Comptes rendus

TRUDEL, Marcel, avec la collaboration de Micheline DALLAIRE, Deux siècles d’esclavage au Québec (Montréal, Hurtubise HMH, Cahiers du Québec, coll. « Histoire », 2004), 408 p.[Notice]

  • Gilles Havard

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  • Gilles Havard
    Centre d’études nord-américaines
    École des Hautes études en sciences sociales

Ce livre est la réédition, partiellement actualisée et globalement plus fouillée, de l’une des oeuvres les plus indispensables de Marcel Trudel, L’esclavage au Canada français, publiée en 1960. Un cédérom contenant le Dictionnaire des esclaves et de leurs propriétaires au Canada français, déjà publié par le même auteur en 1990, l’accompagne. Comme dans le récent Mythes et réalités dans l’histoire du Québec (2001) où, par exemple, il réévaluait à la baisse l’action de l’intendant Talon, Trudel, historien rigoureux mais franc-tireur, se plaît à revisiter certains clichés tenaces qui s’attachent à l’histoire et à l’identité des Québécois. Il s’efforce ici de briser le tabou de l’esclavage tout en comblant un énorme vide historiographique. Il nous révèle ainsi que des années 1680 à 1834, sous le Régime français puis sous le Régime britannique, l’esclavage existait officiellement au « Québec ». « Nous qui nous sommes toujours pris pour un peuple de missionnaires et de spiritualistes », affirme l’auteur, dans une coutumière séance d’« autocritique », « nous n’arrivons pas à admettre que nous ayons connu un passé colonial semblable à celui des États-Unis » (p. 344). Trudel a toujours revendiqué une approche objective, scientifique, parfaitement dégagée de l’idéologie. Son écriture n’est pourtant pas neutre, et la rhétorique du « nous », bien qu’assumée, le souligne assez grossièrement : « nos ancêtres », « chez nous », « notre esclavage », « notre histoire », « les esclaves d’ici », etc. (je souligne) ; une telle prose rappelle que Trudel fut un admirateur de Lionel Groulx. C’est cette même posture nationaliste qui le conduit à restreindre géographiquement son étude de l’esclavage au seul Canada – et à délaisser la Louisiane. Bien que dépoussiéré, l’ouvrage de 1960 n’est pas totalement actualisé. Il est ainsi question des « dollars de 1960 » (p. 208-209). Certains termes désuets, voire racistes, ont heureusement disparu. Le sous-titre « Les sauvages arrivent un à un » a par exemple été remplacé par « L’arrivée des Amérindiens esclaves » (p. 23). Mais on pourra regretter que ce toilettage lexical n’ait pas été accompli de fond en comble : ainsi voit-on apparaître de-ci de-là, et sans guillemets, les termes « nègre », « négrillon », « tribu sauvage », « grande sauvagerie », etc. On note aussi une certaine pudibonderie, comme si l’auteur continuait d’avoir peur, en 2004, de choquer ses lecteurs : pour évoquer les liaisons sexuelles entre Blancs et esclaves (indiens ou africains), il parle de « débauche » (p. 255), de « folies » (p. 256), et il assène : « ne nous scandalisons pas » (p. 335) ! Pour Trudel, l’esclavage au « Québec » n’est pas une aberration puisqu’il constituait une pratique courante des puissances coloniales européennes au xviiie siècle ; mais l’historien, à raison, n’en cherche pas moins à identifier les caractères particuliers de cette institution sur les rives du Saint-Laurent. Si Louis XIV, dès 1689, a autorisé l’importation d’esclaves africains au Canada, c’est en 1709, avec l’ordonnance publiée par l’intendant Raudot, que la mise en servitude d’Indiens (souvent nommés « Panis ») et de Noirs y acquiert un caractère légal. Cet esclavage n’a toutefois rien à voir avec celui pratiqué dans les colonies continentales britanniques du Sud (Virginie, Carolines…), dans les Antilles ou même en Louisiane (pays des Illinois compris), où se développent au même moment des sociétés proprement esclavagistes. L’auteur comptabilise en effet, sur une période de deux siècles, quelque 4200 esclaves, dont 2683 Indiens et 1443 Noirs : un total « ridiculement faible » (p. 91). Cette faiblesse est liée à l’éloignement géographique du Canada par rapport au marché …