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Introduction

La psychopathie est un concept élaboré par Cleckley (1976) pour dépeindre des individus présentant une variété de comportements antisociaux et qui entretiennent des relations intimes teintées d’exploitation et de manipulation. La conceptualisation théorique contemporaine décrit la psychopathie comme une constellation de traits de personnalité communément regroupés sous deux facteurs distincts, mais interreliés (Brinkley, Newman, Widiger & Lynam, 2004 ; Hare, 1991 ; Harpur et al., 1988, 1989 ; Karpman, 1948). Le premier facteur, nommé psychopathie primaire, considéré par Karpman (1948) comme étant la « vraie psychopathie », fait référence à la sphère interpersonnelle-émotionnelle du construit et est caractérisé par des individus affichant une attitude narcissique, cynique, manipulatrice, égoïste et insensible, prêts à utiliser sans scrupules le mensonge et le charme superficiel pour parvenir à leurs fins. À cela s’ajoute une très faible capacité à ressentir des remords et de l’anxiété. Le second facteur, appelé psychopathie secondaire, fait davantage référence à la sphère comportementale du construit et décrit des individus souvent impulsifs et anxieux (Benning, Patrick, Hicks, Blonigen & Krueger, 2003), qui sont incapables de planifier à long terme, de tolérer les frustrations et qui présentent de fortes tendances antisociales. Reconnu au départ auprès de populations carcérales, le concept de psychopathie a aussi été employé pour comprendre le fonctionnement psychosocial au sein de populations infracliniques (Forth, Brown, Hart & Hare, 1996 ; Lilienfeld & Andrews, 1996 ; Lynam, Whiteside & Jones, 1999 ; Salekin, Trobst & Krioukova, 2001 ; Widiger, 1998). D’ailleurs, plusieurs chercheurs ont établi la présence de traits de personnalité psychopathiques infracliniques au sein de la population générale (Brinkley et al., 2004 ; Savard, Sabourin & Lussier, 2006, 2011). Leur apparition peut survenir dès l’enfance ou l’adolescence et ils demeureraient stables jusqu’à l’âge adulte (Lynam et al., 2005 ; Salekin, Rosenbaum & Lee, 2012), entraînant de nombreuses conséquences. Dans des contextes occupationnels, ces traits de personnalité sont associés à des vols, de la supervision abusive, un leadership malsain, une prise de décision non éthique et à de l’intimidation en milieu de travail (Babiak & Hare, 2007 ; Buss, 1993 ; Caponecchia, Sun & Wyatt, 2012 ; Hall & Benning, 2006 ; O’Boyle, Forsyth, Banks & McDaniel, 2012 ; Poon, 2003 ; Stevens, Deuling & Armenakis, 2012 ; Tepper, 2007). En ce qui a trait aux relations conjugales, quelques données documentent des degrés importants d’insatisfaction conjugale et sexuelle (Jonason & Buss, 2012 ; Kastner & Sellbom, 2012 ; Savard et al., 2006, 2011), la présence d’infidélité (Egan & Angus, 2004) ainsi que de la violence conjugale et sexuelle (Holtzworth-Munroe, Meehan, Herron, Rehaman & Stuart, 2003) au sein des couples où l’un des conjoints présente ces traits de personnalité. Les taux de prévalence des traits psychopathiques répertoriés au sein de la population générale oscillent entre 2 % et 13 % (p. ex. Hare, 1993 ; Levenson et al., 1995 ; Savard et al., 2006, 2011).

L’Échelle auto-rapportée de psychopathie de Levenson (LSRP ; Levenson et al., 1995 ; traduction française par Sabourin & Lussier, 1998) est un questionnaire constitué de 26 items mesurant les traits de personnalité psychopathiques au sein de la population générale. Les deux facteurs discutés précédemment sont reproduits dans les analyses factorielles de l’instrument (Brinkley, Schmitt, Smith & Newman, 2001 ; Levenson et al., 1995 ; Lynam et al., 1999 ; Savard, Lussier, Sabourin & Brassard, 2005). Plusieurs études sur la validité de l’instrument démontrent que : (a) celui-ci présente une bonne validité convergente et divergente (Brinkley et al., 2001 ; Lynam et al., 1999 ; Hill, Neumann & Rogers, 2004) ; les deux échelles corrèlent significativement avec la sensibilité à l’ennui et la désinhibition (Levenson et al., 1995) ; (b) l’échelle secondaire est associée à la présence d’anxiété (Levenson et al., 1995) ; (c) le résultat total au questionnaire de psychopathie est positivement associé à la consommation d’une grande variété de drogues, d’alcool et de comportements antisociaux ainsi qu’à une plus grande probabilité d’avoir connu des démêlés avec la justice au moins une fois dans sa vie (Blonigen, Carlson, Hicks, Krueger & Iacono, 2008 ; Lee & Salekin, 2010 ; Strand & Belfrage, 2005) ; (d) des études portant sur la théorie en cinq facteurs associent négativement l’échelle primaire au facteur Amabilité, et l’échelle secondaire serait aussi négativement associée aux facteurs Amabilité et Sens des responsabilités, alors qu’elle serait positivement liée au facteur Névrosisme (Lynam et al., 1999 ; Widiger, 1998) ; (e) il semble que les gens affichant des traits de personnalité psychopathiques infracliniques présenteraient les mêmes déficits dans la modulation des réponses affectives que les psychopathes incarcérés (Lynam et al., 1999) ; et (f) finalement, la présence de traits psychopathiques globaux et secondaires chez les hommes serait significativement reliée à leur détresse conjugale et à celle de leur conjointe sur une période d’un an, à une prédominance de styles d’attachement évitant ainsi qu’à l’usage de violence psychologique en relation (Savard et al., 2004, 2006).

En dépit de ces résultats, différents auteurs ont remis en question la structure en deux facteurs à partir de résultats issus d’études sur la validation de l’instrument (Brinkley, Diamon, Magaletta & Heigel, 2008 ; Sellbom, 2011). Il semble que plusieurs items de l’instrument discriminent peu entre les degrés de psychopathie chez divers groupes de participants (hommes incarcérés, femmes incarcérées, étudiants universitaires ; Sellbom, 2011). En plus, des réserves ont également été émises concernant les différences sexuelles quant à la sévérité des traits présentés, mais également à l’expression de ceux-ci (Marion & Sellbom, 2012). Bref, les questionnements suscités dans la littérature invitent à la réalisation d’études de validation ayant recours à une variété d’échantillons provenant de la population générale.

Objectif

L’objectif de la présente étude est d’évaluer les qualités psychométriques de la version française de l’échelle auto-rapportée de psychopathie de Levenson auprès d’un large échantillon d’adolescents et de jeunes adultes québécois provenant de la population générale. L’analyse des propriétés métriques de cet instrument auprès d’adolescents et de jeunes adultes constitue une priorité de recherche puisque les spécialistes croient généralement que les traits psychopathiques se développent relativement tôt (Ribeiro da Silva, Rijo & Salekin, 2013 ; Salekin & Lynam, 2010). En conséquence, il est important de démontrer que les qualités du LSRP s’appliquent aussi à ce type d’échantillon. La consistance interne, l’association de chacun des items à son facteur latent et la structure factorielle de l’instrument seront documentées. L’étude vise aussi à évaluer s’il existe une différence significative entre les hommes et les femmes quant au modèle de mesure de la psychopathie et quant aux résultats obtenus au LSRP. Enfin, une analyse de validité convergente est également présentée. Celle-ci sera menée à l’aide d’un instrument évaluant les traits de personnalité selon le modèle en cinq facteurs et d’items portant sur l’attitude à l’égard de la consommation de substances psychoactives. Ces deux éléments de validité de convergence sont privilégiés puisqu’ils permettent d’une part de reproduire les résultats obtenus avec la version originale anglaise du LSRP et parce qu’ils peuvent être utilisés auprès d’une population infraclinique. En dépit de ces avantages et de son statut de mesure étalon, nous n’avons pas jugé opportun ici de faire usage du Psychopathic Checklist-Revised (Hare, 2003). Il s’agit d’un instrument destiné de prime abord à une clientèle carcérale et qui requiert généralement la présence du dossier judiciaire pour être coté, ce que nous avions peu de chances d’obtenir auprès d’un échantillon d’adolescents et de jeunes adultes.

Méthode

Participants

L’échantillon est constitué de 2529 participants âgés de 15 à 26 ans de niveau secondaire et collégial (852 hommes et 1677 femmes). Les participants ont été recrutés dans diverses écoles secondaires et établissements d’enseignement collégial de la région de la Mauricie et de Québec sur une base volontaire. À la suite des explications données en classe sur le projet, les participants intéressés ont rempli un formulaire de consentement et se sont vu remettre une enveloppe contenant des questionnaires. Une fois remplis, ceux-ci devaient être retournés par la poste. Les femmes de l’échantillon sont âgées en moyenne de 17,82 ans (É.T. = 1,44 an), possèdent en moyenne 11,5 années de scolarité et un revenu annuel moyen de 5399,13 $ CAN (É.T. = 4092,41 $ CAN). Les hommes sont âgés en moyenne de 17,63 ans (É.T. = 1,54 an), possèdent en moyenne 11,27 années de scolarité et un revenu annuel moyen de 6242,59 $ CAN (É.T. = 6184,75 $ CAN).

Instruments

Les participants ont rempli l’échelle auto-rapportée de psychopathie de Levenson (LSRP ; Levenson et al., 1995 ; adaptation française par Sabourin & Lussier, 1998 ; Annexe A). L’instrument est composé de 26 items évaluant les traits psychopathiques dans la population générale selon les dimensions retrouvées dans le Hare Psychopathic Checklist (PCL-R ; Hare, 1991), soit la psychopathie primaire et secondaire. Les auteurs ont généré les items de façon à minimiser les biais associés à la désirabilité sociale. La réponse à chaque item est cotée selon une échelle de type Likert en quatre points allant de « Fortement en désaccord » à « Fortement en accord ». Les coefficients alpha obtenus dans les études canadiennes et américaines varient de 0,77 à 0,85 pour l’échelle totale, de 0,76 à 0,83 pour l’échelle de psychopathie primaire et de 0,59 à 0,69 pour l’échelle secondaire (Brinkley et al., 2001 ; Levenson et al., 1995 ; Savard et al., 2005, 2006). Les deux échelles du LSRP sont modérément corrélées (r = 0,43 à 0,46 ; Lynam et al., 1999 ; Miller et al., 2008) et significativement associées aux deux facteurs du PCL-R (Brinkley et al., 2001). Les deux échelles sont également corrélées à des mesures d’abus de substances et de criminalité. Les coefficients alpha obtenus dans la présente étude sont de 0,77 pour l’échelle totale, de 0,78 pour l’échelle de psychopathie primaire et de 0,63 pour l’échelle de psychopathie secondaire, ce qui est somme toute comparable à ce qui a été obtenu dans la version originale. Dans la présente étude, la relation entre les deux facteurs latents s’est également avérée significative (r = 0,40).

Le NEO-FFI (Costa & McCrae, 1992 ; traduction française par Sabourin & Lussier, 1992) est une version brève à 60 items du NEO-Personality Inventory-Revised (NEO-PI-R). Il évalue les traits de la personnalité selon les cinq grands facteurs ou domaines généralement reconnus par la communauté scientifique : Névrosisme (indicateur d’équilibre émotionnel, de sensibilité à la détresse psychologique et de capacité d’adaptation) ; Extraversion (mesure le degré de sociabilité, d’affirmation, de leadership et d’expression verbale) ; Amabilité (évalue la bienveillance à l’égard des autres, l’empathie et les tendances interpersonnelles plus intimes) ; Ouverture à l’expérience (mesure l’ouverture et la souplesse, de même que le regard critique relativement à son expérience) ; et Sens des responsabilités (évalue le contrôle des impulsions, envies et désirs, ainsi que les capacités de planification et d’organisation). Chaque domaine contient 12 items ; les réponses à ces items sont cotées selon une échelle de type Likert à cinq points allant de « Totalement en désaccord » (1) à « Totalement en accord » (5). Les coefficients de consistance interne de la version originale de l’instrument sont adéquats, se situant entre 0,66 (Amabilité) et 0,88 (Névrosisme ; Costa & McCrae, 1992). Finalement, l’instrument démontre de bons indices de validité convergente et discriminante (Costa & McCrae, 2010). Les coefficients alpha obtenus à chacun des facteurs dans la présente étude sont adéquats et atteignent respectivement 0,83 pour le facteur Névrosisme, 0,73 pour l’Extraversion, 0,68 pour l’Ouverture à l’expérience, 0,71 pour l’Amabilité et 0,81 pour le Sens des responsabilités. De nombreux chercheurs se sont penchés, avec un certain succès, sur la capacité de définir les traits de personnalité psychopathiques à l’aide de mesures évaluant la personnalité en cinq facteurs (p. ex. Decuyper, De Clercq, De Bolle & De Fruyt, 2003 ; Lee & Ashton, 2005 ; Lynam et al., 2005 ; Paulhus & Williams, 2002 ; Salekin et al., 2012 ; Vachon, Lynam, Widiger, Miller, McCrae & Costa, 2013). Dans la présente étude, le NEO-FFI, une mesure brève de la personnalité en cinq facteurs, servira donc à évaluer la validité convergente du LSRP.

Les habitudes reliées à la consommation de substances sont évaluées à l’aide de six énoncés, dont trois sur la consommation d’alcool qui sont extraits du Alcohol Use Disorders Identification Test (AUDIT) développé par Saunders, Aasland, Babor, de la Fuente & Grant, (1993) qui comprend 10 items. Cet instrument a été fréquemment utilisé dans les enquêtes épidémiologiques comme celles de l’Organisation mondiale de la Santé. Nous avons ajouté trois items sur la consommation de drogues en utilisant les mêmes formulations que celles des items sur la consommation d’alcool. Les réponses aux items sont cotées selon une échelle de type Likert en cinq points selon la fréquence et l’intensité des habitudes de consommation. Ils sont regroupés afin de former un indicateur de validité convergente. Un résultat élevé aux six items permet d’identifier les gens présentant une consommation d’alcool et/ou de drogues problématique avec des conséquences nuisibles sur le fonctionnement. Dans la présente étude, l’analyse des relations entre ces six items montre la présence d’un coefficient de consistance interne s’élevant à 0,67, ce qui est acceptable compte tenu du nombre limité d’items.

Analyses statistiques

Les propriétés métriques de l’instrument sont d’abord examinées à l’aide d’une analyse d’items, selon l’approche de la théorie classique des tests : statistiques descriptives des items, corrélations inter-items, item-total (corrélations supérieures à 0,30) et coefficient alpha de Cronbach lorsque chaque item est retiré. Des analyses factorielles préliminaires de type exploratoire, effectuées à l’aide du prologiciel statistique SPSS 21.0 ont par la suite été menées sur une moitié de l’échantillon. Des analyses confirmatoires, prenant en considération le mode de réponse catégoriel aux items et employant la méthode robuste, ont ensuite été réalisées à l’aide du prologiciel EQS 6.2 sur la seconde moitié de l’échantillon. Les critères utilisés pour évaluer le degré d’ajustement des modèles sont les suivants : (a) des indices CFI (Comparative Fit Index) et NNFI (Non-Normed Fit Index) égaux ou supérieurs à 0,90 (Byrne, 1994 ; Tabachnik & Fidell, 2001) ; (b) un indice RMSEA (Root Mean Square Error of Approximation) égal ou inférieur à 0,05 (Hu & Bentler, 1999) ou, à la limite, compris entre 0,05 et 0,08 (Hu & Bentler, 1999 ; Kline, 2010). Le rapport du chi-carré sur le nombre de degrés de liberté est également examiné, un résultat inférieur à 2 est jugé acceptable alors qu’un résultat inférieur à 5 est jugé appréciable. Par ailleurs, cet indice est considéré comme moins essentiel puisqu’il est reconnu pour être hautement influencé par la taille de l’échantillon. Son application systématique peut mener au rejet de modèles adéquats (Kline, 2010 ; Tomarken & Waller, 2003). Par la suite, une série de tests hiérarchiques d’invariance ont été réalisées afin de vérifier si le modèle en deux facteurs obtenu dans l’étude est invariant chez les hommes et les femmes. Les moyennes obtenues par les hommes et les femmes aux échelles de psychopathie totale, primaire et secondaire sont ensuite comparées. Finalement, les analyses de validité convergente sont effectuées à l’aide de corrélations entre le LSRP, d’une part, et les cinq échelles du NEO-FFI ainsi que les items sur les habitudes à l’égard de la consommation de substances psychoactives, d’autre part.

Résultats

Les résultats moyens obtenus aux échelles de psychopathie, de personnalité et d’habitudes à l’égard de la consommation de substances pour les hommes et les femmes sont présentés dans le Tableau 1. Il est à noter qu’il existe une différence significative entre les hommes et les femmes aux échelles de psychopathie totale et primaire, ce qui est cohérent avec les données issues d’études antérieures (Gummelt, Anestis & Carbonell, 2012 ; Levenson et al., 1995 ; Miller, Gaughan & Prior, 2008). Des différences significatives ont également été observées entre les hommes et les femmes pour les échelles d’Ouverture à l’expérience ainsi qu’aux items évaluant l’attitude quant à la consommation de substances. Les tailles d’effet pour ces quatre variables, évaluées à l’aide du coefficient d de Cohen, sont respectivement de 0,46, de 0,63, de -0,26 et de -0,82. Lorsque l’on utilise le système de classification proposé par Brinkley et al. (2001) pour catégoriser, à l’aide de l’échelle totale, la prévalence de traits psychopathiques chez les individus de l’échantillon, 38,5 % des participants présentent des traits faibles (résultat de moins de 48 à l’échelle totale), 37,9 % rapportent des traits moyens (résultats entre 48 et 58) et 23,3 % obtiennent des traits élevés (résultat de plus de 58). Le taux de prévalence observé dans l’échantillon peut sembler élevé. Or, il s’agit de traits psychopathiques infracliniques et non de psychopathie avec une forte composante criminelle comme le décrit Hare (1993). Peu de données sont actuellement disponibles pour établir des comparaisons avec le taux de prévalence obtenu dans la présente étude. Par ailleurs, une recherche récente documente, à l’aide d’un instrument différent, des taux de prévalence atteignant 30 % chez une population âgée de moins de 25 ans (Vachon et al., 2013) et diminuant à 20 % après l’âge de 45 ans.

Tableau 1

Statistiques descriptives et comparaisons de moyennes des traits psychopathiques totaux, primaires, secondaires, des cinq traits de personnalité et des habitudes de consommation de substances psychoactives en fonction du sexe des participants

Statistiques descriptives et comparaisons de moyennes des traits psychopathiques totaux, primaires, secondaires, des cinq traits de personnalité et des habitudes de consommation de substances psychoactives en fonction du sexe des participants

* p < 0,05 ; ** p < 0,01 ; *** p < 0,001.

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Analyse d’items selon la théorie classique des tests

Les statistiques descriptives pour chacun des items des hommes et des femmes sont rapportées à l’Annexe A. Des différences de moyennes sont observées pour tous les items, à l’exception des items 19, 21 et 26. Les corrélations inter-items varient de -0,59 à 0,41. Des corrélations problématiques (inférieures à 0,10 ou négatives) ont été notées aux items 4, 10, 19, 23 et 26. Lorsque l’on observe les corrélations item-total, les items 4, 10, 23 et 26 obtiennent des corrélations inférieures à 0,30 avec le résultat total à l’échelle, faisant ainsi diminuer le coefficient alpha de consistance interne de façon significative. Lorsque l’on retire ces items, le coefficient alpha de l’échelle totale passe de 0,77 à 0,79, celui de l’échelle de psychopathie primaire passe de 0,78 à 0,80 et celui de l’échelle secondaire passe de 0,63 à 0,64.

Structure factorielle

Les analyses factorielles exploratoires préliminaires sur les 26 items du questionnaire sont d’abord réalisées sur une moitié de l’échantillon. Elles visent ainsi à reproduire la structure en deux facteurs obtenue par Levenson et ses collaborateurs (1995). Il est à noter qu’il n’y a pas de différence significative entre les deux moitiés de l’échantillon aléatoires créées en ce qui a trait aux variables sociodémographiques (sexe, âge) et aux résultats aux échelles de psychopathie, de personnalité et d’attitudes quant à la consommation de substances. Les résultats issus de l’analyse factorielle principale utilisant la méthode de rotation promax (compte tenu du lien entre les facteurs primaire et secondaire) appuient partiellement la présence de deux facteurs. Par ailleurs, certains items paraissent problématiques puisqu’ils n’atteignent pas le critère de saturation de 0,30 établi (items 4, 10 et 26) ou parce qu’ils s’associent aux deux facteurs théoriques (item 23). Les coefficients de saturation de chaque item sur leur facteur d’appartenance sont présentés au Tableau 2. Le premier facteur explique 17 % de la variance observée dans les résultats au questionnaire et le second, 8 % de la variance. En retirant les items problématiques mentionnés ci-haut (4, 10, 23 et 26) la version en 22 items permet d’obtenir des coefficients alpha de 0,79 pour l’échelle totale, de 0,81 pour l’échelle primaire et de 0,66 pour l’échelle de psychopathie secondaire. Le pourcentage de variance expliqué pour le premier facteur s’élève alors à plus de 20 % et à près de 10 % pour le deuxième facteur.

Tableau 2

Résultats des analyses factorielles exploratoires et confirmatoires du LSRP

Résultats des analyses factorielles exploratoires et confirmatoires du LSRP

AFE = Analyse factorielle exploratoire ; AFC = analyse factorielle confirmatoire ; a = item problématique.

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Des analyses factorielles confirmatoires sont ensuite effectuées sur la seconde moitié de l’échantillon. Ces analyses visent à vérifier de manière plus rigoureuse la bidimensionalité des composantes de la psychopathie formulée par Levenson et al. (1995). Les modèles sont estimés en utilisant l’option « variables catégorielles » du prologiciel EQS 6.2 (Bentler, 2005 ; Byrne, 2006). Les résultats obtenus à l’aide de la méthode robuste, en s’appuyant sur le coefficient de Mardia, sont retenus puisqu’ils prennent en compte la non-normalité de la distribution de l’échantillon. Les indices d’ajustement du modèle en deux dimensions corrélées se sont révélés insatisfaisants (CFI = 0,87 et NNFI = 0,86, x2/dl = 5,20, RMSEA = 0,06). Par ailleurs, en utilisant la stratégie employée par Lynam et al. (1999), c’est-à-dire en permettant des corrélations entre les termes d’erreur, le modèle obtenu s’avère significatif (CFI = 0,92, NNFI = 0,91, x2 /dl = 3,71, RMSEA = 0,05). Seulement quatre corrélations entre les termes d’erreur ont dû être fixées pour obtenir un bon ajustement (corrélations entre les items 9 et 13, 15 et 16, 19 et 21, 24 et 25) comparativement à 17 dans l’étude de Lynam et al. (1999). Lorsque nous posons les mêmes corrélations entre les termes d’erreur que ce qui a été proposé dans l’étude de Lynam et al. (1999), les coefficients d’ajustement sont légèrement améliorés comparativement au modèle préalablement cité (CFI = 0,94, NNFI = 0,93, x2/dl = 3,21, RMSEA = 0,04). Les corrélations entre chaque item et son facteur associé sont également rapportées au Tableau 2. Les résultats obtenus corroborent ceux rapportés dans l’analyse factorielle exploratoire. Nous avons également refait les analyses en retirant les items qui s’étaient révélés problématiques selon la théorie classique des tests (items 4, 10, 23 et 26). Les coefficients d’ajustement, en considérant un lien entre les facteurs, mais sans contrainte entre les termes d’erreur, sont insatisfaisants (respectivement CFI = 0,90, NNFI = 0,89, x2/dl = 5,44, RMSEA = 0,06). Par contre, lorsque les quatre corrélations entre les termes d’erreur mentionnées plus haut sont posées, le modèle à 22 items obtient de bons coefficients d’ajustement (CFI = 0,94, NNFI = 0,94, x2/dl =3,46, RMSEA = 0,05). Le Tableau 3 résume les coefficients d’ajustement obtenus aux différents modèles testés.

Tableau 3

Coefficients d’ajustement des différents modèles testés

Coefficients d’ajustement des différents modèles testés

1 Corrélations entre les termes d’erreur des items 1-5, 1-7, 1-8, 4-5, 5-8, 7-9, 9-13, 10-12, 10-14, 11-13, 12-14, 12-19, 15-16, 19-20, 19-21, 20-23 et 24-25 (Brinkley et al., 2001 ; Lynam et al., 1999).

2 Corrélations entre les termes d’erreur des items 15-16, 24-25, 9-13 et 19-21.

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Différence entre les hommes et les femmes

Pour vérifier l’invariance des modèles chez les hommes et les femmes, une série de tests hiérarchiques est effectuée (Raju, Lafitte & Byrne, 2002 ; Schmitt & Kuljanin, 2008). Le premier test nécessite d’établir un modèle d’invariance configurale afin de déterminer si le nombre de facteurs est identique chez les hommes et les femmes. Le modèle configural vise à comparer la différence entre les coefficients d’ajustement pour le modèle à 26 items, présentant deux facteurs corrélés et quatre corrélations entre les termes d’erreur des hommes et des femmes. Les tests réalisés permettent de comparer les modèles suivants au modèle d’invariance configurale. Les critères utilisés afin de statuer sur l’invariance à chacune des étapes de comparaison des modèles d’invariance, d’homogénéité des variances et d’homogénéité des covariances sont les suivants selon Cheug et Rensvold (2002), Raykov (2004), Chen (2007) et Little, Card, Siegers & Ledford, (2007) : (1) les ∆CFI ne doivent pas dépasser le 0,01 ; et (2) le RMSEA doit se situer à l’intérieur de l’intervalle de confiance du modèle de référence. Le premier modèle comparé porte sur l’invariance des saturations de chacun des items pour les modèles des hommes et des femmes (modèle d’invariance du modèle de mesure). À cette étape, bien que les critères précédemment notés soient satisfaits, quatre items présentent des coefficients de saturation différents chez les hommes et les femmes (items 9, 18, 19 et 23). Les contraintes non respectées sont alors retirées afin d’évaluer l’homogénéité des variances des facteurs et des indicateurs en plus des paramètres invariants du modèle d’invariance (modèle d’homogénéité des variances). Enfin, le dernier test consiste à vérifier l’homogénéité des covariances du modèle d’invariance via l’analyse des variances et des covariances entre les facteurs et des paramètres invariants. Le Tableau 4 résume les résultats obtenus aux différentes étapes d’exécution des analyses d’invariance. Dans l’ensemble, les résultats obtenus démontrent que le modèle à 26 items (deux facteurs corrélés, avec quatre corrélations fixées entre les termes d’erreur) est partiellement invariant entre les hommes et les femmes. Le patron de saturation des items 9, 18, 19 et 23 sur leur facteur respectif n’est pas invariant selon le sexe des participants, ce qui signifie qu’ils ne s’associent pas au même facteur selon que le répondant est un homme ou une femme.

Tableau 4

Coefficients d’ajustement pour les tests hiérarchiques emboîtés d’analyse d’invariance entre les hommes et les femmes

Coefficients d’ajustement pour les tests hiérarchiques emboîtés d’analyse d’invariance entre les hommes et les femmes

RMSEA = Root mean square error of approximation ; NNFI = Nonnormed Fit Index ; CFI = Comparative Fit Index ; S–B χ2 = Satorra & Bentler scaled chi-square.

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La comparaison entre les hommes et les femmes concernant les traits de personnalité psychopathiques totaux, primaires et secondaires avec la version originale du questionnaire à 26 items démontre qu’il existe une différence significative uniquement pour les échelles de psychopathie totale (F [1, 2504] = 6,13 ; p <0,05 ; d = 0,46) et primaire (F [1, 2489] = 23,19 ; p < 0,001 ; d = 0,63) entre les hommes et les femmes (Tableau 1).

Les résultats des analyses d’items, des analyses factorielles exploratoires et confirmatoires et des tests d’invariance ont conduit à l’identification de quelques items problématiques. Cependant, ces problèmes métriques n’affectent pas en profondeur les coefficients de fidélité obtenus et la structure interne de l’instrument. Ils sont donc retenus dans le cadre des analyses de validité convergente. Cette décision vise aussi à maximiser la qualité des comparaisons entre la version originale de langue anglaise et la présente adaptation en langue française.

Validité convergente

Les analyses corrélationnelles effectuées à l’aide de la version originale à 26 items, du NEO-FFI et de l’échelle d’habitudes de consommation de substances sont présentées au Tableau 5. La matrice de corrélations fait état de liens significatifs positifs entre l’échelle totale de psychopathie, le facteur Névrosisme et les habitudes de consommation de substances, et de liens négatifs avec les facteurs Extraversion, Ouverture à l’expérience, Amabilité, et Sens des responsabilités. Plus spécifiquement, l’échelle de psychopathie primaire est associée négativement aux facteurs Amabilité, Ouverture à l’expérience et Sens des responsabilités ainsi que négativement à l’échelle d’habitudes de consommation de substances problématiques. L’échelle de psychopathie secondaire est, quant à elle, reliée positivement au facteur Névrosisme et à l’échelle d’habitudes de consommation de substances problématiques, et négativement aux facteurs Amabilité, Sens des responsabilités et Extraversion.

Tableau 5

Matrice de corrélations entre le LSRP, le NEO-FFI et les habitudes de consommation

Matrice de corrélations entre le LSRP, le NEO-FFI et les habitudes de consommation

p < 0,05 ; ** p < 0,01 ; *** p < 0,001.

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Discussion

L’objectif de cette étude était de réaliser une démarche de validation de la version française du LSRP auprès d’une clientèle de jeunes adultes en évaluant : (a) le degré d’association de chacun des items à leur facteur latent ; (b) la structure factorielle de l’instrument ; (c) la différence entre les hommes et les femmes ; et (d) la validité de convergence de l’instrument. Les résultats appuient généralement bien la structure en deux facteurs de l’instrument en version française. En effet, les résultats des analyses factorielles exploratoires sont comparables à ce qui a été obtenu par les auteurs de l’instrument et dans d’autres études (Levenson et al., 1995 ; Lynam et al., 1999). De plus, la plupart des items sont correctement associés à leur facteur latent, hormis les items 4, 10, 23 et 26 qui ne satisfont pas aux critères de « bons items » selon la théorie classique des tests et qui ne saturent pas de façon significative sur leur facteur latent. Les items 10 et 23 sont des items à sens inversé, ce qui pourrait expliquer les indices plus faibles obtenus. En effet, bon nombre d’auteurs ont documenté que de tels items peuvent semer la confusion chez les répondants et donc offrir des réponses moins consistantes. Ceci se répercute inévitablement tant sur la structure factorielle que sur la cohérence interne d’un instrument (Swain, Weathers & Niedrich, 2008). L’item 4, « Mon but principal dans la vie, c’est d’aller chercher le plus de bonnes choses possible » pourrait très bien ne pas être un item discriminant de traits psychopathiques, mais mesurer davantage le positivisme. Pour l’item 26, « On surestime l’amour », il se pourrait qu’il ne soit pas conceptuellement relié au construit, ce qui remet en question sa présence dans l’échelle.

Les résultats qui émergent des analyses factorielles confirmatoires laissent également présager que le modèle en deux facteurs est optimal auprès d’une population générale. La nécessité de fixer des corrélations entre les termes d’erreur afin d’obtenir de bons indices d’ajustement demeure néanmoins un désavantage du modèle, bien que le nombre fixé dans la présente étude soit considérablement inférieur à ce qui a été obtenu avec la version américaine du LSRP (Lynam et al., 1999). Cela signifie que l’on accepte que deux items possèdent des éléments qui corrèlent ensemble, mais qui ne sont pas en lien avec le construit mesuré. Une telle procédure peut néanmoins se justifier lorsque la corrélation est théoriquement explicable, ce qui est d’ailleurs le cas dans la présente étude (Bagozzi, 1983 ; Fornell, 1983 ; Reddy, 1992). En effet, les items 9 et 13 partagent des aspects communs d’une certaine forme de sadisme, un autre construit souvent lié à la psychopathie. Nous ne pouvons non plus exclure la possibilité que ces items soient plus sensibles à la désirabilité sociale et cela pourrait expliquer les corrélations nécessaires entre les termes d’erreur. La corrélation entre les items 15 et 16 pourrait s’expliquer par l’association à un autre construit, soit la bienveillance ou l’honnêteté envers les gens. Toutefois, l’hypothèse explicative la plus probable est que les deux items sont à sens inversé et se ressemblent beaucoup, ce qui a pu donner lieu à des styles d’endossement similaires. Les items 19 et 21 sous-tendent une notion de persistance et d’effort en plus de mesurer l’impulsivité. Enfin, les items 24 et 25 évaluent tous les deux la gestion de la colère. Des problèmes de saturation entre les items précédemment nommés et leur facteur latent pourraient également expliquer en partie les coefficients d’ajustement et de cohérence interne plus faibles obtenus.

Pour ce qui est de la différence hommes-femmes, les modèles mesurés semblent partiellement invariants selon le genre des participants. Nous notons, par exemple, que les coefficients de saturation des items 9, 18, 19 et 23 sont différents selon le sexe. Après avoir reproduit les analyses factorielles exploratoires séparément pour les hommes et les femmes, chez les hommes, l’item 9 obtient des coefficients de saturation équivalents sur les deux facteurs alors que les items 18 et 19 ne s’associent pas au bon facteur théorique, ce qui n’est pas le cas chez les femmes. Pour ce qui est de l’item 23, il est associé au facteur 1 chez les hommes alors que pour les femmes, il est associé aux deux facteurs de façon équivalente. Il semble donc que ces items aient une connotation différente pour les hommes et les femmes. L’item 9, « Je dis aux autres ce qu’ils veulent bien entendre pour les amener à faire ce que je veux », semble un signe de manipulation chez les femmes, alors que chez les hommes, il semble autant relié à l’aspect comportemental (secondaire) qu’aux attitudes associées au construit de psychopathie (primaire). Les items 18 et 19, « J’éprouve souvent de l’ennui » et « Je me sens capable de poursuivre un même but sur une longue période de temps », ne semblent pas des indicateurs comportementaux efficaces pour identifier cette composante du construit de psychopathie chez les hommes. Enfin, l’item 23, « Avant de faire quoi que ce soit, j’en pèse toutes les conséquences possibles », semble davantage être considéré comme étant un indicateur de planification sournoise pour parvenir à ses fins par les hommes que comme une incapacité à contenir l’impulsivité, alors que les femmes répondent de façon à ce que cet item puisse représenter les aspects tant manipulatoire que comportemental de la psychopathie. Une compréhension différente des items entre les hommes et les femmes a également été observée dans des études sur le PCL-R (Harpur et al., 1989, Salekin et al., 1997). Les auteurs ont alors souligné qu’un modèle à trois facteurs s’appliquerait davantage aux données recueillies auprès des femmes que le modèle original à deux facteurs (Salekin, Rogers & Sewell, 1997 ; Warren et al., 2003). Des analyses utilisant la théorie de réponse aux items suggèrent également une différence quant au fonctionnement différentiel des items chez les hommes et les femmes, sans toutefois que cet écart soit suffisant pour avoir un impact majeur sur le résultat total au questionnaire (Bolt, Hare, Vitale & Newman, 2004). Enfin, il a également été envisagé que les patrons de réponse aux questionnaires évaluant les traits psychopathiques soient différents surtout entre les hommes et les femmes provenant d’une population clinique (Brinkley et al., 2008). À cet égard, d’autres recherches nécessitent d’être menées afin de mieux comprendre comment cette distinction hommes-femmes s’actualise dans le mode de réponse au LSRP.

Les hommes de l’échantillon présentent des résultats plus élevés aux échelles de psychopathie totale et primaire que les femmes, ce qui appuie la position de plusieurs auteurs sur le sujet, à savoir que les hommes sont plus enclins à user de manipulation, de tromperie, de charme superficiel et à être insensibles que les femmes. Il s’agit là en effet d’une distinction conceptuelle couramment mentionnée dans la documentation scientifique. Néanmoins, certains auteurs remettent en question le postulat implicite selon lequel le concept de psychopathie, plus souvent étudié chez les hommes, se transpose parfaitement chez les femmes (Forouzan & Cooke, 2005 ; Jackson & Richards, 2007 ; Verona & Vitale, 2006). Ils notent plusieurs différences possibles chez les femmes : la manipulation se ferait davantage par une attitude séductrice plutôt que par l’arnaque ; la grandiosité et le charme superficiel seraient observés uniquement dans les cas extrêmes ; la promiscuité sexuelle servirait à des fins d’exploitation de l’autre plutôt que pour rechercher des sensations fortes (facteur 2 ; Quinsey, 2002).

Par contre, aucune différence significative n’est décelée pour ce qui est de l’échelle de psychopathie secondaire dans notre échantillon. C’est donc dire que l’expression comportementale des traits psychopathiques chez les jeunes adultes s’observe de la même façon chez les hommes et les femmes, c’est-à-dire par une propension à être impulsif, à répéter le même genre d’erreurs d’une fois à l’autre et à présenter des comportements antisociaux.

Enfin, les résultats issus de l’analyse de validité du LSRP appuient la position selon laquelle les traits primaires sont principalement associés à un faible degré d’amabilité, auquel on ajoute une faible ouverture à l’expérience et peu de préoccupations pour les responsabilités. Pour ce qui est des traits de psychopathie secondaire, ils correspondent également à un faible degré d’amabilité et de sens des responsabilités, mais aussi à un manque d’extraversion et surtout, à la forte présence d’instabilité émotionnelle (Névrosisme). Ces résultats soutiennent partiellement l’approche selon laquelle les gens présentant des traits de psychopathie primaire obtiendraient des résultats faibles au facteur Amabilité et ceux possédant des traits de psychopathie secondaire auraient des résultats faibles aux facteurs Amabilité et Sens des responsabilités (Lynam et al., 1999 ; Miller, Lynam, Widiger & Leukefeld, 2001 ; Snyder & Regts, 1990 ; Widiger & Lynam, 2003). Le facteur Névrosisme est quant à lui parfois cité comme étant également caractéristique des individus présentant des traits de psychopathie, plus particulièrement de psychopathie secondaire (Hart & Hare, 1994 ; Lykken, 1995 ; Lynam et al., 1999 ; Miller et al., 2001 ; Patrick, 1994 ; Snyder & Regts, 1990). Il semble par ailleurs que les habitudes de consommation de substances problématiques soient davantage en lien avec la psychopathie primaire qu’avec la psychopathie secondaire, ce qui est étonnant compte tenu du caractère comportemental de la seconde échelle. Par contre, des résultats similaires avaient été obtenus par Lynam et al. (1999). Lorsque les analyses corrélationnelles sont effectuées séparément pour les hommes et les femmes, il semble que la consommation soit davantage liée à la psychopathie primaire chez les hommes, mais qu’elle soit autant reliée à la psychopathie primaire que secondaire chez les femmes (respectivement r = 0,18 ; p ≤ 0,01 et r = 0,20 ; p ≤ 0,01). Ce résultat contre-intuitif pourrait être attribuable au fait que notre échantillon est constitué d’adolescents et de jeunes adultes. Certains participants présentant des traits psychopathiques primaires en sont peut-être à leurs premières expériences de consommation de substances, étape qui sera brève pour eux alors qu’elle pourrait se chroniciser chez les participants affichant des traits psychopathiques secondaires, donnant ainsi lieu au constat observé chez les populations adultes (Lynam et al., 1999).

Malgré ses aspects prometteurs, la présente étude comporte des limites. Par exemple, la représentativité de l’échantillon n’est pas assurée. En effet, il s’agissait d’un échantillon de jeunes adultes chez qui les traits psychopathiques pourraient être plus importants compte tenu de l’étape développementale dans laquelle ils se trouvent et du degré d’impulsivité y étant associé. Ainsi, il serait important de suivre les adolescents et les jeunes adultes sur une longue période de temps afin d’étayer les données quant au pouvoir prédictif de l’instrument. De plus, il serait essentiel de répliquer les analyses discutées dans le présent article auprès de clientèles plus diversifiées. Deuxièmement, la mesure de consommation de substances utilisée dans la présente étude comme variable pour évaluer la validité convergente du LSRP n’est pas un instrument standardisé. D’autres instruments mesurant spécifiquement ce construit devraient être inclus dans de futures recherches pour appuyer la validité convergente. Enfin, l’étude actuelle ne s’attaque pas directement à l’épineux problème de la désirabilité sociale. Bien que le questionnaire ait été construit afin de minimiser ce biais de réponse, la transparence de certains items pourrait néanmoins influencer la façon de répondre aux questions. Ainsi, d’autres études prenant en compte la désirabilité sociale et les traits psychopathiques mesurés par le LSRP devraient être effectuées.

Somme toute, l’échelle auto-rapportée de psychopathie présente les mêmes caractéristiques que celles de la version originale anglaise, allant même jusqu’à partager les mêmes problèmes (Brinkley et al., 2001 ; Sellbom, 2011). Dans cette perspective, des études plus fines de la structure factorielle de l’instrument et une évaluation encore plus spécifique des items représentent des avenues de recherche incontournables. De plus, notre étude a permis d’identifier les mêmes items problématiques que dans la version originale anglaise, c’est-à-dire ceux qui ne permettent pas de bien discriminer entre les individus et qui ne corrèlent pas de façon acceptable à leur facteur latent (Brinkley et al., 2008 ; Sellbom, 2011). Or, ces conclusions sont issues uniquement d’analyses factorielles. Des analyses d’items plus approfondies, utilisant notamment la théorie de réponse aux items, semblent une avenue de recherche intéressante afin de mieux documenter les courbes caractéristiques d’items et les courbes caractéristiques d’options. Dans un tel cas, une révision des items considérés comme problématiques devrait être envisagée, accompagnée d’une nouvelle validation de l’instrument.

Malgré ses limites conceptuelles, le LRSP demeure un bon instrument de dépistage des traits psychopathiques. À l’heure actuelle, il s’agit d’une mesure auto-rapportée brève, en langue française, qui préserve les propriétés métriques de la version américaine originale. Le questionnaire constitue donc une option intéressante pour appuyer l’évaluation et le dépistage des traits psychopathiques de la personnalité ainsi que des problèmes de comportement reliés à la délinquance, la criminalité, l’impulsivité et la violence y étant associés. Il existe d’autres instruments fondés sur le rapport verbal des participants qui sont fort valables, mais ceux-ci sont beaucoup plus longs (p. ex. Psychopathic Personality Inventory ; Lilienfeld & Andrews, 1996) ou n’ont pas été validés en langue française (p. ex. le Dirty Dozen ; Jonason & Webster, 2010 ; ou encore le Self-Reported Psychopathy Scale-II ; Hare, Harpur, & Hemphill, 1989). Pour le reste, il s’agit d’instruments dont l’administration nécessite une procédure de cotation par un professionnel qui ne s’appliquent pas nécessairement à tous les contextes, dont en recherche (p. ex. Psychopathy Checklist-Revised ; Hare, 1991, 2003). Les professionnels pourraient, entre autres, utiliser le LSRP afin de détecter des traits de personnalité pathologiques et de les approfondir après coup à l’aide de mesures cliniques plus élaborées. Il constitue également un bon outil en recherche, lorsque la concision est requise. L’instrument pourrait profiter de certaines améliorations en ce qui a trait à la composition et à la sélection des items. Par exemple, les quatre items problématiques relevés pourraient être éventuellement reformulés ou retirés de l’échelle. D’autres études sur la généralisation de nos résultats devront être menées avant de déterminer la valeur de ces solutions de rechange.