Géographies autochtones : développement et confluence des territorialités

10 Idées pour le Nord : un manifeste pour la nordicité[Notice]

  • Caroline Desbiens

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L’affirmation nous a cloué le bec, mais ceci parce qu’elle exigeait un temps de réflexion. Est-ce que les chercheurs nordiques manquent d’idées, peut-être même d’imagination ? Pourtant, combien d’études ont démontré avec beaucoup de justesse que le Nord lui-même était une idée (Grace, 2002 ; Hulan, 2002 ; Chartier, 2007 et 2008). Et que dire de tous ces penseurs, écrivains, politiciens autochtones qui opposent à cette idée du Nord élaborée par le Sud – celle d’un espace à occuper ou d’une frontière à repousser – un Nord qui, un peu comme la face cachée de la lune, existe en ses propres termes et bien indépendamment du cercle étroit où les perspectives allochtones se bousculent (Highway, 1998 ; Watt-Cloutier, 2006 ; Cree Plan Nord, 2011 ; Société Makivik, 2011) ? Non, il ne fait aucun doute que les idées du Nord prolifèrent et, pour beaucoup de chercheurs, il s’agit justement de contrer ces conceptions de l’imaginaire par des faits ; c’est pourquoi, le plus souvent possible, nous ne nous avançons que sur des bases empiriques. Mais le sens de la remarque de Louis-Edmond Hamelin, je crois, réside ailleurs. Si les idées du Nord nous envahissent, parfois même jusqu’à nous égarer, qu’en est-il des idées pour le Nord ? En 1976, le géographe nous avait donné une grande idée qui se présentait sous un humble mot : « nordicité ». La force de son concept résidait en partie dans le fait qu’il s’agissait à la fois d’une idée neuve du Nord, mais d’une idée aussi pour le Nord. Hautement pragmatique, le néologisme d’Hamelin désignait le niveau polaire dans l’hémisphère boréal . Mais le concept de nordicité désigne aussi un ensemble de perspectives mentales sur cette région. En bon linguiste, Hamelin nous conviait à une exploration de nos modes de connaissance : « L’intervention de l’intelligence n’est ni neutre ni vierge. L’objet extérieur ne s’imprime pas purement et simplement ; il passe par des schèmes intermédiaires qui facilitent ou non l’aventure dont il a pu être le départ » (Hamelin, 1976 : 23). Le concept de nordicité révèle les contours culturels de l’espace physique et symbolique qu’est le Nord. En 2013, l’appétit du Québec et du Canada pour les ressources boréales ramène une fois de plus au coeur de nos recherches la question des perceptions et désignations du Nord, posée par Hamelin, il y a plus de 30 ans. Quelles idées, donc, élaborer pour le Nord ? Pour son développement social ? Pour la juste distribution des risques et bénéfices du développement ? Pour la conservation de sa faune et de son milieu de vie ? Pour la sécurité alimentaire, l’amélioration des conditions de santé, d’éducation, de gouvernance… Il faut peut-être sortir des cadres familiers pour, justement, trouver les bonnes idées. En 1998, le designer canadien Bruce Mau avait lancé son Manifeste incomplet pour la croissance (Mau, 1998). Celui-ci contenait 43 aphorismes exprimant les croyances, stratégies et motivations sous-tendant sa démarche de recherche et création. Pour Mau et ses collègues, la tâche principale du designer est de solutionner des problèmes et, ce faisant, améliorer la condition humaine : j’ose croire que les chercheurs nordiques se donnent la même mission . Au point 35, le manifeste de Mau nous invite à l’imitation : « Imitate. Don’t be shy about it. Try to get as close as you can. You’ll never get all the way, and the separation might be truly remarkable » (Mau, 1998). C’est ce que je propose de faire dans le texte qui suit : imiter la démarche du manifeste, mais aussi la métisser avec la pensée de Louis-Edmond Hamelin et autres …

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