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Une clause de départ est une disposition contractuelle ou réglementaire par laquelle le statut de locataire d’un membre d’une coopérative est directement rattaché à son état de membre. Selon une telle clause, « le membre doit quitter la coopérative d’habitation [et donc son logement] s’il perd son statut de membre, par démission ou exclusion[1] ».

La reconnaissance judiciaire de ces dispositions a été formalisée en 2004, par la décision Coopérative d’habitation Le Rouet c. Herrera[2], alors que la Cour du Québec annule la décision rendue par la Régie du logement[3], valide la légalité d’une telle clause et lui donne effet en permettant l’expulsion du locataire visé.

Or, bien que cette interprétation des dispositions législatives pertinentes ait été reprise et appliquée depuis — le moteur de recherche du Canadian Legal Information Institute (CanLII) renvoie à 25 décisions (4 des tribunaux judiciaires et 21 de la Régie du logement) et celui de la Société québécoise d’information juridique (SOQUIJ), à 21 décisions (5 décisions des tribunaux judiciaires et 16 décisions du Tribunal administratif du logement) —, il demeure que cette interprétation est loin de faire consensus.

En effet, dans son récent ouvrage, Me Antoine Morneau-Sénéchal se réfère à la décision Herrera en des termes peu élogieux :

Dans une décision controversée, la Cour du Québec a affirmé qu’une coopérative a le droit d’inclure dans son contrat de membre une disposition prévoyant qu’en cas de perte du statut de membre, le locataire doive quitter son logement à la fin de son bail. Ce jugement constitue sans aucun doute une atteinte importante au droit au maintien dans les lieux qui, avec égards, se fonde sur une interprétation plutôt bancale de la loi. Ce ne sont toutefois pas toutes les coopératives qui ont fait le choix d’appliquer ce principe, et il faut donc à chaque fois prendre connaissance du contrat de membre afin de savoir si le locataire qui perd son statut de membre risque aussi de perdre son logement[4].

Le milieu de l’habitation coopérative se montre également réfractaire à cette interprétation. Par exemple, dans un mémoire déposé en commission parlementaire, la Fédération des coopératives d’habitation intermunicipale du Montréal métropolitain souligne que cette décision « [remet] en question le fonctionnement traditionnel des coopératives[5] ». De même, la Confédération québécoise des coopératives d’habitation affirme dans un rapport que, « pour bon nombre de juristes oeuvrant dans le domaine, ce courant jurisprudentiel, et la solution qu’il avalise, apparaissent [...] précaires[6] ».

Notre objectif dans le présent texte est d’analyser la légalité des clauses de départ au sein des coopératives d’habitation du Québec. Notre recherche nous a permis de constater que ce courant jurisprudentiel repose sur plusieurs erreurs d’interprétation en ce qui concerne tant l’interprétation littérale que l’interprétation moderne et contextuelle des dispositions pertinentes. Nous espérons que notre texte pourra servir aux juristes et aux décideurs afin de rompre avec le courant jurisprudentiel actuel qui compromet, à notre humble avis, les principes et les objectifs qui guidaient le législateur lorsqu’il a adopté les dispositions législatives pertinentes.

Nous avons divisé notre texte en quatre parties. D’abord, nous discuterons du cadre juridique propre aux coopératives d’habitation (partie 1). Puis nous présenterons l’arrêt Coopérative d’habitation Jeanne-Mance c. Landry[7] de la Cour d’appel du Québec sur lequel s’appuie la décision Herrera, la décision Herrera elle-même, ainsi que les décisions qui l’ont suivie et étendue (partie 2). Ensuite, nous traiterons des motifs en vertu desquels nous sommes d’avis que la décision Herrera et les décisions subséquentes errent dans l’interprétation des dispositions relatives aux clauses de départ (partie 3). Finalement, nous exposerons les arguments qui nous portent à conclure que ce type de clause est contraire à la loi et que lesdites dispositions vont à l’encontre des principes et des idéaux ayant présidé à l’adoption des lois en cause (partie 4).

1 Le cadre juridique propre aux coopératives d’habitation

La lecture des décisions se prononçant sur les clauses de départ tend à nourrir une certaine ambiguïté quant au cadre juridique applicable aux coopératives d’habitation, notamment en ce qui a trait aux liens contractuels qui encadrent la relation entre les membres d’une coopérative, la coopérative elle-même, sans oublier les locataires qui habitent ses logements. Par conséquent, il nous apparaît pertinent de faire un survol du cadre juridique applicable aux coopératives d’habitation.

Les coopératives d’habitation, en tant que coopératives, sont régies par une loi qui leur est propre, soit la Loi sur les coopératives[8]. Selon cette dernière, les coopératives sont des personnes morales[9]. À ce titre, elles ont la personnalité juridique[10]. Elles sont de ce fait distinctes de leurs membres, et leurs actes n’engagent qu’elles-mêmes[11]. De plus, elles agissent par leurs organes tels le conseil d’administration et l’assemblée des membres[12].

La Loi sur les coopératives prévoit que « les règlements de la personne morale établissent des rapports de nature contractuelle entre elle et ses membres[13] ». À cet égard, les coopératives peuvent adopter des règlements de toute nature. Ainsi, le « règlement de régie interne est le règlement de base de la coopérative. Il détermine l’organisation interne de la coopérative. Ce règlement vient compléter le cadre général établi par la Loi[14] ». Les coopératives peuvent également établir des règlements particuliers. Quant à ces derniers, « comme leur nom l’indique, leur objet est de préciser certaines règles de fonctionnement de la coopérative concernant des sujets précis[15] ».

Les coopératives sont composées de membres dont l’adhésion prend fin avec leur démission ou leur exclusion à titre de membre. À ce propos, la Loi sur les coopératives permet à un membre de se retirer de la coopérative en donnant un avis écrit[16]. Cette loi prévoit aussi expressément les cas où le conseil d’administration peut exclure un de ses membres[17]. D’après certains auteurs, « ces motifs couvrent des situations très variées et nombreuses[18] », et « [t]oute transgression de l’une ou l’autre des dispositions du règlement de la coopérative peut entraîner la suspension ou l’exclusion. De même, tout manquement par le membre à un de ses engagements, que ce soit ceux contenus au bail ou à un autre contrat, peut aussi être invoqué[19] ».

Outre les dispositions générales applicables à toutes les coopératives, une section particulière de la Loi sur les coopératives s’applique précisément aux coopératives d’habitation[20] en énonçant que celles-ci ont « pour objet principal de faciliter à [leurs] membres l’accès à la propriété ou l’usage d’une maison ou d’un logement[21] ».

Au regard du libellé de cette disposition, il peut y avoir des coopératives d’habitation ayant pour objet principal de faciliter l’accès à la propriété à leurs membres[22]. Cela étant dit, il n’est pas question de ce type de coopérative dans le présent texte. Nous traiterons plutôt de celles dont l’objet principal consiste à faciliter l’usage d’un logement à leurs membres. En effet, « [l]a très grande majorité des coopératives d’habitation au Québec sont locatives. Cela signifie que les membres de la coopérative y sont des locataires et que les principales conditions d’occupation d’un logement de la coopérative par ses membres sont définies par le contrat de bail et par les règles du Code civil qui régissent un tel contrat[23] ».

Comme le précisait le ministère des Affaires municipales en 1978 dans le Livre blanc sur les relations entre locateurs et locataires, « les logements, propriété de coopératives, sont soumis aux règles générales applicables à tous les baux résidentiels[24] ».

Notons que le législateur a restreint, à l’article 1955 du Code civil du Québec, la possibilité pour un logement loué par une coopérative d’habitation à l’un de ses membres de faire l’objet d’une fixation de loyer ou de modification d’autres conditions du bail par le Tribunal administratif du logement. De même, le législateur a prévu à l’article 1945 qu’un locataire d’un logement loué par une coopérative d’habitation à l’un de ses membres doit quitter le logement à la fin du bail lorsqu’il refuse la modification proposée par la coopérative-locatrice.

Le législateur énonce également au premier alinéa de l’article 221.1 de la Loi sur les coopératives que, « [p]our être admise comme membre d’une coopérative [d’habitation qui loue des logements à ses membres], une personne doit être partie à un bail de location d’une unité de logement appartenant à la coopérative ». De plus, le deuxième alinéa du même article spécifie que « [l]e membre dont le bail est résilié, annulé ou non renouvelé, est réputé avoir démissionné de la coopérative à la date de la résiliation, de l’annulation ou de l’arrivée du terme du bail ». Par conséquent, le législateur a fait du statut de locataire une condition essentielle pour être membre d’une telle coopérative d’habitation qui loue des logements à ses membres.

Agissant à titre de locatrice, une telle coopérative peut aussi adopter un règlement d’immeuble portant sur les règles relatives à la jouissance, à l’usage et à l’entretien des logements et des lieux d’usage commun. Le cas échéant, lorsque la coopérative a remis au locataire un exemplaire de ce règlement avant la conclusion du bail, il fait alors partie intégrante de ce dernier[25]

[Pour cette raison,] [i]l ne faut pas confondre le règlement d’immeuble avec le règlement de régie interne de la coopérative ou tout autre règlement propre à la vie coopérative et qui ne lie que les membres. Le règlement d’immeuble est adopté par la coopérative agissant à titre de locateur. Ce règlement doit donc être rédigé de manière à s’appliquer à tous les locataires, membres ou non de la coopérative.

En fait, le règlement d’immeuble a pour but de compléter le bail et de préciser certains droits et obligations des locataires[26].

Par ailleurs, il n’est pas rare que les membres soient liés à leur coopérative par un autre contrat appelé « contrat de membre ». Il faut d’ailleurs distinguer ce dernier d’avec le bail. En réalité, celui-ci est là « pour établir les conditions d’occupation d’un logement ; le contrat de membre a pour but de préciser les droits et les obligations qui découlent de l’adhésion d’un membre à une coopérative[27] ». Le contrat de membre n’est donc aucunement lié au statut de locatrice de la coopérative. Remarquons que le contrat de membre octroie généralement aux membres de la coopérative « [le] droit de retenir de leur loyer mensuel une somme précise, communément appelée rabais de membre, remise coopérative ou escompte coopératif. Cette somme, que le membre peut déduire de son loyer ne constitue ni un revenu ni une ristourne. Elle n’est que le reflet des économies que le membre réalise de par sa participation aux objectifs et aux activités de la coopérative[28] ».

Somme toute, cette superposition de relations contractuelles — règlement, bail et contrat de membre — peut évidemment prêter à confusion, ce qui pourrait expliquer, du moins en partie, l’interprétation mal fondée des dispositions relatives aux clauses de départ.

2 L’historique jurisprudentiel

Dans cette section, nous présenterons la décision Herrera qui constitue la décision de principe à laquelle se réfèrent le Tribunal administratif du logement et la Cour du Québec afin de disposer de la validité des clauses de départ[29].

Cependant, puisque cette décision s’appuie principalement sur l’arrêt Landry de la Cour d’appel du Québec, il nous apparaît important de faire un bref survol de cet arrêt afin d’éclairer les faits étudiés, les conclusions qui en sont tirées ainsi que l’analyse qui les soutient (2.1), et ce, avant de discuter précisément de la décision Herrera (2.2).

Une fois l’arrêt Landry et la décision Herrera présentés, nous examinerons les décisions qui ont appliqué et élargi la décision Herrera (2.3).

2.1 L’arrêt Coopérative d’habitation Jeanne-Mance c. Landry

Dans l’arrêt Landry, le locataire, membre de la Coopérative d’habitation Jeanne-Mance, a signé un bail avec la coopérative pour un loyer donné. En vertu de son statut de membre, le locataire bénéficie alors d’une réduction de loyer.

Le locataire est exclu de la coopérative à la suite d’une décision de l’assemblée générale de cette dernière. Suivant cette perte du statut de membre, la coopérative lui réclame le paiement complet du loyer convenu sans déduire le rabais dont bénéficient les membres. Le locataire refuse et continue à payer son loyer comme s’il détenait toujours son statut de membre.

La coopérative s’adresse donc à la Régie du logement afin de demander la résiliation du bail pour défaut de paiement.

La Régie du logement conclut qu’elle n’a pas compétence pour statuer sur la légalité de la procédure d’expulsion d’un membre d’une coopérative et que, en l’absence d’une contestation de cette expulsion, le locataire ne subit pas une augmentation de loyer en cours de bail puisqu’on ne lui demandait que d’acquitter le loyer prévu par contrat, sans lui permettre de bénéficier du rabais dont bénéficient les membres de la coopérative. Elle autorise également la résiliation du bail en raison du défaut de paiement, outre qu’elle résilie le bail en question puisque le locataire nuit à la jouissance des autres locataires.

En appel, la Cour du Québec scinde la question en deux, se prononçant d’abord sur l’absence de compétence de la Régie du logement pour statuer sur la légalité de la procédure ayant retiré au locataire son statut de membre. Le locataire s’adresse subséquemment à la Cour supérieure pour revoir la décision de la Cour du Québec. Dans sa décision, la Cour supérieure permet l’évocation de la décision de la Cour du Québec, la casse, et déclare la nullité de la perte de statut de membre du locataire[30].

La coopérative porte cette décision en appel, et le locataire formule un appel incident afin de clore l’appel toujours pendant devant la Cour du Québec.

La Cour d’appel en arrive à la conclusion que la Cour supérieure avait correctement statué sur l’illégalité de la perte du statut de membre du locataire, mais qu’elle avait erronément conclu que la Cour du Québec avait compétence pour se saisir de la question.

En somme, la principale question qu’étudie la Cour d’appel est celle de savoir qui, de la Régie du logement ou de la Cour supérieure, détient la compétence nécessaire afin de déclarer nulle la résolution d’une coopérative d’habitation qui prive une personne de son statut de membre. À cette question, la Cour d’appel répond que la Cour supérieure a la compétence pour contrôler la légalité des décisions de la coopérative en ce qui concerne la perte du statut de membre.

Au motif de sa décision, la Cour d’appel mentionne que la relation qui se forme entre le membre et la coopérative est de nature contractuelle[31] et que le législateur a prévu, à l’article 57 de la Loi sur les coopératives, la possibilité pour la coopérative d’exercer un pouvoir disciplinaire sur ses membres[32]. À cet égard, le tribunal précise que la relation contractuelle entre la coopérative et le membre s’incarne dans le contrat de membre qui stipule que, malgré « les obligations générales et les tâches particulières qui lui sont confiées, les motifs d’exclusion et de suspension, la réduction de loyer que son statut lui procure et, enfin, la règle suivant laquelle s’il est expulsé ou suspendu, il demeure locataire mais est privé des privilèges bénéficiant aux membres, notamment la réduction de loyer[33] ».

Une fois cette précision établie, la Cour d’appel rappelle que, en vertu du premier paragraphe de l’article 28 de la Loi sur la Régie du logement[34], cette dernière a compétence sur toute demande relative à un bail de logement et sur les accessoires se rattachant à celui-ci.

En statuant que le contrat de membre ne fait pas partie du bail, la Cour d’appel en conclut ceci :

La Régie, suivant la Loi sur la Régie du logement, peut et doit statuer, à l’exclusion de tout autre tribunal sur toute demande relative à un bail de logement sauf pour fixer le loyer ou modifier les conditions du bail du locataire membre d’une coopérative d’habitation mais n’a aucune compétence pour contrôler la légalité des actes posés par une coopérative à l’endroit de ses membres et spécialement au regard de l’exercice du pouvoir disciplinaire. Ce rôle appartient seulement à la Cour supérieure, dans l’exercice général de son pouvoir de surveillance et [de] contrôle sur l’activité des personnes morales de droit public ou de droit privé[35].

En aucun temps, la Cour d’appel ne se prononce sur la possibilité pour une coopérative d’habitation de prévoir une disposition contractuelle ou réglementaire qui irait à l’encontre des dispositions d’ordre public en matière de logement, de telle sorte que, sans autre faute que celle qui justifierait le retrait du statut de membre, le locataire puisse perdre son droit au maintien dans les lieux. Au contraire, la Cour d’appel reconnaît plutôt que, en l’absence du statut de membre, le statut de locataire d’une coopérative d’habitation n’est pas distinct du statut général de locataire.

Cette décision ne fait que préciser la compétence de la Cour supérieure quant aux actes accomplis par une coopérative à l’endroit de ses membres et celle de la Régie du logement quant aux demandes relatives à un bail de logement.

2.2 La décision Coopérative d’habitation Le Rouet c. Herrera

Dans la décision Herrera, la Cour du Québec a dû trancher la question de savoir si une clause du bail, qui se trouve également au contrat de membre, selon laquelle la personne qui devient membre locataire d’une coopérative d’habitation s’engage, en cas de perte de son droit de membre, à quitter la coopérative à la fin de son bail, est légale et conforme à l’ordre public.

Pour revenir sur les faits, précisons que le locataire signe un bail avec la Coopérative d’habitation Le Rouet. Son contrat de bail contient la clause suivante : « Advenant la perte de son droit de membre, le locataire s’engage à quitter la coopérative à la fin du présent bail[36]. »

Au même moment, le locataire signe également un contrat de membre avec ladite coopérative, lequel comporte la clause suivante : « En cas de perte de droit de membre, le membre s’engage à quitter la Coopérative d’Habitation Le Rouet à la fin de son bail[37]. »

L’année suivante, le conseil d’administration de la Coopérative vote, à l’unanimité, une résolution retirant au locataire son statut de membre et les privilèges qui s’y rattachent au motif de « mauvaise foi évidente et [d’]absence d’esprit et de volonté coopérative[38] ».

Lorsque la Coopérative avise le locataire de son exclusion en tant que membre de la coopérative, elle ajoute ceci : « Finalement en vertu du règlement spécifié sur votre bail de même que sur votre contrat de membre, et en vertu de la loi des coopératives, nous confirmons votre déménagement avant le 1er juillet 2002[39]. »

La conséquence de la perte du statut de membre entraîne également l’augmentation du loyer payable par le locataire puisqu’il ne bénéficie plus de son rabais-membre.

Le locataire envoie alors à la Coopérative un avis de refus d’augmentation de loyer, car il ne se considère pas comme lié par les dispositions des articles 1945 et 1955 du Code civil. La Coopérative dépose donc une demande auprès de la Régie du logement.

Devant cette situation, la juge Pauzé conclut que la clause par laquelle un membre s’engage à quitter son logement à la fin de son bail est conforme aux dispositions de la Loi sur les coopératives et du Code civil[40].

Pour arriver à une telle conclusion, la juge commence son raisonnement en mentionnant « que le législateur a effectivement par le biais de l’article 1936 du Code civil du Québec érigé en principe celui du droit au maintien dans les lieux[41] ». Cette disposition se lit comme suit : « Tout locataire a un droit personnel au maintien dans les lieux ; il ne peut être évincé du logement loué que dans les cas prévus par la loi. »

Puis la juge soulève, parmi les cas prévus par la Loi sur les coopératives, celui qui figure à l’article 1945 du Code civil :

Le locataire qui refuse la modification proposée par le locateur est tenu, dans le mois de la réception de l’avis de modification du bail, d’aviser le locateur de son refus ou de l’aviser qu’il quitte le logement ; s’il omet de le faire, il est réputé avoir accepté la reconduction du bail aux conditions proposées par le locateur.

Toutefois, lorsque le bail porte sur un logement visé à l’article 1955, le locataire qui refuse la modification proposée doit quitter le logement à la fin du bail.

De son côté, le premier alinéa de l’article 1955 du Code civil prévoit ce qui suit : « Ni le locateur ni le locataire d’un logement loué par une coopérative d’habitation à l’un de ses membres, ne peut faire fixer le loyer ni modifier d’autres conditions du bail par le tribunal. »

C’est ainsi que la Cour du Québec mentionne que, à la lecture de ces trois dispositions, « le législateur a spécifiquement mis en oeuvre un régime particulier pour les immeubles gérés en coopérative en vertu de la Loi sur les coopératives[42] ».

Par la suite, la Cour du Québec, citant l’arrêt Landry, rappelle à bon droit que ni la Régie du logement ni la Cour du Québec n’ont compétence pour décider de la légalité de la décision relative au statut de membre d’une coopérative, ces questions relevant du pouvoir général de contrôle judiciaire de la Cour supérieure[43].

Rappelant de nouveau les propos de la Cour d’appel, la Cour du Québec souligne que la relation qui se forme entre le membre et la coopérative est de nature contractuelle et que l’exclusion du membre n’éteint pas le statut de locataire, bien que l’exclusion prive le locataire des privilèges attribués aux membres, notamment la réduction du loyer[44].

La Cour du Québec poursuit en indiquant que « la conséquence de l’exclusion c’est que[,] tout en demeurant locataire, il devra toutefois quitter les lieux à la fin de son bail comme l’a prévu le législateur en énonçant les articles 1945, 2e alinéa, et 1955 du Code civil du Québec[45] ».

Pour appuyer cette prétention, le tribunal précise que, étant donné que « la relation entre la coopérative d’habitation et son membre est de nature contractuelle, rien n’empêche les parties de prévoir des modalités qui leur sont propres tout en respectant à la fois la Loi sur les coopératives, l’ordre public et les usages[46] ».

La Cour du Québec en conclut donc que « rien n’empêche une coopérative d’habitation de prévoir contractuellement certaines clauses, dont inclure une clause de départ laquelle reprend les dispositions de la Loi elle-même[47] ».

Bien que la juge indique « qu’être membre d’une coopérative est une chose et qu’être locataire en est une autre », elle précise que « les deux sont intimement liées en matière de coopérative d’habitation[48] ».

Le tribunal prétend que le « législateur a prévu faire une condition d’admissibilité à la location celle d’être membre[49] », et ce, en se référant à l’article 221.1 de la Loi sur les coopératives qui se lit en ces termes :

Pour être admise comme membre d’une coopérative visée à l’article 221, une personne doit être partie à un bail de location d’une unité de logement appartenant à la coopérative.

Le membre dont le bail est résilié, annulé ou non renouvelé, est réputé avoir démissionné de la coopérative à la date de la résiliation, de l’annulation ou de l’arrivée du terme du bail.

La Cour du Québec estime alors que « le contrat de bail fait partie du privilège rattaché au droit d’être membre d’une coopérative. Au privilège d’être membre est rattaché celui d’être locataire[50] ». Elle en déduit donc que, si « l’on cesse d’être membre, rien ne répugne au fait de cesser d’être locataire à la fin du bail[51] ».

En ce qui concerne la question de savoir si les articles 1945 et 1955 du Code civil s’appliquent aux locataires ayant perdu leur statut de membre, la Cour du Québec cite le professeur Pierre-Gabriel Jobin qui soutient que « le texte de cette disposition implique que le contrôle des loyers s’applique à un logement loué par une coopérative à une personne qui n’en est pas membre[52] ».

Néanmoins, la juge Pauzé, sans autre motif, écarte cette opinion :

Avec égard à ce que soutient Me Pierre-Gabriel Jobin, le Tribunal ne partage pas son opinion. Le Tribunal considère que le mécanisme de contrôle des loyers établi par la Régie du logement ne reprend pas son application sur les locataires devenus non membres d’une coopérative, le législateur ayant exclu des mécanismes de la Régie du logement le régime propre aux coopératives d’habitation[53].

Finalement, la Cour du Québec affirme que la Régie du logement n’a pas la compétence ni le pouvoir de réviser directement ou indirectement la décision de l’assemblée générale de la Coopérative d’augmenter le rabais-membre.

La Cour du Québec en arrive à cette conclusion en faisant référence, une nouvelle fois, à l’arrêt de la Cour d’appel du Québec dans l’affaire Landry où il a été clairement établi que la Régie du logement, voire la Cour du Québec en appel, n’a pas compétence pour contrôler la légalité des gestes accomplis par une coopérative à l’égard de ses membres. Ce pouvoir n’appartient qu’à la Cour supérieure en vertu de son pouvoir de surveillance et de contrôle.

2.3 Les suites de la décision Herrera

C’est ainsi que la décision Herrera a fait jurisprudence. En effet, un recensement des décisions qui s’y réfèrent montre qu’elle a largement été suivie, même étendue, aussi bien par la Régie du logement que par la Cour du Québec (2.3.1). En revanche, ni la Cour supérieure ni la Cour d’appel ne se sont saisies de la question sur le fond (2.3.2).

2.3.1 Les décisions des tribunaux inférieurs

Quatre ans après la décision Herrera, la Cour du Québec est saisie d’une nouvelle affaire concernant une clause de départ[54]. Contrairement à la première affaire, dans celle-ci, la clause de départ n’est pas prévue dans le contrat de bail ou le contrat de membre, mais bien dans le règlement de la Coopérative d’habitation St-Urbain. La Cour du Québec doit alors décider si une coopérative d’habitation est en droit d’adopter un règlement obligeant une personne qui cesse d’être membre de la coopérative à quitter le logement qu’elle occupe à la fin de son bail.

En se référant encore une fois à l’arrêt de la Cour d’appel dans l’affaire Landry, la Cour du Québec en arrive à la conclusion que « ni la Régie du logement, ni la Cour du Québec (en appel) n’a compétence pour remettre en question la légalité du règlement adopté par la Coopérative[55] ». Elle mentionne par ailleurs que c’est la conclusion à laquelle en est venue la juge Pauzé dans la décision Herrera.

Outre ces deux précédentes décisions, la Cour du Québec a été saisie à deux autres reprises de cette question, notamment dans le contexte de demandes de permission d’appeler d’une décision de la Régie du logement.

Dans la première affaire, datant de 2018, la Cour du Québec est saisie d’une demande de permission d’appel contestant une décision de la Régie du logement expulsant un locataire de son logement, sur le seul motif de la perte de son statut de membre, alors qu’aucune demande de résiliation de bail n’y est formulée. Le juge énonce alors plusieurs faiblesses apparentes de cette décision de première instance.

De surcroît, le tribunal rappelle l’affirmation de la juge Pauzé, dans la décision Herrera, voulant que « la perte du statut de membre d’une coopérative d’habitation entraîne ipso facto celle du statut de locataire[56] ». En invoquant le désaccord entre la juge Pauzé et le professeur Jobin, la Cour du Québec se demande si les articles 1945 et 1955 du Code civil signifient que la validité d’un tel bail est tributaire du maintien du statut de membre de la coopérative par le locataire d’un tel logement[57].

À ce sujet, la Cour du Québec est d’avis que « [la] question est certainement sérieuse et à la lumière de ce qu’en disent respectivement la juge Pauzé et le professeur Jobin, elle est aussi controversée[58] ». La demande en permission d’appel est donc autorisée. Malheureusement, le demandeur s’est désisté. Par conséquent, la Cour du Québec n’a pu se saisir de la question sur le fond.

Dans une seconde affaire, rendue en 2020, la Cour du Québec en arrive à une conclusion différente. Elle rejette la demande pour permission d’appel d’une décision de la Régie du logement portant sur la validité d’une clause de départ en indiquant que la décision initiale était « bien étoffée » et « bien dirigée en droit »[59].

Outre ces décisions de la Cour du Québec, la Régie du logement a également validé, à de nombreuses reprises, les clauses de départ dans les coopératives d’habitation[60].

Parmi ces clauses, un cas particulier mérite d’être discuté. Dans l’affaire Dziczek Polawski c. Coopérative d’habitation Skanagowa[61], la Régie du logement a dû déterminer si une clause de départ pouvait s’appliquer à un locataire non membre et, le cas échéant, si une telle clause pouvait forcer son départ en cas de démission ou d’exclusion du locataire membre.

Dans cette affaire, la locataire non membre défendait la position voulant que la clause de départ ne puisse priver un locataire non membre de son droit au maintien dans les lieux et que seul le locataire membre doit quitter.

Le tribunal a néanmoins rejeté cette thèse en prétendant que celle-ci « aurait pour effet de donner plus de droits aux locataires non membres qu’aux membres eux-mêmes[62] ». De plus, cette thèse aurait « pour effet de donner plus de droits aux membres qui sont en colocation qu’aux membres qui sont les seuls locataires inscrits à leurs baux[63] ». De l’avis de la Régie du logement, une coopérative d’habitation ne pourrait presque jamais recourir à la clause de départ si celle-ci ne s’appliquait pas aux locataires non membres : « la coopérative ne pourrait […] jamais éviter la reconduction du bail sur lequel sont inscrits deux locataires ou plus, même lorsque le locataire qui est membre de la coopérative perd son statut[64] ».

2.3.2 Les décisions des tribunaux supérieurs

Si les tribunaux inférieurs se sont penchés à plusieurs reprises sur les clauses de départ, nos recherches ne nous ont pas permis de trouver de décisions de tribunaux supérieurs ayant examiné la légalité de ces clauses.

Tout au plus, en 2019, un justiciable a contesté en Cour supérieure la validité d’une telle clause prévue dans le règlement de sa coopérative. Malheureusement, sa contestation a été jugée irrecevable parce qu’elle n’a pas été intentée dans un délai raisonnable conformément à l’article 529 du Code de procédure civile[65]. Cette décision quant à l’irrecevabilité de son recours a été confirmée en appel[66].

Plus récemment encore, dans l’affaire Lozano Lozano c. Coopérative d’habitation Primavera de la Petite-Patrie[67], la Cour supérieure a été saisie d’un moyen déclinatoire quant à la compétence de la Régie du logement relativement à l’application d’une clause de départ prévue dans le contrat de membre liant la coopérative au membre.

La Cour supérieure souligne que « le bail est en quelque sorte subordonné au contrat de membre, car l’essence de l’opération est de créer une forme d’association entre des personnes partageant un but commun par l’entremise d’une entité, soit la coopérative[68] ». La Cour supérieure assimile alors la situation à celle qui se présente lorsqu’un bail est conclu à titre d’accessoire d’un contrat de travail au sens de l’article 1976 du Code civil Elle en déduit ainsi que « si la source du litige entre les parties provient essentiellement des relations de la coopérative avec ses membres, et non pas du bail en tant que tel, alors ce sont les tribunaux de droit commun qui auront compétence sur le litige[69] ».

À cet égard, le juge de la Cour supérieure considère qu’en l’espèce, la source du litige entre les parties est le contrat de membre et non le bail. Par conséquent, il en conclut que « la Cour supérieure a juridiction sur l’ensemble du litige[70] ». Il termine en ajoutant ceci :

Les décisions de la Cour du Québec et de la Régie du logement qui décident que les « clauses de départ » contenues dans des contrats de membres de coopérative d’habitation sont valides et ne sont pas contraires à l’ordre public n’ont pas de pertinence sur la question de savoir si c’est le Tribunal administratif du logement ou la Cour supérieure qui a juridiction sur les conclusions qui nous intéressent ici[71].

Or, malgré cette décision de la Cour supérieure qui écarte pourtant la compétence du Tribunal administratif du logement en la matière, il y a lieu de mentionner que ce tribunal spécialisé a rendu subséquemment au moins deux décisions concernant des clauses de départ[72].

3 Les faiblesses interprétatives de ce courant jurisprudentiel

Comme nous l’avons vu dans la section 2.3.2, le coeur du raisonnement retenu par la décision Herrera repose sur une inféodation de la relation contractuelle locateur-locataire à la relation membre-coopérative. Le contrat de membre constituerait donc le contrat principal et le contrat de bail serait un accessoire de celui-ci.

Avec égard pour l’opinion inverse, nous croyons que cette conclusion repose sur des erreurs d’interprétation de la Loi sur les coopératives. Nous présenterons celles-ci en deux temps.

D’abord, nous nous pencherons sur l’interprétation littérale de la Loi sur les coopératives et les dispositions juridiques retenues par la jurisprudence afin de mettre en lumière ses erreurs d’interprétation (3.1), puis nous nous tournerons vers les arguments découlant de l’interprétation cohérente et contextuelle de cette loi afin de démontrer le caractère plus largement erroné d’une telle hiérarchisation (3.2).

À la suite de cette démonstration des failles dans le raisonnement sur lequel s’appuie le courant jurisprudentiel dominant, nous défendrons la thèse selon laquelle cette interprétation erronée nous apparaît contraire à l’objet même des lois québécoises en matière de logement, puisqu’elle compromet le droit des locataires au maintien dans les lieux et donc leur droit au logement.

3.1 L’interprétation erronée de certaines dispositions particulières aux coopératives d’habitation

Nous reviendrons d’abord sur l’interprétation de la Cour du Québec dans la décision Herrera lorsqu’elle examine le contenu de l’article 221.1 de la Loi sur les coopératives (3.1.1). Ensuite, nous nous pencherons sur son interprétation de l’article 1955 du Code civil (3.1.2). Dans les deux cas, nous démontrerons en quoi l’interprétation du tribunal dans cette décision néglige de prendre en considération le postulat selon lequel il convient de présumer que le législateur connaît les règles du langage et qu’il les emploie de manière pertinente[73].

3.1.1 L’erreur logique quant à l’interprétation de l’article 221.1 de la Loi sur les coopératives

Le coeur de l’interprétation de l’article 221.1 de la Loi sur les coopératives, dans la décision Herrera, se trouve au paragraphe 47 : « Même s’il est vrai qu’être membre d’une coopérative est une chose et qu’être locataire en est une autre, les deux sont intimement liées en matière de coopérative d’habitation […] Le législateur a prévu faire une condition d’admissibilité à la location celle d’être membre[74]. »

Or, est-ce véritablement ce que dit l’article en question ? Respectueusement, nous croyons qu’il y a confusion dans l’enchâssement grammatical et logique des statuts de membre et de locataire. Pour synthétiser, la juge inverse la direction du lien de conditionnalité entre le statut de membre et le statut de locataire.

Schéma 1

Représentation visuelle des relations entre ensemble et sous-ensemble

Représentation visuelle des relations entre ensemble et sous-ensemble

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Il convient ici de toucher sommairement à la théorie des ensembles. Cet outil théorique se révèle utile pour évaluer les énoncés logiques de conditionnalité. En bref, la théorie des ensembles permet de dire qu’un ensemble est un sous-ensemble d’un second groupe si chaque élément du premier groupe se trouve à l’intérieur du second groupe. Dans le schéma 1, l’ensemble A est donc un sous-ensemble de l’ensemble B.

La conditionnalité implique donc nécessairement que l’ensemble du groupe conditionné est également inclus dans l’ensemble du groupe remplissant une sous-condition de la condition. Par exemple, le groupe des personnes avec des cheveux roux constitue un sous-ensemble du groupe des personnes avec des cheveux. En conséquence, on peut dire que, s’il faut avoir des cheveux pour avoir des cheveux roux, cela ne signifie pas qu’une personne ayant des cheveux doit avoir des cheveux roux.

Retournons à la disposition de la Loi sur les coopératives. Le premier alinéa de l’article 221.1 se lit ainsi : « Pour être admise comme membre d’une coopérative visée à l’article 221, une personne doit être partie à un bail de location d’une unité de logement appartenant à la coopérative. »

L’article 221.1 pose donc une condition à l’admission, soit être locataire. La représentation visuelle de cette relation apparaît au schéma 2.

Schéma 2

Relation des ensembles « locataires » et « membres » selon la lettre de l’article 221.1 de la Loi sur les coopératives

Relation des ensembles « locataires » et « membres » selon la lettre de l’article 221.1 de la Loi sur les coopératives

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Le second alinéa de l’article 221.1 prévoit ceci : « Le membre dont le bail est résilié, annulé ou non renouvelé, est réputé avoir démissionné de la coopérative à la date de la résiliation, de l’annulation ou de l’arrivée du terme du bail. »

Cela signifie donc que la personne qui n’est plus dans l’ensemble « Locataires d’une coopérative » ne peut plus faire partie de l’ensemble « Membres d’une coopérative ». Si nous reprenons l’analogie capillaire, selon cet alinéa, une personne qui n’a plus de cheveux est nécessairement exclue de l’ensemble des personnes avec des cheveux roux.

Or, la décision Herrera prétend que « le législateur a prévu faire une condition d’admissibilité à la location celle d’être membre ». Si tel était le cas, la représentation visuelle de cette relation de conditionnalité serait donc modifiée, comme l’indique le schéma 3.

Schéma 3

Relation des ensembles « locataires » et « membres » selon la décision Herrera

Relation des ensembles « locataires » et « membres » selon la décision Herrera

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L’équivalent logique, si nous privilégions toujours l’analogie capillaire, serait de dire que la Cour du Québec en arrive à la conclusion qu’il faut avoir des cheveux roux pour avoir des cheveux.

Pour savoir si la Cour du Québec a retenu une interprétation juste de l’article 221.1, il suffit alors de se tourner sur les possibilités qu’ouvre l’interprétation de la Loi sur les coopératives retenue par la décision Herrera.

Si la Cour du Québec avait raison dans son interprétation de la décision Herrera, cela voudrait dire que l’article 221.1 mènerait à la conclusion qu’il ne peut pas exister de locataire d’une coopérative d’habitation qui ne soit pas membre de celle-ci.

Sur un autre front, l’interprétation de la décision Herrera quant à la disposition visée suggère également qu’il pourrait exister des membres d’une coopérative d’habitation qui ne seraient pas locataires de celle-ci.

Cette possibilité va manifestement à l’encontre de l’article 221.1 de la Loi sur les coopératives qui vise à ne permettre que l’admission des locataires comme membres.

Or, plutôt que d’admettre son erreur dans l’interprétation de cette disposition au regard de la situation absurde qu’elle entraîne, la Cour du Québec persiste en optant plutôt pour une interprétation qui réunit les deux interprétations dudit l’article dans le seul agencement possible, soit une parfaite superposition des deux ensembles « locataires » et « membres ». En conséquence, l’interprétation de la Cour du Québec est donc que tous les locataires sont membres et que tous les membres sont locataires.

Cette superposition parfaite des ensembles est évidente au paragraphe 50 lorsque la Cour du Québec s’exprime de la manière suivante : « On peut dire ainsi que le contrat de bail fait partie du privilège rattaché au droit d’être membre d’une coopérative. Au privilège d’être membre est rattaché celui d’être locataire[75]. »

Admettre cette interprétation signifierait donc que les clauses de départ seraient en réalité superfétatoires puisque la Loi sur les coopératives imposerait déjà une telle disposition.

Or, cette conclusion va à l’encontre d’une réalité relativement fréquente et largement admise par les tribunaux, notamment dans l’arrêt Landry de la Cour d’appel, soit que certaines coopératives d’habitation ont des locataires qui ne sont pas membres.

Notons d’ailleurs que le ministère des Affaires municipales affirmait en 1978 que, « particulièrement à la naissance de la coopérative, il n’est pas rare de voir cohabiter dans un immeuble des locataires membres et non-membres[76] ». De même, seulement trois ans avant la décision Herrera, la Cour d’appel reconnaissait explicitement que la relation entre locateur et locataire persiste par-delà la déchéance de la relation membre-locataire[77].

Cette erreur d’interprétation de la Cour du Québec, par laquelle celle-ci impose une conditionnalité circulaire au statut de locataire et de membre (c’est-à-dire qu’il faut être membre pour être locataire et qu’il faut être locataire pour être membre), explique probablement la raison pour laquelle ce tribunal erre également dans son interprétation des articles 1955 et 1945 du Code civil en omettant complètement un passage important de l’article 1955.

3.1.2 L’omission de considérer le terme « membre » à l’article 1955 du Code civil du Québec

Dans la décision Herrera, la Cour du Québec se prononce ainsi sur l’effet des articles 1945 et 1955 du Code civil : « Le Tribunal considère que le mécanisme de contrôle des loyers établi par la Régie du logement ne reprend pas son application sur les locataires devenus non membres d’une coopérative, le législateur ayant exclu des mécanismes de la Régie du logement le régime propre aux coopératives d’habitation[78]. »

Il convient donc de se tourner vers les dispositions des articles 1945 et 1955 afin de déterminer si, effectivement, une telle exclusion des mécanismes de la Régie du logement y figure. Le second alinéa de l’article 1945 prévoit ceci : « Toutefois, lorsque le bail porte sur un logement visé à l’article 1955, le locataire qui refuse la modification proposée doit quitter le logement à la fin du bail. »

Le premier alinéa de l’article 1955 énonce ce qui suit : « Ni le locateur ni le locataire d’un logement loué par une coopérative d’habitation à l’un de ses membres, ne peut faire fixer le loyer ni modifier d’autres conditions du bail par le tribunal[79]. »

Manifestement, la juge dans la décision Herrera semble faire fi de la mention « à l’un de ses membres » pour conclure à une restriction générale à la compétence de la Régie du logement en ce qui concerne les coopératives d’habitation. Nous voyons ici comment l’erreur d’interprétation de la conditionnalité que nous avons décrite plus haut manifeste son incidence sur l’interprétation retenue de l’article 1955.

En effet, si un locataire est nécessairement membre et qu’un membre est nécessairement locataire, alors un logement loué par une coopérative d’habitation est nécessairement un logement loué par une coopérative d’habitation à l’un de ses membres.

Or, selon les ensembles qui découlent de la lettre de l’article 221.1, cette nuance de l’article 1955 revêt une grande importance, puisqu’elle permet de conclure qu’une coopérative d’habitation peut louer des logements à ses membres et à des non-membres.

Le schéma 4 représente visuellement l’ensemble des logements d’une coopérative.

Schéma 4

Représentation visuelle de la catégorisation par ensemble des logements d’une coopérative d’habitation

Représentation visuelle de la catégorisation par ensemble des logements d’une coopérative d’habitation

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Bien sûr, une coopérative peut louer la totalité de ses logements à des membres, mais cet état de fait n’entraîne pas un renversement complet de la hiérarchie des ensembles, simplement une superposition parfaite. Pour déterminer l’ensemble et le sous-ensemble, il suffit de se demander s’il est possible d’augmenter l’un sans toucher à l’autre. Dans le cas qui nous concerne, la création ou la destruction d’un logement loué à un membre de la coopérative d’habitation implique nécessairement un accroissement ou une diminution du nombre de logements loués par la coopérative, alors que la création ou la destruction d’un logement loué ne suppose pas obligatoirement une hausse ou une baisse du nombre de logements loués à un membre de la coopérative.

Le recours à la théorie des ensembles nous permet de constater que, en négligeant de prendre en considération la lettre de la Loi sur les coopératives, la décision Herrera va à l’encontre du sens des articles 1955 et 1945 du Code civil. En effet, une interprétation appropriée de ces articles nous amène à constater que seul le sous-ensemble représenté par la partie grisée du diagramme (donc les logements loués à un membre de la coopérative) ci-dessus est exclu de la compétence de contrôle des loyers du Tribunal administratif du logement et que seuls les locataires qui habitent l’un de ces logements sont visés par l’article 1945 qui les oblige à quitter le logement à la fin du bail dans l’éventualité d’un refus de modification du bail.

Il convient, à ce propos, de rappeler la lettre du Livre blanc qui précise dans la section sur les exceptions partielles à la compétence de la Régie du logement en devenir que, « en matière de contrôle des loyers, il importe de prévoir un régime différent pour les membres et les non-membres. La loi prévoira donc que seul le loyer des non-membres pourra être révisé par la Régie selon les critères applicables aux locataires du secteur privé[80] ».

Par ailleurs, la Cour d’appel a reconnu en 2001 que la démission comme membre d’une coopérative « obviait à la restriction énoncée au Code civil et [que le locataire] pouvait se prévaloir d’une audition devant la Régie du logement à l’égard de tout avis futur d’augmentation de son loyer[81] ».

3.2 L’absence de prise en considération de contextes juridiques comparables

Nous aurons recours ici à la méthode systématique afin de tenter de voir s’il est juste de conclure que le bail de logement est le contrat accessoire du contrat de membre qui, lui, serait le contrat principal. Nous l’avons vu plus haut, c’est la perspective qu’adopte la Cour du Québec dans la décision Herrera et qui a été formalisée par la Cour supérieure en 2020 dans la décision Lozano Lozano, notamment au paragraphe 24 : « Selon le Tribunal, on se retrouve donc ici devant une situation similaire à celle qui existe pour le bail accessoire [d’un] un contrat de travail […] s’agissant ici d’un bail qui est lié (et subordonné) au contrat de membre d’une coopérative d’habitation[82]. »

Avec égard pour l’opinion inverse, nous sommes d’avis qu’une telle hiérarchisation va à l’encontre de l’interprétation contextuelle des lois pertinentes. Après une lecture complète de ces dernières, nous constatons que, en ce qui concerne tant la Loi sur les coopératives (3.2.1) que le Code civil (3.2.2), l’« accessoirisation » du contrat de bail par rapport au contrat de membre d’une coopérative est une interprétation volontairement exclue par le législateur.

3.2.1 La comparaison avec les coopératives de travail

Faisant une lecture contextuelle de la Loi sur les coopératives, nous avons observé que le législateur a clairement voulu, dans le cas des coopératives de travail, que le contrat de membre soit accessoire d’un autre contrat.

De manière comparable à ce que prévoit le premier alinéa de l’article 221.1 de la Loi sur les coopératives au sujet des coopératives d’habitation — qui exige qu’un membre soit aussi locataire —, certaines dispositions portant sur les coopératives de travail exigent qu’un membre soit aussi travailleur. En effet, l’article 222 de cette loi énonce ceci : « Une coopérative de travail est celle qui regroupe exclusivement des personnes physiques qui, en tant que travailleurs, s’associent pour l’exploitation d’une entreprise conformément aux règles d’action coopérative et dont l’objet est de fournir du travail à ses membres et à ses membres auxiliaires[83]. »

Par ailleurs, de manière comparable au deuxième alinéa de l’article 221.1 de la Loi sur les coopératives, l’article 224.4.1 énonce que la « fin du lien d’emploi entraîne la perte de la qualité de membre ».

Contrairement aux dispositions en matière de coopératives d’habitation, les dispositions qui touchent les coopératives de travail exigent aussi qu’un travailleur en soit membre, à une exception près, à savoir pour exécuter des travaux occasionnels de courte durée, en vertu de l’article 224.5.

Rappelons que l’article 224.2 prévoit qu’une coopérative de travail « peut, par règlement, soumettre tout travailleur à une période d’essai », mais à l’expiration d’un délai suivant l’arrivée du terme de cette période d’essai, le travailleur à l’essai qui est employé par la coopérative devient membre de celle-ci en vertu de l’article 224.2.1.

Si une telle exigence est précisée en matière de coopérative de travail, il y a lieu de croire en toute logique que, si le législateur en avait voulu qu’il en soit de même pour les coopératives d’habitation, il l’aurait également mentionné. Par conséquent, il faut être locataire pour être membre, mais rien n’oblige à être membre pour être locataire.

Par ailleurs, cette distinction majeure entre ces deux types de coopératives peut justement s’expliquer en raison du droit au maintien dans les lieux dont jouissent les locataires en vertu du Code civil du Québec. Soulignons qu’il n’existe pas de droit comparable en matière de travail.

3.2.2 La comparaison avec certains baux particuliers

La lecture de la section du Code civil du Québec portant sur les règles particulières au bail d’un logement permet également d’observer plusieurs types de baux pour lesquels le législateur a décidé de restreindre le droit au maintien dans les lieux des locataires.

Par exemple, en ce qui concerne le bail accessoire d’un contrat de travail, le législateur prévoit, autant pour le locateur que pour le locataire, le droit de résilier unilatéralement le bail lorsque le contrat de travail a pris fin[84].

Notons que le législateur admet aussi, en ce qui concerne un logement loué par un établissement d’enseignement, la possibilité, autant pour l’établissement d’enseignement que l’étudiant, de résilier unilatéralement le bail lorsque le locataire cesse d’étudier à plein temps[85]. Le législateur mentionne également que le bail est résilié de plein droit lorsque l’étudiant termine ses études ou n’est plus inscrit à l’établissement d’enseignement[86].

Dans ces deux cas, le législateur veut de toute évidence que le bail de logement soit accessoire d’un autre contrat, qu’il soit question de travail ou d’études.

Pour des raisons sans doute complètement différentes, le législateur restreint également le droit au maintien dans les lieux des locataires d’un logement à loyer modique :

En cas de cessation de cohabitation avec le locataire ou en cas de décès de celui-ci, la personne qui bénéficie du droit au maintien dans les lieux n’a pas droit à la reconduction de plein droit du bail si elle ne satisfait plus aux conditions d’attribution prévues par les règlements. Le locateur peut alors résilier le bail en donnant un avis de trois mois avant la fin du bail[87].

Nous en déduisons donc que le législateur savait qu’il était possible de prévoir de telles restrictions au droit au maintien dans les lieux et qu’il y avait pensé au moment d’adopter ces dispositions respectives. Par conséquent, nous en concluons que le législateur a fait un choix délibéré de ne pas adopter une telle formulation concernant les logements loués par une coopérative d’habitation à l’un de ses membres. Les tribunaux se doivent ainsi de le considérer, et doivent éviter de se substituer au législateur.

Notons d’ailleurs que le législateur s’est saisi en substance, lors de ses délibérations, des intérêts protégés par les clauses de départ et qu’il a choisi de ne pas prévoir un mécanisme qui le permet. Au moment de l’étude détaillée en commission parlementaire des dispositions introduisant la formulation contemporaine des articles portant sur les reprises de logement, le ministre de la Justice a été saisi de la question suivante du député Fabien Cordeau : « Est-ce qu’une coopérative peut reprendre possession des logis pour y placer des membres de la coopérative[88] ? » Rappelons que c’est la visée in fine des clauses de départ. Le ministre Guy Tardif lui a répondu alors de manière non équivoque : « La réponse est non. Ni actuellement dans la loi, ni autrement[89]. »

4 Un courant jurisprudentiel à contre-courant de la visée sociale des dispositions en matière de bail de logement

Outre ses faiblesses logiques et contextuelles, cette interprétation erronée nous apparaît contraire à l’objet même des lois québécoises en matière de logement. En effet, le droit au logement est au coeur des dispositions concernant le bail de logement.

Qui plus est, ce droit semble maintenant enchâssé à l’intérieur des droits fondamentaux de la personne protégée par la Charte des droits et libertés de la personne vu son caractère indissociable de la dignité de la personne (voir la section 4.1.1). L’interprétation retenue par la décision Herrera et la mise en oeuvre de cette interprétation par les tribunaux nous paraissent donc contraires aux modalités d’interprétation applicables lorsqu’il est question de droit protégé (4.1)[90].

Par ailleurs, cette interprétation compromet le droit des locataires au maintien dans les lieux et donc leur droit au logement (4.2). Nous tenons à rappeler que le droit au maintien dans les lieux est intimement lié au droit au logement tel que cela est explicité dans le Livre blanc, où l’on précise que le « droit au logement n’a d’existence concrète pour les locataires que dans la mesure où ils peuvent occuper un logement de façon stable et continue. Ceci se traduit par le droit au maintien dans les lieux qui constitue l’élément premier du droit au logement[91] ».

4.1 Le droit au logement au coeur des dispositions en matière de bail de logement

Comme nous l’avons mentionné, le droit au logement est au coeur de la législation québécoise en matière de bail de logement. En fait, ce droit a été reconnu en tant que composante essentielle de la dignité humaine (4.1.1). C’est d’ailleurs pour cette raison que le législateur a jugé nécessaire d’établir le caractère d’ordre public des dispositions en matière de bail de logement (4.1.2).

4.1.1 Le droit au logement comme composante essentielle de la dignité humaine

Le Tribunal des droits de la personne l’a rappelé en 2018, « le droit international des droits de la personne reconnaît le droit de chacun à un niveau de vie suffisant, notamment à un logement convenable[92] ». De son côté, le Parlement du Canada a aussi reconnu récemment, dans la Loi sur la stratégie nationale sur le logement, que « le droit à un logement suffisant est un droit fondamental de la personne confirmé par le droit international[93] ».

Pour sa part, la Déclaration universelle des droits de l’homme énonce clairement que « toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour [...] le logement[94] ». De même, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels prévoit « le droit de toute personne à un niveau de vie suffisant pour elle-même et sa famille, y compris [...] un logement suffisant[95] ».

C’est dans ce contexte que le Tribunal des droits de la personne a spécifié que « le droit au logement est donc au coeur de la reconnaissance de la dignité de toute personne garantie par l’article 4 de la Charte[96] ». Cette affirmation a d’ailleurs été appuyée par le Parlement du Canada qui a déclaré que « le logement revêt un caractère essentiel pour la dignité inhérente à la personne humaine et pour son bien-être, ainsi que pour l’établissement de collectivités viables et ouvertes[97] ». Par conséquent, le droit au logement est maintenant reconnu formellement en droit canadien comme une composante essentielle de la dignité humaine.

D’ailleurs, l’importance du droit au logement et le caractère fondamental du besoin de se loger pour tout individu sont, impossible d’en douter, au coeur de la législation québécoise en matière de location résidentielle. Voici ce qu’affirmait, à bon droit, Me Carmen Palardy au début des années 2000 : « Au Québec, la législation en matière de location résidentielle a connu de nombreuses réformes au cours des 50 dernières années. Ces modifications ont été marquées par une intervention de plus en plus importante de l’État dans les rapports locataires/locateurs de façon à reconnaître le caractère fondamental du besoin de se loger pour tout individu[98]. »

Le besoin fondamental de se loger a d’ailleurs été clairement souligné par le législateur lors de l’adoption de la loi instituant la Régie du logement, où le ministre Guy Tardif, responsable du projet de loi, précise que « le principe qui s’est maintenu tout au long de l’application de cette loi, qui visait à réaffirmer le choix du gouvernement vers l’accès quant aux droits à un logement en bon état, un logement propre, salubre, à un prix abordable, comme constituant en quelque sorte un droit fondamental des ménages québécois[99] ».

4.1.2 Le caractère d’ordre public des dispositions en matière de bail de logement

Ainsi, le droit au logement est au coeur de la reconnaissance de la dignité de toute personne, un droit quasi constitutionnel protégé par la Charte des droits et libertés de la personne. Rappelons que, si un doute surgit dans l’interprétation d’une disposition de la loi, il doit être tranché dans le sens indiqué par la Charte québécoise[100]. Dans le même sens, la disposition préliminaire du Code civil prévoit que les personnes, les rapports entre les personnes de même que les biens sont régis par ce code, et ce, en harmonie avec la Charte québécoise. Par conséquent, les dispositions du Code civil en matière de logement doivent être interprétées au regard du droit au logement à titre de composante essentielle de la dignité humaine.

C’est d’ailleurs en raison de ce caractère fondamental que « les dispositions du C.c.Q. sur le logement sont d’ordre public[101] ». À cet égard, comme le prévoit l’article 9 du Code civil, dans l’exercice des droits civils, il ne peut être dérogé aux règles du Code civil qui intéressent l’ordre public. De surcroît, son article 1893 dispose qu’une clause d’un bail qui déroge aux dispositions en matière de logement est sans effet. De même, l’article 41.4 de la Loi d’interprétation[102] énonce clairement que l’on ne peut pas déroger par des conventions particulières aux lois qui intéressent l’ordre public.

Lorsqu’une règle d’ordre public de protection est violée, seul celui que la règle a pour but de protéger peut invoquer la nullité ou renoncer à ce droit[103]. Considérant que les dispositions en matière de logement ont pour objet de protéger le locataire, ce n’est donc que ce dernier qui peut en invoquer la nullité ou renoncer à un de ces droits.

Une interprétation similaire doit également être faite des dispositions de la Loi sur les coopératives en matière de coopérative d’habitation. En faveur de cette prétention, il y a d’ailleurs lieu de rappeler que la Cour d’appel a jugé, par le passé, qu’il ne fallait pas interpréter les dispositions de cette loi, notamment l’article 221.1, de manière à isoler les membres des coopératives des protections offertes par la Charte québécoise[104]. En ce sens, les clauses de départ constituent un retournement des objectifs des coopératives d’habitation contre elles-mêmes. En effet, celles-ci visent à mettre oeuvre le droit au logement en facilitant à leurs membres l’usage d’un logement.

Or, l’atteinte au droit au maintien dans les lieux que constituent les clauses de départ en vient justement à compromettre la visée sociale du législateur en reconnaissant ce type d’accès au logement.

4.2 Une interprétation préjudiciable au droit au maintien dans les lieux

Selon les propos de Me Palardy, « le droit au maintien dans les lieux des locataires, consacré à l’article 1936 du Code civil du Québec, est devenu la pierre angulaire du louage résidentiel[105] ».

En raison de ce droit au maintien dans les lieux, le locataire bénéficie du droit à la reconduction de plein droit du bail à durée fixe lorsque celui-ci prend fin, aux mêmes conditions et pour une durée identique[106].

À l’image de la quasi-totalité des dispositions en matière de bail de logement, « le droit au maintien des lieux (art. 1936 C.c.Q.) est un droit fondamental qui relève de l’ordre public de protection[107] ».

Seuls les cas prévus par la loi peuvent faire exception au droit au maintien dans les lieux (4.2.1). À noter que la loi prévoit qu’il est alors question d’un droit personnel (4.2.2).

4.2.1 Une interprétation large des exceptions au droit au maintien dans les lieux

Rappelons que les motifs permettant l’exclusion d’un membre englobent des situations très variées et nombreuses. Si cette exclusion est combinée avec une clause de départ, une coopérative d’habitation peut choisir de ne pas renouveler le bail d’un locataire dans des cas qui, autrement, auraient nécessité une autorisation du tribunal, et ce, par simple résolution de son conseil d’administration.

Or, l’article 1936 du Code civil est très clair sur ce point : un locataire « ne peut être évincé du logement loué que dans les cas prévus par la loi[108] ».

Toute exception au droit de maintien dans les lieux régis par un contrat de louage résidentiel doit aussi être interprétée restrictivement et en faveur du locataire[109].

Dans l’état actuel du droit, la clause de départ dans les coopératives d’habitation constitue une exception rarissime — si ce n’est la seule — au droit au maintien dans les lieux qui ne soit pas expressément prévue par le législateur.

Par ailleurs, il nous apparaît contraire aux objectifs de la loi de permettre aux parties de déroger contractuellement au droit au maintien dans les lieux. Dans un même ordre d’idées, les tribunaux ont reconnu que les parties ne pouvaient déroger contractuellement aux dispositions législatives en rapport avec le droit au maintien dans les lieux[110]. À cet égard, seul le bénéficiaire du droit au maintien dans les lieux peut renoncer à ce droit.

Si nous admettons qu’un locataire membre peut théoriquement renoncer à ce droit, nous ne voyons pas comment une coopérative pourra imposer cette renonciation à l’encontre du principal intéressé. Or, c’est exactement ce qui arrive lorsqu’une coopérative fait valoir l’application d’une clause de départ contre un tel locataire.

Au-delà de l’application d’une clause de départ, la validité même d’une pareille clause est contestable, considérant le caractère d’ordre public du droit au maintien dans les lieux. Faut-il rappeler que l’article 1373 du Code civil prévoit que la prestation à laquelle le débiteur est tenu envers son créancier et qui consiste à faire ou à ne pas faire quelque chose ne doit pas être contraire à l’ordre public ? La prestation d’une clause de départ consiste alors pour le locataire-débiteur à quitter son logement à la fin de son bail. Or, une telle prestation est manifestement contraire au droit à la reconduction de plein droit du bail qui découle du droit au maintien dans les lieux[111].

4.2.2 Une oblitération du caractère personnel du droit au maintien dans les lieux

Outre qu’elles constituent une exception supplémentaire, et non prévue par la loi, au droit au maintien dans les lieux, les clauses de départ font aussi totalement abstraction du caractère personnel de ce droit. Comme l’énonce expressément l’article 1936 du Code civil, le droit au maintien dans les lieux est un droit personnel, ce qui signifie qu’il appartient à chaque locataire individuellement.

Les commentaires du ministre de la Justice à la suite de l’adoption du Code civil laisse peu de place à l’ambiguïté sur cette question : « [L’article 1936] ajoute toutefois au droit antérieur, en ce qu’il prescrit que ce droit est personnel. Cet ajout vise à mettre fin à la controverse qui peut exister quant aux droits des parties lorsque plusieurs locataires ont signé un même bail et qu’un seul veut exercer le droit au maintien dans les lieux[112]. »

D’ailleurs, la Cour du Québec l’a affirmé récemment : « Les règles particulières au bail de logement étant des règles impératives auxquelles aucune dérogation n’est permise, les locataires ne peuvent donc pas renoncer à l’aspect personnel du droit au maintien dans les lieux[113]. »

Outre le locataire, le cooccupant, soit le conjoint, le concubin, l’enfant, le parent ou l’allié, bénéficie du droit au maintien dans les lieux[114]. C’est également le cas « des locataires en place dans un immeuble qu’acquiert la coopérative » et « celui qui démissionne comme membre de la coopérative et désire demeurer locataire »[115]. Dès lors, le « droit au maintien dans les lieux crée plusieurs situations qui obligent une coopérative à accepter comme locataires des personnes qui ne sont pas de ses membres[116] ».

Selon certains auteurs, « le droit au maintien dans les lieux [...] ne confère pas le droit à ce nouveau locataire d’être membre de la coopérative. Il ne lui confère que les droits d’un locataire et non les droits et obligations d’un membre de coopérative[117] ».

Par ailleurs, la Loi sur les coopératives prévoit que la « coopérative d’habitation qui loue des logements à ses membres peut, si le règlement le permet, avoir deux membres par unité de logement[118] ». À défaut d’une telle disposition réglementaire, il semble raisonnable de prévoir que la majorité des coopératives d’habitation n’auront qu’un seul membre par logement. Cela étant dit, les coopératives concluent parfois un bail non seulement avec le membre, mais également avec un autre locataire, comme le conjoint du membre.

Or, nous l’avons vu plus haut, la Régie du logement — dans l’affaire Dziczek Polawski c. Coopérative d’habitation Skanagowa[119] — a jugé qu’un bénéficiaire du droit au maintien dans les lieux devait quitter le logement à la fin du bail, en application d’une clause de départ, lorsque le locataire membre perd son statut de membre.

Bien entendu, cet état de droit oblitère totalement le caractère personnel du droit au maintien dans les lieux. Nous tenons à préciser de nouveau que, si le législateur avait voulu restreindre le caractère personnel du droit au maintien dans les lieux à l’égard de l’un de ces bénéficiaires, il l’aurait prévu expressément, comme il l’a fait en matière de logement à loyer modique[120].

Conclusion

Au regard des éléments que nous venons de mentionner, nous estimons qu’un revirement jurisprudentiel est souhaitable afin d’établir clairement l’illégalité des clauses de départ, que ce soit dans le bail d’un logement loué par une coopérative d’habitation, dans un contrat de membre ou dans tout règlement de la coopérative d’habitation.

Bien que nous soyons d’accord que ces clauses jouent parfois un rôle important en vue de permettre aux coopératives d’habitation d’assurer une mobilisation et une participation de leurs membres, la reconnaissance de celles-ci — sans aucun fondement législatif — a pour conséquence de soumettre les locataires au risque d’expulsion arbitraire de leur logement. Même si de telles décisions font à l’occasion l’objet d’un contrôle judiciaire, il demeure que le fardeau de preuve de ce recours, son court délai de déchéance et ses frais élevés compromettent le droit du locataire d’avoir accès à un remède judiciaire efficace et adapté lors d’une violation alléguée de ses droits.

Nous jugeons également pertinent de nous prononcer sur la compétence du Tribunal administratif du logement en ce qui concerne la validité des clauses de départ. S’il convient d’admettre qu’il appartient à la Cour supérieure de se prononcer in abstracto sur la nullité de ce type de disposition — notamment lorsqu’elle est prévue par les règlements de la coopérative ou dans le contrat de membre —, il faut aussi noter qu’a priori le Tribunal administratif du logement demeure compétent au moment de se prononcer sur la nullité relative de ce type de clause lorsqu’elle est évoquée dans le contexte d’une demande relative à un bail de logement (par exemple, dans une demande en résiliation de bail). En effet, contrairement au contrôle de la légalité d’une décision relative à la perte ou à la suspension du statut de membre qui découle de l’exercice d’un pouvoir disciplinaire par la coopérative, les dispositions assimilables à une clause de départ sont des dispositions contractuelles sur lesquelles le Tribunal administratif du logement peut statuer au besoin pour trancher un litige qui relève de sa compétence.