre. Plusieurs raisons nous conduisent cependant à penser le contraire et à considérer le mécanisme du droit de rétention sur un bien meuble comme une sûreté mobilière à part entière[60]. Le droit de rétention accorde un droit de préférence de facto au rétenteur. L’essence même du mécanisme de rétention en fait, selon notre opinion, une sûreté. Sa finalité commande cette qualification. Cette admission serait en conformité avec la conception fonctionnelle de la notion de sûreté mobilière à laquelle nous adhérons. Par ailleurs, elle se justifierait aussi tant au regard de la loi française sur les procédures collectives que de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité du Canada qui assimilent clairement le droit de rétention sur bien meuble à une sûreté conventionnelle.

Avant de revenir en détail sur ce caractère fonctionnel (2.2), il convient de présenter préalablement les effets du droit de rétention pour mieux saisir la complexité de ce mécanisme (2.1).

2.1 Les effets

L’effet principal du mécanisme du droit de rétention est d’être opposable à tous (2.1.1). Cette opposabilité erga omnes en fait un outil juridique très recherché en droit français et en droit québécois, notamment dans un contexte de faillite (2.1.2).

2.1.1 L’opposabilité erga omnes

Le droit de rétention est opposable au débiteur de la créance et à ses héritiers[61]. Il est aussi opposable aux créanciers de son débiteur qu’ils soient chirographaires[62] ou privilégiés[63] ou prioritaires[64], selon la terminologie québécoise[65]. Cette opposabilité s’entend même parfois à l’égard du propriétaire non tenu à la dette[66]. L’article 1593 C.c.Q. ne fait pas de distinction entre le droit de rétention issu du Code civil du Québec et celui prévu par les lois statutaires. Les tribunaux et les auteurs se sont posé la question de savoir si le droit de rétention statutaire, prévu notamment par la Loi sur la commercialisation des services de navigation aérienne civile[67], était opposable au propriétaire non débiteur de taxes aéroportuaires dont étaient tenues les entreprises locataires de l’avion[68]. Les juges québécois ont même permis à une entreprise de remorquage et d’entreposage de réclamer les frais de gardiennage envers le propriétaire non tenu de la dette puisque le véhicule avait été remis par le locataire du véhicule sur le fondement d’un contrat de dépôt implicite[69]. En France, la Cour de cassation a déclaré le droit de rétention d’un garagiste opposable envers le propriétaire, alors que le véhicule avait été confié pour réparation par le locataire en décidant que « le droit de rétention […] est un droit réel, opposable à tous, et même aux tiers non tenus de la dette[70] ». Le droit de rétention bénéficie donc d’une force contraignante puisque le rétenteur peut l’opposer à l’égard des tiers et, à plus forte raison, dans un contexte d’insolvabilité ou de faillite du débiteur.

2.1.2 Le contexte de procédure collective, d’insolvabilité ou de faillite

Le droit de rétention prend toute sa mesure dans un contexte de déconfiture du débiteur. Il constitue une arme redoutable et redoutée. Même si, récemment, le législateur français paraît contraindre le rétenteur à déclarer sa créance lors de l’ouverture d’une procédure sous peine d’inopposabilité[71], le droit des procédures collectives en France lui a aménagé une place de choix[72]. En période dite d’observation, le rétenteur peut obtenir un paiement immédiat. En effet, l’article L. 622-7 (II), al. 1 C. com. précise que le juge-commissaire peut autoriser l’administrateur à payer une créance antérieure pour « retirer […] une chose légitimement retenue […] lorsque ce retrait […] est justifié par la poursuite de l’activité ». En cas de vente du bien retenu au cours de l’exécution d’un plan de continuation[73] ou encore à l’occasion d’un plan de cession[74] de l’entreprise, le rétenteur pourra être payé contre retrait de la chose avant les autres créanciers privilégiés, comme par exemple, les créances salariales considérées comme superprivilégiées[75]. En cas de liquidation, à défaut de retrait de la chose, le liquidateur devra procéder à sa réalisation et, dans ce cas, le droit de rétention sera reporté de plein droit sur le prix[76]. Dans ce cas, le rétenteur pourra bénéficier clairement d’un droit sur la valeur du bien. Ainsi, il jouit d’un véritable droit de préférence.

En ce qui concerne le droit de rétention dit fictif prévu par l’arti- cle 2286 (4) C. civ. au profit du créancier gagiste sans dépossession, il souffre de quelques faiblesses dans un contexte de procédure collective. Selon les articles L. 622-7 (I), al. 2 et L. 631-14, al. 1 C. com., le droit de rétention fictif est inopposable en période d’observation et d’exécution du plan de sauvegarde ou de redressement judiciaire, sauf si le bien est compris dans une cession d’activités décidée en application de l’article L. 626-1 dudit Code. Ce droit de rétention semble être opposable en période de cession d’activités et de liquidation judiciaire[77]. L’objectif de sauvegarde de l’entreprise ou l’idée d’un possible redressement empêche donc le créancier gagiste sans dépossession d’opposer son droit de rétention fictif.

Au Québec, la Loi sur la faillite et l’insolvabilité[78] permet au rétenteur sur un bien meuble, entendu au sens de l’article 1592 C.c.Q., d’être assimilé à un créancier dit garanti, c’est-à-dire muni d’une sûreté au même titre qu’un créancier gagiste, hypothécaire ou détenant une clause de réserve de propriété dans une vente à tempérament. Ce statut lui permet de justifier d’un rang préférentiel lors du paiement en cas de distribution des actifs du débiteur failli. Toutefois, en dehors du prononcé d’une faillite, lors d’une proposition concordataire, le créancier rétenteur est contraint de suspendre ses recours pour permettre au débiteur insolvable de préparer sa proposition (art. 69 (1) LFI) en vertu de la suspension obligatoire des recours individuels. Si la proposition est acceptée par les créanciers et approuvée par le tribunal, la suspension des procédures durera jusqu’à l’exécution intégrale de la proposition ou jusqu’à ce que le débiteur concordataire soit mis en faillite en cas de défaut (art. 42 (1) (i) LFI). Si le créancier rétenteur a accepté expressément la proposition, il sera visé par la suspension des poursuites. En revanche, s’il l’a refusée, il retrouvera alors son droit d’exercer un recours. Dans ce cas, le syndic pourrait même racheter sa garantie après avoir évalué le bien retenu (art. 127-135 LFI). En cas de faillite, le rétenteur est aussi dans une situation confortable dans la mesure où il retrouve son droit de réaliser sa garantie et le syndic, après évaluation, pourrait aussi lui proposer de racheter sa garantie (art. 128 (3) LFI)[79]. S’il ne souhaite pas réaliser par lui-même, le rétenteur pourra, en sa qualité de créancier garanti (art. 2 LFI), invoquer sa créance garantie (sous réserve du dépôt d’une réclamation prouvable) afin d’être payé par le syndic selon l’ordre établi par l’article 136 LFI.

Les législations canadienne comme française sur la faillite ont fait preuve de pragmatisme en protégeant avant tout les créanciers ayant une créance impayée en relation avec le bien détenu entre leurs mains. Cette détention va se muer en une affectation à titre de garantie qui s’avère aussi efficace, voire davantage, qu’une sûreté traditionnelle qui ne dispose pas nécessairement du droit de retenir la chose jusqu’à satisfaction.

2.2 Le caractère fonctionnel du droit de rétention

Les auteurs sont partagés sur la question de la réelle qualification du droit de rétention. Si certains auteurs français trouvent ce débat vain[80], nous jugeons utile d’y revenir un instant. Les attributs classiques accordés à la notion de sûreté sont le droit de préférence et le droit de suite. De plus, la question de l’assimilation du droit de rétention à une sûreté conduit aussi à s’interroger sur la nature du droit réel qui lui est conférée. Les deux questions sont enchevêtrées, même si la majorité des auteurs français et québécois n’y répond pas directement. Il est possible de considérer cependant que le droit de rétention est une sûreté sans être obligé de s’interroger sur la pertinence d’une liste énumérative des droits réels accessoires. Nous pensons dès lors que le droit de rétention pourrait être défini comme une sûreté mobilière entendue au sens fonctionnel[81].

Le refus d’assimiler le droit de rétention à une sûreté conventionnelle se fonde principalement sur le fait qu’il ne conférerait ni un droit de préférence ni un droit de suite à son titulaire. Ces deux effets sont traditionnellement rattachés au droit réel dit accessoire, comme le gage ou encore l’hypothèque immobilière ou mobilière[82], et n’ont pas été expressément prévus dans les codes civils français et québécois à l’endroit du droit de rétention. L’absence de droit de préférence et de droit de suite justifierait le rejet de la qualification en sûreté. Toutefois, ces deux arguments ne sont pas pertinents pour deux raisons principales : le droit de rétention entraîne un droit de préférence légal ou de facto (2.2.1) et un droit de suite implicite (2.2.2).

2.2.1 Un droit de préférence légal ou de facto

Premièrement, il ressort des droits positifs français et québécois que le droit de rétention permet, en réalité, de conférer un droit de préférence légal ou de facto[83] au rétenteur. En effet, le rétenteur est placé dans une situation préférentielle par rapport aux autres créanciers en raison de l’obstruction[84] qu’il exerce sur le bien en empêchant tant le débiteur d’en disposer et d’en jouir librement que les autres créanciers contraints de prendre en considération son existence. Ce droit lui accorde une préférence en rompant l’égalité entre les créanciers puisqu’il obstrue le droit au recouvrement des autres créanciers qui ne peuvent plus disposer librement du bien pour recouvrer leur créance.

Il existe une particularité en France : les autres créanciers du débiteur devront composer avec le rétenteur puisque souvent le bien est d’une valeur supérieure à la créance réclamée. Il est ainsi plus facile et moins coûteux de payer préalablement le rétenteur pour faire vendre le bien. Même si le créancier compte saisir et faire vendre le bien retenu, l’huissier devra prendre en considération le droit du rétenteur et le contenter en cas d’adjudication du bien. Dans les faits, ce rétenteur dispose d’un rang « ultraprioritaire » venant avant tous les autres créanciers privilégiés et avant les autres créanciers munis de sûretés traditionnelles. La jurisprudence française considère de longue date[85] que, si la vente du bien est poursuivie en justice à la demande des créanciers, la créance du rétenteur qui s’est opposé à la vente doit être prélevée sur le prix. En ce sens, le droit de rétention confère un droit préférentiel, voire prioritaire, sur la valeur du bien[86].

En période de faillite, nous avons vu que le rétenteur est payé avant les autres créanciers, et il peut même être payé sur le prix de la vente du bien en cas de liquidation selon l’article L. 642-20-1, al. 3 C. com. Cette disposition spéciale envisage clairement un droit préférentiel sur la valeur au profit du rétenteur.

Au Québec, le rétenteur d’un bien meuble est un créancier prioritaire et dispose, à ce titre, d’un droit de préférence. En cas de conflit avec un autre créancier saisissant, l’article 604 C.p.c. ne permet pas au rétenteur de maintenir sa détention sur le bien saisi et il ne peut empêcher ni la saisie ni la vente du bien. Toutefois, il pourra invoquer sa priorité, ce qui lui permettra d’être colloqué prioritairement en fonction de son rang (art. 2651 (3) C.c.Q.). En cas de conflit avec un créancier hypothécaire, agissant dans le cadre d’un recours hypothécaire, l’article 2770 C.c.Q. commande aussi au rétenteur de délaisser son bien, mais « à charge de sa priorité », c’est-à-dire qu’il pourra invoquer son droit de préférence prioritaire sur le produit de la vente du bien.

Il est vrai que le droit de préférence est clairement inscrit dans la législation québécoise qui fait du rétenteur d’un bien meuble un créancier prioritaire. Toutefois, tous les rétenteurs ne jouissent pas de cette préférence légale. Certains rétenteurs, comme ceux ne remplissant pas les conditions de l’article 1592 C.c.Q. ou ceux justifiant d’un droit de rétention statutaire, ne bénéficient pas, en principe, de cette qualité de créancier prioritaire et n’ont donc pas, en principe, de droit de préférence légale. Dans l’absolu, tous les droits de rétention nommés devraient pouvoir constituer des priorités. Devant les tribunaux, l’enjeu porte souvent sur la qualification du contrat reliant le créancier-rétenteur avec celui qui s’est dépossédé du bien. S’agit-il d’un droit de rétention au sens de l’article 1592 C.c.Q. ou alors d’un droit de rétention nommé comme celui octroyé dans un contrat de dépôt ? S’il ne peut être qualifié de rétenteur prioritaire, le droit de rétention du créancier perd un peu de son attractivité en cas de conflit avec d’autres créanciers : il se limite donc à n’être qu’une exception d’inexécution qui peut se voir contrarier par un autre créancier agissant en vertu d’un titre. Le cas du rétenteur d’un bien immeuble est symptomatique ; il est vulnérable face à d’autres créanciers saisissants, en raison de l’article 604 C.p.c.[87]. Ainsi, le Code civil du Québec opère une dissociation entre le droit de rétention justifiant son origine dans l’exception d’inexécution et le droit de préférence conféré par le statut de créancier prioritaire. Cette vision est, dans la réalité juridique, imparfaite puisque la technique et la finalité du droit de rétention en font plus qu’un simple moyen défensif d’inexécution : il est plutôt une véritable sûreté opposable à tous. Par ailleurs, le débat sur la qualification du droit de rétention à titre de sûreté n’est pas pour autant clos puisque, face au silence de la loi sur la nature exacte du droit de rétention, les tribunaux québécois n’ont pas défini avec exactitude les contours du droit de rétention, du droit de retenue ou de retenir. Par exemple, certaines décisions révèlent un certain degré de flottement juridique lorsqu’il s’agit de qualifier de droit réel le droit de rétention issu du droit statutaire et de lui faire produire des effets à l’égard de tous, même à l’égard du propriétaire non tenu à la dette[88].

2.2.2 Un droit de suite implicite ou de facto

Afin que le droit de rétention soit qualifié de sûreté, il faudrait, selon une approche classique, qu’il accorde aussi un droit de suite à son titulaire. Ce point est encore soumis à controverse tant en France qu’au Québec, alors que la réalité juridique est claire. Le droit de rétention octroie un droit de suite implicite ou de facto.

En droit québécois, rappelons que le droit de rétention peut être envisagé comme une priorité. Toutefois et en principe, le droit de suite ne constitue pas un attribut traditionnellement attaché à toute créance prioritaire. En droit québécois, la priorité est en quelque sorte amputée du droit de suite. Elle n’est pas constitutive de droit réel[89]. La priorité est en principe occulte[90], sans publicité obligatoire, contrairement à l’hypothèque mobilière québécoise qui justifie alors des deux attributs, droit de préférence et droit de suite[91]. Ce dernier est alors rendu possible grâce au système de publicité institutionnalisée, le RDPRM.

Toutefois, l’article 2770 C.c.Q. a en quelque sorte permis un droit de suite implicite au profit du créancier rétenteur prioritaire qui, face à un autre créancier, peut invoquer son rang, même s’il est tenu de délaisser son bien. Son dessaisissement ne lui fera pas perdre son rang prioritaire. Même face à un créancier hypothécaire désirant exercer une prise en paiement, le rétenteur jouira de son rang prioritaire et sera payé par le créancier hypothécaire devenu propriétaire du bien. Même si, en principe, la prise en paiement éteint l’obligation du débiteur, le rétenteur disposera, en fait, d’un droit de suite implicite en vertu de l’article 2770 C.c.Q. Dans ces conditions, le droit de rétention tel qu’il est envisagé au Québec peut être considéré comme une sûreté.

En France, le droit de suite n’est pas inscrit dans les effets juridiques prévus et attachés au droit de rétention. En réalité, l’opposabilité aux tiers accordée largement par les tribunaux lui donne de facto cet attribut. Il suffit pour s’en convaincre de rappeler certains dispositifs des décisions de la Cour de cassation qui n’a pas hésité à affirmer que, « si le droit de rétention n’est pas un privilège, il en a les effets en ce qu’il est opposable à la procédure collective et confère à son titulaire le droit de refuser la restitution de la chose jusqu’à complet paiement de sa créance ou d’être payé sur son prix en cas de vente par le liquidateur[92] ».

La position de la Cour de cassation est claire : tout en refusant de qualifier ouvertement le droit de rétention de sûreté, elle lui en reconnaît les attributs et les effets. Il serait cohérent que le législateur français prenne acte de cet état et classe le droit de rétention dans la catégorie des sûretés mobilières.

Une fois ces deux barrières franchies concernant l’existence du droit de préférence et du droit de suite à l’endroit du droit de rétention, nous pensons que le droit de rétention pourrait ainsi être entendu largement comme une sûreté mobilière[93] conformément à la définition fonctionnelle qui pourrait s’énoncer comme suit : toute sûreté mobilière serait un droit préférentiel ou un droit exclusif, sur la valeur d’un bien ou d’un groupe de biens, conféré dans le but de garantir au créancier le paiement d’une obligation. La notion de sûreté pourrait enfin être définie[94] dans les codes civils du Québec et français selon le principe de l’essence de l’opération décrit par le professeur Roderick A. Macdonald[95] au lendemain de la réforme québécoise de 1991.

À ce titre, il serait souhaitable que le droit de rétention soit assujetti aux formalités de publicité auprès du RDPRM[96], à l’instar de certaines propriétés-sûretés (vente à tempérament, bail à long terme ou vente à réméré)[97]. Cette publicité formelle assurerait son opposabilité aux tiers et uniformiserait les règles de publicité en matière de sûretés mobilières. Dans cette logique, il serait utile de revoir sa qualification de priorité et de le considérer comme une sûreté mobilière au même titre que le sont les propriétés-sûretés qui ont été assujetties à la publicité mobilière et aux conditions d’exercice des recours hypothécaires. Par ailleurs, le rétenteur en tant que créancier prioritaire n’est pas non plus soumis, dans l’état actuel du droit, à l’exercice des recours hypothécaires. Ce point devrait être aussi modifié, selon notre analyse, puisqu’il vient perturber la logique du droit des sûretés mobilières qui requiert des règles uniformes de publicité des droits réels afin d’instituer un ordre de rang cohérent.

Conclusion

Dans un grand nombre de cas, le droit de rétention sur un bien meuble est plus qu’une simple exception d’inexécution arrivée à maturité ; il paralyse les prérogatives du véritable propriétaire et contraint les créanciers à le satisfaire. Il accorde une préférence de facto à son titulaire. Dans certains cas, il met en place un droit de suite implicite au bénéfice du rétenteur prioritaire en droit québécois ou un droit de suite explicite au rétenteur, ce qui a été reconnu en droit français.

Il n’y a qu’un pas pour admettre sa qualification comme sûreté au même titre qu’une hypothèque ou qu’une propriété-sûreté.

Le droit de rétention répondrait à une définition fonctionnelle de la notion de sûreté mobilière. D’une part, le rétenteur exerce un moyen de pression en retenant soit la chose entre ses mains, soit les utilités de la chose. D’autre part, il peut être aussi analysé comme un pouvoir de blocage afin de garantir le paiement préférentiel, voire exclusif, de l’obligation.

Lors de l’exercice de son droit, le rétenteur poursuit la même finalité qu’un créancier muni d’une sûreté traditionnelle telle que le gage : il souhaite être payé avant les autres créanciers. Peu importe le moment où le contractant a décidé de profiter de sa position de rétenteur pour se garantir de sa créance, le droit de rétention agit au même titre que le fait la clause de réserve de propriété insérée dans une vente à tempérament : il agit comme une sûreté en cas de défaillance, même si l’objet du contrat est la vente. Le droit de rétention ne se déploie comme une sûreté efficace que si le débiteur n’a pas payé son créancier.

La technique du droit de rétention est aussi comparable à celle utilisée par toute sûreté : le rétenteur utilise le bien ou la valeur du bien[98] pour obtenir son dû. Le bien sera rendu si un complet paiement est opéré. L’effet du droit de rétention est aussi le même obtenu dans le cadre de la réalisation d’une sûreté : sa rétention permet au rétenteur de rompre l’égalité avec les autres créanciers ordinaires ; il se démarque en paralysant les autres. Il bénéficie d’une préférence légale[99] ou de facto[100] par rapport aux autres.

On pourrait considérer le droit de rétention comme une institution juridique autonome. À ce titre, il peut être regardé comme une sûreté mobilière. Certains indices nous laissent présager un tel avenir. Depuis récemment, le législateur français semble désormais, et pour la première fois, considérer le droit de rétention en tant qu’institution autonome, notamment lorsqu’il le définit en des termes généraux à l’article 2286 C. civ.[101]. La Loi no 2008-776 du 4 août 2008 a créé au sein de l’article 2286 C. civ. un nouveau cas de droit de rétention attaché à tout gage sans dépossession. Ainsi, le droit de rétention existe en dehors de tout support matériel, il est dématérialisé[102]. Au Québec, le droit de la faillite l’assimile à une sûreté en lui conférant le statut de créancier garanti, et ce, sans distinction par rapport aux autres sûretés conventionnelles.

Il est donc possible de prendre acte de l’émancipation déjà acquise du droit de rétention qui est, de fait, une sûreté à part entière. Il serait donc logique d’envisager sa publication sur un registre national, français et québécois, afin de supprimer son caractère occulte et, ainsi, d’optimiser le concept de publicité des droits réels en France et au Québec afin de restaurer intégrité et cohérence au sein des systèmes de publicité mobilière qui requièrent : transparence et sécurité juridique.