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BARNIER, Martin, En route vers le parlant. Histoire d’une évolution technologique, économique et esthétique du cinéma (1926-1934), Liège, Céfal, 2002, 255 p.[Notice]

  • Germain Lacasse

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  • Germain Lacasse
    Université de Montréal

La transition du cinéma « muet » au parlant a souvent été considérée (vue et entendue) comme une période de piètre créativité au cinéma. Historiens et théoriciens ont constaté que la nouveauté du sonore suffisait souvent à épater le public, et ont supposé que la production de l’époque était médiocre. Le livre de Martin Barnier vient invalider assez sérieusement cette hypothèse, en proposant une nouvelle histoire de cette transition. L’ouvrage n’explore pas beaucoup les conséquences théoriques de ses conclusions, ce qui est dommage, mais il analyse avec soin les faits, les films et les documents, démontrant que le développement du son fut une opération savamment préparée par les producteurs et dont les créateurs comprirent et expérimentèrent très rapidement les possibilités esthétiques. Barnier considère même cette époque comme un moment de rupture où les créateurs retrouvèrent une liberté provisoire qu’ils avaient perdue avec la standardisation du narratif, et qui disparaîtra encore avec l’homogénéisation des bandes sonores vers 1935. La première partie de l’ouvrage traite des mutations technologiques. L’auteur étudie longuement, à partir d’une documentation très pertinente, les recherches de Léon Gaumont visant l’amélioration des procédés d’enregistrement et de synchronisation. Il rappelle les étapes de la recherche, leur mise en marché et le relatif succès qu’elles connurent en France. L’auteur décrit ensuite l’évolution de la recherche aux États-Unis, à partir de documents internes de la firme Paramount. Il explique les nombreux et importants problèmes techniques du son sur disque, qui obligeaient le projectionniste à devenir un ingénieur de la synchronie. Le dernier chapitre de cette partie propose un original et perspicace examen du discours de réception de ces nouvelles technologies. La critique vit l’arrivée du sonore comme « la fin de l’art des images » ; pourtant, la prise de son se plia très vite aux besoins de l’image en mouvement, balayant aussi rapidement les réactions négatives mais n’empêchant pas celles-ci de passer à l’histoire. La deuxième partie du livre traite de l’évolution commerciale et des films à versions multiples. Ici, Martin Barnier force le lecteur à la révision de plusieurs faits considérés comme établis. Il démontre que loin d’être une démarche désespérée pour sauver la Warner au bord de la faillite, l’introduction du son était le fruit d’opérations commerciales aussi bien planifiées que la recherche technique préalable. L’arrivée du son aurait par ailleurs permis aux producteurs français et européens de damer le pion aux États-Uniens en Europe, pour la seule fois dans toute l’histoire du cinéma après 1914. À partir de documents inédits et de l’intérêt majeur qu’il porte au sujet, l’auteur montre que les États-Unis faisaient vraiment du film le fer de lance de leur rivalité économique : « Trade follows the film », est-il clairement écrit dans les Trade Bulletins du département états-unien du Commerce extérieur (p. 101). Celui-ci planifiait politiquement l’exportation de son cinéma, tandis que les Européens se contentaient de stratégies défensives basées sur des quotas. Ces stratégies furent cependant efficaces à ce moment parce que l’émergence du parlant attira partout le public vers les films en langue nationale. Les majors des États-Unis réagirent en se lançant dans la production de films en versions multiples : diverses équipes de comédiens se succédaient sur les plateaux pour tourner un même scénario en plusieurs langues, parfois jusqu’à quinze ! Ces productions étaient en général médiocres et furent assez rapidement abandonnées parce que peu rentables, mais elles constituent un des objets les plus singuliers dans l’histoire culturelle de ce pays. La dernière et plus importante partie du livre traite de la liberté d’expérimentation pendant les débuts du film sonore. Ici, Martin Barnier montre une grande connaissance des oeuvres françaises de …

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