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Les textes rassemblés dans cet ouvrage proposent une lecture des principaux enjeux du paysage au Québec. Il s’appuie sur les réflexions développées à la Chaire en paysage et environnement de l’Université de Montréal. Malgré la diversité des propos, les contributions de l’ouvrage témoignent dans leur ensemble de l’intérêt d’une pensée aménagiste du paysage qui utilise une réflexion théorique de qualité pour entrer de plain-pied dans les grands dossiers de l’aménagement du territoire au Québec. Le plan illustre cette perspective : le cadrage problématique du premier chapitre trouve son prolongement dans l’analyse des principaux enjeux du paysage au Québec présentés dans les chapitres suivants.

Le premier chapitre, Le paysage un concept en débat (Poullaouec-Gonidec, Domon, Paquette), propose un débroussaillage théorique clair et utile de la notion ; les auteurs regroupent les multiples approches disciplinaires du paysage en deux grandes familles. La première assimile le paysage aux formes matérielles et objectives du territoire : on y trouve réunis les travaux de l’école française de géographie, l’écologie du paysage et les méthodes anglo-saxonnes d’évaluation visuelle. Une seconde famille considère plutôt le paysage comme une manifestation culturelle : elle regroupe la géographie culturelle, l’ethnologie du paysage et les tenants de la théorie de l’artialisation. Les auteurs revendiquent pour leur part une troisième approche selon laquelle le paysage est avant tout un concept de qualification sociale et culturelle d’un territoire. Vu sous cet angle, le paysage se situe dans un rapport dialectique entre réalités matérielles et formes construites. Cette conception place clairement le paysage sur un plan pluridimensionnel, polysensoriel et expérientiel. Les auteurs se réfèrent implicitement à la notion d’expérience esthétique développée notamment par John Dewey et Arnold Berleant. Il est dommage que cette piste ne soit pas explorée dans l’ouvrage à l’exception notable de la contribution de Caroline Gagnon.

Trois grands groupes d’enjeux sont abordés dans les chapitres suivants : les paysages en territoires ressources ; les paysages et les infrastructures ; l’urbain en paysage. L’ordre de l’exposition reflète l’évolution même de la préoccupation du paysage au Québec. Dès l’origine, le Québec a toujours été considéré comme un territoire de ressources hydriques, agricoles et forestières qu’il s’agissait de mettre en valeur. Les nouvelles préoccupations environnementales, paysagères ou patrimoniales ont dû d’abord composer avec ce régime marchand d’exploitation des ressources qui les considérait comme des externalités négatives à corriger par des mesures de compensations adéquates. La récente montée des conflits (contestations d’infrastructures, conflits paysagers, etc.) leur a permis de coloniser les nouveaux territoires urbains et de développer leur propre vision basée sur la reconnaissance des bénéfices sociaux que procure l’expérience des territoires.

Dans la première section (Paysage en territoires-ressources), les contributions (Paysages de l’agriculture en mutation de Ruiz et Domon, Paysages et exploitation forestière de Domon, Tremblay, Froment et Ruiz, Les paysages de rivière de Tremblay) expriment la remise en cause de cette conception du territoire-ressource qui marquait l’identité territoriale du Québec. Ainsi la forêt est perçue aujourd’hui comme un espace qui procure des biens et qui remplit des fonctions multiples (lieu d’activités récréatives et touristiques, espaces à habiter ou à fréquenter pour ses qualités esthétiques, etc.) au sein desquelles le poids de la ressource en bois devient moins important. Un autre chapitre (Le statut du paysage humanisé au Québec de Tremblay et Domon) permet par ailleurs une comparaison intéressante avec la situation européenne où la Convention européenne du paysage sanctionne également la pluralité des situations du paysage et des stratégies paysagères.

Dans la deuxième section (Paysage et infrastructures), les contributions signalent un nouveau mode de production du paysage : le paysage réactif qui surgit là où les qualités d’un territoire, d’un cadre de vie, d’un environnement sont menacées. Ce qui frappe au premier abord, c’est l’originalité des thématiques analysées : les entrées routières de Montréal (Desjardins, Gariépy, Lewis et Valois), les paysages et l’esthétique des pylônes (Gagnon), les paysages et la publicité (Courcier, Beaudet et Trépanier). Il en va de même pour les deux dernières contributions (Poullaouec-Gonidec et Paquette) de la troisième section (Paysages de l’urbain) qui traduisent un réel effort de conceptualisation des paysages de l’urbain et la volonté d’en définir un prolongement opérationnel avec le monitoring des paysages de l’urbain.

Au total, cet ouvrage constitue une bonne introduction aux réflexions aménagistes sur le paysage et son intérêt ne se limite pas à la connaissance des situations paysagères au Québec. Il suscite le débat. La volonté louable d’opérationnaliser les innovations théoriques est un pari risqué pour les contributeurs. Elle se heurte à la difficulté de trouver des projets d’aménagement qui confortent vraiment leur démarche. Par exemple le texte de Gagnon montre bien l’intérêt d’une évaluation des lignes de transport d’énergie en termes d’expérience esthétique, mais elle ne parvient pas à trouver des équipements dont la conception s’est conformée à cette nouvelle optique. C’est un problème qui mériterait d’être traité. Pourquoi les conceptions traditionnelles, c’est-à-dire visuelles, du paysage subsistent-elles malgré les avancées conceptuelles ? Pourquoi sont-elles préférées par les maîtres d’ouvrages et les autres aménageurs ?

Le paysage est un mode d’appropriation du monde commun par des groupes différenciés : la notion est donc politique de part en part. Les auteurs évoquent cette piste sans analyser la liaison forte qui se dessine alors entre le paysage et les modes de participation. La question du paysage comme enjeu de participation n’est pas abordée en soi. Peut-être qu’un prochain ouvrage…