Résumés
Résumé
La différence entre une cure chamanique et une cure psychanalytique, écrivait Claude Lévi-Strauss en 1956, tient au fait que dans la première le médecin parle tandis que dans la seconde, ce soin est dévolu au patient. La différence vaut, dans la société awajun, entre pratiques ayahuasqueras passées et contemporaines. Avec les premières, le chamane « voyait » au-delà de l’opacité des corps et « racontait » les objets pathogènes et leur propriétaire, l’agression chamanique étant un prolongement des conflits entre groupes locaux et bassins fluviaux. Avec les secondes, le malade boit. À lui de « voir » et de « raconter » ; manière aussi pour le « chamane moderne » de ne pas prendre de risque dans un contexte social marqué par un imaginaire sorcellaire, introduit par les missions. Dans cet article, je présente et analyse les usages awajun (famille linguistique jivaro), traditionnels et nouveaux de l’ayahuasca, tels que j’ai pu les observer sur le Haut Marañón (Pérou) depuis une douzaine d’années. J’aborde les questions de l’apparition de nouvelles catégories de praticiens et de l’adaptation des rituels thérapeutiques aux maladies nouvelles ou considérées comme telles, ainsi que la façon dont le chamanisme awajun s’est modifié pour faire face au mépris dont il a été et est l’objet.
Mots-clés :
- awajun,
- Pérou,
- ayahuasca,
- chamanisme,
- transformation culturelle
Abstract
The difference between a shamanic cure and a psychoanalytic cure, wrote Claude Lévi-Strauss in 1956, is that in the first case the doctor speaks, while in the second case this is the patient. I apply this difference in Awajun society between the past and contemporary ayahuasca practices. Historically, the shaman “saw” beyond the opacity of the bodies and “depicted” the pathogenic objects and their owner. In this respect, shamanic aggression is an extension of the conflicts between local groups and river basins. Today, the patient drinks. It is up to the patient himself to “see” and “tell”; a way for the “modern shaman” to not take any risks in a social context characterized by sorcery imaginary (introduced by the missions). In this paper, I present the Awajun (Jivaro linguistic family) uses, traditional and new, of ayahuasca, as I observed them in the Upper Marañón (Peru) for the last twelve years. I analyze the emergence of new categories of practitioners and the adaptation of therapeutic rituals to new diseases or considered as such, as well as how Awajun shamanism changed to deal with the contempt it has been and is subject to.
Keywords:
- Awajun,
- Peru,
- ayahuasca,
- shamanism,
- cultural transformation
Resumen
La diferencia entre curaciones chamánica y psicoanalítica, escribió Claude Lévi-Strauss en 1956, es que en la primera habla el médico, mientras que en la segunda lo hace el paciente. Esa diferencia, lo hago en la sociedad awajun entre prácticas ayahuasqueras pasadas y contemporáneas. Con las primeras, el chamán “veía” más allá de la opacidad de los cuerpos y “decía” los objetos patógenos y su propietario, siendo la agresión chamánica una prolongación de los conflictos entre grupos locales y cuencas fluviales. Con las segundas, el enfermo bebe. Depende de él “ver” y “narrar”; forma también para el “chaman moderno” de protegerse en un contexto social marcado por un imaginario sobre la hechicería introducido por las misiones. En este artículo, presento los usos awajun (familia lingüística Jivaro), tradicionales y nuevos, de la ayahuasca, tal como los he observado en el Alto Marañón (Perú) durante una docena de años. Analizo la aparición de nuevas categorías de curanderos y la adaptación de los rituales terapéuticos a las nuevas enfermedades o consideradas como tales, así como la forma en que el chamanismo awajun cambió para enfrentar el desprecio de que ha sido y es objeto.
Palabras clave:
- awajun,
- Perú,
- ayahuasca,
- chamanismo,
- transformación cultural
Corps de l’article
« La grande différence entre une cure chamanistique […] et une cure psychanalytique, écrivait Claude Lévi-Strauss en 1956 (p. 10), tient au fait que dans le premier cas le médecin parle tandis que, dans le second, ce soin est dévolu au patient ; on sait qu’un bon psychanalyste reste pratiquement muet pendant la plus grande partie de la cure ; son rôle est d’offrir au malade la stimulation de la présence d’autrui, on pourrait presque dire la provocation, afin que le malade puisse investir cet « autre » anonyme avec toute l’hostilité dont il se sent inspiré. » La comparaison sera reprise en 1958 en ces termes : « Le sorcier parle et fait abréaction pour le malade qui se tait tandis qu’en psychanalyse, c’est le malade qui parle, et fait abréaction contre le médecin qui l’écoute » (Lévi-Strauss, 1974, p. 210). Quelle qu’elle soit, pour Claude Lévi-Strauss en 1956, la cure « consiste […] dans la production d’un mythe » dans lequel peuvent s’exprimer des états informulés et autrement informulables. Elle a pour finalité « de traduire dans un langage qui ait un sens pour le malade et lui permettant de nommer, et donc de comprendre – peut-être ainsi de dominer – des douleurs qui étaient jusqu’alors inexprimables, au propre et au figuré » (p. 10).
Il conviendrait de discuter de la pertinence de la réduction de la cure chamanique à une « médication purement psychologique », Claude Lévi-Strauss (1974, p. 211) oubliant dans cette analyse la manipulation par le chamane du corps malade comme l’administration ou pour le moins la prescription d’un remède végétal[1]. Cela dit, la comparaison trouve sa pertinence dans les effets adaptatifs ou destructurants, selon les manières de voir, d’un contact croissant, contraint ou non, des sociétés traditionnelles avec les sociétés occidentales, et sur l’évolution des modes d’être, de penser et d’agir, pour reprendre ici Eric Navet (2016), des unes et des autres. Celle-ci nous instruit de l’évolution des pratiques chamaniques awajun depuis leurs premières observations, voici une soixantaine d’années. Précisément, si la disposition rituelle des acteurs en présence est essentielle dans la définition proposée des pratiques ayahuasqueras, dans une logique dans laquelle le « chamane moderne » (l’expression sera explicitée ci-après) n’abréagit plus pour le malade, la place de l’ayahuasca ne pouvait que changer. De fait, le guérisseur contemporain ne s’enivre plus de la préparation psychotrope, mais la donne à boire au malade. À lui de « voir » et de « raconter » ; manière aussi pour le premier de ne prendre aucun risque et d’éviter toutes représailles dans un contexte social marqué par des tensions entre groupes locaux et des accusations de sorcellerie.
Si cette différence conditionne aussi en partie la distinction habituellement faite entre pratiques locales et nouvelles spiritualités internationalisées (Baud, 2017), les articles sur l’ayahuasca font peu état des réalités locales ou en ont une perception biaisée par l’accélération des changements auxquels les pratiques observées sont soumises (Baud, 2015). Beaucoup aussi manquent de précision quant à l’objet de leur propos : plante ou breuvage préparé avec celle-ci, seule ou en association avec une autre plante – la distinction, si elle est posée en introduction n’est jamais très claire dans l’analyse postérieure – ; outil propre au chamane pour entrer en contact avec ses alliés spirituels et produire un chant thérapeutique ou breuvage amer et émétique, censé ouvrir les « portes de la perception » (Baud, 2019) et favoriser la compréhension d’un mal-être ou d’une singularité psychique comme une appréhension holistique du monde. L’ayahuasca est de fait trop souvent considéré comme un invariant, un même objet, d’une société à une autre, d’une époque à une autre, d’un contexte rituel à un autre. Dans une logique critique à l’égard de ce qu’il est bien rapidement appelé « tourisme chamanique », les auteurs opposent ainsi la notion de « purge », qui serait mise en avant par les guérisseurs locaux, à la quête visionnaire, laquelle serait la principale motivation des voyageurs nord-américains et européens. Ces mêmes auteurs ne manquent pas de préciser, parfois avec dérision (Baud, 2015), que les « modernes » finissent toujours par se convertir à cette idée tant elles et ils vomissent au cours du rituel. Il est vrai qu’il n’est pas donné à chacun-e d’accéder tout de suite aux paysages fantastiques auxquels conduit la diméthyltryptamine (DMT) apportée par les « plantes compagnes », tant s’en faut.
Parmi ces plantes, principal inducteur de la transe ou « simple » additif de la préparation psychotrope, je mentionnerais l’epena, un tabac préparé à partir de l’écorce interne d’arbres du genre Virola spp. (Myristicaceae) et inhalé par les populations du bassin de l’Orénoque (Venezuela, Brésil), à l’exemple des Ȳan̄omami qui l’appellent yākōana, pour « mourir », « voir / connaître » (taai) la « beauté » de la forêt, son « image vitale » (utubë) ou « images-esprits xapiripë » (Albert, 1993). Plus au sud, les Yanesha (Pérou) ajoutent l’écorce de Virolacalophylla, appelé po’partayoñech, au jus pâteux de tabac, pour « interagir avec certaines entités afin de connaître les pensées intimes d’une personne ou d’agir en la défaveur d’autrui » (Valadeau, 2018, p. 254). Au Venezuela et en Colombie, les populations prisent un tabac appelé yopo, préparé à partir des graines d’Anadenanthera peregrina (Fabaceae). Les Piaroa l’appellent yuhuä. Ils l’inhalent, après avoir mâchouillé plusieurs heures le cambium de morceaux d’ayahuasca (tuhuipä ou capi localement), pour aller « au-delà des nuages, pour tout voir clairement », le pouvoir de l’ayahuasca conditionnant la « distance à laquelle on peut voyager », l’association produisant beaucoup de märipa, cette « puissance spirituelle du chamane acquise au fil du temps » (Rodd, 2018, p. 195).
Par voie orale, pour éviter sa dégradation par des enzymes du foie et de l’appareil digestif, la DMT est associée à des inhibiteurs de monoamine oxydase. C’est précisément une propriété – parmi quelques autres comme l’a fort bien montré Patrick Deshayes (2002) – des beta-carbolines présentes dans l’ayahuasca (mais aussi dans la fumée du tabac, l’epena et certains aliments). En Équateur et en Colombie, les populations emploient Diplopterys cabrerana (Malpighiaceae), appelé chagropanga (du quechua chaqru-, « mélanger » et panga, « feuille ») en espagnol régional et oko-yagé (« eau yagé ») dans les langues tukano ; le yagé pour aller sous la surface des rivières et lagunes et aller à la rencontre des « gens de l’eau » (Bidou, 1983). Au Pérou et au Brésil, la DMT est apportée par Psychotria viridis (Rubiaceae), communément appelé chacruna (du quechua chaqru-). Les Matsigenka de l’Urubamba l’appellent ompikiri, tout à la fois le nom donné à une montagne de sel, une femme qui enfante de terribles esprits hermaphrodites, qui se reproduisent au milieu des éclairs et un saankarite, un esprit apparaissant sous les traits d’un petit oiseau. Il rend le kamarampi (ou ayahuasca) « plus savoureux […], c’est-à-dire plus intoxiquant, et du même coup plus flamboyant et un meilleur transformateur » (Arias, 2018, p. 359).
Dans ces sociétés, ces plantes sont perçues comme des existants non humains, capables de communication et d’entendement ; des plantes dotées d’une intentionnalité, sensiblement différente de celle de l’être humain et le plus souvent décrite comme prédatrice. Ces plantes (ou leur esprit) génèrent de la frayeur et de la stupeur (Deshayes, 2002) ; la personne est prise par ce qui les définit, avec le risque de s’y perdre. Là encore, si un rapprochement peut être fait avec notre manière de voir, cette « qualité » est dans nos sociétés appréhendée comme relevant du pathologique – l’hallucinogène induit une altération de l’esprit (au sens d’une faculté d’un sujet) –, dans les sociétés amazoniennes, l’expérience psychotrope est recherchée et mise à profit pour se construire en tant qu’individu singulier et personne sociale. L’usage de ces plantes y est initiatique. La plante psychotrope provoque une altération d’une totalité en interaction ou pour le dire autrement, une altération de l’esprit comme situation. L’expérience psychotrope y est la confrontation avec une altérité constituante de l’identité de la personne, mais de nature radicalement différente. La perspective, et non l’objet, est donc tout autre, avec une conséquence notable. Les Awajun décrivent l’état consécutif à l’expérience psychotrope réalisée par tout un chacun à l’aide de termes sensiblement étrangers à ceux que nous associons dans notre imaginaire à la drogue : iwajamu, « être propre, beau, lumineux », « être paré » aussi ; iwaaku, « être réveillé, animé », c’est-à-dire capable de plaisanteries (iwajut) (Baud, 2019). Quant au chamane, il était appelé Etsa uchiji, « fils de Soleil ». Il s’agit d’une pensée qui nous est étrange, voire étrangère ; une pensée qui nous déplace complètement ; une pensée qui est au coeur des pratiques amazoniennes de l’ayahuasca, mais qui pour nous est encore à penser.
Dans cet article, je présente et analyse les usages awajun (famille linguistique jivaro), traditionnels et nouveaux, du datem, communément appelé ayahuasca, yagé ou caapi (et leurs variantes lexicales), tels que j’ai pu les observer sur le Haut Marañón et ses affluents depuis une douzaine d’années. Trois parties organisent ce travail : l’ayahuasca, la plante, ses propriétés et usages, et les représentations associées ; le devenir chamane, de l’apprentissage à la cure ; et les nouvelles pratiques. Dans cette dernière partie, je considère la façon dont le chamanisme awajun se transforme, alors qu’il est pris dans un mouvement de marginalisation, parallèlement à l’inscription de la société awajun dans la société nationale péruvienne, et qu’il est déterminé par un glissement de sens et de jugement, le chamane devenant « guérisseur-sorcier ». L’apparition corrélée de nouvelles catégories de praticiens souligne combien le modèle occidental de la maladie modifie sensiblement les pratiques et représentations locales ; la cure, celle du malheur, tenant aujourd’hui davantage de la « cure psychanalytique » que de l’agir chamanique.
L’ayahuasca, son écologie
Banisteriopsiscaapi (Malpighiaceae) est une liane amazonienne, plutôt rare aujourd’hui à l’état sauvage. Elle croît sur des sols non inondables, jusqu’à 800 m d’altitude, comme dans la cordillère de Colan (Amazonas, Pérou) où je l’ai rencontrée. Ses branches sont brun-gris. Ses feuilles, glabres, elliptiques et d’un vert foncé, mesurent jusqu’à vingt centimètres de long pour neuf de large, avec un pétiole de deux centimètres. La liane développe une inflorescence axillaire de fleurs blanches ou roses et une samare de trois centimètres. Les variétés cultivées et sauvages, davantage appréciées par celles et ceux qui l’utilisent, sont distinguées selon les effets qu’elles engendrent, l’endroit où elles poussent, la végétation environnante, l’aspect de l’écorce (lisse ou rugueuse), leur couleur, etc. Les classifications, propres à chaque société, reposent sur un savoir concernant la teneur psychoactive des différentes plantes et parties de la plante, donc le type d’expériences provoquées. Les Awajun discernent les plantes femelles, à la chair de couleur jaune, et les plantes mâles, de couleur noire, supposées « plus fortes ». Toutes les deux sont communément utilisées.
Lorsqu’un Awajun découvre une liane en forêt, elle ou il nettoie en cercle tout autour signifiant ainsi qu’elle lui appartient. Quelques jours plus tard, avant d’en couper quelques morceaux en hauteur, à jeun et sans avoir la veille mangé de viande et eu de rapport sexuel, il y accroche un morceau de tissu, de couleur unie. Ce geste, somme toute anodin, est expliqué différemment selon les personnes. De couleur unie, « car les couleurs ne sauraient être mélangées dans la vision » dit Walter, médecin herboriste (tsuajatin, Nazareth) ; car la vision ne saurait être un ensemble d’images chaotiques. Il poursuit :
C’est grâce à cette pensée, à ma concentration (anentaimtut) que je suis comme le jaguar […]. Tout est dans la pensée, dans la concentration. […] Tu souhaites découvrir, rencontrer, tu dois le demander à la plante. Ma pensée est concentrée. Elle m’ouvre alors. C’est cela la plante. Moi, je dois seulement me souvenir, quand l’ivresse m’abandonne. Elle m’a ainsi enseigné. Voilà ce qu’elle m’a montré. Où je dois chercher. […] [Comme] le maître instructeur [qui] possède des chants, [qui] possède beaucoup d’énergie. Par sa seule concentration, pratiquement, son esprit se transforme en ce qu’il veut, ce que tu vois dans l’ivresse. Puisqu’il sait les chants, puisqu’il connaît les plantes et leur esprit, quand il donne à boire [à son élève], il se concentre sur ce qu’il a vu, jusqu’à devenir matériellement ce qu’il a vu, ce qu’il chante. Il ne fait aucun cas de tout ce qui l’entoure pour se concentrer sur cet instant où lui-même a reçu le pouvoir. Alors, avec cette idée, avec cette force, il donne à boire […]. Tout est dans la concentration.
Ce bout de tissu évoque pour Marcos, chamane (iwishin, Santa Maria de Nieva), le vêtement dont se pare l’esprit végétal (datema aentsi) lorsqu’il se manifeste à la personne ivre de la plante. Il dit l’existant non humain devenu personne dans l’expérience psychotrope. Il dit de quelle façon, dans cette société jivaro comme dans toute société animiste, le corps ne fait pas l’humain. Usagé, il se fait plus précis encore, puisqu’il fait lien. L’esprit awajun, appelé wakani, littéralement « mon ombre », imprègne le corps plus qu’il n’y « habite », diffusant (dapampaut) à la fois vers l’intérieur et l’extérieur. Sa capacité d’adhésivité ne se limite donc pas seulement au corps-matière : le wakan imprègne le vêtement porté au quotidien, voire quelques objets personnels (wampach, datip). Notion d’appartenance donc, d’extension corporelle aussi. Accrocher dès lors un morceau de tissu, qui provient d’un vêtement longtemps porté par la personne, souligne aussi bien cette notion d’appartenance de l’objet liane, qu’une assimilation de soi à autrui. Il dit l’intoxication rituelle telle qu’elle est appréhendée dans cette société. À propos d’une catégorie de chamane, de moindre importance, appelée pasuk, Walter précise ainsi :
Le pasuk extrait le jus des feuilles fraîches du tabac, qu’il inhale ensuite et en grande quantité par une narine, puis par l’autre, trois fois par narine. Il s’assied alors, avant d’haleter et de pousser de profonds soupirs, preuve de la présence d’un autre en soi. Puis, il(s) chante(nt) [le pluriel possible indique l’idée que la personne est elle-même et aussi l’esprit-pouvoir, ils sont (un) pasuk] : « Ayu ayu ayu, wi wi wi, waa waa waa… » « Concentré », en prise « avec sa vision dans l’espace (nayaim) », d’où le « pouvoir » sollicité « éclaire et regarde », il(s) énonce(nt) alors : « Ton fils a telle maladie, donne-lui telle plante […]. Untel va arriver dans ta maison… ». Le rituel se prolonge ainsi une ou deux heures, puis le pasuk [l’existant, la capacité de voir l’invisible, le rôle social, en un mot la transe, qui est tout ça à la fois] « s’en va ».
En d’autres termes, ce geste simple d’accrocher à une liane grimpante un objet usagé porte un sens essentiel à la compréhension de la relation que les Awajun tissent avec leur environnement (Baud, 2018). Il est une présence d’esprit, un guet, dans le cheminement, c’est-à-dire une discipline. Il s’appuie sur un mode de connaissance fondé non sur la distanciation, mais sur une « intimité […] qui envisage, dans un même ensemble, le monde comme un système infini d’inter-relations » (Navet, 2007, p. 342). Les liens de parenté, de solidarité et d’identité n’y sont pas restreints aux seuls liens de consanguinité et à une identité corporelle. Puisque mots et rites s’adressent à des personnes, toute pratique rituelle s’apparente à « un dialogue interpersonnel », dialogue qui « fait penser et agir » des personnes (Sahlins, 2009, p. 93). Dans cette logique, l’activité chamanique consiste précisément à établir des traductions entre les existants par l’habilité qu’a la personne à passer d’un monde à un autre, à se transformer et à « traverser les barrières corporelles entre les espèces » (Viveiros de Castro, 2009, p. 25). Connaître dès lors, c’est adopter une perspective de subjectivité autre, c’est faire sien le point de vue de l’objet à connaître. À l’opposé d’un « relativisme culturel » qui suppose un objet commun – le monde – indifférent à toutes les représentations, dans ce perspectivisme tous les êtres entretiennent une relation semblable au monde. Ce qui change c’est le monde qu’ils voient.
Après avoir « amputé » la liane de quelques-unes de ses tiges supérieures, terme entendu pour dire cette prédation humaine dans la rencontre, la personne ôte les feuilles et les disperse « pour les semer » (Walter). Puis, elle enveloppe les tronçons dans une grande feuille trouvée à proximité. Sur le départ, elle invite l’esprit végétal (datema aentsi) à la suivre et veille à lui montrer le chemin jusqu’au lieu de la préparation pour qu’il ne se perde pas et tarde à arriver, ce qui rendrait le breuvage inefficace.
Apajui amina segajam aents jaakui jukitasam minitjame weemi amui tsuwaeta etsata ishamkaipa imau wetatji, shiig akiajamegkae etsaeetueti tsuami… Grand-père, je te conduis à ce malade, parce que tu es le plus fameux, le grand savant, guérisseur, je te conduis là-bas pour que tu guérisses la personne, nous allons y aller doucement, marchant, nous allons y arriver pour que tu la guérisses, je veux que tu la soignes.
Eucebio, Umukai
« À leur arrivée », la liane est nettoyée, puis broyée sommairement avant d’être mise à cuire pendant à peu près huit heures, seule ou en association avec une seconde plante ; la marmite utilisée ne devant avoir contenu aucun aliment salé. Walter raconte :
À chaque fois qu’ils [les chamanes] devaient visiter un malade, ils avaient besoin que quelqu’un leur prépare le datem… car ils ne pouvaient pas le préparer. Jamais. À moi, m’enseigna mon oncle Apatio. J’étais en primaire à cette époque. « Ceci est le datem. Tu le grattes ainsi, assis. Bien. Maintenant, écrase-le. Écrase-le bien. Maintenant, tu le mets dans la tinaja [récipient en terre cuite, ichinak en awajun]. Ajoute de l’eau et allume le feu. » J’y ajoutais aussi le yaji. À ce moment-là, je sentais la faim me tirailler. Mon oncle me disait alors : « Bois un peu d’eau. » L’eau n’est pas comme un aliment. Et il me surveillait. Quand je souhaitais aller par là… « Oye, oye, où vas-tu ? Viens ici ! Tu dois rester ici, avec nous. » « Non mon oncle, je vais uriner. » « D’accord, je t’attends ici pour que tu puisses uriner. » Il avait peur que je mange, ce qui aurait gâté le datem. Ça s’est passé ainsi. Je préparais le datem pour lui. Et quand ils buvaient, ils disaient : « Mmm, la main de l’enfant est forte. » Ils avaient beaucoup de visions. Ils m’ont alors reconnu. J’ai appris ainsi. J’ai appris en préparant.
SB : Pourquoi l’iwishin ne prépare-t-il jamais lui-même le datem ?
Ils ne préparent jamais [une fois devenus chamanes, car] ils savent qu’ils ne peuvent chauffer [leur corps] ou recevoir [inhaler] la fumée, car le juak peut tirer [lâcher ses dards, avec cette idée d’une perte de contrôle]. Le chaud ou la fumée. Voilà pourquoi ils ne peuvent préparer. Ils peuvent broyer. Ils peuvent ajouter le yaji. Ils peuvent mettre l’eau, placer le récipient sur le feu, mais ni préparer, ni [faire] bouillir ou rajouter de l’eau. Ça, ils ne peuvent le faire, car le juak se fâche et tue la personne. Car le juak est de même nature que l’odeur qui s’échappe [de la marmite]. La même nature, la même température. En même temps [si le chamane garde le contrôle], le juak ne le laissera pas boire tranquille, car il est déjà chaud, car son corps est déjà chaud. Car le corps doit être frais, si bien qu’ils se baignaient avant de boire… Et lorsqu’ils me demandaient de préparer, ils surveillaient de loin, me demandant : « comment est l’eau ? » S’il en manquait, s’il fallait en rajouter. Toute la journée ainsi. Et moi, j’avais terriblement faim.
Les Awajun connaissent deux manières de préparer l’ayahuasca, et de nombreux termes ou expressions pour en désigner le résultat :
avec la liane seule, appelée datem, parfois yapau (« amer »), la préparation n’est pas « concentrée » ; les personnes en ingurgitent une grande quantité dans un bol en terre cuite hier (appelée pinig), en plastique aujourd’hui ; la préparation est appelée datem imutai, « pour vomir » ou datem waimatai, « pour acquérir une vision-pouvoir (d’Ajutap) » ;
associée au yaji (Diplopterys cabrerana, Malpighiaceae), la préparation est « raffinée » (sukugbau) ; le chamane boit le mélange dans un petit verre ou datip (une calebasse) ; elle est appelée datem ukuijamu, « datem concentré », datem iwishnu umutai, « que boivent les chamanes », datem wainmatai, « voir ce qui est invisible », ou simplement yaji.
J’aimerais apporter ici trois précisions. Tout d’abord, aucune autre plante n’est ajoutée au mélange des deux malpighiacées, comme cela se fait parfois ailleurs, « car les plantes se battraient dans la marmite » (Walter), avec le risque que leur esprit meurt et qu’elles soient, là aussi, sans effet (shiig nampekchae). Ensuite, le mélange était parfois réduit jusqu’à obtenir une pâte, formée en une boule et mise à sécher. Le chamane l’emportait dans son wampach, lors de ses déplacements, par précaution, pour ne pas avaler à son insu un poison (tseas). Enfin, le mélange est appelé datem iwishnu umutai, « que boivent [uniquement] les chamanes », sauf à « s’être fait seul », à chanter, sangloter seul (wa wa waa, wi wi wii… wawek), tout en mâchouillant les feuilles du yaji pour se rendre invisible au chamane intoxiqué. Il y avait une autre exception : un participant au rituel, un parent du malade le plus souvent, buvait le mélange pour témoigner de l’agir chamanique ; pour attester de la réalité de l’objet pathogène (waweamu ou bitag, littéralement « ce qui est sans bruit »), du dard (tsentsak)[2] normalement invisible et extrait du corps. Au petit matin, il lui fallait retrouver un état sain (jaachu) et pour cela couper l’ivresse, une action rendue par les verbes sakapat et mayumat, littéralement « enlever le pouvoir d’une chose ». Couper l’ivresse, c’est tout à la fois :
arrêter la fermentation (kajimamu) de l’amer dans le corps, éviter la production du juak (voir ci-après) et empêcher la souillure coïncidente, avec pour conséquence un état de torpeur ou d’abattement (kajakajak) ; l’ivresse psychotrope est ce qui chauffe le corps (sukut), comme la fièvre (tsuwemu) ;
faire en sorte que la nuit suivante, aucun rêve né d’un « retour d’ivresse » ne paralyse (itakmat) la personne tout comme le venin du serpent (itapkagtin) ; l’ivresse psychotrope est considérée comme une « intoxication paralysante » (utsujatbau, littéralement « ce qui est contagieux », terme usité pour décrire la transmission du pouvoir du chamane instructeur à l’apprenti) ;
faire en sorte qu’aucune nuisance de quelque ennemi, la nuit suivante, ne trouble la personne ; et de fait, celle ou celui qui a ingéré le mélange est « visible » dans cet au-delà de la lumière propre à l’expérience psychotrope, cet espace (nayaim), ce lieu de jeu des chamanes et esprits.
Pour ce faire, la personne avale une préparation piquante : soit le mélange de sampap (Eryngium foetidum, Apiaceae[3] ; ou à défaut d’oignon) et de piment (jima, Capsicum annuum, Solanaceae) écrasés dans un peu d’eau salée (ou du jus de citron) ; soit la macération d’un gingembre appelé ajegwakenchatai (de wake, « estomac »). Puis, un parent chante un esasaktu (esakaut, « effacer, nettoyer une tache » ; esamat, « soigner »), à l’exemple de l’extrait suivant, par Isela (Nazareth) :
Esasaktu naamkita (bis), Que le nettoyage se fasse [que cesse l’ivresse]
Pegkejush naamkita (bis), Que la personne se rétablisse [qu’elle devienne belle[4]]
Amega chaatu egkemtakme, Toi à entrer à l’instant [avec cette idée de fulgurance, celle de l’éclair, chaajip]
Ibau ajeg asamega, Comme bon gingembre
Amega amega tsuak asamega, Toi toi qui est médecine
Esasaktu naamkita (bis)
Pegkejush naamkita (bis)
…
Les pratiques awajun passées montrent que la distinction habituellement faite entre l’ayahuasca, la liane, à laquelle dans la littérature est réservée les fonctions purgative et facilitatrice (ou amplificatrice) et la « plante compagne », la fonction visionnaire, n’est pas aussi tranchée. Seul le contexte rituel, son intention, détermine la prégnance de l’une ou de l’autre : préparation d’un mélange ou de la seule ayahuasca ; breuvage concentré ou non et ingéré en très grande quantité ; pratique solitaire ou collective ; session chamanique ou quête visionnaire accessible à tout un chacun… d’où des possibles autorisant une pluralité des expériences (Baud, 2019). L’ayahuasca awajun soigne, purge, fortifie, anime, favorise la rencontre spirituelle ou encore donne à voir « le normalement invisible et l’anormalement lumineux » (Viveiros de Castro, 2007, p. 64).
De quelques usages
L’ayahuasca est un émétique. Il est utilisé par les Awajun pour « nettoyer » le corps, l’estomac, les reins, l’urine, le coeur (anentai), siège de la pensée (anentaimat), le sang aussi, lui donner sa « couleur chocolat » caractéristique de l’ethos guerrier awajun (Walter). Si parmi les guérisseurs d’Iquitos, l’ayahuasca, le mélange, est utilisé pour nettoyer la personne des « mauvaises énergies » – « quand l’estomac est sale, pour nettoyer [limpia], quand il est [pris] de malchance, pour nettoyer » dit une ayahuasquera –, les Awajun l’utilisent seul à cette fin et toujours dans une perspective mêlant épuration corporelle et acquisition concomitante d’une qualité, celle qu’ils reconnaissent à la plante ingérée. Je donnerais comme exemple, le shishim (Couroupita subsessilis) pour défaire le corps de ses rhumatismes (jagku), le rendre fort ; l’ampampag (Piper sp.) et le kaag ajeg (Zingiber officinale) pour débarrasser l’estomac des résidus alimentaires qui en tapissent les parois, être vif ; le kunakip (Tabernaemontana sananho) et le wais (Ilex guayusa) pour « chasser la paresse », être animé ; le shipitna (Himatanthus sucuuba) pour nettoyer le sang, acquérir endurance et rapidité. Semblablement, l’ayahuasca « nettoie et nourrit le corps », dit Isabel (tsuajatin, Nazareth). « Tu peux boire trois jours de suite, mangeant simplement un morceau de manioc ou d’igname, tu ne t’affaiblis pas » dit Fermin (yamajam iwishin, Nuevo Horizonte). Il « anime la personne, fait que le corps est fort et résistant… juu ajaka duka aenstsun ichichinai, iyashi senchi kakajam ati tusa », comme la pensée par ailleurs, avec cette idée si moderne d’un lien entre estomac et pensée. « La personne est réfléchie (anentaibau) » ajoute Walter, qui précise aussi :
Si tu as pris le datem, tu es fort. Tu es agile lorsque tu marches. Tu te lèves tôt. Tes yeux sont plus vivants. Beaucoup de personnes ont l’estomac vide de plantes. Leur cerveau est abattu. Leurs pensées vont dans tous les sens. Elles n’ont pas d’idée ou d’opinion. Rien. Elles pensent comme si elles s’étaient frappées avec la poêle.
L’usage de l’ayahuasca est prophylactique et apotropaïque. Boire participait d’une définition de l’intégrité corporelle, d’un sens de soi. « Pour être respecté et considéré » affirme Yegbai (kakajam, Shushug), « pour vivre vieux », ajoute-t-il, dans un contexte dominé alors par les conflits entre bassin fluviaux et les guerres interethniques.
C’est comme une médecine qui protège le corps et l’esprit, qui les rend sains. Cette médecine développe la pensée et favorise les relations sociales. Tu n’as pas peur d’aller vers l’autre, et on te respecte. Si tu ne buvais pas le datem, on ne te respectait pas et tu n’étais pas considéré. Tu étais vu comme un oisif et un sauvage. Ensuite seulement, nos parents nous enseignaient à pêcher, à chasser, à poser des pièges afin d’être utile une fois adulte et marié. Seulement ainsi, tu peux t’occuper d’une famille, de tes enfants.
Walter
Dans ce processus de construction sociale, les Awajun ingéraient – et ingèrent, ce n’est plus la norme aujourd’hui – une décoction de la liane seule, en grande quantité, pour rencontrer Ajutap, littéralement « vieille chose usée », comme l’est ce bout de tissu accroché à la liane. Ce faisant, ils cherchaient à acquérir de cet esprit un énoncé, une vision-pouvoir ou une nouvelle vitalité selon les récits ; « ce pouvoir, Ajutap l’introduit, cette vision, il la porte jusqu’à mon corps » (Walter). L’énoncé reçu et intériorisé, la bénédiction (usuijamu), est synonyme d’une modification qualitative de la conscience de soi, tout comme la parole de Soleil dans la mythologie est celle d’une modification de l’apparence des êtres, plantes et animaux. Il est à l’origine d’un puissant sentiment guerrier propre à engendrer une destinée exemplaire (devenir kakajam) ou source d’une vie sans heurt (Baud, 2011 ; 2019). La rencontre visionnaire (kaja) ne s’opère pas dans un ailleurs – dans l’espace ou sous la surface de l’eau des rivières et lacs, comme avec le mélange –, mais « à l’endroit même où est la personne » (Eucebio). Ajutap « descend de l’espace », comme dérobé à la transparence du monde, attiré par l’arôme de la cuisson ou le parfum qui accompagne la projection du liquide encore tiède, préalablement mis en bouche, juste avant qu’il ne soit partagé et que le guerrier ne chante :
Tsau, tsau, tsau, tsau, tsau / Chai, chai, chai, chai, chai / J’endors mes ennemis / Avec courage, chai, chai, chai / Les affrontant victorieusement quand ils m’attaquent / Tsau, tsau, tsau / Avec courage, j’ai bu le datem afin d’avoir des visions contre mes ennemis / Tsau, tsau, tsau…
Walter
Voilà le rythme. Quand je tiens le bol, je demande la permission au puissant Ajutap, qui est au ciel, qui regarde. Tu prends alors une gorgée [d’ayahuasca non concentré] et tu souffles ainsi (le liquide sur ta poitrine) pour éviter que viennent tes ennemis. Puis tu souffles avec force, à droite, à gauche, pour qu’Ajutap sente l’arôme. Au moment de souffler, tu ne dois penser à rien si ce n’est à Ajutap. Tu appelles, mais pour toi [en silence], car tu possèdes la plante [l’ayahuasca ; dans ton corps] et que tu vas chanter. Tu te concentres sur cet Ajutap [qui doit venir].
[…]
Ajutap entre alors dans ton corps avec sa parole, comme une bénédiction. Son pouvoir entre ainsi, par ces trois points que sont la tête, les mains et les pieds, avec sa parole. Et il reste comme une bénédiction.
L’état consécutif à l’épuration corporelle à la suite de l’ingestion de l’ayahuasca est appelé pegkejamu ou encore iwajamu, « être propre, beau, lumineux », « être paré » aussi, avec l’idée concomitante d’être iwaaku, « réveillé, vif ». L’intoxication rituelle est une pratique de l’attention au sens étymologique « de tendre vers quelque chose », une « at-tension ». Associée à l’acquisition d’un énoncé, elle favorise un élan vital, disposition nécessaire au chasseur comme au guerrier pour être tajimat, « avoir en abondance » et « acquérir un futur » (nagkaemaktin). Disposition nécessaire aussi pour se préserver d’une morsure de serpent, d’un iwanch, d’un chamane ou d’un ennemi (shiwag) par opposition à l’allié (shuag). Pour ne pas être surpris, c’est-à-dire être pris dans ce qui les définit : venin, cauchemar, juak, fureur guerrière ou honte. Disposition nécessaire donc pour appréhender son environnement avec clarté, un état d’attention dans un sens plus restrictif d’état d’éveil ou d’alerte (aneaku).
La honte (datsagbau), transmise par la moquerie ou dans un vif échange, comme la peur (tapikbau) chez l’enfant, parfois transmise par l’intermédiaire d’un parent et fort différente dans son étiologie du susto, forment une vaste catégorie nosologique dite dapu, les maladies contagieuses, celles qui passent d’une personne ou d’un animal à une personne, la tourmentent ou la rongent (dapujut). Les techniques thérapeutiques mêlent souffle (umpuajamu)[5], chant et quelques plantes, dont le tapij[6], le piment (jima) et divers pijipig (Cyperus spp.).
Le tapikbau, c’est quand le bébé, avant un an […]. Parfois une forte odeur, celle d’un renard ou d’un vautour, ou parce qu’il a croisé la trace d’un serpent (dapi) sur le sol, l’enfant fait le dapumu. Il est contaminé par contagion, avec l’odeur seulement. Il commence alors à pleurer, à pleurer. Les parents se rendent alors compte. Il y a alors une personne qui guérit ça, avec un peu de gingembre ou de piment dans un peu d’eau. Il fait le esasaktu, c’est le rythme. Il fait le iwishjamu, c’est-à-dire qu’il chante sur l’eau [mélangée] avec son petit piment [à l’exemple du chamane sur l’ayahuasca], pas trop piquant pour le bébé.
Isela
La notion de « contagion » est utilisée dans le discours pour décrire, et l’ivresse psychotrope (utsujatbau, littéralement « ce qui est contagieux »), et la transmission du pouvoir (juak) du chamane instructeur à l’apprenti, « infecté » (utsumjamu). De façon cohérente, le « rythme » chanté (esasaktu) au petit matin pour couper l’effet de l’ayahuasca chez la personne qui n’est pas chamane, l’est aussi pour « faire passer la peur » ou enlever le pouvoir d’une chose (mayumat) ; seuls les mots différeront.
Je ne saurais être complet sans évoquer les usages récents de l’ayahuasca. Les Awajun lui reconnaissent, à condition de « raffiner » la décoction, une action efficace dans quelques maladies modernes ou considérées comme telles : le susto ; une douleur aiguë à l’estomac, qu’ils appellent gastrite hémorragique ou ulcère, voire cancer ; le diabète ; et le sida. Dans le cas d’un « cancer », l’ayahuasca est administré seul ou en association à d’autres plantes comme le yampak (Clavija sp., Theophrastaceae) ; dans celui du sida, la recette notée comprend aussi ushu (Caladium sp., Araceae), sacha caña (Costus sp.), sansa (une liane, non déterminée) et miel.
Seulement en cas de plaies au niveau de la paroi de l’estomac. Comment ? Jette le datem concentré sur de l’herbe, il la brûle. Il la brûle comme le ferait de l’essence, mais à cela près qu’il donne à l’herbe une couleur chocolat. Le datem concentré, bu par le malade, recouvre d’une couche les plaies de l’estomac. Il provoque leur cicatrisation, puis leur disparition. Le malade doit boire la préparation, une, deux, trois fois pour être guéri.
[Walter donne ensuite un exemple, selon un thème récurrent dans les discours des guérisseurs sud-américains :]
J’ai ainsi guéri mon père du cancer de l’estomac. Deux heures après avoir mangé, il rejetait tout. Il est allé à Lima. Là, ils l’examinèrent et diagnostiquèrent un cancer de l’estomac. Je retrouvais aussi du sang dans ces selles. Il ne gardait pas la nourriture et avait la diarrhée. Les médecins dirent qu’il fallait coupait un morceau pour extraire le cancer puis recoudre l’estomac. « Ils sont fous », dis-je. J’ai ramené mon père à la maison. Il voulait l’interner pour l’opérer. Je me suis sauvé avec mon père. Et une fois chez nous, je l’ai soigné avec le datem.
Devenir chamane
Plante médicinale, purgative, visionnaire et participant de la construction de la personne, l’ayahuasca, qu’il s’agisse de la liane seule à haute dose ou du mélange à petite dose, produit une ivresse, le fait de ne pouvoir tenir sur ses jambes, d’avoir comme un mal de mer (mareado, en espagnol régional). « Et la terre commence à bouger comme l’océan, elle est parcourue de vagues. Parfois aussi, un arbre géant tombe comme s’il voulait t’écraser. Tu prends alors conscience que l’ivresse s’empare de toi », raconte Walter. L’ivresse, poursuit-il, est produite par le murmure, le chant de l’esprit végétal, tandis qu’il se tient invisible dans le dos de la personne… datema aentsi ukunum chichau… tii tii… tiiii tiiiiii. Elle entre et prend possession du corps par le sommet du crâne, « là où les cheveux dessinent un tourbillon ». Ce point est appelé aussi bien chichibuuk, littéralement « crâne serpentin », il est une porte d’entrée corporelle pour la lumière fortifiante (chichiit) du soleil[7], de celle qui aide à se renouveler (chichiitai) ; epemush, un terme qui désigne la feuille qui couvre l’ichinak, ce grand récipient dans lequel fermente le manioc pour devenir bière (nijamanch) ; ou encore muyuna (du quechua muyu-, « tourner »), « tourbillonner, éprouver des vertiges »[8]. Walter explique :
Tu prends une gorgée, et tu souffles à droite, à gauche, vers le haut. Tu prends un peu [avec tes doigts] et tu le mets là [sur le sommet de ton crâne]. Car de cet endroit, de tout le corps, va sortir la force enivrante et protectrice. Tu souffles ainsi, comme pour te laver. Tu souffles ici, sur la poitrine. Tu souffles ainsi, pour que la plante présente dans ton corps se réveille. Pour cela, je suis aidé par mes Ajutap et les anciens, puissants guerriers de leur vivant. Tu dois te concentrer, invoquer chacun par son nom, demander qu’ils t’aident toi et ceux qui vont boire. C’est automatique. Tu transmets cette force qui entre [par le sommet du crâne]. Elle sort de ta bouche et s’enlace à l’ivresse de la personne, la transportant [dans l’espace]. C’est comme une danse et la personne, elle, elle rencontre ce qu’elle cherche.
En awajun, deux termes notent l’ivresse psychotrope : kajeámu ou nampeamu. Le premier renvoie tout à la fois à la colère, la rage, la fureur (kajéamu, selon la position de l’accentuation) et au fermenté (kajiau), à cette fermentation de la plante dans le corps. Si celle-ci produit une augmentation de la température corporelle et une ivresse, elle favorise ainsi un état de rêve (kaja), l’accès au statut de courageux (kakajam) ou, à l’opposé, un état de torpeur et d’abattement (kajakajak). La ou le visionnaire, celle ou celui qui est allé-e en quête d’Ajutap, est appelé-e kajintin, « celle ou celui qui possède un rêve », celle ou celui qu’on écoute (chichamtin), car sa parole est forte comme l’est le courant du fleuve (chichijam). À l’inverse, la personne incapable de maîtriser l’expérience suffoque (kijat) à se noyer de percepts lumineux et sonores en métamorphose constante. De fait, dans l’épistémologie chamanique, ceux-ci disent la transformation passagère et dangereuse de la personne intoxiquée, le devenir chamane (yapajinat) comme le devenir esprit. Le second terme renvoie à une danse (nampeamu), le fait de tourner. Le terme, dérivé du verbe nampet, « être saoul[9] », est utilisé pour décrire aussi bien les effets de la bière de manioc que ceux de l’ayahuasca. Par le passé, le visage détaché du crâne (après l’expédition guerrière), séché et paré, était l’objet d’un traitement rituel complexe (nampeg), dans le dessein de détourner l’esprit du chemin des morts afin de l’attacher à un nouveau territoire. Dans la fête organisée (nampejam), « les gens dansaient devant le kujak, assis là, hommes et femmes dansaient plusieurs jours en cercle, d’avant en arrière, rétrécissant et agrandissant successivement le cercle[10] » (Walter). Le kujak, celui qui avait alors mené l’expédition, n’était reconnu comme tel qu’à l’aune de sa familiarisation avec l’invisible, c’est-à-dire de la qualité de ses visions (Baud, 2011). Cette idée, maintes fois évoquée par les anciens (muun) dans nos échanges, souligne combien, au sein de la société awajun, les registres de la guerre et du spirituel étaient imbriqués. C’était aussi vrai des pratiques chamaniques.
Si l’ivresse s’avère trop forte, si la personne se désespère ou suffoque d’images, celle ou celui qui en a la capacité, acquise auprès d’un-e aîné-e, crachote de l’eau fraîche (après l’avoir préalablement mis en bouche) sur le sommet du crâne ; un agir dit yumigkit (de yumi, eau), « bénir ou maudire quelqu’un ». Walter raconte :
Mon oncle m’enseigna ceci. Pour couper [les effets] de celui qui est très ivre, il faut souffler. Cela coupe l’ivresse. Seulement ça. Il faut souffler sur le haut du crâne parce que c’est par là qu’entre l’énergie. Là, où les cheveux dessinent une spirale, entre l’énergie du soleil, entre l’énergie de mes esprits. Aussi par les mains, par les pieds. Voilà pourquoi, quand nous autres nous donnons le datem, nous soufflons ici, sur la tête, ici sur les mains jointes et ici sur les pieds, car par là entre l’énergie, pour qu’elle entre plus facilement. Voilà le secret.
Une comparaison me permettra d’introduire la particularité du devenir chamane. Si l’ayahuasca, le mélange, appelé datem iwishnu umutai, « que boivent les chamanes », leur était réservé, faire sécher et fumer le tabac l’était tout aussi. De fait, il est habituel, et ça l’était plus encore hier, pour tout un chacun d’extraire le jus de quelques feuilles fraîches de tabac et de le mélanger à l’eau (yumi) d’une cascade en petite quantité ou à la salive (usuk). Le mélange est utilisé en application topique pour créer une carapace qui protège des agressions. Il est inhalé pour provoquer une légère ivresse propre à augmenter l’efficacité de l’anen. Enfin, il est ingéré par voie orale pour rencontrer Ajutap. Tout autrement, le chamane place les feuilles de tabac au soleil pour qu’elles « pleurent » (tsaag apapeamu) et sèchent. Pour qu’elles deviennent autres dans un « en-cours » d’une métamorphose transitoire. Il « place simplement le tabac au soleil pour qu’il en reçoive la force… iwishnug tsaagku dukenak etsanum apugdai senchijin jujuktatus ». Les feuilles sèches pourront alors être fumées ou réhydratées du juak du chamane instructeur dans le processus de transmission du pouvoir chamanique. Dans ce cadre, le mélange apparaît comme substrat du juak (celui du futur chamane) et matrice des tsentsak (introduits dans le corps de l’apprenti à l’aide de la fumée de tabac soufflée sur celui-ci). De même que ce double processus équivaut à une transformation du tabac, alors à même de métamorphoser un humain, l’apprentissage chamanique tend non pas vers une transformation complète, mais un « en-cours » d’une métamorphose transitoire » (Deshayes, 2013), dont le paroxysme, le devenir esprit, est (favorisé par) l’ingestion de l’ayahuasca lors de la cure. La condition de chamane pour reprendre l’expression de Patrick Deshayes (2013), « constitue bien un devenir. Ce devenir est réversible et l’on n’est chamane que le temps de ce devenir ».
C’est sur la capacité à « maîtriser » l’expérience personnelle et publique contre-intuitive de « se transformer », de devenir un autre en soi-même, que repose la position extra-ordinaire du chamane matsigenka […]. Le chamane disparaît aux yeux des non-initiés, puisqu’il se transforme (ipegatakera) en saankarite, en scintillant d’abord, puis en devenant translucide (Arias, 2018, p. 354). Semblablement, le chamane awajun ingère l’ayahuasca, le mélange, pour atteindre à la transparence du monde (tsaaptin), parfois décrite comme un transport dans un ailleurs, l’espace (nayaim), « de l’autre côté » (yaja). Il perçoit alors au-delà de l’opacité des corps comme de la lumière. Il perçoit le normalement invisible : les dards incrustés sous la peau, les esprits qui les « portent » et leur propriétaire (tunchi) qui apparaît dans la vision comme une personne (aentsmaga) ; comme la santé d’un parent éloigné, le futur ou le monde subaquatique de Tsugki[11]. Fait intéressant au regard des pratiques actuelles autour de l’ayahuasca, le chamane n’était autorisé à ingérer le mélange qu’après un long apprentissage et une nécessaire expérience initiatique. Semblablement, si tout un chacun peut s’intoxiquer, il n’en est pas pour autant chamane, c’est-à-dire à même de partager une identité avec les esprits.
L’apprentissage est caractérisé par un état continuel de somnolence, induit par un isolement social, une inactivité, des proscriptions alimentaires (ijagmamu), olfactives et sexuelles[12] et la fumée du tabac inhalée à haute dose. Il est un état de paralysie provoqué par la transmission du pouvoir, une lente familiarisation réciproque entre un humain et un non humain, c’est-à-dire la quête d’un état d’équilibre corporel avec ces substances chamaniques que sont tabac et juak, qui fermentent de longues semaines dans l’estomac. L’expérience est différemment appréhendée : pour le collectif, cette apathie consécutive de la « souillure du corps » est contraire à la norme sociale (Baud, 2019) ; pour le candidat chamane, elle est l’acquisition d’une double appartenance, donnée entre autres idées par celle d’une épouse spirituelle (Tsugki). Le besoin de fumer continuellement place immanquablement la personne du côté de ces êtres affamés, sans vitalité, sans mémoire aussi, une « chose sèche » (jujuju)[13]… que l’ayahuasca, le mélange, « revitalisera » au moment du rituel. Ce faisant, le chamane brille et accède, au-delà de la lumière, à la transparence du monde. Cet état particulier et transitoire, qui fait suite à un long cheminement marqué de guets ou présences d’esprit, est un seuil à franchir, une phase (au sens étymologique du terme, « faire briller, rendre visible ») dans l’expérience. Il est un trouble de la présence qui non seulement appelle une mise en ordre, mais autorise aussi une « auto-différence », propriété caractéristique de la notion d’esprit (Viveiros de Castro, 2009, p. 33), c’est-à-dire de ce qui est à même d’être transformé. Le chant contribue ainsi à construire aux yeux des participants au rituel un énonciateur paradoxal, multiple aussi.
À la fin de l’apprentissage, le chamane instructeur lave son élève amaigri et lui coupe les cheveux. Puis, il l’emmène auprès d’un malade et l’autorise à prendre le mélange concentré des deux malpighiacées. Luis (iwishin, Imaza) raconte :
« Maintenant que je t’ai enseigné à chanter, montre-moi ! Guéris cette personne ! » Le maître, celui qui sait (pamuk), souhaite une preuve. J’ai alors bu l’amer (yapau) et commencé à chanter [c’est-à-dire, dans un même mouvement, donner à percevoir son expérience intérieure et à animer le monde],
Wii wi wi wii minajai wii minajai waa waa waa, Moi, moi, moi, moi, je viens, moi je viens, waa, waa, waa[14]
Yamagbauchi tsentsakaa asanu dakugkuta, Comme une nouvelle fléchette (je viens) joyeux
Kantamkinu iwagkinu minajai, Chantant et plaisantant je viens
Etsa uchiji asanuwa iwagkinu, Comme le fils de Soleil, plaisantant
Etsa pagkasa diitaigkama imbauchi, Ainsi (je viens) comme le soleil qu’on ne peut regarder
Etsa uchuchiji asanuwa, (Car) je suis un petit soleil
Wii minajai, Je viens
Nugkui uchuji asanuwa kantamkinu, Comme le fils de Nugkui, chantant
Wii minajai wii minajai wa wa wa waa waa wa wa waa, Moi je viens, moi je viens, wa wa wa waa
Tikis iwishin tujinkamunash, Ce que les autres chamanes n’ont pu (réaliser)
Wii yamagbauchi asanu tujinchauwaitan, Moi parce que je suis nouveau, j’en suis capable
Wajuk chichagka aputusbaukita, Comme la parole de mort [la malédiction ; par opposition à la bénédiction d’Ajutap] a été jetée
Imagnasha aintsanu jujuwaita waa wa wa waa wii wi wi wii, Tranquillement moi, comme personne, je l’extrais [littéralement « je la sèche » : il lui enlève sa vitalité, c’est-à-dire qu’il coupe le fil qui la relie au tunchi]
…
[Walter, témoin privilégié des cures d’antan, poursuit :]
Arrive l’esprit… Il appelle l’anaconda. Il appelle le jaguar. Il les appelle tous, et tous viennent. Il peut alors poser le diagnostic et opérer, c’est-à-dire extraire le mal par la succion. Et s’il guérit le malade, son instructeur le déclare iwishin… Quand le chamane t’invite à boire le datem, il te dit : « Regarde-moi ! Regarde le malade ! » Toi, tu es derrière lui, portant ton regard sur ce qu’il t’invite à voir. Ainsi, quand il chante le caïman, il est là, assis à ses côtés, et ensemble, ils plongent dans les lagunes…
La cure
Le chamane ou iwishin était appelé Etsa uchiji, « fils de Soleil », car précise Marcos, « il illumine le monde entier. Car il se sent comme fils de Soleil, avec son ingestion [de l’ayahuasca] et à ouvrir les yeux, personne ne se cache ». Soleil, dans la mythologie awajun, « maudit (yumigkit)[15] et prive les plantes et les animaux de la parole (de leur forme humaine) », du moins en apparence, puisque l’intoxication rituelle donne accès à la transparence éclatante du monde, à cet au-delà de la lumière solaire aveuglante[16]. La métaphore dit aussi le fait d’être piquant, de darder de tsentsak lumineuses et rayonnantes. La réussite de la première cure atteste de la capacité du nouvel iwishin à se transformer (yapajinat), à « changer de vêtement » (yapagmamat) pour se vêtir d’épines ou tsentsak hérissées comme l’est le coendou – être tsaja, « piquant ». Tout à la fois darder, briller, être sur ses gardes, alerte, car l’ennemi (shiwag), n’est jamais bien loin. De même qu’Ajutap dresse l’oreille aux premières mélodies et l’attention aux premiers arômes de cuisson de l’ayahuasca, le chamane ennemi s’anime aux premiers mots du chant de guérison.
Ils me cherchent, ils me cherchent… Où est-il ? Où est-il ? Assis dans la maloca, ils me cherchent. Sous la terre… ssssss. Rien. Dans le fleuve… ssssss. Rien. Dans la lagune… ssssss. Rien. Dans l’espace… ssssss. Rien. Moi je demeurais caché, sortant parfois la tête du tronc [de l’arbre mente ou lupuna, par le sommet] pour m’y cacher aussi promptement [et attendre le moment propice pour agir]. J’étais coiffé d’un casque protecteur pour que les sorciers [tunchi] ne puissent entrer.
Walter
La cure débute après le coucher du soleil, la nuit favorisant la perception dans le corps des dards pathogènes, ces objets lumineux (tsaaptin, « ce qui est transparent »). Avant de boire le datem wainmatai, le datem pour « voir ce qui est invisible », le datem mélangé au yaji[17], le chamane crachote le breuvage sur sa poitrine « pour se cacher de ses ennemis », puis avec force, à droite et à gauche, afin que ses esprits auxiliaires (pasuk) perçoivent l’arôme du breuvage. Le bourdonnement entendu par celui qui est ivre de l’ayahuasca, est la vibration qu’émettent les tsentsak réveillées, lorsqu’elles entrent en résonnance avec son chant (iwishtut)… à moins que le chamane ne préfère les siffler, « comme une flèche qui cherche son ennemi », manière aussi de tromper l’ennemi. Le chamane, « celui qui chante sur un liquide », convoque ainsi un à un ses esprits auxiliaires, à l’apparence multiple – animaux, végétaux et artefacts peuplant son environnement. Chacun à sa fonction. Attaquer ou protéger ; aider à voir l’anormalement lumineux ou à se cacher d’un chamane ; etc. Ceux à la personnalité marquée, prototype de la subjectivité prédatrice habitant le guerrier (Taylor, 2003), s’assoient à ses côtés – « moi, moi, moi, avec Tsugki je suis assis… ». Les autres se logent dans sa poitrine afin de l’assister, ceux du tunchi ennemi ayant la charge de protéger les fléchettes homonymes voyageant enveloppées dans la fumée du tabac (tsaag) pour s’incruster dans le corps malade.
Jaah, onomatopée pour dire l’expire profond
Wi wii witjai, Moi, moi, (je suis) avec moi (c’est-à-dire concentré)
Jeh jeh jeh jeh jaah, idéophone, rythme le chant, pour dire l’admiration ou dévoiler une anecdote
Wii wi wi wi wi wii wiitjai wi wii wii
Wa wa wa wa waa waa, idéophone pour dire ici le gémissement, c’est-à-dire le fait d’être pris par l’ivresse
Wau wapja wa wa, idem
Wi wi wi wi wii wi wii wi wii wi wii wi
Jagkiyaa tsentsajuan, Fléchette épineuse
Wau wapja wauja wa wa wa wa wapja
Waa wa wau wa wa wau waupja waa wa
Wi wi wi wi wii wi
Dupaa tsentsajuan tsuajatnuchin, Fléchette herbe pour guérir
Dapii tsentsajuan, Fléchette couleuvre
Tampugmamu tsentsajuan tenteg teen tenteg, Fléchette tambour, tenteg teen tenteg (son du tambour ; tente, « rond, circulaire »)
Piampianu tsentsajuan, Fléchette chevalier grivelé (piampia, Actitis macularius)
Samiknuna tsentsajuan kina kina tuu, Fléchette samiknun (Macrolobiumacaciifolium, Fabaceae) brille brille (onomatopée indiquant la brillance d’une chose)
Teejasha tsentsajuan, Fléchette cassique cul-jaune (paucarcillo, Cacicus cela)
Aneakutishaam wakanchijiyaam, Toujours alerte en son esprit
Waitkashminaitjai emm, (C’est) pour cela que je suis difficile à voir
Kujujuwa tsentsajuan anchia anchia niiiiim, Fléchette coendou (Coendou bicolor), hérissée, sur tes gardes, regardant
Tuunamataiyai chichakbaunashaa, maux causés, énoncés (avec cette idée de diffusion, de contagion, comme dans le dapu, de transformation, d’un devenir autre ; Deshayes, 2013)
Esasaktuu awagdai tajai, Je dis que j’efface tout
Imanuwa imanun, Ainsi est-ce, ainsi est-ce
Tout en « chantant avec force », nii senchi cantamui, le chamane agite un hochet fait de feuilles fraîches (Pariana sp., Poaceae), appelé sampi ou shashag. Celui-ci joue plusieurs rôles : rythmer le chant ; évoquer le bruissement du vent dans les arbres ou la pluie fine tropicale, c’est-à-dire accroître[18] ou diminuer l’ivresse ; passé sur le corps (conjointement avec la fumée du tabac soufflée sur le corps), il a pour rôle d’affaiblir et d’étourdir les tsentsak incrustés, facilitant ainsi leur extraction ; enfin, un peu comme une raquette de ping-pong, il permet à l’iwishin d’écarter des participants les fléchettes ennemies sifflant dans l’air pendant la cure. Le hochet sera accroché à un arbre à la fin de la cure, puisqu’il aura « porté des esprits puissants ». Après avoir longuement chanté, le chamane procède à l’extraction des dards pathogènes, par la technique classique de la succion (bukunat en awajun ; chupar en espagnol régional). Bukunat signifie précisément « fumer ; absorber », donc aussi « extraire les dards pathogènes du corps du malade par la succion, les lèvres posées sur la partie douloureuse », les rendre « sec » (buku), sans vitalité (Marcos). Ce faisant, le chamane coupe le fil invisible (tijig tsentsakai tsupiajai) qui rattache les dards à leur propriétaire (tunchi), puis les jette dans le feu (iwishin ajapjue dutikam tsagaje) pour soigner la personne ; en aucune manière il les fait siens (ils le tueraient) ou les renvoie à leur propriétaire (qui les réincorporait à son arsenal agressif)[19].
Discours métaphoriques décrivant son expérience spirituelle, interprétation particulière et sensible des paysages enveloppant les participants au rituel, paroles apprises lors de son initiation ou circonstanciées sont autant d’images que le chamane module longuement. À travers ses chants et ses gestes, celui-ci cherche à influencer les événements et les personnes pour induire le changement thérapeutique, selon un modèle de comportement partagé. À l’exemple des anen qui structurent l’expérience intérieure de la personne qui les module dans l’intimité, au jardin, à la chasse ou dans l’attente d’Ajutap, les iwishtut chantés par le chamane structurent celle du malade et de sa parentèle. Les uns comme les autres favorisent une expérience, au travers de laquelle la personne ordonne sa pensée et l’oriente par et vers des images qui évoquent favorablement la réussite de l’activité entreprise, ici le fait d’« avoir en abondance » (tajimat), là la guérison (tsuwamamu).
Nouvelles pratiques
Avant d’aller à la guerre, les anciens se concentraient, méditaient, passaient la plante sur leur corps avant de se coucher. Ils savaient ainsi ce qui allait arriver. Voilà la manière de faire avec les plantes, voilà la manière de demander. L’Awajun aujourd’hui est faible parce qu’il ne prend plus les plantes. Heureusement qu’il peut encore compter sur son héritage… mais pour combien de temps le sang des anciens guerriers coulera encore dans ses veines ?
Walter
Les premières incursions espagnoles datent de 1549 ; les premières missions jésuites, sans lendemain, de 1638[20]. En 1925, l’église du Nazaréen (mission protestante) s’établit en territoire awajun ; en 1949, c’est une mission jésuite, sur le Chiriacu. En 1948, l’école bilingue arrive à Nazareth, avant d’être généralisée à l’ensemble de la région dans les années 1970. Les premiers établissements relèvent de l’Institut Linguistique d’Été, mission protestante nord-américaine qui procède dès 1946 à l’alphabétisation des populations amérindiennes, sous les auspices du ministère péruvien de l’Éducation, quoique limitée à la traduction en espagnol d’un vocabulaire de base et de textes religieux dans le dessein d’une politique d’assimilation. En raison de son caractère prosélyte, d’un discours violent et stigmatisant, l’école a joué un rôle fondamental dans l’abandon de pratiques au fondement du lien social. Avec l’oeuvre missionnaire, elle a découragé, parfois prohibé, tout usage de boissons enivrantes, les qualifiant de « diaboliques ». Pour Isabel, « ils interdirent aux gens de boire et ont su insuffler cette peur », celle des débordements anomiques, parfois marqués par l’effroi que ces substances ne manquent pas de provoquer. Les chamanes sont rendus responsables des conflits (alors qu’ils n’en étaient que l’expression) entre noyaux endogames et groupes locaux, qui jouent aujourd’hui encore un rôle important d’inclusion (Baud, 2016a). Ils deviennent des sorciers (wawek). Ils sont marginalisés, tués ou obligés d’abandonner leur pratique et/ou leur communauté pour s’installer ailleurs, en milieu urbain, voire hors du territoire awajun.
Avec la destruction des institutions traditionnelles de gestion de l’aléatoire et de réparation de l’infortune par la colonisation espagnole, les discours missionnaires successifs et l’intégration dans la société nationale péruvienne (Baud, 2016a) ; avec la détérioration du processus de transmission intergénérationnelle et les séjours hors du territoire awajun pour des motifs économiques ou politiques, la praxis chamanique se transforme. Aux pratiques ayahuasqueras se substituent des gestes et techniques exotiques : « nettoyages énergétiques » à l’aide de cannes et parfums ; bains de vapeur et « enveloppements végétaux », thérapeutiques ou protecteurs, à l’aide de plantes nouvellement entrées dans la pharmacopée. Je mentionnerais, Petiveria alliacea (Phytolaccaceae), communément appelé mucurahembra et macho, pour « lever la malchance » ou « nettoyer d’une sorcellerie » ; Xanthosoma sp. et Dieffenbachia sp. (Araceae), respectivement Daniel et David, du nom des prophètes bibliques, avec des propriétés identiques, les plantes enveloppant parfois le malade couché sur un drap blanc. Leur contact, quelle qu’en soit la préparation, « diffuse » alors vers la personne (en accord avec une représentation partagée en Amazonie occidentale) les qualités remarquables que les Awajun leur reconnaissent : pour acquérir habilités et « forger la personnalité » (Valadeau, 2018 ; à propos des Yánesha) ; pour se préserver de ou enlever la honte, la sorcellerie, le susto. Pratiques et représentations contemporaines apparaissent cependant à l’ethnologue comme originales et « bricolées » au sens que donne Roger Bastide (1970) à ce terme.
En novembre 2018, lorsque nous arrivons chez Fermin en fin d’après-midi, il fait encore jour[21]. Celui-ci est déjà sous l’emprise de l’alcool de canne à sucre qu’il a ingurgité durant toute la journée. Ses propos sont confus, tout comme ses gestes tandis qu’il tire d’un seau différents objets pour les lancer sur une table – parfums (agua florida, agua de cananga, de susto, de siete espiritu, parfum tabu), canne en bois, figurines métalliques, etc. Au hasard de gestes à l’apparence désordonnée, le jeune chamane nous serre la main très régulièrement, sifflote, hoquette, pousse râles et interjections – Tsau, tsau, tsau ! Oh, oh, oh ![22] –, attrape deux cannes qu’il brandit à l’horizontale devant lui, face à un ennemi invisible. Il avance de quelques pas en tapant des pieds lourdement et finit par des vociférations pour éloigner l’assaillant. Il fait alors volte-face pour brandir un ocarina duquel sortent quelques sons sans mélodie. Il repart à l’autre bout de la cour, revient sur ses pas, prend un hochet de feuilles qu’il manipule en gestes brusques tout autour des personnes présentes :
C’est mon travail [sa pratique, son pouvoir aussi]… J’ai des ennemis, sont-ils là ? À moi, ils m’envient mes ennemis. Ils peuvent me tuer… Regarde ! Regarde ! Comment est-ce ? Sont-ils là ? Peints ? Ne viennent-ils pas me tuer ? Mon travail me suit. […] Tu vois ma couronne [lumineuse]. Tu la vois. Elle brille. Elle dit ma force.
Ce qui distingue pleinement le rituel de ce « fils de Soleil » de celui de ses aînés, c’est l’interpellation faite aux personnes présentes, ivres de l’ayahuasca, de raconter ce qu’elles voient : « Parle ! Parle maintenant, parce que mon ayahuasca veut parler. Elle veut écouter. Quand tu ne parles pas, je n’écoute pas. Ce n’est pas ainsi. Parle ! Avec quelles pensées as-tu bu. Avec quelles visions ? Quelles idées ? »
Est-il pertinent définir ce qui joue en termes de chamanisme, au sens que je lui donne dans la société awajun (Baud, 2019), alors que Fermin ne s’est pas intoxiqué d’ayahuasca, mais seulement d’alcool de canne à sucre et de fumée du tabac ; alors que le chant entonné est bref, comme un souvenir des longs chants répétitifs[23] et des combats invisibles passés ; alors qu’il n’extrait du corps malade aucun dard, le rituel ayant pour fonction d’ouvrir la parole du patient, de lui permettre de dire ses maux et leur auteur ? Certes, dans un contexte qui ne lui est pas favorable, ce sont autant d’astuces pour se prémunir d’une accusation de sorcellerie, tout comme l’est la présentation d’une attestation de « bonne pratique » écrite par la milice locale. Mais à trop innover et à se garder de toute métamorphose passagère et dangereuse, est-il seulement possible de parler chez Fermin d’un devenir chamane[24] ? D’une capacité à voir au-delà des apparences à l’instar de ses aînés ? La réponse à cette question n’est pas aussi nette qu’elle y paraît dans le récit. De fait, l’identification entre « son » ayahuasca et sa personne – « Elle veut écouter […], je n’écoute pas » – ne rappelle telle pas la possession du pasuk et le surgissement d’un autre de soi, de l’alliance chamanique ? Fort différemment, Eucebio, qui est né dans une famille de chamanes (ses grands oncles, son arrière-grand-père), sans être chamane lui-même, sans rituel, ni chant, « donne la plante […], la dose selon la maladie, [car] c’est la plante qui guérit » : le gingembre, le datem non concentré, l’ayahuasca (le mélange), le baikua aussi. Il sait la préparer, créer le cadre adéquat et surtout veiller sur la ou les personnes. De fait, il maîtrise nombre de gestes, appris de son père, Walter, médecin herboriste, qui lui-même les tenait de ses oncles, pour diminuer l’ivresse, l’arrêter si nécessaire, apaiser le corps ou la personne qui panique, l’aider à sortir de son obsession ou de son enfer.
Le chamanisme awajun est aujourd’hui éclaté en une pléthore de spécialistes, qui investissent des pratiques ayahuasqueras perdues à partir d’éléments empruntés aux guérisseurs andins, aux ayahuasqueros d’Iquitos, aux chamanes shipibo ou ashaninka, comme aux discours des églises chrétiennes ou à la biomédecine. Dans une démarche classificatoire, toute ethnologique, je distinguerais deux groupes de praticiens, en fonction des pratiques observées et des récits de vie, portant notamment sur l’apprentissage. Selon les personnes, l’instructeur sera professeur dans une école dite de « médecine traditionnelle » ou de « santé interculturelle » ; guérisseur des hautes terres de Huancabamba ou Ayabaca ; néochamane international[25], dont la pratique et le discours – cette insistance à se rattacher à une société amérindienne –, de Cuzco à Mexico, le rattachent à un même ensemble homogène de praticiens (Galinier et Molinié, 2006 ; Baud, 2016b ; 2017). Les premiers se désignent comme vegetalista, dupayai tsuajatin, « celui qui soigne avec la plante (herbacée) » ou encore ajakai tsuajatin (de ajak, la graine, la plante semée ou bouturée). Je les appelle « médecins herboristes ». Ils administrent par voie orale ou topique macérations et décoctions, qui nettoient, chassent le mal et la malchance, soignent, pansent, etc. Leur savoir-faire, à l’exemple de Walter, est la transformation des savoirs féminins en un savoir spécialisé ; à l’exemple de Carlos (78 ans, Santa Maria de Nieva), a été acquis auprès de guérisseurs ashaninka, professeurs dans une école. Les seconds se présentent comme curandero, voire iwishin. Ils utilisent une mesa, un ensemble d’« objets de pouvoirs », semblable à un autel, déposés sur le sol en vue de leur utilisation dans les rituels thérapeutiques (Baud, 2016b). Ils tiennent leur savoir-faire de guérisseurs cocama, à l’exemple de Fermin (par l’intermédiaire de son frère Luis), ou andins à l’exemple de Wilner (yamajam iwishin, Santa Maria de Nieva).
Ces praticiens ont en commun de donner l’ayahuasca à leurs patients, contrairement à leurs aînés, contrairement à une époque pas si lointaine où le mélange était « interdit à ceux qui n’étaient pas chamanes, à ceux qui n’avaient pas préparé leur corps et leurs pensées » (Yegbai) par un long et difficile apprentissage auprès d’un chamane en fonction. Ils donnent à boire l’ayahuasca avant d’effectuer passes et autres gestes pour expulser le mal du corps malade pour les seconds ; après avoir « nettoyé et fortifié le corps » (Carlos) à l’aide de décoctions végétales et de bains de vapeur pour les premiers. Ils donnent l’ayahuasca pour amener la personne à « voir » et à « raconter » son mal-être ; à dénoncer aussi le sorcier, dont l’image silencieuse (wakan bitatu), se superpose alors dans l’ivresse à la figure du guérisseur. Leur « rôle est d’offrir au malade la stimulation de la présence d’autrui, on pourrait presque dire la provocation, afin que le malade puisse investir cet « autre » anonyme avec toute l’hostilité dont il se sent inspiré », pour reprendre Claude Lévi-Strauss (1956, p. 10). En somme, l’ayahuasca, le mélange, n’est plus ingéré aujourd’hui par le chamane pour protéger sa parentèle ou voir l’objet pathogène dans le corps malade afin de l’extraire par la succion, mais par le patient, qui fait oeuvre d’abréaction « contre » le guérisseur-sorcier. À lui de « voir » et de « raconter ». En ce sens, l’ayahuasca est censé ouvrir les « portes de la perception » et favoriser la compréhension d’un mal-être sur le modèle des nouvelles spiritualités internationalisées.
Précisément, les pratiques chamaniques awajun actuelles s’inscrivent dans un contexte social fortement marqué par l’imaginaire sorcellaire. Le sorcier est celui qu’on accuse de tous les maux, le bouc émissaire, le gendre (dans un système matrilocal), l’autre dans un contexte de conflits entre noyaux endogames, de raréfaction des terres arables disponibles et de migrations économiques[26]. Hier, ces mêmes pratiques étaient un prolongement des conflits entre groupes locaux (niveau de l’alliance et de la solidarité chamanique), voire entre bassins fluviaux. Dans ce contexte, la personne devenait chamane pour protéger de toute agression spirituelle sa parentèle et un réseau d’alliances étendu. L’autre, le chamane ennemi, était « noirci » en ces termes : Il était celui qui se faisait seul, sans s’inscrire dans une lignée chamanique. Il était celui qui buvait l’ayahuasca, le mélange, sans être chamane, et se laissait attraper par l’intentionnalité prédatrice de la plante (Deshayes, 2013 ; Baud, 2019). Il était celui qui cherchait alors à nuire à autrui et deviendra « sorcier » avec l’influence grandissante des missions catholiques (Société missionnaire du Sacré-Coeur de Jésus) et des églises protestantes (églises du Nazaréen, Adventiste du septième jour, etc.). L’imaginaire sorcellaire a un sens moral, que n’avait pas le chamanisme « traditionnel ». Le sorcier est celui qui agit mal, par opposition au bon awajun. Pour Wilner, « avoir affaire à un sorcier, à un chamane, spirituellement comme disent les Évangélistes, c’est être dans le péché ». Lui, qui parsème ses rituels de passes à l’aide de cannes, de projections de liquides en tout genre et soigne au nom de Dieu, à l’origine du « pouvoir d’interpréter et de voir au plus profond de la personne », ne saurait être accusé de sorcellerie.
Or, si sa présence sur les bancs de l’église, l’attestation de « bonne pratique » de la milice locale ou le diplôme d’une l’école de médecine interculturelle aide à sortir de la représentation missionnaire, si bien ancrée aujourd’hui en territoire awajun, de diablerie, donc de sorcellerie, l’image de ces praticiens n’en est pas meilleure. Déconsidérés, voire méprisés en raison des malheurs et conflits qu’on leur attribue, ceux-ci sont perçus au mieux comme des charlatans, au pire comme des sorciers (wawek, tunchi ou brujo, terme entré dans le langage commun pour désigner le guérisseur hors du champ de la biomédecine), voire avec un brin d’ironie comme des « chamanes modernes » (yamajam iwishin). L’expression dit bien leur différence avec l’iwishin, cette façon aussi qu’ils ont de « mimer » les gestes de leurs aînés sans avoir été correctement initiés (Yegbai, dans une critique acerbe).
Quand le nouveau-né souffre du tapikbau, il est chanté [iwishjamu, icarado en espagnol régional] par celui [ou celle] qui a Ajutap. À l’instant même, il [ou elle]) guérit le nouveau-né de ses pleurs. Ce n’est pas comme le susto, quand l’enfant est effrayé [par quelque chose]. Le tapikbau, c’est quand le nouveau-né sent l’odeur, l’odeur d’un serpent, d’une sarigue (kujancham, Didelphis sp.). Là, n’entre pas en compte la peur (susto). Les enfants de cette génération peuvent souffrir du susto, aujourd’hui, avant non. Il n’y avait pas. Un enfant, pas un nouveau-né, dit « ah, ah… ». Ils l’emmènent alors au curandero… « Ah, il a le susto. Il a été effrayé ». Ils ne savent dire que ça ! « Un chien a voulu le mordre ou un iwanch l’enlever. » Alors le curandero dit : « Bien, avec [l’eau des] sept esprits, [des] bougies… » C’est des bêtises tout ça. Ça vient des métis. Ce sont des maladies des métis, comme les pratiques (d’ailleurs). Avant, il n’y avait pas. On l’a adopté [seentut, littéralement « s’accoutumer »]. Avant il n’y avait pas. Jamais ils ne connaissaient le susto. Quand un iwanch l’attrapait et l’emportait, là il lui transmettait l’odeur, une odeur désagréable. Alors, avec les feuilles de suu (Cecropia sp.), il était enfumé.
Gilberto, Nieva
[Ou encore :]
Ici, il n’y a plus d’iwishin… enfin s’il y en a, mais ils ont « castillanisé » la fonction, ils ont adopté le rythme [celui des chants] des métis, délaissant le rythme des anciens. Il y en a du côté du fleuve Santiago et du Morona. Ici, parmi les Awajun, il n’y en a pas. Il y a des sorciers qui font le mal, c’est pourquoi la majorité [des personnes affectées] va à Bagua, où [pratiquent] des métis. Ceux-ci font leur publicité par téléphone cellulaire. Ils appellent celui qui est malade… « Si, je suis libre. Viens maintenant, et apporte-moi le datem pour couper [le mal] ici. » Tu vois, c’est cela le business. Combien est-ce ? 800 soles. 1000 soles la cure [pour un revenu moyen mensuel, au niveau national, de 1600 soles ; bien inférieur en territoire awajun]. La prise d’ayahuasca, comme à Iquitos ou Tarapoto, ils l’ont commercialisée.
Walter
Un changement notable
Traditionnellement, si ce terme peut être pertinent, l’ayahuasca, le mélange, est exclusivement associé au devenir chamane, à sa pratique, au pouvoir juak-tsentsak, à cette capacité de « voir » et d’accéder à la transparence du monde. L’ayahuasca est un tsuak, une substance modificatrice d’un corps pensé d’abord dans la relation à l’autre, humain et non humains, d’un corps-sensible ou corps-relié. Il aide à voir la maladie au-delà de l’opacité du corps-matière, à en connaître la cause et à extraire les dards pathogènes (tsentsak) dans une recherche d’équilibre des relations, selon l’expression d’Eric Navet (2007), que les êtres humains entretiennent les uns avec les autres, au sein de chaque communauté et entre les communautés. Il participe d’une catégorie indigène, définie par les notions d’altérité et de prédation, de construction de soi et d’abondance. Du fait de la singularité de l’initiation et de l’agir chamanique, l’ayahuasca, le mélange, ne pouvait hier être conçu hors du champ thérapeutique et d’une pratique réparatrice des troubles individuels et sociaux. En ce sens, la praxis chamanique awajun consistait à préserver un état d’être caractérisé par une idée de complétude et d’abondance acquis par tout un chacun dans la rencontre avec Ajutap ; à protéger sa parentèle et ses alliés de toute agression chamanique, prolongement des conflits entre groupes locaux et des guerres entre bassins fluviaux. À travers l’intoxication rituelle, le chant qui l’accompagnait et sa complexité, en abréagissant pour le malade, le chamane inscrivait ce dernier dans la mémoire de conflits que la représentation de la souffrance préservait.
À partir des années 1970, les pratiques d’enivrement connaissent un changement notable. Avec le discours missionnaire, les rituels d’intoxication sont rejetés ; avec l’école et le désir de modernité, la quête visionnaire est abandonnée : dépréciées et privées de leur utilité première, la complexité, la richesse des pratiques ayahuasqueras se perd imperceptiblement. Peu accessible au tourisme par ailleurs, la société awajun n’est pas, contrairement à d’autres, confrontée à l’attrait occidental pour le breuvage à DMT. L’ayahuasca n’y est pas donc valorisé semblablement. Aujourd’hui, l’ayahuasca y est une « médecine », ampi, un terme quechua également usité pour dire le médicament allopathique acheté en pharmacie, un objet redouté aussi. Il est un recours face aux nouvelles maladies ou considérées comme telles. Il est un moyen, accessible à tou-te-s, pour voir ce qui est caché : le sorcier ou son avenir ; sans condition. Les pratiques ayahuasqueras actuelles, bricolées, innovantes, partagent avec d’autres la fonction de dévoiler le faiseur de trouble, de réparer le désordre (Hell, 1999) et de protéger de toute agression sorcellaire, de celles qui mettent en danger l’intégrité corporelle et la vie sociale. En faisant abréaction contre le guérisseur-sorcier, figure d’une société happée par un récit national, sa vision primitiviste et une attitude postcoloniale (Baud, 2016a), le malade dit ainsi son souci d’émancipation d’un devenir inexistant.
Bien que sa fonction usuelle, comme symbolique, soit moindre, l’ayahuasca n’est pas absent des pratiques contemporaines de gestion de l’aléatoire. La vision du monde awajun, comme celle de toute société à chamanes, laisse en effet peu de place à l’absurde. L’infortune et la maladie n’y relèvent pas de l’arbitraire, mais sont motivées par une intentionnalité humaine ou non humaine, la personne pouvant agir de manière ou d’une autre sur l’agent auquel est attribué cette intention. Si la réussite n’est pas assurée, il existe la possibilité, avec l’aide d’un guérisseur-sorcier, d’agir sur son sort, c’est-à-dire de « faire tourner la chance » (Fermin). Une telle conception laisse la latitude nécessaire au jeu interprétatif, et inscrit pleinement les pratiques ayahuasqueras d’aujourd’hui dans le « chamanisme », à la fois art politique et savoir-faire dont l’efficace vient de ce qu’il permet à la personne comme au collectif de donner un sens au malheur.
Parties annexes
Notes
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[1]
De même, l’hypothèse développée par l’auteur et selon laquelle seule la compréhension des mots articulés dans l’en-cours du chant permet de réaliser la cure est critiquable.
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[2]
Il est simultanément, et non successivement, dard-pouvoir dans l’estomac, enveloppe protectrice du corps (dans sa multiplicité), objet pathogène dans le corps malade, esprit sifflant quand il passe d’un corps à l’autre et chant qui l’agit dans le rituel… sans oublier ces autres existants : la fumée du tabac qui le transporte (qui véhicule l’intentionnalité chamanique), le juak qui en est la matrice et le hochet fait de feuilles, lequel est accroché à un arbre à la fin du rituel, car il a « porté des esprits puissants ».
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[3]
Il s’agit d’une herbe à odeur de coriandre, assez commune dans les villages, originaire des Antilles et d’Amérique centrale. Son huile essentielle renferme du 2-dodecen 1-al et de l’acide caprique (Grenand et al., 2004).
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[4]
Si le terme pegkeg utilisé ici est communément traduit par « beau », il exprime précisément l’idée d’être correctement (selon la norme sociale), dynamique et pleinement ce pourquoi la personne est faite. Par opposition, l’intoxication psychotrope, si elle n’est pas coupée, se prolonge et entraîne une apathie, contraire d’un état sain (jaachu).
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[5]
La personne souffle dans la bouche pour la honte ; sur le sommet du crâne, « là où les cheveux dessinent un tourbillon », pour la peur.
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[6]
Tapij note selon les personnes Polygonumpunctatum (une Polygonaceae aussi appelée bicha) et Justiciapectoralis (Acanthaceae). Les feuilles de cette dernière, séchées et roulées en cigare dans le liber de Couratarimultiflora, comme le tabac, sont fumées par les Wayãpi (Guyane) pour leur propriété enivrante ; la fumée de ces cigares artisanaux est le chemin qu’empruntent les esprits pour venir assister le chamane (Grenand et al., 2004).
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[7]
« Recevoir la force du soleil » se dit aussi etsa senchiji juamu ; senchi est un mot quechua, employé pour dire la force, celle du soleil qui brûle, comme celle de la personne qui chante avec force. Probablement introduit à l’époque des missions, le terme remplace dans la langue les subtilités des multiples termes awajun.
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[8]
Le terme muyuni, littéralement « tourbillon », est utilisé par les Qishwa du Napo pour dire effet de l’ayahuasca.
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[9]
Nampemau, c’est aussi l’effet (qu’engendre la substance ingérée) ; shiig nampekchae, « sans effet ».
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[10]
Contrairement à toute autre fête, dans laquelle « nous dansons sur deux files en nous tenant par la main. Les hommes sur une file, les femmes sur une autre. Nous dansons face à face, chacun face à son partenaire. Nous chantions [chaque couple pour soi, dans un jeu oratoire]. Après les femmes se retournent et dansent jusqu’à un côté de la maison ou de l’aire [de danse]. Les hommes les suivent. Puis, tous se retournent et nous partons de l’autre côté. Cette fois, les femmes sont derrière… » (Walter)
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[11]
Tsugki est une famille d’esprits, dépositaires des pouvoirs chamaniques, qui mènent sous la surface de l’eau, rivières et lagunes, une existence matérielle et sociale à l’image de celle des êtres humains, dont ils partagent l’apparence. Dans le mythe (et quelques histoires personnelles), Tsugki invite l’homme, après lui avoir frotté le corps d’un pijipig (Cyperus sp.), à la suivre dans son univers aquatique. Après avoir vécu chez son beau-père, goûté l’ayahuasca et éprouvé cet au-delà où la tortue est un banc et divers poissons, poules et cochons, l’homme emmène son épouse spirituelle chez lui. Cette dernière reste cachée le jour, sous la forme d’un serpent, et se révèle humaine la nuit pour « jouer » avec son époux. Intriguée par l’étrange comportement de celui-ci, l’épouse humaine (ou la mère selon les versions) découvre Tsugki et la maltraite. Tsugki plonge alors dans la rivière, dont la crue (la colère, l’ivresse psychotrope) emporte la maison et ses habitants, excepté l’homme qui s’en va rejoindre sa parentèle chamanique.
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[12]
Il est une période d’abstinence sexuelle, avec cette idée (non d’une économie d’énergie comme nous la rencontrons dans les nouvelles spiritualités, encore moins d’une chasteté, au sens d’une vertu, d’une abstinence des plaisirs charnels et des pensées attachées à ceux-ci) que l’excitation augmente la température corporelle et que le coït, ce mélange de substances, possède une odeur. Si l’augmentation de la température est dangereuse pour celle ou celui qui a ingéré l’ayahuasca, l’odeur pénètre le corps et interagit de manière négative avec les plantes et substances chamaniques ou importune les esprits mobilisés (tout comme les menstrues, les odeurs de cuisine et le parfum exhalé par les graines des colliers des femmes).
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[13]
L’apprentissage est aussi une période de faim (yapajut), dont la première raison est une épuration du corps poussée à son paroxysme : jusqu’à ressembler à un squelette (sakaju), une époque de maigreur (sakamtin) et d’oubli (sakapat) ; oublier une expérience, une présence au monde, ce qui fait de la personne un être humain.
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[14]
Wi, wii, « moi » ; wa, waa, idéophones, qui expriment ici le fait d’être alerte, vif. Ces petits mots, dont la syllabe finale est parfois prolongée, donnent le ton chant. Ils sont le « rythme» du chamane ; dans la quête d’Ajutap, les chants d’appel ont pour « rythme » : chai (ou chah), « oh », expression de peine ou d’admiration, et tsau, idéophone signifiant « avec force ».
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[15]
Marcos emploie le terme yumigkit (de yumi, eau), « bénir ou maudire quelqu’un » ; Walter usukit « cracher, bénir ou maudire ».
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[16]
Semblablement dans la mythologie matsigenka, Soleil « fait éclater les pierres, [et révèle] l’autre réalité des choses, la vérité en deça de l’apparence ». Ainsi pour le chamane, après s’être « transfiguré » en saankarite « sans connaître la mort », « les saankarite et tout ce qui est transparence deviennent visibles alors que l’opacité du monde, gens, roches, pierres… devient transparence » (Renard-Casevitz, 1982).
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[17]
Il s’agit d’une étape essentielle, si bien que le chamane lorsqu’il chante pour l’ethnologue avale quelques gorgées d’alcool de canne à sucre. L’alcool permet tout à la fois de chanter juste, de chauffer le corps (d’y réveiller les dards endormis) et d’être à l’écoute du monde, donc aussi de se prémunir de tout ennemi attiré par le chant.
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[18]
Tout comme Ajutap, qui se présente au plus fort de l’ivresse, au milieu d’une tempête, de vents violents qui soulèvent les feuilles mortes et les font tourbillonner.
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[19]
Le terme cutipar (en espagnol régional, du quechua kuti-, « retourner à (son origine), renvoyer une sorcellerie »), communément utilisé au Pérou dans la description des processus de sorcellerie, est impropre pour dire ce qui se joue dans la cure awajun.
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[20]
Ils seront expulsés du Pérou en 1769.
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[21]
J’étais accompagné de Blaise Mulhauser, directeur du Jardin botanique de Neuchâtel ; je luis dois le début du récit.
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[22]
Identiques à celles qui donnent le « rythme » au chant entonné dans la quête visionnaire, cf. ci-avant. Tsau, tsau, tsau, tsau, tsau / Chai, chai, chai, chai, chai [Oh, oh, oh, oh, oh].
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[23]
Par ses chants, qui comprennent diverses idéophones, that “help express the diverse animacies of human and nonhuman nature” (Nuckolls, 2010, p. 366) or “give concrete and adequate expression to what they see of the forces and energies of the world” (George Fortune, in Nuckolls, 2010), l’iwishin convoque et donne à percevoir ses alliés spirituels. Tout juste ici pouvons-nous supposer que ce rôle est attribué au son des objets de la mesa que Fermin fait tinter ou entrechoque ; et de fait nul idéophone ne vient animer le monde de Fermin et témoigner, dans un même mouvement, de la métamorphose du praticien. L’inaccomplissement d’un tel devenir autre – ce soin est dévolu au patient – est précisément ce qui exclut toute caractérisation du premier en tant que sorcier.
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Rien de comparable non plus avec les pratiques ayahuasqueras internationalisées, observées à Iquitos ou ailleurs, dans lesquelles le « maître de cérémonie » accompagne ou guide de ses chants l’expérience des participants au rituel.
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Terme pertinent pour décrire cette forme de chamanisme, qui ne l’est pas nécessairement dans d’autres contextes (Ghasarian, 2010).
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Dans cette logique, si le chamane métis, à l’exemple de Genaro (Imaza), auquel on fait appel individuellement ou collectivement est le mieux à même de remédier au malheur, c’est bien parce qu’il se situe hors des enjeux sociaux dont témoignent les accusations de sorcellerie.
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