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En 2017, dans l’ensemble des écoles secondaires publiques du Québec, environ un garçon sur six quittait l’école sans un diplôme (Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 2018). Au Canada, le taux de décrochage des élèves masculins est supérieur d’au moins 3,1 % à celui des filles depuis 1990 (Uppal, 2017). Les garçons font-ils face à des difficultés particulières?

Parmi de nombreux éléments explicatifs, le manque de moti- vation scolaire pourrait être en cause. Certains auteurs croient que le milieu scolaire pourrait être à l’origine de la démotivation des élèves de sexe masculin et de leurs difficultés scolaires. Selon Martino, Mills et Lingard (2005), l’école aurait été façonnée sur un modèle accommodant davantage la gent féminine dans lequel la mémorisation de notions apprises en classe, la planification et l’organisation sont privilégiées. En ce qui les concerne, les garçons présenteraient moins de comportements associés à la motivation scolaire que les filles tels que l’écoute et la participation. Les mêmes auteurs avancent qu’elles démontreraient une plus grande confiance que leurs confrères en leurs capacités scolaires. Dans un document consacré à la réussite des garçons, le ministère de l’Éducation soutient que les filles perçoivent leur réussite scolaire différemment de leurs confrères (Ministère de l’Éducation du Québec, 2004). Il semble que les filles croient que leur réussite dépend de leurs efforts alors que les garçons misent sur leur intelligence pour réussir. Afin de susciter leur motivation, des mesures ont été mises en place et parmi elles, la formation de groupes non mixtes. Or, il ne suffit pas de mettre les garçons dans un même groupe pour voir leurs problèmes s’estomper (Cloutier, 2003). L’enseignant doit adapter son enseignement à leurs particularités (Baker, 2002) et tenir compte des différents aspects reliés au genre de ses élèves. Néanmoins, une question demeure en suspens : comment ces enseignants tentent-ils de motiver les garçons d’une classe non mixte?

Pour répondre à cette question, les concepts de masculinité et d’adolescence en contexte scolaire ont été approfondis. La masculinité est rattachée à des comportements et des attitudes qui distinguent les adolescents des adolescentes. Ainsi, les garçons acquièrent leur maturité physique vers treize ou quatorze ans alors que les filles sont déjà souvent pubères vers la fin de l’école primaire (Melman, 2001). De plus, les différences entre la structure et le fonctionnement du cerveau des adolescents et celui des adolescentes ont un impact sur leurs comportements et leurs expériences scolaires (Cloutier, 2003). Ces différences se manifestent dès l’enfance, notamment en ce qui concerne le développement du langage habituellement plus tardif chez les garçons que chez les filles. Cette particularité serait à l’origine de leurs difficultés en lecture et en écriture (Lemery, 2004). Cependant, la théorie voulant que les cerveaux des filles et des garçons soient différents est contestée. Eliot (2013) et Jordan-Young (2010) estiment que les différences observables entre garçons et filles sont minuscules. Le cerveau des garçons est de 8 à 14 % plus gros que celui des filles, ce qui est comparable à leur différence moyenne de poids et de grandeur. Également, nous avons étudié la motivation à la lumière d’écrits scientifiques. La dévolution qui permet à l’élève de s’engager dans l’activité proposée (Brousseau, 2009) et, conséquemment, de se responsabiliser (Connac, 2012) susciterait la motivation scolaire. En effet, selon Viau (2000), celle-ci nourrit le désir d’apprendre de l’élève et permet l’actualisation de son potentiel à la condition que l’enseignement sollicite son investissement dans les activités pédagogiques. Ce même auteur propose des moyens de déclencher l’engagement cognitif et le gout de s’investir dans une situation d’apprentissage. Entre autres, l’activité que l’enseignant propose doit représenter un défi et être authentique, signifiante pour l’élève et viser sa responsabilisation en lui permettant de faire des choix.

Notre recherche exploratoire, qualitative et descriptive lie la motivation aux pratiques et aux intentions d’enseignement. Des entrevues semi-structurées ont été menées auprès de deux groupes de cinq garçons de deux classes non mixtes de la première année du secondaire. Trois enseignants issus de l’adaptation scolaire et du domaine des langues ont participé au moyen d’entrevues individuelles et de récits de pratique.

Nos résultats mettent en évidence que, dans une classe de garçons du premier cycle du secondaire, l’enseignant est considéré comme étant le principal facteur de la motivation scolaire et que la relation harmonieuse qu’il entretient avec ses élèves de sexe masculin suscite la motivation de ces derniers. Également, les intentions et les pratiques pédagogiques de l’enseignant responsable d’un groupe de garçons sont adaptées spécifiquement aux intérêts, aux besoins et à l’expérience de vie des élèves. Par ailleurs, contrairement à ce qu’indiquent plusieurs écrits consultés (Martino et al., 2005; Mulholland, Hansen et Kaminski, 2004), les trois enseignants de notre recherche n’utilisent pas la compétition pour motiver les garçons. Ceux-ci intègrent plutôt des activités à caractère ludique dans leurs pratiques d’enseignement, sans créer toutefois un esprit compétitif en classe. En ce qui a trait à la perception des élèves, il semble que la non-mixité puisse entrainer des effets non souhaitables, comme certains comportements perturbateurs. À cet égard, des propos des élèves ayant participé à notre étude dont les noms sont fictifs ont été recueillis. Selon Benjamin, dans une classe de garçons, les élèves ont tendance à avoir des comportements plus naturels que lorsqu’ils étudient en présence de filles : « Quand il y a juste des gars, tu peux dire n’importe quoi. Tout le monde va rire. » Bien qu’ils se permettent généralement plus de pitreries lorsqu’ils sont entre garçons, d’autres élèves croient que la non-mixité engendre aussi des effets positifs sur les comportements et les attitudes, tels que l’authenticité, la solidarité et la coopération. Marco affirme que : « S’il y en a un qui niaise, on va plus lui dire directement ». Steven dit : « Entre gars on peut s’aider, on se connait plus. » Éric renchérit en déclarant : « On est moins gêné. On fait des liens d’amitié. »

Comme l’avis des chercheurs est partagé en ce qui concerne la non-mixité des classes en lien avec la motivation, il était essentiel de se pencher sur la question. D’une part, notre recherche informe les enseignants sur les pratiques pédagogiques qui suscitent la motivation des garçons. D’autre part, en améliorant les connaissances sur les intentions pédagogiques des enseignants qui travaillent avec des garçons du premier cycle du secondaire, elle permet de connaitre, notamment, ce que de jeunes garçons québécois attendent de leurs enseignants. Pouvant entrainer des effets non souhaitables, comme souligné plus haut, la non-mixité masculine n’est pas favorable à tous les égards. D’un point de vue social, il est possible d’envisager des retombées indirectes de notre étude relativement au problème du décrochage scolaire des garçons. Pour le moment, la société semble avoir fait son choix en privilégiant la mixité dans la presque totalité des écoles québécoises. Même s’ils n’incitent pas au changement, nos résultats, issus d’une recherche exploratoire, peuvent être bénéfiques à tous les enseignants qui travaillent auprès des garçons.