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Il n’est presque pas nécessaire de présenter l’universitaire aixois Norbert Rouland. On le connaît enseignant, chercheur, juriste et anthropologue. Après la lecture de son dernier ouvrage, on le devine mélomane et amateur d’art. De plus, on le découvre érudit, cultivé et curieux.
Par l’exploration de certains pans de l’art, l’auteur met en relief dans ce domaine l’existence d’un « genre », le genre féminin par opposition au genre masculin. C’est au premier que s’intéresse Norbert Rouland, avec une plume principalement anthropologique, plus accessoirement juridique. L’auteur cherche à comprendre pourquoi les femmes ont été si longtemps et traditionnellement tenues loin du domaine artistique. Peut-être serait-il d’ailleurs plus exact de parler « des » domaines artistiques, car, comme on le constate, les réalités et le contexte de la musique ne sont pas les mêmes que ceux de ce que l’on appelle souvent les « beaux-arts », au premier rang desquels la peinture.
Le livre est divisé en deux parties principales, la première établissant des « [c]onstats », la seconde exposant ce qui pourrait être « [l]es réponses des femmes à la domination masculine ». À l’occasion de l’état des lieux, dans la première partie, donc, l’auteur sépare formellement la musique (p. 59-176) de la peinture (p. 177-282). En réalité, la cloison n’est pas étanche puisque, dans la première partie, l’auteur fait de nombreux parallèles entre la condition des compositrices et celle des femmes qui manient le pinceau et que, dans la seconde, il nous promène des ateliers aux salles de musique.
Tout l’ouvrage, mais peut-être en particulier la première partie, regorge de propos savants, non seulement sur les arts en eux-mêmes mais également en neurologie, en endocrinologie et en anatomie qui sont conviées pour expliquer certaines différences entre le sexe féminin et le sexe masculin dans la production et la performance artistiques. Si le lecteur – et la lectrice ! – sont invités à naviguer dans des domaines très différents, ils sont également guidés dans un périple historique s’étalant sur plusieurs siècles. Jeanne d’Arc[1] est convoquée comme femme-soldate, aux côtés d’Eleonore Prochaska[2], prussienne soldate et musicienne, lorsque Norbert Rouland entend casser le mythe de la femme pacifiste, opposée à l’homme agressif, comme la femme est passive, ce qui explique en partie son incapacité dans le domaine artistique, alors que l’homme est actif. Nous rencontrons deux Élisabeth, la musicienne, Jacquet de La Guerre[3] et, bien sûr, la peintre, Vigée Le Brun[4], mais également les héritières Schlumberger, collectionneuses d’art à l’aube du xxie siècle, aussi bien que les demoiselles pensionnaires de Mme de Maintenon. Quant au territoire couvert, il est vaste, s’étendant de la France à l’Inde en passant par l’Union soviétique, Venise et St-Cyr. L’Amérique du Nord est peu évoquée, et pour cause, même si on trouve allusions et références au féminisme nord-américain. L’auteur constate le retard de la France dans la réflexion sur « les débats féministes dans le champ de l’art et au sein de la discipline de l’histoire de l’art » (p. 56). En écrivant ce livre, il entend justement « contribuer à réduire ce retard » (p. 56).
Où est le droit dans tout cela ? Le livre, même s’il est l’oeuvre d’un juriste, ne cherche évidemment pas à être un livre de droit ni un livre sur le droit. Toutefois, la discipline vient ici et là au soutien du propos. Ainsi, première constatation, peut-être évidente, mais pourquoi ne pas la rappeler : traditionnellement, en droit comme en art, la femme est une incapable. D’ailleurs, on tient les femmes loin des deux domaines pour les mêmes raisons. Dans les deux cas, les études précèdent la maîtrise ; or laisser une femme accéder à l’étude, « c’est le risque de [la] détourner de ses devoirs d’épouse et de mère » (p. 88). D’un autre côté, lorsque Norbert Rouland évoque les réponses des femmes à la domination masculine, il en vient à traiter de deux sujets assez éloignés de son propos initial, mais qui sollicitent le droit. D’une part, les femmes violentes, ce qui soulève la question de leur sanction juridique et, d’autre part, la situation des veuves, le veuvage leur permettant d’être « juridiquement libres » (p. 389).
En outre, en cette période où, depuis quelques années, la question « genre » est d’actualité[5], notamment chez les juristes, toute réflexion sur le sujet est bienvenue.
Alors que l’auteur nous instruit réellement avec ce livre, il nous fait souvent perdre le fil de son raisonnement, peut-être précisément en raison du très grand nombre d’informations auxquelles il nous donne accès et de toutes les avenues dans lesquelles il nous entraîne.
Au terme de cette lecture, la conclusion qui s’impose est optimiste. Même s’il est indéniable qu’il reste de nombreux progrès à faire, les femmes reviennent de loin, dans tous les domaines, mais surtout dans les arts où elles occupent une place de plus en plus importante. Et comment résister à la tentation de citer Aragon, repris par Norbert Rouland en guise de phrase finale : « l’avenir de l’homme est la femme[6] » ?
Parties annexes
Notes
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[1]
1412-1431.
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[2]
1785-1813.
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[3]
1665-1729.
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[4]
1755-1842. Exposée au Musée des beaux-arts du Canada à Ottawa du 10 juin au 11 septembre 2016.
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[5]
Voir, par exemple, Louise Langevin (dir.), Rapports sociaux de sexe/genre et droit : repenser le droit, Paris, Éditions des Archives contemporaines, 2008 ; Éric Millard, « Droit et genre », dans Sonia Leverd (dir.), Les nouveaux territoires du droit, Paris, L’Harmattan, 2013, p. 87 ; Coline Cardi et Anne-Marie Devreux (dir.), « L’engendrement du droit », Cahiers du genre, no 57, 2014. Voir également l’axe « Droit français et droit du genre » du projet REGINE (Recherche et Études sur le Genre et les Inégalités dans les Normes en Europe), [En ligne], [regine.u-paris10.fr] (1er novembre 2016).
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[6]
Louis Aragon, Le fou d’Elsa, Paris, Gallimard, 1963, p. 166.