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Harald Welzer, Sabine Moller et Karoline Tschuggnall. « Grand-Père n’était pas un nazi ». National-socialisme et Shoah dans la mémoire familiale. (Paris, Gallimard, 2013. Pp. 344. Coll. « NRF essais ». ISBN 978-2-07-013589-9)[Notice]

  • Adrien Genoudet

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  • Adrien Genoudet
    Université Paris VIII Vincennes-Saint-Denis, Institut de l’Histoire du Temps Présent (CNRS)

La sortie récente de la traduction française de l’ouvrage intitulé « Grand-Père n’était pas un nazi ». National-socialisme et Shoah dans la mémoire familiale de Harald Welzer, Sabine Moller et Karoline Tschuggnall, traduit par Olivier Mannoni, a permis d’attirer l’attention sur la manière dont les différentes générations allemandes ont reçu et décanté le passé national-socialiste et la Shoah. L’ouvrage a paru, au départ, aux Éditions Fisher à Francfort en 2002. C’est donc avec un certain recul que nous recevons cette longue enquête-analyse réalisée en Allemagne pendant plusieurs années, qui a recueilli les témoignages de 40 familles et de 182 entrevues individuelles ou entretiens familiaux (313). Harald Welzer est psychosociologue et dirige à Essen le Centre de recherche interdisciplinaire sur la mémoire auquel collabore Sabine Moller qui est, quant à elle, à l’Université Humboldt de Berlin. Karoline Tschuggnall est membre de l’Institut de psychologie de l’Université libre de Berlin. Autant dire que l’on décèle aisément l’axe « histoire psychologique » à la lecture de ce livre qui permet ainsi, au fil des entretiens et de leurs analyses, de comprendre que la « mémoire » du Troisième Reich est extrêmement lacunaire – voire faussée – au sein des familles. Une lacune qui semble s’intensifier au fil des générations. Pour démontrer ce constat annoncé dès l’« avertissement aux lecteurs » (7) et pour l’illustrer, les auteurs se servent de ces dizaines d’entretiens et s’appuient sur un certain nombre de citations extraites directement de ces enregistrements. On peut voir ainsi comment le langage permet la construction d’une mémoire familiale (22) et comment les histoires racontées sont entendues puis déformées ou réinterprétées au fil des années (57). La forme analytique du livre oscille donc entre ce matériau brut (les entretiens) et leurs commentaires par les auteurs. Se déploie dès lors une réflexion sur la construction du souvenir, de la mémoire et des processus de transmission au sein des familles et au fil des générations jusque dans les ambivalences géographiques marquées par la scission entre la RDA et la RFA (220). Les lecteurs peuvent se référer à quelques tableaux en fin d’ouvrage (291) qui résument l’échantillon analysé et qui permettent une vue plus générale et davantage statistique sur le contenu. Enfin, pour appuyer leurs enquêtes et leurs analyses, conscients que les « résultats sur la transmission sont généralisables, mais pas représentatifs » (287), les auteurs ont fait réaliser un sondage représentatif en juin 2002 par l’Institut Emnid à Bielefeld, sondage qui corrobore la majorité des conclusions avancées et qui est présenté dans la « Postface à la seconde édition » en fin d’ouvrage (285). Au-delà d’un possible traitement trop « psychologique » et d’une possible volonté de trop appuyer un pressentiment transformé en thèse, il semble intéressant de nous concentrer sur le cinquième chapitre en particulier, parce qu’il soulève de nombreuses questions – à la fois historiques, méthodologiques et culturelles. Le cinquième chapitre, « “Le général du diable”. Le cinéma comme biographie ou Comment les médias façonnent le souvenir » (142), pose la question passionnante, à travers certains entretiens, de la place de l’image dans la construction et la transmission des souvenirs. Les auteurs ont remarqué au fil des entrevues que les témoins faisaient souvent référence à un film, à des actualités filmées ou à une image pour appuyer leurs discours. Ils ont donc décidé de regrouper ces éléments constitutifs de la « mémoire visuelle » des personnes sollicitées et tentent une analyse plus large sur la manière dont cette mémoire visuelle conditionne la transmission et l’appropriation des souvenirs par les jeunes générations (146). Les auteurs soulignent dans un premier …