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Regards croisés sur le métissage. Par Laurier Turgeon, dir. (Québec, Les Presses de l’université Laval, Collection Intercultures, 2002. 233p., ISBN 2-7637-7862-3)[Notice]

  • Hélène Clairet-Boucher

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  • Hélène Clairet-Boucher
    Université de Bretagne Occidentale
    Brest

« Le mélange est partout, mais le “métissage culturel” est insaisissable » (11). Regards croisés sur le métissage est un ouvrage collectif qui ouvre des portes pour une réflexion sur le concept de métissage, notion polysémique très en vogue dans nos sociétés contemporaines. L’ouvrage réunit les réflexions de dix auteurs autour de la rencontre interculturelle. Il fait suite à la tenue, en 2000, d’un séminaire du Centre interuniversitaire d’études sur les lettres, les arts et les traditions (CELAT) de l’Université Laval. Archéologues, historiens, ethnologues, philosophes, muséologues et littéraires se sont retrouvés pour apporter leur vision du métissage au travers du prisme de leur discipline respective. On part donc pour une réflexion à entrées multiples qui comporte le risque de s’éparpiller, mais l’ouvrage conserve sa cohérence tout au long des démonstrations. Avec le processus de mondialisation et l’interculturalité, les questions identitaires et les appartenances plurielles sont au centre des débats. C’est l’heure de la confrontation des regards et de la confusion dans les discours. Récupéré et utilisé dans des logiques souvent contradictoires, le métissage prend le visage que les acteurs veulent bien lui donner. Cet ouvrage présente des manifestations de ce phénomène dans nos sociétés hier et aujourd’hui. « Le métis mélange les catégories et vient menacer l’ordre établi » (3), soulignent Anne-Hélène Kerbiriou et Laurier Turgeon dans leur introduction qui pose les pistes de réflexion. Comment alors appréhender ce phénomène du métissage qui brouille les cartes ? Quelles sont et quelles ont été les stratégies et négociations identitaires mises en jeu lors d’une rencontre interculturelle ? Les auteurs de Regards croisés sur le métissage font le choix de l’approche interdisciplinaire. Après une introduction éclairante sur l’apparition, l’utilisation et la récupération du concept de métissage depuis le XVIIe siècle, l’ouvrage se divise en deux parties : les discours du métissage regroupant cinq articles, suivie des pratiques du métissage comportant quatre articles. En quelque 250 pages, on passe d’un continent à l’autre, d’une époque à une autre, en conservant comme fil conducteur la perception des emmêlements culturels. Dans « De la dimension interculturelle de la culture coloniale. Discours coloniaux et dynamiques culturelles en Afrique Occidentale Française », Hans-Jürgen Lüsebrink analyse la manière dont le système a lui-même fourni les clefs de son échec. En plus d’une occupation physique des colonies africaines, la France prônait une conquête morale des populations. « L’institution scolaire adaptée » était la clef de voûte du système, qui voulait donner naissance à une identité africaine nouvelle, fruit du métissage. Elle devint le lieu de formation des intellectuels africains et ouvrit, en fait, les portes d’un espace de participation et de critique du système colonial. Avec les écrivains de la négritude, le concept de métissage est rejeté et associé à la conquête coloniale. En réponse à un colonisateur prêchant le mélange et niant l’histoire pré-coloniale, des intellectuels tels que Sadji et Senghor, formés par le système colonial, se tournent vers l’essentialisation de l’identité africaine. Ils font revivre le griot et la tradition orale au travers de leurs écrits diffusés par le colonisateur lui-même. Lüsebrink soulève ici la question de l’authenticité, un pendant essentiel de la réflexion sur le métissage. La stratégie coloniale française aurait produit les conditions favorables à la production des contre-discours. Lüsebrink voit alors le métissage comme un lieu de confrontation dans lequel on trouverait aussi « des processus de réception productive et d’appropriation créative »(38). Au travers de la littérature québécoise contemporaine, Pierre Ouellet adopte une posture critique vis-à-vis de l’utilisation des termes métissage et hybridité qui, en prônant le mélange des différences, comporterait le risque de la négation de celles-ci. « Ils désignent le …