Comptes rendus

CARILE, Paolo, Le regard entravé. Littérature et anthropologie dans les premiers textes sur la Nouvelle-France (Rome/Sillery, Aracne/Septentrion, coll. « Les nouveaux cahiers du Célat », no 24, 2000), 223 p.[Notice]

  • François Melançon

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  • François Melançon
    Département d’histoire et de science politique
    Université de Sherbrooke

Il y eut un temps – béni, dirons certains – où les érudits logeaient à la même enseigne. Certes, ce lieu intellectuel tenait parfois de l’auberge espagnole, mais l’effervescence était nourricière. L’académie était alors un lieu de convergence où la transversalité des compétences n’avait pas encore de nom, mais était déjà d’usage commun ; c’était l’académie avant l’académisme. En d’autres mots, c’était le temps où les chapelles disciplinaires étaient des lieux d’hospitalité et de partage avant que d’être des guérites fortifiées défendant l’accès d’un territoire immatériel contre des ennemis imaginaires. Le regard entravé dont Paolo Carile parle aurait pu être ça. Mais c’est autre chose. Le littéraire italien propose à l’historien québécois un regard dés-entravé, un regard intellectuel autre, sur un lopin de terre que ce dernier fréquente avec timidité : les représentations sociales et culturelles. Plus particulièrement, dans ce cas-ci, celles qui, dans le premier XVIIe siècle, ont servi à appréhender l’altérité amérindienne et à en rendre compte. Cette expérience de l’« altérité extrême » constitue, pour le citoyen Carile, un passage fondamental de l’« itinéraire anthropologique » de l’humanité, au demeurant toujours inachevé et sans prédestination. L’introspection salutaire que connaît la culture occidentale de la Renaissance, qui la révèle à elle-même, lui doit beaucoup. Paolo Carile propose sept études des textes de Marc Lescarbot dont les témoignages ethnographiques, anthropologiques et poétiques constituent, à son avis, un lieu privilégié d’observation de cette culture de l’entre-deux qui naît du regard européen sur la réalité amérindienne. L’érudit avocat se distingue en effet de ses contemporains par la place qu’il donne à cette altérité et, par conséquent, l’autonomie, voire la légitimité, qu’il lui accorde. De plus, il sait ruser avec les auctoritates classiques et bibliques et investir des formes littéraires traditionnelles. Ces dernières, il les détourne, transformant ainsi son « expérience humaine exceptionnelle » en « expérience esthétique authentique ». Les études recueillies dans cette coédition italo-québécoise inusitée ont déjà paru dans leur version italienne en 1987. Elles sont ici remaniées, dépouillées notamment des références trop spécifiques à la culture italienne. L’introduction expose la problématique d’ensemble ; le premier chapitre la complète. À travers une analyse préliminaire des premières descriptions de paysages de la Nouvelle-France, il expose en effet les principes préliminaires qui guident les chapitres subséquents : la « relation psycho-idéologique » qui s’instaure entre le regard subjectif et l’objet décrit ; les contraintes scripturales et culturelles qui encadrent l’élaboration de chaque discours. S’ensuit l’étude des fragments de l’oeuvre poétique de Lescarbot qui, sous le titre des Muses de la Nouvelle-France, vont se greffer à partir de 1612 à l’ouvrage phare de l’avocat : l’Histoire de la Nouvelle-France. Véritable « mosaïque discursive », publié une première fois, à Paris, en 1609, le livre comporte aussi des textes de controverse, des récits de voyage et des « traités » ethnographiques que Paolo Carile soumet également à la critique littéraire. Ce faisant, il montre comment « le genre littéraire utilisé peut conditionner largement le contenu thématique d’une oeuvre » : de La defaite des sauvages Armouchiquois à La conversion des Sauvages, en passant par le Théâtre de Neptune ou les poèmes de l’Adieu à la Nouvelle-France, la représentation de l’Amérindien est équivoque. Paolo Carile se réclame d’une « sorte d’éclectisme méthodologique conscient et volontaire » où prime une critique littéraire instrumentée d’une herméneutique de bon aloi qui aurait gagné à être définie. Soucieux de (re)donner des lettres de noblesse à ces différents textes, appartenant à des genres déconsidérés sur le plan littéraire parce qu’ils se fondent sur d’autres formes d’écriture et appartiennent à d’autres champs du …