Corps de l’article
Il est rare de commencer par un sourire la lecture d’un livre d’histoire ! C’est le cas du présent ouvrage, le dernier d’une trilogie, dont la page couverture présente un tableau humoristique d’Yvonne Bolduc, « Les soeurs dans le vent, le vent dans les voiles ».
Dans le tome 1, Guy Laperrière avait analysé une des conséquences des lois scolaires françaises et des expulsions de 1880, soit l’arrivée au Québec des congrégations de frères enseignants, puis de la loi militaire de 1889, avec l’implantation, jusqu’en 1900, de congrégations cléricales et ensuite de congrégations féminines. Le tome 2 a présenté le mouvement d’expansion des congrégations avec, en l’arrière-plan, la loi du 1er juillet 1901 sur les associations, les décrets de 1902 d’Émile Combes et l’interdiction d’enseigner faite aux congréganistes par la loi du 7 juillet 1904. Tous ces événements sont situés et analysés en regard de la situation religieuse au Québec.
Le menu de ce troisième tome est copieux, 730 pages, et s’explique par la nécessité d’analyser dix années « chargées d’événements et de débats significatifs ». Intitulé « Vers des eaux plus calmes », il se divise en cinq parties. Dans la première (p. 23ss), l’auteur rappelle le contexte politico-religieux et la condition des religieux en France au cours de la période 1905-1914. La deuxième (p. 95ss) fait l’inventaire de la quarantaine de congrégations françaises déjà établies au Canada et la troisième (p. 251ss), celui des huit nouvelles congrégations venues en raison de la politique Combes, dont trois contemplatives. Deux annexes (p. 634-637) résument le tout et permettent d’en voir la complexité. La quatrième partie (p. 369ss) s’intéresse à la vie quotidienne de ces religieux et religieuses – en particulier la spiritualité de l’exil, les liens maintenus avec la France et l’adaptation au Canada. C’est le moment de tenter un bilan sur l’ensemble de ce mouvement de migration de la France au Canada.
La cinquième partie (p. 455ss) présente les débats politico-religieux qui ont cours au Québec dans les années 1905-1914, avec la montée des tensions nationalistes et des mouvements ouvriers, le débat sur l’instruction publique, les nouvelles idées apportées par la presse, la crainte du laïcisme et le souci de maintenir les bonnes relations existant entre l’Église et l’État, le type de relations maintenues avec la France et la perception que chaque groupe a de l’autre. L’épilogue survole la période qui suit la déclaration de la guerre en 1914, marquée par l’immigration, la croissance démographique, économique et industrielle, pour faire état des conséquences de ces facteurs sur la situation des congrégations, en particulier le retour de plusieurs en France, et illustre leur influence par le souvenir que l’on garde de ces religieux.
L’analyse minutieuse des événements qui ont préparé et accompagné l’implantation au Québec des congrégations et de leurs membres permet de découvrir la diversité de leur situation : toutes ne sont pas concernées au même degré par les lois congréganistes, dans la mesure où certaines ont d’autres cordes que l’enseignement à leur arc. Elle permet également, grâce à une judicieuse utilisation des diverses correspondances entre les supérieurs, les évêques et les curés, mais aussi des religieux et des religieuses avec leurs supérieurs, d’appréhender la diversité des motivations et des objectifs poursuivis par les uns et les autres. Au fil de l’analyse, Guy Laperrière parvient ainsi à dégonfler bien des mythes, à dénoncer des préjugés sans fondements, des jugements à l’emporte-pièce et, peut-être le plus intéressant, à mettre des bémols sur l’unanimité sociale affichée ou prétendue et sur le cléricalisme attribué à l’époque. Il constate que Rome et les évêques ne mènent pas tout (p. 199-200), que « les évêques préfèrent l’action des laïques, plus discrète, plus efficace », et que leur intransigeance a des limites (p. 208).
Guy Laperrière souligne l’importance du poids des hommes, prêtres et évêques, sur les communautés de femmes qui n’en conservent pas moins une marge de manoeuvre non négligeable et constate que les questions de personnes et de personnel sont des facteurs beaucoup plus importants que l’argent (p. 248). Pendant plus de trois décennies, d’autres motifs que la situation politique du pays d’origine sont apparus, en particulier chez les congrégations de venue plus tardive, soit la volonté d’expansion et d’un meilleur recrutement, alors que la préoccupation missionnaire prend de l’importance dans le monde catholique.
Au quotidien, la spiritualité de l’exil marque les mentalités d’ici. Le maintien des liens avec la France est assuré grâce à la correspondance, aux journaux et aux voyages, mais la volonté de conserver l’esprit de la congrégation entretiendra la répugnance à nommer des supérieurs canadiens. Si l’adaptation est réussie chez plusieurs et l’entraide présente entre communautés, on n’évitera pas les tensions et des rivalités liées à des mentalités parfois fort différentes, en dépit d’une langue et d’une religion communes.
La venue de ces quelque 2000 religieux et religieuses entre 1900 et 1914 aura « permis le renforcement et la structuration de l’encadrement religieux de la population québécoise catholique » (p. 438). Au plus fort de la crise, leur présence avait porté les autorités religieuses québécoises « à se défier de tout ce qui peut ressembler à une mesure pouvant conduire au laïcisme et à vouloir contrôler de manière très serrée à la fois les projets du gouvernement et les manifestations de l’opinion publique, théâtre, littérature et presse en particulier. » (p. 455) Mais quand, en France, la crise religieuse s’apaise et fait place à des débats concernant la montée du socialisme, le climat change. La montée du nationalisme et la question des écoles dans l’Ouest canadien et en Ontario mobilisent l’opinion publique. Quant aux autorités religieuses, elles passeront plus de temps « à célébrer les bonnes relations entre l’Église et l’État qu’à condamner les socialistes et les francs-maçons » (p. 456).
Il faut souligner la pédagogie de l’auteur qui sait apporter, dès que le sujet devient plus complexe, les explications qu’il faut pour que le lecteur ne se perde pas. Pour terminer, il présente, en dix propositions éclairantes (p. 625-633), les conclusions auxquelles il est parvenu. La conclusion d’une analyse méticuleuse, qui permet de mieux comprendre certains aspects de l’évolution du milieu québécois.