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Introduction

L’adoption internationale est devenue la principale modalité d’accès à la parenté adoptive, au Québec comme dans plusieurs autres pays occidentaux. Or, elle s’inscrit dans des dynamiques nationales et culturelles souvent très contrastées posant d’importants problèmes de conciliation des droits et de compréhension mutuelle des acteurs concernés. Les situations des enfants confiés en adoption internationale et les contextes sociopolitiques des pays d’origine et d’accueil sont diversifiés et en constante évolution. Dans une récente recherche comparative et interdisciplinaire (anthropologie et droit) qui visait à réfléchir sur des ajustements du droit aux nouvelles réalités de l’adoption internationale, nous avons examiné les normes juridiques et les pratiques dans différents pays d’accueil et d’origine en dégageant les conceptions, les normes et les valeurs qu’elles véhiculent et en identifiant leurs principaux impacts[1]. Le présent article expose les grandes lignes de cette problématique. Il identifie d’abord les éléments principaux du contexte légal et de l’environnement social et culturel où s’élaborent les régulations relatives à l’adoption internationale au Québec. Il soulève ensuite deux questions pratiques, lesquelles subsistent malgré les changements législatifs soit : la conciliation des différentes lois nationales et l'adoption intrafamiliale.

Le contexte légal et socioculturel de l’adoption internationale

L’adoption internationale constitue actuellement une forme d’entrée en parentalité très valorisée : chaque année en moyenne quelques 800 parents québécois ont le privilège d’accueillir au sein de leur famille des enfants provenant d’une vingtaine de pays différents[2]. Elle est toutefois soumise à plusieurs niveaux de régulation complexe. D’un côté, les lois du pays d’accueil déterminent qui peut se porter candidat à l’adoption internationale, quelles sont les conditions à rencontrer avant que l’enfant entre au pays et quels seront dorénavant ses droits. De l’autre côté, les pays d’origine déterminent si l’enfant est admissible à l’adoption, quels sont les effets de cette adoption et quelles conditions doivent être respectées avant qu’il puisse être adopté par des ressortissants étrangers. Par ailleurs, des conventions internationales définissent certaines normes internationales visant à protéger les enfants et à concilier les droits et perspectives des différents pays entre lesquels les enfants adoptés circulent.

Les lois québécoises et canadiennes

Au Canada, l’adoption est de compétence provinciale. Toutes les adoptions internationales par des candidats domiciliés au Québec doivent être réalisées en conformité avec le cadre législatif québécois[3]. Le Code civil du Québec permet à toute personne adulte, sous réserve d’une évaluation favorable de ses capacités parentales, de se porter candidate à l’adoption quel que soit son état matrimonial. Les couples mariés, mais aussi les célibataires, les couples en union de fait ou en union civile et, depuis la Loi instituant l’union civile et établissant de nouvelles règles en matière de filiation (L.Q, 2002, c.6), les conjoints de même sexe, peuvent donc se porter candidats à l’adoption.

Le Code civil confère des droits égaux à tous les enfants qu’ils soient biologiques ou adoptés par rapport à leur famille légale, avec néanmoins un retard concernant l’obtention de la citoyenneté canadienne pour l’enfant adopté à l’étranger. L’enfant adopté perd par ailleurs tout lien de droit avec ses parents et sa famille d’origine. Un nouvel acte de naissance est rédigé où seuls les noms des parents adoptifs sont inscrits, sans mention de l’adoption. De plus, les dossiers relatifs à son adoption sont confidentiels[4]. Cependant, l’adopté majeur ou mineur âgé de quatorze ans et plus a le droit d’obtenir les renseignements lui permettant de retrouver ses parents, si ces derniers y ont préalablement consenti. L’adopté de moins de quatorze ans a aussi ce droit, mais avec le consentement des adoptants. Les parents de naissance peuvent également retrouver leur enfant adopté si, devenu majeur, celui-ci y consent.

L'adoption ainsi créée est dite « plénière », par opposition à une adoption dite « simple » qui n'a pas pour effet de rompre le lien de filiation d'origine. On peut aussi la qualifier de «substitutive», par opposition à l’adoption « additive », c’est-à-dire qui donne des parents « en plus ».

L’adoption ne peut être autorisée que si le tribunal est assuré qu’elle est dans l’intérêt de l’enfant. Elle est par ailleurs strictement encadrée par des dispositions de la Loi sur la protection de la jeunesse (L.R.Q. c.P-34-1). Le directeur de la protection de la jeunesse (DPJ) est un intermédiaire obligé entre les parents biologiques et adoptifs; les arrangements privés d’adoption sont interdits, sauf entre proches parents. En adoption internationale, le rôle du DPJ est limité à l’évaluation psychosociale des requérants et au suivi de l’intégration de l’enfant originaire d’un pays où il n’y pas de procédure judiciaire d’adoption ou qui exige que ces évaluations soient faites par le DPJ. Ce dernier délègue habituellement ces fonctions d’évaluation des candidats à des professionnels de pratique privée (psychologues ou travailleurs sociaux) rémunérés par les adoptants. Ce sont des organismes bénévoles, agréés par le ministre de la Santé et des Services sociaux, qui agissent comme intermédiaires avec les autorités des pays étrangers[5]. Le Secrétariat à l’adoption internationale (SAI) assure la coordination des actions dans ce domaine, vérifie la validité des démarches accomplies par les adoptants québécois, recommande l’agrément des organismes intermédiaires privés et les surveille dans l’exercice de leur mandat. Il assume également la fonction d'interlocuteur auprès des autorités des pays étrangers, notamment pour l’établissement d’ententes visant à faciliter les procédures d’adoption par des Québécois.

Les lois canadiennes régissent, quant à elles, l'obtention du statut d'immigrant. Les futurs parents doivent présenter une demande de parrainage de l’enfant auprès de Citoyenneté et immigration Canada (CIC) afin d’obtenir pour lui un visa d’immigration[6]. Ce document n’est délivré qu’après examen médical de l’enfant, examen mené dans son pays d’origine par le personnel médical agréé par l’ambassade. Une fois l’enfant au Canada, les parents adoptifs doivent présenter à son nom une demande formelle d’obtention de la citoyenneté canadienne. L’attribution automatique de la citoyenneté est envisagée depuis déjà plusieurs années, mais les modifications législatives nécessaires se font toujours attendre[7]. Certains y voient une discrimination de la parenté adoptive.

Les représentations de la filiation, de la famille et de l’adoption

Les diverses lois nationales relatives à l'adoption reflètent différentes pratiques familiales et conceptions culturelles concernant la prise en charge des enfants, la famille et la parenté. Ces différences se manifestent notamment dans le caractère plus ou moins exclusif (ou inclusif) et plus ou moins ouvert (ou fermé) de l’adoption. Ainsi, notre adoption plénière permet de s’écarter du modèle familial dominant lequel associe l’établissement de la filiation à la procréation et à la parenté biologique, mais elle s’arrime fortement à une représentation de la famille selon laquelle un enfant n’a jamais qu’une seule mère et qu’un seul père ou, du moins, qu’un seul couple de parents, fussent-ils du même sexe. Bien que la loi permette l’établissement d’une filiation unique dans le cas des adoptants célibataires et l’éclosion de différentes formes de famille (hétérofamilles, homofamilles[8], familles mono- et bi-parentales, familles adoptives, familles mixtes biologiques et adoptives), le projet parental que poursuivent la grande majorité des candidats à l’adoption reste celui de devenir, individuellement ou en couple, les seuls et uniques parents de l’enfant qui leur sera confié.

Le principe d’exclusivité concentre sur les seuls parents procréateurs ou adoptifs l’ensemble des fonctions parentales. Or, dans un État de droits où les dispositifs de soutien économique et de contrôle normatif des familles sont multiples et complexes, il importe de définir de manière précise quelles personnes sont reconnues comme père(s) et mère(s), sont investies de l’autorité parentale et peuvent légitimement percevoir les allocations familiales, les crédits d’impôts et d’autres avantages habituellement réservés aux seuls parents. Les politiques et les pratiques d’intervention visant à faciliter l’adoption des enfants placés issus de familles en difficulté et dont les parents sont gravement négligents ou inadéquats traduisent, elles aussi, ce principe d'exclusivité.

Au contraire, dans de nombreuses sociétés, les fonctions parentales peuvent être partagées entre plusieurs personnes et ne pas être exercées par le père et la mère pendant de longues périodes. Ces derniers ne perdront pas pour autant leur qualité de parents ni leur statut de « bons parents » dans la communauté. Cette délégation parentale des tâches d’entretien et d’éducation des enfants, appelée « fosterage » par les anthropologues, ne se justifie pas toujours par la nécessité. La circulation des enfants peut aussi avoir pour motif de resserrer les liens sociaux et affectifs entre les adultes qui échangent de cette façon leurs rejetons[9]. Bien sûr, il ne faut pas minimiser le fait que l’abandon, la négligence ou, plus simplement, l’insuffisance des ressources indispensables justifient souvent qu’un mineur soit confié à d’autres que ses parents, même si ce ne sont pas les seules raisons. Dans les situations de grande précarité et en l’absence de programmes sociaux adéquats, la survie et l’entraide sont ainsi assurées par cette logique culturelle d’affiliation des enfants à une famille élargie, un clan, un lignage, une communauté villageoise ou un quartier. Que ce soit dans les familles rurales ou urbaines pauvres en Haïti (Collard, 2004) ou dans les bidonvilles brésiliens de Porto Alegre (Fonseca, 2000), la circulation des enfants et la délégation temporaire des rôles parentaux à d'autres adultes sont cruciales pour la survie des enfants des couches populaires. Cette circulation des enfants s’est très vite adaptée à l’urbanisation et à la globalisation (Goody, 1982). Dans ces cultures de pluriparentalité, les placements ainsi que les adoptions prennent une forme additive ou inclusive, plutôt que substitutive. Cela signifie que les enfants concernés (qui ne sont donc pas nécessairement en déficit complet de liens familiaux protecteurs au moment de leur transfert) ne deviennent jamais des étrangers pour leurs parents de naissance, même s’ils ont peu de contacts avec ces derniers par la suite.

Au Québec et dans les autres pays occidentaux (notamment les pays de common law où l’on définit l’adoption essentiellement comme une mesure de protection de l’enfant), l’objectif de procurer à l’enfant une famille stable et aimante prévaut maintenant sur celui de préserver ses liens de filiation avec ses parents, grands-parents et autres membres de sa parenté. L’enfant est d’abord perçu comme un mineur, un être à aimer et à soutenir adéquatement pour son développement personnel optimal. Le « prendre soin » a pris le pas sur l’inscription symbolique dans la filiation et les lignées ancestrales (Ouellette, 1996, 1998). Dans cette perspective, ce ne sont plus seulement les enfants sans parenté connue qui sont considérés comme pouvant bénéficier d’une adoption plénière, mais aussi tous ceux dont les parents n’assument pas eux-mêmes adéquatement le soin, l'entretien et l'éducation.

Les conventions internationales

La diversité des législations nationales et des manières de concevoir l’adoption pose de nombreux problèmes de conciliation et d’harmonisation des droits des pays d’origine et d’accueil des enfants adoptés internationalement. Avec la hausse spectaculaire du nombre de ces adoptions depuis les années 1980[10], la nécessité d’édicter des principes clairs pour aplanir ou du moins limiter ces problèmes a été rapidement reconnue par les principaux États concernés.

Les deux principales conventions internationales qui encadrent les pratiques dans ce domaine sont la Convention internationale sur les droits de l’enfant (CIDE) et la Convention sur la protection des enfants et la coopération en matière d’adoption internationale (CLH). Le Canada a ratifié les deux conventions. Toutefois, le Canada étant un pays de conception dualiste où l’ordre juridique interne est séparé de l’ordre juridique international, le droit international n’y est pas d’application directe. Pour y arriver, le texte international doit faire l’objet d’une loi de mise en application. Dans le cas de l’adoption, puisqu’il s’agit d’une compétence provinciale, cette responsabilité relève des législateurs provinciaux. La CLH a été intégrée dans la législation de toutes les provinces canadiennes, y compris le Québec, qui s’est déclaré lié par la CIDE et par les principes et engagements qu’elle énonce.

La CIDE adoptée par les Nations Unies en 1989 prévoyait, entre autres, que les États signataires concluent des accords au chapitre de l’adoption internationale afin qu’elle se réalise dans l’intérêt de l’enfant et dans le respect de ses droits. La CLH (1993) encadre l’établissement de tels accords conformément aux principes établis dans la CIDE.

Ces deux conventions reconnaissent le caractère subsidiaire de l’adoption internationale, laquelle ne devrait être envisagée qu’en cas d’échec des efforts raisonnables pour trouver un autre placement familial adéquat dans le pays d’origine. La CIDE reconnaît également à l’enfant le droit de connaître ses parents et d'être élevés par eux dans la mesure du possible, ainsi que le droit de bénéficier d’une continuité dans son éducation et par rapport à son origine ethnique, culturelle, religieuse et linguistique. La CLH lui reconnaît le droit au respect et à la connaissance de ses origines.

La CLH vise d’abord à prévenir l’enlèvement, la vente et la traite d’enfants, en privilégiant un renforcement des médiations institutionnelles entre les adoptants et les familles d’origine. Elle prévoit que chaque État contractant désigne une autorité centrale qui doit s’assurer du respect des conditions de fond de l’adoption. Les autorités des pays d’origine et d’accueil doivent collaborer dans l’échange d’informations et vérifier que le déplacement de l’enfant se fait en toute sécurité, qu’il est jumelé à des adoptants par des personnes compétentes et qu’il n’existe pas d’obstacle à son adoption et à son séjour permanent dans son pays d’accueil. Chaque autorité peut autoriser des organismes agréés à agir comme intermédiaires avec d’autres États contractants. La CLH exige que l’adoptant qui veut procéder par contact privé s’adresse à l’autorité compétente de son domicile pour qu’elle présente son dossier à celle du pays d’origine, afin qu’y soient vérifiées l’adoptabilité de l’enfant et la légalité de son placement. Elle prohibe les contacts entre les parents biologiques et adoptifs avant que le consentement à l’adoption soit donné. Toutefois, elle reconnaît la particularité des adoptions intrafamiliales (article 29), dans lesquelles les parties sont apparentées et procèdent nécessairement par contacts directs, ce qui justifie alors de ne pas recourir à un organisme agréé. Toutefois, le CLH n’exclut pas nécessairement le recours à un organisme agréé dans les hypothèses d’adoptions intrafamiliales. Les organismes dispensent souvent des services psychosociaux, des services de soutien et d’informations qui peuvent s’avérer très utiles.

Le législateur québécois n’a que récemment traduit son adhésion à la CLH en adoptant la Loi assurant la mise en oeuvre de la Convention sur la protection des enfants et la coopération en matière d’adoption internationale et modifiant diverses dispositions législatives (L.Q. 2004, c.3) dont les dernières dispositions sont entrées en vigueur le 1er février 2006. Parmi les changements apportés par cette loi à propos des enjeux que nous discutons ci-dessous, soulignons :

  1. La possibilité pour le ministre de la Santé et des Services sociaux de convertir une adoption simple étrangère en une adoption plénière québécoise par simple voie administrative, sous condition de vérifier l’étendue du consentement parental donné à l’étranger. En effet, lorsque le certificat de conformité délivré par l’autorité étrangère compétente renferme les éléments prévus à la Convention, mais qu’il l’a été à la suite d’une adoption qui n’a pas eu pour effet de rompre le lien de filiation d’origine, le ministre peut, après s’être assuré que les consentements ont été donnés en fonction d’une adoption qui a pour effet de rompre ce lien, convertir l’adoption simple étrangère en adoption plénière québécoise.

  2. L’obligation maintenant imposée à tous les candidats québécois à l’adoption (sauf exceptions précisées par arrêté ministériel) de recourir à un organisme agréé d’adoption internationale, ce qui met fin aux adoptions indépendantes (privées) qui avaient été rendues possibles en 1990. Les adoptions d’un enfant apparenté comptent parmi les cas exceptionnels où l’adoption peut se faire sans recourir à un organisme agréé. Cependant, les critères et les modalités auxquelles ces adoptions sont soumises sont déterminés par arrêté ministériel, plutôt que par la voie réglementaire.

Les lacunes du droit Qébécios en matière d’adoption internationale

L'adoption plénière « fermée », conçue pour les adoptions domestiques d’avant les années 1980, apparaît parfois mal ajustée pour tenir compte de certains des principes et valeurs qui guident aujourd’hui l’évolution des lois et des pratiques en adoption. De plus, le droit québécois contient des représentations de la famille et des parents qui ne coïncident pas toujours avec celles retenues dans les pays d’origine. La diversité des lois, des conceptions et des pratiques familiales et culturelles invite à une mise en perspective de notre approche socio-juridique de l’adoption, tenant compte non seulement de la protection et des droits de l’enfant, mais également des autres dimensions fondamentales de l’institution, et faisant place aux points de vue des acteurs individuels, professionnels et associatifs.

Des questions d’ajustements normatifs se posent, en particulier par rapport aux aspects suivants : la conciliation des lois nationales avec les différentes conceptions de l'adoption, ainsi qu’avec l’adoption d’un enfant apparenté.

La conciliation entre les lois nationales et les différentes conceptions de l'adoption

En vertu de la CLH, les conditions de l'admissibilité de l'enfant à l'adoption relèvent des pays d'origine alors que les exigences relatives aux adoptants sont déterminées par les pays d'accueil. Toutefois, la coopération, principe fondateur de la Convention, fait en sorte que les pays d'origine peuvent refuser de laisser partir leurs enfants vers des pays qui reconnaissent des modèles familiaux différents des leurs. L'adoption par des personnes seules ou par des couples homosexuels en est un exemple. De plus, alors que les adoptants québécois fondent leurs attentes sur le modèle de l'adoption plénière, plusieurs pays d'origine ignorent cette forme d'adoption. C'est le cas d'Haïti et du Vietnam qui ne connaissent qu'une forme d'adoption sans rupture des liens biologiques, communément appelée « adoption simple ». D'autres pays, principalement ceux d'obédience musulmane, prohibent expressément l'adoption, lui préférant une forme de recueil de l'enfant appelé « kafala », qui ne peut être assimilé ni à l'adoption simple ni à l'adoption plénière. Enfin, la loi du pays d'origine peut n'être assortie d'aucune règle relative à la confidentialité de l'identité des parents biologiques et des adoptants. Or, une fois l'enfant arrivé au Québec, l'adoption est reconnue comme étant conforme à notre droit ou encore, sous certaines conditions, convertie en adoption plénière, ce qui a pour effet de couper tous les liens de droit entre l'enfant et sa famille biologique et d'instaurer le secret des origines. Cette procédure peut, malgré les précautions prévues, contredire les attentes des parents biologiques ou des tuteurs qui n'auraient pas été formellement informés de cette situation au moment où ils ont consenti à l'adoption de leur enfant ou de leur pupille. En effet, les parents à l’étranger peuvent éprouver de la difficulté à comprendre les effets juridiques d’une adoption plénière quand leur propre pays ne les connaît pas. La transformation d'une adoption sans rupture des liens d'origine en adoption plénière soulève donc, dans certains cas, des questionnements éthiques et juridiques quant au caractère libre et éclairé des consentements à l'adoption donnés à l'étranger.

Les particularités juridiques de l'adoption sans rupture des liens d'origine

L'adoption simple est une institution de filiation au même titre que l'adoption plénière, ce qui explique que dans les pays qui connaissent l'une et l'autre formes, plusieurs exigences sont communes aux deux institutions. Le respect de l'intérêt de l'enfant est tout aussi fondamental dans un cas comme dans l'autre. Dès qu'il atteint l'âge légal pour ce faire, l'adopté doit donner son consentement, peu importe le type d'adoption projeté. Les conditions de l'adoptabilité de l'enfant et les exigences posées pour les adoptants (statut matrimonial, nombre d'années de vie commune, différence d'âge, etc.) sont généralement les mêmes.

La principale distinction entre les deux types d'adoption est le fait que l'adoption simple n'entraîne pas la disparition de la filiation d'origine de l'adopté. Elle instaure plutôt une filiation additionnelle. L'adoption simple n'engendre ni le secret des origines, ni la confidentialité des dossiers administratifs et judiciaires. L'enfant qui fait l'objet d'une telle adoption conserve son acte de naissance originel, sur lequel les noms des adoptants sont ajoutés en marge de l'acte. Pour l'enfant en provenance de l'étranger, le jugement qui prononce l'adoption simple ou qui la déclare exécutoire est normalement transcrit sur le registre de l'état civil et lui tient lieu d'acte de naissance.

En principe, le nom de l'adoptant s'ajoute au nom de famille de l'adopté. Toutefois, plusieurs possibilités existent selon les législations. Par exemple, en France, le tribunal peut, à la demande de l'adoptant et avec le consentement de l'adopté, s'il est suffisamment âgé, autoriser ce dernier à porter le seul nom de l'adoptant. Le prénom de l'enfant n'est généralement pas modifié par l'adoption. Toutefois, un changement de prénom peut s'avérer dans l'intérêt de l'enfant venu de l'étranger, si son prénom d'origine porte à la moquerie ou s'il est trop difficile à prononcer ce qui pourrait nuire à son intégration dans son pays d'accueil. L'adoption simple n'a donc pas pour effet de modifier l'identité civile de l'enfant d'une manière aussi radicale que ne le fait l'adoption plénière.

L'adoption sans rupture des liens d'origine entraîne néanmoins le transfert de tous les attributs de l'autorité parentale à l'adoptant, à l'exclusion complète des parents d'origine. Elle fait naître une obligation alimentaire réciproque entre l'adopté et l'adoptant ainsi que des droits successoraux. En revanche, des droits successoraux et des droits subsidiaires relatifs a l’obligation alimentaire subsistent généralement entre l’adopté et sa famille d’origine. Les dispositions législatives peuvent varier, d'un pays à l'autre, quant à l'étendue de ces droits.

La rupture ou non du lien d'origine constitue donc le critère fondamental qui permet de départager l'adoption simple de l'adoption plénière. Toutefois, d'autres indicateurs peuvent être requis. Par exemple, les autorités françaises considèrent l'irrévocabilité de l'adoption comme une condition sine qua non pour sa qualification en tant qu'adoption plénière. En conséquence, toutes les adoptions qui auraient pour effet de rompre le lien d'origine, mais qui ne présenteraient pas cette condition d'irrévocabilité, seraient considérées comme des adoptions simples. Ainsi, la Mission de l'adoption internationale (MAI) a évalué 127 lois nationales. Selon cet organisme, 18 % de ces lois prévoient une forme d'adoption assimilable à l'adoption plénière française, 40 % prévoient une forme assimilable à l'adoption simple, alors que 20 % prévoient les deux formes d'adoption[11]. Pour sa part, le Service Social International[12] a colligé le contenu de 151 lois nationales. L'organisme, qui n'a pas tenu compte du critère d'irrévocabilité et n'a considéré que l'adoption des mineurs, conclut qu'environ 12 % des législations analysées ne prévoient pas l'adoption, 8 % prévoient une forme d'adoption simple, 57 % une forme d'adoption plénière, alors que 23 % prévoient l'une et l'autre formes. Des différences importantes existent donc dans les deux analyses selon les critères de distinction considérés.

Il importe donc, avant de prévoir un mécanisme d'intégration des adoptions sans rupture des liens, de déterminer quels sont les facteurs retenus par chacune des autorités nationales pour départager les adoptions simples et les adoptions plénières. Le législateur québécois a retenu uniquement la disparition du lien d'origine comme facteur distinctif. En effet, la reconnaissance ou la conversion des adoptions étrangères dans le droit québécois ne sont possibles que s'il est démontré que le consentement parental donné à l'étranger, l'a été en fonction d'une adoption qui produit cet effet.

L'importance d'un consentement libre et éclairé

Le changement d'état qui découle de l'adoption doit se réaliser dans le respect des droits fondamentaux des personnes concernées. Le droit des parents de consentir d'une manière libre et éclairée à l'adoption de leur enfant nécessite donc une attention particulière. Si l'enfant est abandonné ou que ses parents sont décédés, disparus ou déchus de l'autorité parentale, il revient aux autorités judiciaires ou administratives désignées par la loi d'origine de consentir à l'adoption.

La détermination des personnes habilitées à donner les consentements requis relève des pays d'origine. La Convention sur les droits de l'enfant (CIDE) et la Convention de La Haye (CLH) prévoient que l'adoption ne peut être prononcée que si ces personnes ont été informées des conséquences de leur consentement, en particulier sur le maintien ou la rupture des liens de droit entre l'enfant et sa famille d'origine. L'État d'origine doit aussi s'assurer que le consentement a été donné dans les formes légales requises. Un consentement libre ne doit souffrir d'aucun vice lié à des menaces, des tromperies ou des erreurs. Il doit être accordé sans contrepartie. À cause du taux d'analphabétisme élevé dans certains pays d'origine, le consentement peut être donné ou simplement constaté par écrit.

La CLH interdit le recueil d'un consentement anténatal. Il est toutefois regrettable que les textes internationaux ne prévoient pas l'obligation de respecter un certain délai entre l'accouchement et le consentement à l'adoption, pas plus qu'un délai de révocation du dit consentement. De tels délais existent dans les pays occidentaux et visent, dans un cas comme dans l'autre, à s'assurer que le consentement de la mère n'est pas donné dans un moment de grande détresse ou d'anxiété, ce qui aurait pour effet de vicier son consentement. Une telle protection est d'autant plus nécessaire dans des pays où la réprobation sociale entache les naissances hors mariage ou dans les familles jugées toujours trop nombreuses des populations marginalisées sur la base de critères ethniques, culturels ou économiques.

Aucun consensus international n'a donc pu être obtenu sur des dispositions qui assureraient la protection de la volonté des parents d'origine par leur propre loi nationale, alors qu'il y a eu unanimité pour limiter la reconnaissance des effets de l'adoption dans le pays d'accueil, comme le Québec, justement au nom du respect du consentement parental donné dans le pays d'origine.

L'intégration des adoptions étrangères sans rupture des liens d'origine en droit québécois

L'entrée en vigueur de la Loi assurant la mise en oeuvre de la Convention sur la protection des enfants et la coopération en matière d'adoption internationale et modifiant diverses dispositions législatives (L.Q. 2004, c.3) a eu pour effet de modifier le droit québécois sur cette question (Lavallée, 2005).

Si l'adoption est prononcée au Québec, le tribunal a l'obligation de s'assurer que les consentements requis ont été donnés en fonction d'une adoption qui a pour effet de rompre le lien antérieur de filiation. Si le pays d'origine de l'enfant est un pays signataire de la CLH, la preuve que les détenteurs ont été dûment informés de leurs droits sera plus facile à établir. Par contre, si le pays d'origine de l'enfant n'est pas signataire, l'adoptant peut avoir des difficultés à renverser le fardeau de la preuve. Si l'adoption a été prononcée avant le départ de l'enfant vers son pays d'accueil, la reconnaissance ou la conversion de cette adoption est nécessaire pour la rendre conforme au droit québécois.

La CLH prévoit la reconnaissance de plein droit, dans tous les États signataires, de toute adoption certifiée conforme par l'État où elle a eu lieu. L'adoptant québécois doit transmettre le certificat de conformité émis par l'autorité compétente étrangère au ministre de la Santé et des Services sociaux du Québec dans les 60 jours de sa délivrance. Le ministre, après s'être assuré que les conditions posées par la CLH ont été respectées, notifie le certificat de conformité au directeur de l'état civil qui dresse l'acte de naissance de l'adopté. La ratification récente de la CLH par la République populaire de Chine aura un impact important pour les adoptants québécois puisque près de la moitié des enfants qu’ils adoptent à l'étranger sont originaires de ce pays[13].

Si le certificat de conformité a été délivré par l'autorité étrangère à la suite d'une adoption qui n'a pas eu pour effet de rompre la filiation d'origine, le ministre peut convertir celle-ci en adoption plénière québécoise. Il doit néanmoins s'assurer que les consentements ont été donnés en fonction d'une telle adoption. La coopération entre les autorités centrales des deux pays favorise le respect de cette condition.

En revanche, si l'adoption a été prononcée dans un pays qui n'est pas signataire de la CLH, l'adoptant doit en obtenir la reconnaissance judiciaire. Dans ce cas, le tribunal a l'obligation de s'assurer que les règles relatives à l'admissibilité à l'adoption de l'enfant ont été respectées et que les consentements ont été donnés en vue d'une adoption qui a pour effet de rompre le lien préexistant de filiation. La même difficulté se pose donc pour les adoptants, au regard de la preuve à apporter, peu importe que l'adoption soit prononcée au Québec ou à l'étranger. Contrôler la réalité, la validité, la gratuité et surtout l'étendue du consentement donné à l'étranger continuera d'être un défi pour les autorités administratives et les tribunaux québécois, particulièrement dans le cas des adoptions prononcées dans des pays qui ne sont pas signataires de la CLH.

La reconnaissance, qu'elle soit de plein droit ou judiciaire, produit les mêmes effets qu'un jugement d'adoption rendu au Québec. Or, dans la majorité des cas, les parents consentent à l'adoption en fonction du modèle qui existe dans leur loi nationale. Ainsi, si le consentement a été donné en vue d'une adoption sans rupture de la filiation d'origine, la reconnaissance ou la conversion en adoption plénière québécoise est impossible. Les nouvelles conditions font en sorte qu’il est devenu presque impossible pour des québécois d’adopter un enfant en provenance d’un pays qui prohibe l’adoption. En effet, on conçoit difficilement que les parents ou les autorités nationales étrangères consentent à la mise en place d’une institution prohibée par leur loi nationale.

Si l'introduction d'une forme d'adoption simple en droit québécois permettait une meilleure conciliation des règles de l'adoption internationale, elle pourrait aussi soulever des difficultés. En effet, au-delà de la question du respect des droits fondamentaux des parents d’origine et de la conciliation des lois nationales, l’intérêt de l’enfant est souvent avancé pour justifier la conversion de l’adoption simple en adoption plénière. La distance géographique et culturelle rend difficile la survivance des liens d’origine dans un contexte d’adoption internationale d’enfants non apparentés. De plus, plusieurs pays d’origine souhaitent que leurs enfants adoptés à l’étranger puissent bénéficier d’une adoption plénière, y voyant sans aucun doute une plus grande protection et une meilleure intégration de l’enfant dans sa famille et son pays d’accueil. Cette manière de poser le problème illustre une différence dans la conception et l’importance accordées aux liens d’origine. Pour certains, il importe de ne pas rompre le lien d’origine, sauf s’il est démontré que l’intérêt de l’enfant nécessite une telle rupture. Pour d’autres, la survivance juridique du lien d’origine doit nécessairement pouvoir se fonder sur la réalité des contacts ou des échanges. À défaut de quoi, il n’apparaît pas nécessaire de maintenir une filiation d’origine qui relèverait davantage de l’ordre symbolique que de l’ordre relationnel.

Si l’introduction d’une forme d’adoption sans rupture du lien d’origine peut constituer une alternative à l’adoption plénière, elle n’est pas non plus la seule solution à envisager. En effet, il arrive fréquemment que les conversions masquent des situations qui relèvent plus de la solidarité sociale ou familiale que de l’adoption, ou qui visent à obtenir des avantages qui ne peuvent découler que de l’adoption, notamment l’obtention de la citoyenneté canadienne, alors que l’enfant ne se trouve pas en besoin de filiation. Dans un tel contexte, d’autres alternatives devraient également être étudiées, telles que la délégation judiciaire de l’autorité parentale ou des formes de tutelles.

L’adoption devrait répondre à la finalité qui est la sienne, soit de donner une nouvelle filiation à l’enfant; une filiation additive ou substitutive selon les besoins réels de l’enfant directement concerné. Or, de telles alternatives font cruellement défaut dans l’état actuel du droit québécois et canadien. Cette lacune est plus apparente encore dans le contexte de l’adoption internationale intrafamiliale.

L’adoption internationale d’un enfant apparenté

Les problèmes qui viennent d’être soulevés concernant l’adéquation du seul modèle de l’adoption plénière face aux diverses représentations culturelles de la parenté et aux diverses lois nationales de l’adoption sont particulièrement aigus dans les cas d’adoption internationale d’un enfant apparenté, appelée au Québec adoption « famille ». Cette forme d’adoption, qui est statistiquement peu importante, concerne le plus souvent des enfants déjà âgés lorsqu’ils arrivent au pays, qui ont connu un ancrage dans une autre culture et qui ont des souvenirs de leur histoire familiale. Elle est bien connue des intervenants québécois pour être source de problèmes multiples dans le traitement des dossiers, car elle recouvre une grande variété de situations familiales dans lesquelles de nombreux pays sont impliqués.

En ce qui concerne les forces qui la motivent, l’adoption famille se situe à la marge de plusieurs phénomènes : entre circulation transnationale d’enfants dans la parenté élargie et adoption, entre parenté substitutive dans le cas d’orphelins, voire même geste humanitaire visant à recueillir des enfants apparentés en détresse dans des pays excessivement pauvres, touchés par l’épidémie du sida ou par la guerre, et choix d’une adoption au plus proche des liens du sang.

Portrait statistique des adoptions internationales famille

Le Québec est une province qui connaît un taux élevé d’immigration, ce qui entraîne une demande de la part de nouveaux immigrants pour adopter des enfants de leurs pays d’origine. Entre 1990 et 2004 il y a eu 473 adoptions famille internationales au Québec. Entre 1990 et 1999, elles y ont représenté 5.2 % des adoptions internationales réalisées. Les enfants ainsi adoptés provenaient de 55 pays différents. Cependant, 29 % d’entre eux étaient issus d'Haïti, 14 % de l’Inde et 11 % des Philippines. En 2000, les adoptions famille ont compté pour 7.2 % de la totalité des adoptions internationales, soit une augmentation de 2 % par rapport à la décennie précédente. On note cette année-là l’émergence d'adoptions en provenance de pays d’Afrique, notamment de la République démocratique du Congo (avec neuf) et de la Guinée avec (avec cinq)[14]. Étant donné l’instabilité politique dans plusieurs pays d’Afrique et les nombreux cas de sida recensés, lequel décime les familles et laisse de nombreux enfants orphelins, cette tendance risque de s’accentuer dans les années à venir.

Les lois canadiennes sur l’immigration contribuent au phénomène des adoptions apparentées dans la mesure où les immigrants mineurs pouvant appartenir à la catégorie de regroupement familial doivent être, par rapport au postulant, soit un enfant de 18 ans et moins que le requérant a l'intention d'adopter, soit un frère, une soeur, un neveu, une nièce ou un petit enfant du postulant qui est orphelin, âgé de moins de 18 ans, qui n'est pas marié ou conjoint de fait. Tout enfant visé par ces catégories de parenté qui n’est pas orphelin ou qui ne peut prouver le décès de ses parents, ne peut être parrainé sans être adopté[15]. De plus, au-delà des degrés de parenté proches mentionnés, il faut aussi adopter, la clause du regroupement familial ne pouvant s’appliquer.

Si l’on compare les statistiques concernant les pays d’origine des adoptés avec celles de l’immigration selon le lieu de naissance au Québec entre 1996 et 2002[16], on constate que les pays impliqués dans l’adoption famille ont fourni un contingent important d’immigrants à la province, mais qu’ils ne sont pas forcément les principaux pays de naissance des immigrés. Ainsi Haïti se place au 5e rang seulement avec 6330 immigrants, l’Inde au 7e avec 4390 et les Philippines au 8e rang avec 3435 immigrants. Les principaux pays de naissance des entrants, comme la France ou la Chine ne semblent pas générer de telles pratiques – ou seulement occasionnellement – la définition de la famille à la base des dispositions sur le regroupement familial de la loi canadienne sur l’immigration fonctionnant très bien pour leur type de famille. Par ailleurs, des pays musulmans comme l’Algérie ou le Maroc d’où sont issus de nombreux immigrés prohibent l’adoption, comme il a été dit plus haut, ne reconnaissant dans le cas des orphelins ou des enfants abandonnés que la tutelle[17].

L'absence d’une définition de la famille dans la CLH

Alors que la CDE favorise clairement le placement familial de l’enfant par rapport à tout autre, la CLH se contente de reconnaître la subsidiarité de l’adoption et de souligner la particularité des adoptions famille pour autoriser dans ces cas les démarches privées d’adoption sans recours à un organisme agréé. Cependant, le texte de CLH ne contient aucune définition de la famille, ce qui peut être problématique pour les intervenants québécois dans la mesure où de nombreux pays d’origine des enfants (lesquels statuent sur leur adoptabilité) ont une conception plus étendue de la parenté que celle prévalant au Québec. De plus, le seul lien de parenté avec l’enfant ne suffit pas à justifier un projet d’adoption internationale par un membre de la famille élargie. La CLH ne prévoit aucune dérogation à l’obligation d’évaluer les capacités de tous les futurs parents adoptifs (SSI/CIR, 2005).

Plusieurs pays d’origine ont pris position par rapport à l’adoption intrafamiliale et ont aussi précisé les contours de ce qui constitue pour eux une famille. Les Philippines, par exemple, ont ajouté à leur législation une clause favorisant les adoptions famille, laquelle clause précise les degrés de parenté requis (jusqu’au 4e degré) pour se qualifier à ce titre. L’Inde pour sa part est en pleine réflexion en ce qui concerne l’adoption d’un enfant apparenté pour des motifs religieux, dans la mesure où ce type d’adoption a pour fondement le bien-être spirituel de l’adoptant, et non le bien-être de l’enfant, et parce qu’il contribue au maintien du système des castes (officiellement aboli) en procurant aux adoptants un enfant appartenant à la même caste qu’eux[18]. Néanmoins, les lois basées sur la religion : The Hindu Adoption and Maintenance Act de 1956 et le Guardians and Wards Act de 1890, modifié en 1961, continuent de s’appliquer. Cette préférence pour l’adoption d’un enfant apparenté en Inde n’est pas seulement religieuse : dans son étude conduite en Inde, Sayeed Unisa (2005) note ainsi que seulement 10 % des 332 femmes stériles de son échantillon avaient adopté et qu’elles l’avaient fait de façon informelle, l’enfant étant né de parents proches (soeur, beau-frère). Ces femmes considéraient qu’en dehors de la parenté l’adoption était futile, car un enfant étranger ne pourrait leur procurer le même amour et la même sécurité dans la vieillesse qu’un enfant de famille.

Sans avoir légiféré sur le sujet, d’autres pays, comme Haïti, où les liens du sang sont très importants favorisent également l’adoption intrafamiliale, car elle est en congruence avec leurs représentations de la parenté. Et l’on peut s’attendre à ce que l’application de la CLH amène d’autres pays d’origine et d’accueil à légiférer à ce sujet, comme vient de le faire le Québec.

L’article 7 de l’arrêté no 2005-019 du ministre de la Santé et des Services sociaux[19] en date du 21 décembre 2005 prévoit qu’une personne peut être autorisée à effectuer des démarches d’adoption au Québec sans passer par un organisme agréé. Toutefois, le projet d'adoption doit concerner «l’adoption de son frère, sa soeur, son neveu, sa nièce, son petit-fils, sa petite-fille, son cousin, sa cousine, son demi-frère, sa demi-soeur, ou ceux de son conjoint, y compris conjoint de fait avec qui elle cohabite depuis au moins trois ans, pourvu que ni elle ni ce conjoint se soient liés à une tierce personne par un mariage, une union civile ou une autre forme d’union conjugale encore valide ». La catégorie « cousin » donne une marge de manoeuvre aux intervenants du SAI pour traiter les demandes car elle n’est pas définie en termes de degrés. D’un point de vue pratique cependant, la preuve de l’apparentement restera difficile à établir dans des pays déstructurés, surtout dans le cas de cousins éloignés. La différence d’âge entre adoptants et adoptés continuera aussi à poser problème aux adoptants et intervenants dans bien des cas. En effet, avec les guerres ou les catastrophes naturelles, les personnes devant signer la remise en adoption ou les documents d’état civil disparaissent, et les familles recomposées par adoption informelle suivant une crise peuvent être très atypiques (si l’on prend le critère de différence d’âge par exemple, une femme de 23 ans peut très bien être en charge d’une adolescente orpheline de sa parenté élargie qui en a 14). Reconnaître la spécificité des adoptions famille en déterminant les degrés requis et en autorisant les démarches privées constitue néanmoins un grand pas en avant qui devrait clarifier grandement la tâche des intervenants québécois.

Une interprétation variable selon les cultures de la clause de l’intérêt supérieur de l’enfant

Le pays d’origine décide de l’adoptabilité des enfants en fonction de ses propres critères culturels de ce qu’est une famille et de ce qui constitue l’intérêt supérieur de l’enfant. Or ceux-ci peuvent être très différents des nôtres. Par exemple dans les pays occidentaux, le fait de se départir volontairement d’un fils ou d’une fille que l’on pourrait élever soi-même fait l'objet d'une forte réprobation sociale. Cette conception de la relation parent-enfant constitue un obstacle pour saisir « de l’intérieur » comment procède autrui, apparemment avec sérénité, lors d’une démarche aboutissant à la cession de son rejeton (Lallemand, 1993). Or, dans plusieurs sociétés, les membres de la parenté peuvent justement avoir pour devoir de procurer un enfant (souvent d’un sexe prescrit) à un membre de leur famille qui n’en a pas. Les codes écrits ou oraux de ces sociétés sont souvent explicites sur qui peuvent être les donataires, sur le nombre d’enfants que l’on peut ainsi adopter, leur sexe, leur génération (tous ces critères sont précisés par exemple dans le Hindu Adoption Act de 1956). Aux Philippines, Violeda Umali (2005) souligne que l’enfant adopté est stigmatisé et qu’un lourd secret pèse souvent sur lui parce qu’on tente de le faire passer pour un enfant biologique aux yeux de la communauté (comme c’était auparavant le cas au Québec). À cause de cette discrimination, il y a une forte pression culturelle dans ce pays à donner un de ses enfants à un parent proche qui en est dépourvu – voire à en faire un sur mesure pour lui –, l’adoption famille ayant bien meilleur statut. Enfin de très nombreuses sociétés considèrent que c’est agir comme de bons parents que de transférer un enfant à des membres de la parenté qui vivent à l’étranger pour lui assurer un meilleur avenir, tout en minimisant peut-être parfois les coûts psychologiques que cela implique pour l’enfant.

Les intervenants du Québec considèrent certaines de ces adoptions intrafamiliales acceptées sans problème par les pays d’origine des enfants comme des adoptions de convenance qui ne servent pas au mieux l’intérêt supérieur de l’enfant, mais bien plus celui des adultes. Pour donner ou refuser leur accord aux requêtes concernant de telles adoptions, ils prennent d’abord en considération le critère de pauvreté absolue des parents de naissance, situation qui met l’enfant physiquement en danger ou, dans les cas d’enfants en provenance de l’Inde, ils exigent à tout le moins la preuve de la tenue d’une cérémonie publique de don de l’enfant, comme le prévoit le Hindu Adoption Act[20].

Une adoption « famille » plénière et confidentielle

Dans les cas d’adoption intrafamiliale, on déconstruit et reconstruit sur le plan légal bon nombre de liens de parenté biologiques encore actifs. La notion du bien-être de l’enfant semble en effet avoir suspendu tout questionnement sur le bien-fondé d’opérer alors systématiquement une rupture complète de la filiation d’origine[21]. La tante ou la demi-soeur de l’enfant ou la cousine de sa mère peuvent ainsi devenir sa mère. Comment s’inscrivent les autres membres de la parenté dans cette généalogie bousculée? (Si ma demi-soeur est ma mère, mon frère non adopté par ma demi-soeur est-il mon oncle ou mon frère? Devient-il mon demi-frère?). Les entrevues réalisées nous incitent à croire que les perturbations sur le plan généalogique ne changent rien à la perception qu’a l’enfant des différents membres de sa famille et de sa place parmi eux. Il n’y a pas de « secret de famille » pouvant éventuellement nuire à son équilibre psychologique. Par contre à l’extérieur de la famille, à l’école par exemple, rien n’est évident, et ce sont souvent les adoptants ou l’enfant lui-même qui ressentent la nécessité de clarifier la situation avec les divers intervenants[22].

Il y a un paradoxe semble-t-il entre, d’un côté, reconnaître l’importance des relations familiales préexistantes à une adoption intrafamiliale au point de leur attribuer un traitement différentiel et privilégié dans les procédures et, de l’autre, appliquer la règle de la confidentialité dans le traitement des dossiers et imposer l’adoption plénière à tous les requérants de cette catégorie. À côté des adoptions plénières, on devrait penser à offrir aux adoptants de la catégorie famille qui le désirent la possibilité d’une adoption simple, inclusive, option qui existe d’ailleurs comme on l’a vu dans de nombreux pays donneurs d’où proviennent les enfants. En revanche, cette solution implique des discussions entre les deux paliers de gouvernement, lesquelles devront aboutir à la mise en place d’accommodements particuliers. En effet, dans l’état actuel du droit canadien sur l’immigration, les enfants adoptés sous la forme simple se verraient vraisemblablement interdire l’entrée sur le territoire canadien.

Conclusion

Les situations de l’adoption internationale sont en constante évolution. Le législateur est intervenu à plusieurs reprises dans les dernières décennies dans le but d’apporter des réponses aux nouvelles réalités de l’adoption internationale, notamment dans le cas des conventions internationales, pour tenter d’empêcher la vente et la traite d’enfants. Depuis son essor dans les années 80, la conception de l’adoption s’est ainsi modifiée, notamment sous l’influence des textes internationaux (CIDE et CLH) et des spécialistes de la protection de la jeunesse, pour devenir presque exclusivement un mode de protection des enfants abandonnés, au détriment d’une conception de l’adoption attributive d’un lien de filiation. Cette évolution se reflète dans la nouvelle législation qui vise à rendre le droit québécois conforme à la CLH. Constatons au passage que, toujours au nom de la protection et de l’intérêt de l’enfant, cette législation opère un déplacement des pouvoirs donnant beaucoup de poids aux intervenants sociaux. Ainsi, le rôle des tribunaux se limitera, dans certains cas, à entériner le processus de coopération entre les ordres administratifs des pays signataires. Dans cette perspective de protection, la place généalogique de l’enfant au sein de sa famille, la continuité de son histoire personnelle, les représentations culturelles de la famille et de l’adoption des pays donneurs sont devenues des questions très secondaires et négligées. Il est grand temps de prendre conscience que l’intérêt supérieur de l’enfant et son bien-être impliquent aussi une réflexion sur la place qu’occupent la généalogie et l’histoire personnelle dans sa vie et de s’ouvrir à un plus grand respect des cultures de parenté et d’adoption des pays d’origine des adoptés. À ce propos, une forme d’adoption simple, non exclusive en plus de l’adoption plénière déjà existante, devrait être envisagée par le législateur comme choix possible dans certaines situations pour les adoptants. Une telle réflexion devrait se tenir autant en adoption interne qu’en adoption internationale.