Circuit
Musiques contemporaines
Volume 17, numéro 3, 2007 Musique in situ
Sommaire (17 articles)
Dossier thématique
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Installations
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Musique in situ
Guy Lelong
p. 11–20
RésuméFR :
Avec la notion d’in situ, telle que Daniel Buren l’a conceptualisée dans le domaine des arts plastiques, le lieu d’accueil d’une oeuvre est intégré à l’oeuvre elle-même qui, de ce fait, excède le cadre censé la détenir. Ici importée au domaine sonore, cette problématique permet de montrer que de nombreux compositeurs contemporains ont élargi les limites que le concert traditionnel impose au champ musical. Cet élargissement peut s’appuyer sur la durée de cette manifestation, les caractéristiques spatiales des salles, l’image produite par tout geste musical, voire les éléments sonores du contexte lui-même. Sont ainsi répertoriées les différentes modalités de la musique in situ, sur l’exemple d’oeuvres de Stockhausen, John Cage, Gérard Grisey ou Marc-André Dalbavie.
EN :
As originally conceived by the visual artist Daniel Buren, an artwork created in situ implies that the original venue is integral to the work and, as a result, breaches the limits of its contextual frame. Transported to the realm of sound, this idea provides a conceptual lens for understanding how numerous contemporary composers have challenged the restrictions imposed on music by the traditional concert format. It highlights artistic parameters such as event duration, spatial characteristics of halls, images produced by various musical gestures, and even sonic elements inherent in the environment itself. These diverse aspects of music in situ are brought to light, with examples by Karlheinz Stockhausen, John Cage, Gérard Grisey, and Marc-André Dalbavie.
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Composer des étendues, projeter des images : deux pratiques de l’art sonore
Bastien Gallet
p. 21–27
RésuméFR :
Partant d’une description du dispositif hautement « situé » I am sitting in a room (1970) d’Alvin Lucier – une oeuvre qui compose ce qui est dit avec l’espace dans lequel le propos est énoncé –, l’auteur distingue scrupuleusement entre l’installation sonore et l’in situ à proprement parler, ainsi qu’entre l’installation et la projection du son. En choisissant des exemples dans des oeuvres d’artistes aussi variés que Max Neuhaus, Robin Minard, WrK et Bill Viola, entre bien d’autres, l’auteur analyse l’utilisation que chacun fait des sons et des espaces de projections de ceux-ci. En sort un vif portrait des réalisations anciennes et récentes dans la pratique de l’art sonore dans l’espace.
EN :
Beginning with a description of the highly ‘situated’ format of Alvin Lucier’s I Am Sitting in a Room (1970) – a work in which what is said is composed by the space in which it is said, the author takes pains to distinguish between sound installation and “in situ” music as such, as well as between installation and projection of sound. Through the examples of artists as varied as Max Neuhaus, Robin Minard, WrK and Bill Viola, the author analyses the use each makes of sound and its projection in space ; what emerges is a vivid portrait of recent and less recent practices of sound art in space.
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Noir Miroir : ambiguïtés topographiques, sociales et interactives de la musique
Andrea Cera
p. 29–38
RésuméFR :
Les pièces d'Andrea Cera sont toujours générées par un processus d’interaction avec le contexte dans lequel elles sont présentées. Cette interaction, toutefois, n’est pas toujours lisible au premier regard. Souvent ses travaux cachent leur vrai rapport avec le lieu, et le déclarent de façon chiffrée, ou à travers l’ironie, ou l’énigme. Ce jeu invisible, fait de stratifications et déguisements sera l’objet de son intervention, articulée autour de quatre projets élaborés entre 2004 et 2005.
EN :
The works of Andrea Cera are inevitably generated through a process of interaction with the context in which they are presented. Nonetheless, this interaction is not always evident at first glance. The true relationship of his works with their performance venue is often hidden, cryptically declared, or expressed through irony and enigma. Through layers of meaning and disguises, this invisible game forms the subject of this discussion, articulated around four projects completed between 2004 and 2005.
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Le cas d’Espaces sonores illimités
Réjean Beaucage
p. 39–44
RésuméFR :
Le collectif Espaces sonores illimités (ESI) regroupe les compositeurs Alain Dauphinais, André Hamel et Alain Lalonde, et leurs invités. ESI se consacre à la création d’oeuvres collectives acoustiques et spatialisées. L’entretien rend compte de la démarche spécifique du trio.
EN :
The Espace sonores illimités (ESI) collective is made up of composers Alain Dauphinais, André Hamel, Alain Lalonde and guest artists. ESI is dedicated to the creation of collective acoustic and spatialized works. The trio’s artistic goals are outlined here.
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Visualizing Acoustic Space
Gascia Ouzounian
p. 45–56
RésuméEN :
This article explores concepts of acoustic space in postwar media studies, architecture, and spatial music composition. A common link between these areas was the characterization of acoustic space as indeterminate, chaotic, and sensual, a category defined in opposition to a definite, ordered, and rationalized visual space. These conceptual polarities were vividly evoked in an iconic sound-and-light installation, the Philips Pavilion at the 1958 Brussels World Fair. Designed by Le Corbusier, the Philips Pavilion also featured a black-and-white film, color projections, hanging sculptures, and Edgard Varèse’s Poème électronique, a spatial composition distributed over hundreds of loudspeakers and multiple sound routes. Typically remembered as a sequence of abstract sound geometries, the author argues that Poème électronique was instead an allegorical work that told a “story of all humankind.” This narrative was expressed through a series of conceptual binaries that juxtaposed such categories as primitive/enlightened, female/male, racialized/white, and sensual/ rational– contrasts that were framed within the larger dialectic between acoustic and visual space.
FR :
Cet article explore le concept d’espace acoustique en relation avec les études des médias de l’après-guerre, l’architecture et la composition de musique spatialisée. Le lien entre ces différentes approches est la tendance à définir l’espace acoustique comme indéterminé, chaotique et sensuel, par opposition à un espace visuel défini, ordonné et rationnel. Ces polarisations conceptuelles étaient soulignées à grands traits dans l’installation son et lumière du Pavillon Philips à l’Exposition universelle de Bruxelles de 1958. On trouvait au Pavillon Philips, conçu par Le Corbusier, une projection de films en noir et blanc, des projections de couleurs, des sculptures suspendues et le Poème électronique d’Edgard Varèse, une composition musicale spatialisée diffusée par des centaines de haut-parleurs disséminés dans le Pavillon. Si on l’a souvent décrit comme une suite d’abstractions sonores, l’auteur prétend plutôt que le Poème électronique était au contraire une oeuvre allégorique racontant une « histoire de l’espèce humaine ». Ce récit s’exprimait à travers une série de concepts binaires juxtaposant des catégories telles que primitif/évolué, femelle/mâle, sensuel/rationnel – des contrastes qu s’inscrivaient dans la dialectique plus large entre espaces acoustique et visuel.
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Spaces and Places of Opera
Robert A. Baker
p. 57–63
RésuméEN :
Site-specific opera are those works which are either composed for, or produced in (or both) a prescribed space other than that of the opera house. The particular site chosen for the production of such a work has a profound effect on how that work of art is received. Questions are raised with regard to the work’s meaning and its relationship to the time and place of the site in which it is performed. In order to better understand the spatial and temporal richness within site-specific opera, recent productions of European and North American operas from the nineteenth and twentieth centuries are considered. Based upon composer/librettist intentions, the site of the premiere production and its relation to the music-dramatic work, five types of site-specific opera are proposed.
FR :
Les opéras in situ (site-specific) sont des oeuvres qui sont soit composées pour un lieu particulier autre que la traditionnelle salle d’opéra, soit produites dans ce lieu, ou encore les deux. Le site choisi pour les productions de ce type a un effet important sur la réception de l’oeuvre. On peut se questionner sur la signification de telles oeuvres et sur leur relation au temps et au lieu selon l’endroit où elles sont produites. Afin de mieux comprendre les richesses temporelles et spatiales à l’oeuvre dans l’opéra in situ, des productions européennes et nord-américaines récentes d’opéras des xixe et xxe siècles sont analysées. En se basant sur les intentions des compositeurs et librettistes, le choix du lieu de création et sa relation avec l’oeuvre, l’auteur propose cinq types d’opéra in situ.
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La musique dans l’espace urbain: le cas des Symphonies portuaires de Montréal
Éric Champagne
p. 65–74
RésuméFR :
Après s’être penché sur les origines et la logistique qui sous-tend la réalisation d’une oeuvre musicale pour sirènes de navire, l’auteur explique l’évolution et le raffinement propre à l’écriture des symphonies portuaires réalisées à Montréal depuis 1995. Les particularités de l’espace utilisé (positionnement des navires dans le Vieux-Port, emplacement du public) et les variations notables des conditions d’écoute dues au climat ont façonné ces oeuvres inusitées qui se déploient dans un espace acoustique urbain très large. L’auteur explique en quoi la notion d’espace est une composante intrinsèque pour les compositeurs devant faire face à cet effectif inusité. Il relève, notamment, que les compositeurs instrumentaux appliquent leurs techniques d’écriture « traditionnelles » tandis que les compositeurs issus de la mouvance « musique actuelle » conservent une approche anecdotique du médium portuaire. L’auteur identifie chez les compositeurs d’électroacoustique une réelle réflexion sur les notions d’espace et d’acoustique dans l’élaboration de leur oeuvres, avant de conclure sur la réception de ces manifestations musicales et populaires.
EN :
Beginning with a look at the origins and logistics behind musical works for ship sirens, the author traces the evolution and properties unique to the writing of the port symphonies produced in Montreal since 1995. The particularities of the space used (i.e., the positioning of the ships in the old port and the placement of the audience) and the notable variations in listening conditions due to the weather have created unusual works that are deployed in very large, urban acoustical spaces. The author explains how the notion of space is intrinsic to the composition of works for this atypical ensemble. He reveals, notably, that instrumental composers draw on “traditional” writing techniques, while “new music” composers adopt an approach that is in keeping with the port medium. Furthermore, electroacoustic composers appear to have carefully considered notions of space and acoustics in the development of their works. The author concludes with the reception of these popular, musical performances.
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Documents : trois Visions : Brant, Schafer, Young
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Henry Brant et sa musique
Claire Sykes
p. 77–82
RésuméFR :
L’auteure nous invite dans l’univers de Henry Brant, grand pionnier de la musique spatialisée. Elle décrit quelques oeuvres aux dispositifs peu communs, comme cette Bran(d)t an de Amstel qui s’étend à travers la ville d’Amsterdam, et le compositeur explique sa démarche dans un entretien réalisé en 1994.
EN :
The author invites us into the sound world of Henry Brant, the pioneer of spatialized music. She describes some of his works which make use of the unusual placement of musicians, like Bran(d)t an de Amstel which is performed over the entire city of Amsterdam, and the composer explains his approach in an interview conducted in 1994.
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Acoustic Space
R. Murray Schafer
p. 83–86
RésuméEN :
Starting from McLuhan’s concept of acoustic space, the author discusses how the World Soundscape which he undertook at Simon Fraser University in 1970 set out to put this notion into practice by studying how the soundscape influences all aspects of people’s lives. In the extract published here, the author finds that the sphere is the geometric shape which best describes acoustic space, and discusses the sybolism of the sphere – and of sound – in the cultures of the world.
FR :
Partant du concept d’espace acoustique chez McLuhan, l’auteur explique comment le « World Soundscape Project » qu’il a mené à la Simon Fraser University en 1970 a mis en pratique cette idée en vérifiant que des changements dans le paysage sonore influent sur tous les aspects de la vie des gens. Dans l’extrait reproduit ici, l’auteur choisit la sphère comme étant la forme géometrique qui décrit le mieux l’espace acoustique, et commente la symbolique de la sphère – et du son – dans les cultures du monde.
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La Dream House ou l’idée de la musique universelle
Sophie Stévance
p. 87–92
RésuméFR :
En 1966, le compositeur américain La Monte Young et la plasticienne Marian Zazeela développaient l’idée de la Dream House, une installation construite pour durer à partir d’un assemblage de sons électroniques et de lumières colorées. Depuis 1993, et à la suite de multiples créations mondiales plus ou moins prolongées, une Dream House permanente est installée à la MELA Foundation. Après une présentation du dispositif, cet article propose de réfléchir sur l’attitude compositionnelle de Young et Zazeela à partir du mécanisme mental par lequel nous percevons les sons. Plus qu’une conception synesthésique, l’idée générale de ce projet d’envergure semble avant tout reposer sur la question du son continu, elle-même entraînant des phénomènes autrement plus complexes, comme l’exploration de nouveaux « états de conscience » et la quête d’une musique universelle. Il s’agit alors d’aborder les modalités de diffusion de la Dream House d’un point de vue systémique (du grec systêma : « ensemble organisé »), relatif à une approche holistique et interactive entre les constituants sonore et visuel, pour comprendre l’apparition de réactions psychoacoustiques sur le sujet immergé dans un tel environnement.
EN :
In 1966, American composer La Monte Young and visual artist Marian Zazeela developed the idea of the Dream House, an installation constructed in order to endure based on a collection of electronic sounds and coloured lights. Since 1993, and following a number of world premieres of varying lengths, a Dream House was permanently installed at the MELA foundation. This article constitutes a reflection on Young and Zazeela’s compositional attitude, centered on the mental mechanisms that govern sound perception. More than synesthesia, the driving idea behind this large-scale project appears to have been mainly the question of continuous sound, itself bound up in more complex phenomena such as the exploration of new “states of consciousness” and the quest for a universal music. There is a need here to examine the means through which Dream House is disseminated from a systemic point of view (i.e., from the Greek systêma or “organized ensemble”), relative to an holistic approach that considers the dialogue between the sonic and visual constituents of the work, in order to understand the psychoacoustic reactions of subjects immersed in this type of environment.
Cahier d’analyse
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Denys Bouliane, maître de jeu
Jimmie LeBlanc
p. 93–117
RésuméFR :
D’entrée de jeu, Qualia sui nous subjugue par son travail sur notre relation au temps. Une réflexion qui se déplace graduellement vers le phénomène de la perception dans tout ce qu’il a de plus subjectif et d’introspectif : Qualia sui, ou impression de soi, est une invitation au plaisir des jeux de l’illusion dont nous devenons les sujets. Le lecteur de la partition sera immédiatement frappé par l’usage systématique d’une colorimétrie très personnelle qui consiste à attribuer une couleur à chacun des segments de l’oeuvre ; ce rapport étroit à la couleur nous a conduit à considérer les matériaux constitutifs de Qualia sui en des termes relevant de la sémiologie du langage visuel. D’une approche de la gestuelle motivique qui se prête bien aux catégories de couleur, texture, dimensions, implantation dans le plan, vectorialité et frontières, Qualia sui nous permettra d’approfondir certains des aspects fondateurs de l’écriture de Denys Bouliane.
EN :
From the outset, Qualia Sui subjugates listeners by challenging their relationship with time. As it moves gradually towards the phenomenon of perception, taking in all that is most subjective and introspective, Qualia Sui (the impression of the self) invites listeners to join in the pleasures of the game of illusion in which they become the subjects. A reading of the score immediately reveals the systematic use of a highly personal colour system that consists of attributing a colour to each segment of the work. This close relationship with colour leads to a consideration of the materials deployed in Qualia Sui, expressed in terms related to the semiology of visual language. Departing from a gestural motive approach that lends itself well to categories of colour, texture, dimensions, and placement in structure, vector and boundary, Qualia Sui provides a deeper look into various fundamental aspects of Denys Bouliane’s writing.