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Parmi les régions du Québec qui marquent l’imaginaire des Québécois, il faut compter celle de Charlevoix. Son relatif isolement, ses paysages spectaculaires, ses traits culturels composent avec des représentations du territoire développées ou véhiculées par l’industrie touristique, d’hier et d’aujourd’hui. Le livre de Serge Gauthier aide à comprendre les origines de certains éléments de ces représentations. C’est certes l’un de ses mérites. Mais ce qu’il importe surtout de souligner de son étude est sa critique à l’égard d’une discipline scientifique, en l’occurrence la « pratique folkloriste », de son application à Charlevoix et des retombées de la folklorisation d’une région dans la construction des représentions et des images de celle-ci.
Cette création de la région folklorique part de l’hypothèse que des ethnologues, en particulier Marius Barbeau, Luc Lacourcière et Félix-Antoine Savard, ont inventé une tradition culturelle dans la région de Charlevoix, une tradition construite sur le désir de sauvegarder les traces d’un héritage français en Amérique. La région étudiée présente des caractéristiques intéressantes : isolement géographique, population très homogène et mode de vie essentiellement rural en font, entre autres, un terrain propice pour la conservation des traditions. Il n’y eut alors qu’un pas à franchir pour faire de la région historique de Charlevoix une région folklorique, un pas construit sur le point de vue des folkloristes.
L’ouvrage de Serge Gauthier est divisé en cinq chapitres, dont les deux premiers font le point sur « La pratique du folkloriste au Québec » et « Les premiers folkloristes québécois ». On y apprend que la recherche en folklore au Québec, de niveau universitaire, découle d’une pratique internationale avec les recherches sur le terrain par l’anthropologue Marius Barbeau, à l’époque de la Première Guerre mondiale. Elle se développe dans un contexte idéologique de la nécessité de recueillir « des preuves de l’existence d’une tradition orale et d’une source culturelle canadienne- française ». C’est dans ce contexte que sont présentées les méthodes de travail et les différences sociologiques des folkloristes Barbeau, Lacourcière et Savard. Le contexte de production des enquêtes de folklore dans Charlevoix constitue une réflexion intéressante sur la recherche scientifique.
Le chapitre 3 intitulé « Un Charlevoix historique (1535-1980) » explore les attentes des premiers folkloristes envers la région de Charlevoix. L’isolement est une caractéristique de cette région depuis l’arrivée de la population de souche européenne vers 1675. C’est d’ailleurs ce relatif isolement qui en fait un terrain réservé et particulièrement prometteur pour recueillir des preuves. Les folkloristes, soutient Gauthier, ont alors mis de côté le parcours sociohistorique de Charlevoix au profit de l’invention d’une région-réserve folklorique, ce qui permet l’invention de la tradition et la preuve d’un héritage français en Amérique.
Dans « Un Charlevoix folklorique », le chapitre 4, l’auteur étudie comment les premiers enquêteurs folklorisent Charlevoix, entre autres en exacerbant son caractère d’isolement. Ce qui est peut-être le plus intéressant est l’étude des lieux de provenance des informateurs de folklore dans Charlevoix. La majorité provient de rangs de paroisses agricoles, là où, en principe, vivent des gens peu lettrés, au mode de vie peu modifié par le développement industriel et aux valeurs culturelles peu contaminées par la présence des touristes. Ce sont des lieux de matériel folklorique. Par contre, certains lieux sont négligés, comme Petite-Rivière-Saint-François et l’île aux Coudres, en raison des difficultés d’accès, selon l’auteur, mais l’explication n’est pas ici très convaincante. Il apparaît néanmoins assez clairement que les folkloristes ont cherché des lieux producteurs de folklore et que la démarche est le fruit d’un processus scientifique.
Sous le titre d’« Un Charlevoix folklorisé », le dernier chapitre est particulièrement instructif. L’image de Charlevoix, perçue comme région folklorique, a maintenant des racines profondes et cette représentation, née en particulier du point de vue discutable des folkloristes au dire de l’auteur, n’en est pas moins une image qui contribue à la construction de réalités contemporaines. À l’aide d’exemples divers, dont certains reliés à l’industrie touristique, à la littérature sur l’histoire de la région et au cinéma, l’auteur montre comment le Charlevoix folklorique continue de servir de cadre référentiel, parfois même au détriment des intentions premières, comme c’est le cas avec le téléroman Le temps d’une paix de Pierre Gauvreau. Cela suggère qu’il est presque préférable de verser dans le point de vue de la région folklorique pour répondre aux attentes.
On peut regretter que le fil argumentaire soit parfois un peu mince, mais l’ouvrage demeure une contribution éclairante sur les méthodes scientifiques et le contexte de recherche d’un groupe de folkloristes. Il est aussi révélateur de la puissance des images dans le processus identitaire, images qui, une fois construites, peuvent devenir la référence privilégiée, sinon presque obligée. Des comparaisons avec d’autres espaces régionaux, l’île d’Orléans ou les Îles-de-la-Madeleine, à titre d’exemples, seraient, par ailleurs, instructives et pourraient enrichir certaines observations de l’auteur et leur donner ainsi de meilleures assises ou les relativiser. Autour du cadre référentiel, des études comparatives révéleraient, sans doute, la persistance de représentations, de mythes et de croyances qui semblent inébranlables ou qui résistent longtemps à leur réfutation scientifique. Ainsi, des interprétations données à divers événements survenus en Gaspésie continuent aujourd’hui d’être quasi folkloriques, même si elles ont été réfutées dans une Histoire de la Gaspésie parue il y a plus de 25 ans.