Comptes rendus

Rudin, Ronald, producteur, Life After Île Ste-Croix, réalisé par Leo Aristimuño, Office national du film, 2006, 63 min.[Notice]

  • Caroline-Isabelle Caron

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  • Caroline-Isabelle Caron
    Département d’histoire, Université Queen’s

Divisé en cinq parties, le film présente en premier la conception que les trois groupes se font des événements de 1604 dans « What Happened in 1604 ? ». En second lieu, « Who Remembers… and Why ? » insiste sur les objectifs contradictoires du comité coordinateur des fêtes et des Passamaquoddy et présente les difficultés que les deux groupes ont rencontrées pendant l’organisation. On apprend que les anglophones du comité coordinateur voyaient les fêtes comme une occasion d’attirer les touristes et les ressources dans la vallée de la Sainte-Croix, en plus de vouloir faire de celle-ci le berceau de la présence française en Amérique. En attirant le regard du monde sur leur région, ils espéraient démontrer que cette histoire est d’abord la leur, et non uniquement celle des Acadiens qui n’y vivent plus. Les Passamaquoddy, pour leur part, désiraient présenter la « vraie histoire » de cet hivernage durant lequel sans l’accueil et l’amitié des Amérindiens, l’aventure aurait très mal fini. Ils espéraient renouer avec les Acadiens, se souvenir du « vrai passé » (pas celui que racontent les Blancs), enseigner l’histoire passamaquoddy aux générations à venir et sensibiliser les populations du Canada et des États-Unis à leur existence et à la validité de leurs demandes ancestrales. Les Acadiens, de leur côté, n’apparaissent pas comme des acteurs dans ces fêtes, mais comme ceux qui désirent s’approprier l’histoire de l’île Sainte-Croix et l’enlever aux deux autres groupes. La vision acadienne est délégitimisée par les autres intervenants, en particulier Norma Stewart, directrice exécutive du comité coordinateur, qui explique avec force détails comment ils se sont souvent butés aux refus de financement de la « bureaucratie francophone ». Maria Kulcher, directrice canadienne du même comité, explique pour sa part que les Acadiens ne se rendent tout simplement pas compte que l’hiver 1604 était le début d’une histoire bien plus grande et importante que la simple histoire acadienne ; c’était le début du Canada. La volonté des Acadiens d’identifier cet hiver avec le début de leur histoire nationale est systématiquement mise de côté par les membres du comité coordinateur autant que par les réalisateur et producteur. À l’exception de Viola Léger, aucun des Acadiens qui s’expriment dans le film (dont Maurice Basque) n’est membre de l’organisation des célébrations et leurs interventions n’ont le plus souvent pas été filmées sur les lieux des fêtes, mais ailleurs au Nouveau-Brunswick. L’effet en est un de distance et de mise de côté. Les Acadiens apparaissent comme ceux qui refusent les efforts de réconciliation tentés par les Anglophones et les Passamaquoddy. C’est dans la troisième et plus longue partie, « Remembering the Passamaquoddy of Canada », que Rudin et Aristimuño semblent révéler leur parti pris. Le film dénonce en effet la mise à l’écart des Passamaquoddy canadiens par les divers niveaux de gouvernement de ce côté-ci de la frontière et met en relief la volonté de cette première nation d’utiliser les fêtes de 2004 pour obtenir une reconnaissance officielle de leur existence et de leurs terres. Dans cette longue parenthèse, Rudin et Aristimuño surcompensent pour l’oubli que ce peuple a subi depuis la fin du XIXe siècle, depuis que le gouvernement fédéral ne reconnaît plus l’existence de cette nation sur le territoire canadien. Ainsi, le film présente de longs extraits d’entrevues avec Donald Soctomah, officier de la préservation historique de la Nation Passamaquoddy (Maine), et avec Hugh Akagi, Chef de la Bande Schoodik de la Première Nation Passamaquoddy (Nouveau-Brunswick). La quatrième partie, « Remembering on the Main Stage », démontre d’autant mieux le dialogue de sourds entre les trois groupes que seuls les Passamaquoddy semblent réellement ouverts …