Résumés
Résumé
De 1943 à 1951, Robert La Palme présente sa vision caustique de l’actualité à travers des milliers de caricatures au sein du Canada, un journal d’élite. Ses caricatures paraissent alors que les femmes investissent l’espace public et obtiennent des droits politiques au Québec. Dans son théâtre, le caricaturiste fait intervenir une panoplie d’acteurs, dont les femmes, lesquelles sont représentées sous la forme de femmes ordinaires, de personnages symboliques, et de caricatures grotesques de responsables politiques. Pour rejoindre un lectorat d’élite, soit La Palme adopte leur langage, soit il adapte le sien au leur. Aussi, le caricaturiste met-il en scène des rapports de genres conventionnels dans son oeuvre, où prime l’idéal domestique de la femme. Certains métiers, certains rôles de la femme sont ainsi valorisés, d’autres dévalorisés, voire ignorés. En fait, certains types de femmes n’apparaissent tout simplement pas dans le champ de vision du caricaturiste, comme si elles n’existaient pas.
Abstract
Between 1943 and 1951, Robert La Palme presented his caustic vision of the news through thousands of caricatures published in Le Canada, an elite newspaper. His caricatures appeared at a time when women were entering the public sphere and were gaining political rights in Quebec. Through his art, the caricaturist called on a broad range of actors, including women, who were presented as ordinary women, symbolic figures and grotesque caricatures of political figures. To reach an elite readership, La Palme could either adopt the language of the elites or adapt his own to theirs. Also, the caricaturist portrayed conventional gender relationships in his work, above all the domestic ideal of the woman. Certain professions, certain roles for women were thus promoted, and others discouraged, if not entirely ignored. In fact, certain types of women simply did not appear in the caricaturist’s field of vision, as if they didn’t exist.
Corps de l’article
[T]echniques of visual “feminization” were and remain a fundamental weapon in the cartoonists’ armory. The commonplace usage of the term “feminization” in this context, however, can be dangerously misleading, since it implicitly re-asserts a male/female binarism that tends to obscure the fact that « some forms of masculinity have not been defined by their difference from femininities, but by their difference from other masculinities[2].
Au Québec, on peut considérer que les années 1940 constituent une plaque tournante pour les femmes. D’une part, la Seconde Guerre mondiale « perm[et] aux femmes une certaine émancipation », alors qu’elles sont amenées à investir la sphère publique, que ce soit en s’engageant dans l’armée ou en travaillant dans les usines afin de remplacer les ouvriers partis à la guerre[3]. D’autre part, les femmes obtiennent du gouvernement libéral d’Adélard Godbout le droit de vote au provincial le 11 avril 1940[4]. Qui plus est, elles obtiennent du même souffle le droit de se présenter aux élections. Pour Diane Lamoureux, l’acquisition de ces droits politiques au provincial a permis aux femmes de s’impliquer, de contribuer elles aussi aux discussions dans l’espace public, participant ainsi à une démocratisation de la société. « [C]’est par l’élargissement du droit de vote à des catégories sociales qui en avaient a priori été exclues que se distingue la démocratie moderne[5] », argue-t-elle. Durant ces années fastes, nombreuses aussi sont les femmes qui se mobilisent dans des associations nouvellement formées, les unes de nature économique, les autres politique, et qui sont actives dans des réseaux de contestation sociale et culturelle[6]. En effet, des seize signataires du Manifeste du Refus global de 1948, considéré par d’aucuns comme l’un des signes précurseurs de la Révolution tranquille, sept sont des femmes[7] : « il y avait alors au sein du mouvement artistique un statut d’égalité extraordinaire entre les femmes et les hommes qui mérite d’être reconnu, selon Patricia Smart, comme une des contributions de l’automatisme à la culture contemporaine[8] ». Au tournant des années 1950, les rapports de genres conventionnels[9] sont de plus en plus discutés.
Considérant ce contexte, nous chercherons à connaître le regard que le caricaturiste Robert La Palme pose sur les femmes et la féminité alors qu’il oeuvre, de 1943 à 1951, au sein du Canada[10], un journal d’élite[11]. Il s’agit en fait de voir comment cet artiste masculin, membre de l’élite culturelle et parmi les plus importants et les plus en vue de la société canadienne-française[12], rend compte des différents changements sociaux que vivent les femmes à cette époque. Pour ce faire, nous analyserons sous quels aspects, sous quels atours et dans quelles situations il les représente dans le théâtre qu’est son oeuvre satirique. Il va sans dire que la manière dont La Palme agence les rapports de genres pour traiter de la représentation picturale et métaphorique des femmes et de la féminité – ainsi que l’arsenal rhétorique et satirique qu’il emploie à cette occasion – n’est en rien novatrice, ou unique en son genre. Comme le souligne G. Bruce Retallack, « techniques of visual “feminization” were and remain a fundamental weapon in the cartoonists’ armory[13] ». L’intérêt de notre étude est plutôt de nous pencher sur la manière dont La Palme a recours à la féminité dans son oeuvre, laquelle s’insère dans le cadre du quotidien Le Canada, avec sa ligne éditoriale et son lectorat, et ce, dans le contexte québécois. La période retenue est d’ailleurs des plus fertiles en rebondissements sur la scène politique. À Ottawa, le gouvernement de MacKenzie King est à son zénith, mais l’âge avancé et la santé précaire de son chef l’empêchent de briguer un nouveau mandat. En 1948, il cède sa place à Louis Saint-Laurent, ministre de la Justice. Au Québec, les libéraux de Godbout mordent la poussière aux élections de 1948, pavant la voie au troisième mandat de Duplessis. Autant d’occasions diverses pour le caricaturiste de mettre en scène la figure de la femme dans son oeuvre.
Des quelque 2100 caricatures que La Palme publie dans les pages du Canada, 809 concernent Duplessis et ce qui a été appelé son « régime ». De celles-ci, nous avons eu l’occasion d’en tirer un corpus de 236 caricatures[14]. Dans ces caricatures La Palme s’en prend avec virulence au chef de l’Union nationale, et les allusions au nazisme, par exemple, foisonnent. On y retrouve également les acteurs de la société civile, comme les journaux que La Palme n’hésite pas à critiquer pour leur complaisance envers les politiques de l’Union nationale[15]. Parmi ces caricatures, des personnages féminins ou féminisés y apparaissent à 57 occasions, répartis assez équitablement de 1943 à 1951.
Au terme de notre analyse, nous avons constaté que La Palme fait intervenir la féminité dans son théâtre selon trois registres. Elle se voit d’abord représentée dans son imaginaire sous la forme de femmes réelles – que l’on pourrait appeler, selon l’expression consacrée, du « vrai monde » –, de personnages symboliques – comme Marianne, symbole de la France républicaine –, et sous la forme de caricatures grotesques de responsables politiques – où leur féminisation n’est alors que dégradation[16]. Afin de brosser ce portrait, le caricaturiste utilise des jeux de lumières et de perspectives, différentes teintes et divers tons, du blanc de l’innocence au noir de la boue.
Or, pour rejoindre un lectorat d’élite, soit La Palme adopte leur langage, soit il adapte le sien au leur. Aussi, le caricaturiste met-il en scène des rapports de genres conventionnels dans son oeuvre, où prime l’idéal domestique de la femme[17]. Ce faisant, il reproduit un certain nombre de stéréotypes sexués en vogue à l’époque. Certains métiers, certains rôles sont ainsi valorisés, d’autres délaissés, voire ignorés. Ces femmes, pratiquant des métiers rompant avec la division sexuelle du travail, n’apparaissent pas dans le champ de vision du caricaturiste, comme si elles n’existaient pas.
1 La caricature éditoriale
1.1 La caricature et son univers de représentations
Dès le xixe siècle, la caricature est considérée par des historiens[18] comme étant l’expression de la voix opprimée du peuple, qui ne peut se faire entendre, et dont les caricaturistes se font les porte-parole. Une telle conception de la caricature comme vecteur de l’opinion publique est toutefois remise en cause par les courants historiographiques actuels. Ainsi pour les historiens des mentalités[19], les caricatures sont plutôt perçues comme des représentations ayant cours à une époque dans une société donnée. Depuis, à peu près toutes les sociétés ont trouvé leur compte dans l’étude de la caricature, et de fait, toutes les périodes sont abordées[20], la propagande étant certainement l’un des sujets les plus prisés par les chercheurs[21].
Récemment, une nouvelle tendance a vu le jour. Portée par Retallack[22], lequel suit les traces de Raymond N. Morris[23], pionnier dans l’étude de la caricature au Canada, elle place le caricaturiste dans le camp des classes dirigeantes et non plus dans celui des dominés. Le caricaturiste s’apparente à une sorte d’agent au service des élites. Loin de repousser les non-dits, la caricature contribue plutôt à établir les balises de l’espace du pensable dans la société[24], le caricaturiste participant à ce que Noam Chomsky appelle les « illusions nécessaires » dont ont tant besoin les démocraties pour fonctionner[25], soit l’illusion que tout peut être dit, que l’on peut débattre de tout en société. Sa thèse est d’autant plus séduisante qu’elle invite à porter un nouveau regard sur la caricature, qu’il ne faudrait pas considérer sous son seul volet critique, ou subversif, mais de l’aborder dans une perspective où la caricature ne serait rien de tout cela, ou si peu du moins.
Il est également primordial de considérer le journal au sein duquel la caricature apparaît. Pour Réal Brisson, la caricature est la « version délinquante de la pensée éditoriale[26] », en cela qu’elle s’insère dans la ligne éditoriale du journal, au même titre que les autres éditoriaux, tout en étant des plus généreux avec celle-ci. Les caricaturistes sont en fait de véritables « loose cannons » dont la délinquance, pour le dire avec Brisson, est non seulement bien connue, mais également acceptée à un certain point par la direction. On ne saurait accepter une trop grande (auto)discipline de la part d’un caricaturiste, ou qu’il suive la ligne éditoriale sans broncher. Il doit être acerbe, tranchant, vif, ironique et sarcastique. Du moins, doit-il cultiver l’impression que tout est à sa portée, et que nul n’échappe à son crayon. Ainsi, si un caricaturiste devait suivre à la lettre la ligne éditoriale du journal, il perdrait dès lors son atout principal – sa liberté d’action et d’expression –, ce qui le discréditerait auprès de son public. Considérant d’ailleurs que les caricatures font vendre, les directions des journaux ont donc tout intérêt à laisser un certain lest aux caricaturistes, quitte à recevoir quelque soufflet de leur part de temps à autre.
1.2 Le Canada, journal du Parti libéral
Sous la direction d’Edmond Turcotte, Le Canada, quotidien qui paraît en matinée, se fait la voix du Parti libéral d’un océan à l’autre, tant au provincial qu’au fédéral. Alors que la nation est en guerre, le quotidien se donne pour mission d’être non seulement la voix des libéraux, mais également du Canada tout entier, rallié contre l’ennemi à l’extérieur autant que celui tapi à l’intérieur[27]. Ces ennemis, clairement identifiés, sont Benito Mussolini et Adolf Hitler, d’une part, André Laurendeau et Duplessis, d’autre part. Le Canada est d’abord un farouche partisan du gouvernement Godbout dont les appuis dans les journaux se font rares, et de ses politiques, dont le droit de vote aux femmes[28]. Puis, à partir de l’été 1944, il se campe bien évidemment sans équivoque contre le gouvernement Duplessis.
Or, au cours des années 1940, le quotidien stagne, son lectorat périclite[29]. Avec la fin de la Seconde Guerre mondiale, les revenus publicitaires grandissants permettent aux journaux de ne plus dépendre uniquement du financement des partis politiques[30]. Dans ce contexte, ne voyant plus l’intérêt de conserver son propre organe dans une logique partisane, le Parti libéral délaisse Le Canada. « Il appartient aux administrés de nous juger. Les journalistes n’y peuvent rien », de déclarer Saint-Laurent[31]. La fermeture, inévitable, du quotidien survient le 17 novembre 1953[32].
Aussi est-ce dans cette mouvance que s’inscrit l’arrivée de La Palme au Canada le 13 février 1943. Il est à ce moment toujours à l’emploi de L’Action catholique, un quotidien dont la censure l’exaspère au plus haut point[33], et de fait, signe ses premières caricatures du pseudonyme « RicRac » ou « caRic »[34]. Le passage de L’Action catholique au Canada est bénéfique pour le caricaturiste qui se reconnaît dans les positions, le discours et les politiques du Canada. L’appréciation est réciproque puisque, selon Dominic Hardy, La Palme constitue pour l’establishment libéral la meilleure réponse qu’elle peut fournir à la menace montante que représente Duplessis[35].
Mentionnons également que si le caricaturiste se reconnaît dans la position du quotidien, y adhère à un certain degré, il peut tout aussi bien s’en distancier. Deux exemples pour l’illustrer. D’une part, en 1949, à l’occasion des élections fédérales du 27 juin, Le Canada se braque littéralement contre le chef du Parti progressiste-conservateur, George Drew. Une série d’encadrés paraissent à la page 4, généralement sous la caricature, l’un s’agençant avec l’autre, lesquels dénoncent l’adversaire de Saint-Laurent avec des titres tels que « Quand un impérialiste sympathise avec un ennemi de l’Empire[36] », « Les dénigreurs du Québec[37] », et « Nos racistes à l’oeuvre[38] ». Le Canada rappelle ici les propos discriminatoires que Drew a tenus, au cours de la Seconde Guerre mondiale, envers les Canadiens français, qu’il accuse de lâcheté[39]. Le Canada insiste surtout sur le fait que « M. Drew n’a pas changé[40] ». La Palme reprend la balle au bond, et produit lui aussi une série de caricatures mordantes contre Drew. Il y ajoute sa touche personnelle en associant étroitement Drew à Duplessis. Il appelle même ce dernier « Drewplessis[41] » ! D’autre part, en 1948, une semaine à peine avant les élections provinciales, La Palme y va d’une caricature assassine envers Godbout, ce dernier représenté sous des traits nerveux, hésitants. Il n’ose tenter sa chance[42]. Il va sans dire que Le Canada appuie alors Godbout face à Duplessis.
Le parcours atypique de La Palme illustre d’ailleurs bien son indépendance des différents journaux auxquels il a collaboré. De fait, après avoir troqué L’Action catholique pour Le Canada au début des années 1940, il quitte ce dernier en février 1951 pour joindre en avril le personnel du Devoir, répondant alors à l’appel de Gérard Filion. Il y connaît ses années les plus fastes – du moins est-ce ainsi qu’il décrit son passage. « C’est donc au Devoir que j’ai connu la totale liberté. La liberté d’être libéral, conservateur, psd [parti social-démocrate], ou action-civique ou contre tout ça selon la dictée de ma conscience politique », déclare-t-il dans sa lettre de démission, publiée par la direction[43]. Cela ne l’empêche pas pour autant, justement, de joindre La Presse en février 1959, un quotidien qu’il avait pourtant décrié avec virulence du temps qu’il était au Devoir. Il succède ainsi à Albéric Bourgeois comme caricaturiste titulaire de La Presse, un caricaturiste vénéré par La Palme. Il ne reste pourtant au quotidien de la rue Saint-Jacques que deux ans pour mieux se lancer dans l’aventure du Nouveau Journal de son ami Jean-Louis Gagnon. C’est d’ailleurs son dernier périple.
Comme le disait Jean de Bonville, Le Canada est un journal de qualité, d’élite, lequel s’adresse à un lectorat sinon partisan, du moins des plus favorables aux positions du Parti libéral. Il s’agit d’un lectorat cultivé, provenant des classes aisées, principalement montréalais[44], au fait des affaires publiques et de la chose politique, au diapason des préoccupations libérales. Un lectorat essentiellement masculin, d’ailleurs. Du moins est-ce ainsi que La Palme se le représente dans ses caricatures. Au Canada et au Devoir, les deux quotidiens où il a le plus travaillé, La Palme insère un journal dans près de 184 de ses caricatures. Parfois il le critique comme c’est le cas avec Notre Temps de Léopold Richer, d’autre fois il en profite pour vanter les mérites de son employeur du moment ou il sert tout simplement d’objet dans le cadre d’une scène de la vie quotidienne.
Or, dans chacune de ces caricatures, sans exception, La Palme s’adresse à un lectorat masculin. L’homme est toujours concerné. C’est lui qui lit le journal ; jamais la femme, qu’elle soit épouse, mère, fille ou soeur. Cela montre bien comment le discours de La Palme sur les femmes – que ce soit son point de vue, son message, ses destinataires, etc. – est foncièrement masculin.
2 Des archétypes féminins
2.1 Des femmes, tout simplement
Avant de passer aux personnages symboliques ou à la féminisation des responsables politiques, nous traiterons des femmes. C’est-à-dire, des personnages qui se veulent être dans l’oeuvre de La Palme de véritables personnes, de chair et d’os. On en retrouve dans dix-huit caricatures de l’artiste. De ces femmes, une seule est (re)connue. Il s’agit d’Éva Perón[45], célèbre épouse de Juan Perón, chef d’État de l’Argentine, qui fait alors l’actualité de par ses voyages à travers le monde. Il arrive également, mentionnons-le, que La Palme mette en scène certaines femmes militantes, telle Thérèse Casgrain[46], mais ces femmes n’apparaissent pas dans le présent corpus. Cela se produit plutôt au cours des années 1950, au sein des pages du Devoir. Ces femmes qui occupent le théâtre de Robert La Palme sont des fermières (#2)[47], des ménagères – à la maison ou dans un lieu de travail salarié[48] –, des passantes[49] et, à une seule occasion, des électrices (#1). Ces occupations renvoient à une division sexuelle du travail, que l’on constate également dans l’environnement ou l’espace qu’elles occupent dans la caricature elle-même. C’est-à-dire la maison, la place publique, la rue, la taverne[50] et le bureau, comme espace de travail salarié, et ce, dans des proportions presque parfaitement égales.
2.2 Le cas des électrices
Exception faite d’une caricature, comme nous l’avons dit, Robert La Palme n’intègre pas dans ses représentations la notion que les femmes sont désormais investies des mêmes droits politiques que les hommes. Une circonstance d’autant plus surprenante que Le Canada, comme nous l’avons dit, appuie le droit de vote des femmes. D’ailleurs, à l’approche des élections de 1948, l’une des stratégies de La Palme consiste à revenir sur les réalisations passées du gouvernement Godbout dont le bilan est à faire pâlir d’envie Duplessis selon le caricaturiste. Or La Palme ne consacre qu’une seule caricature ayant un rapport direct ou indirect avec cette réalisation du gouvernement libéral, et quelle caricature ! Voyons dans quel contexte elle paraît.
En novembre 1943, Duplessis sort d’une tournée électorale qui l’a amené à parcourir le Québec en prévision des prochaines élections qui auront lieu le 8 août 1944. Cette tournée, lancée à Saint-Lin le 18 juillet, se termine à Sainte-Claire de Dorchester le 7 novembre[51], avec des arrêts à Sainte-Thérèse, Longueuil, Montmagny, Berthierville, Saint-Joseph-de-Beauce, au Lac-Saint-Jean et à La Tuque, entre autres lieux[52]. Aussi, quelque deux semaines plus tard, jour de la Sainte-Catherine, La Palme revient sur cette tournée qui a fait bien du bruit. Dans la caricature, Duplessis livre un discours devant un public constitué exclusivement de femmes d’un certain âge, appartenant au même groupe social selon leurs vêtements, elles qui sont pâmées devant le chef de l’Union nationale. Or, le titre de la caricature révèle l’intention réelle de La Palme : « La Sainte-Catherine… entre célibataires ». Ainsi, sous prétexte de montrer Duplessis haranguer des électrices[53], le caricaturiste met plutôt l’accent sur le fait qu’il s’agit d’un vieux garçon au milieu de vieilles filles, des « catherinettes », qui lui sont conquises. Cette mise en scène n’est en fait que prétexte pour le caricaturiste de se moquer de l’état civil de Duplessis, connu de tous[54]. Dans la mesure où il s’agit de la seule caricature où La Palme met en scène des électrices – non seulement dans ce corpus, mais également au Canada et au Devoir –, le fait que les femmes aient désormais le droit de vote n’est visiblement pour La Palme qu’une information anecdotique, instrumentalisée ici pour servir sa trame narrative. De fait, il préfère passer sous silence cette réalisation du gouvernement Godbout.
2.3 Des femmes confinées dans des rôles conventionnels
Pour La Palme, l’électeur typique reste Baptiste[55], son personnage fétiche qui symbolise le peuple canadien-français, auquel le caricaturiste continue de se référer régulièrement. De fait, les femmes restent plutôt confinées dans des rôles conventionnels, voire stéréotypés : femmes d’intérieur, ménagères, etc. Soulignons que les seules fois où les femmes sont représentées comme occupant un emploi salarié, il s’agit d’un emploi typiquement féminin, c’est-à-dire l’enseignement ou le travail ménager – comme « bonne ». Jamais elles ne sont représentées travaillant dans une manufacture, emploi que de nombreuses femmes occupent au cours des années 1940. Comme il s’agit d’une réalité ouvrière, La Palme choisit de ne pas aborder la question puisqu’il s’adresse à un lectorat d’élite. Afin de répondre aux attentes de ses lecteurs, le caricaturiste ne doit pas tenir un discours susceptible de provoquer la dissonance[56]. Aussi a-t-il décidé de n’aborder dans ses caricatures que les métiers féminins cadrant avec la division sexuelle du travail. Cette incidence ne s’observe d’ailleurs pas seulement au sein de ce corpus. Nous l’avons également observée dans l’ensemble de l’oeuvre de La Palme au Canada et au Devoir, où jamais une femme n’est représentée sous des traits, sous des habits ouvriers. Tout au plus lui arrive-t-il de mettre en scène dans son oeuvre le personnage allégorique des unions syndicales[57], sur lequel nous reviendrons au prochain point. Une telle conception de l’emploi salarié au féminin cadre parfaitement dans une vision conventionnelle des rapports de genres. Dans cet esprit, il serait inconcevable et inconvenable qu’une femme soit ouvrière, une situation qui va à l’encontre des rôles que les femmes sont censées remplir.
D’ailleurs, qui continue de travailler, quand l’homme fume la pipe, lit son journal, ou discute de politique ? La femme, qui reste à l’écart, hors de ces champs, des loisirs, du fait politique, dont elle est de facto exclue (#2). Cela ne veut pas dire que La Palme adhère corps et âme à ces mêmes idéaux. Il lui arrive également d’être critique de cette situation, comme on le voit dans cette caricature, où l’artiste use d’ironie en l’occasion de la fête des mères[58]. Il souligne la charge absurde qui retombe sur les épaules de la femme, tandis que les autres membres de la famille – qui n’ont aucune tâche ménagère à accomplir – se demandent si elle en a encore pour longtemps avant qu’ils puissent enfin la fêter !
On remarquera également que La Palme intègre dans ses caricatures des éléments plus spécifiques de la réalité montréalaise qui, on le voit, influencent sensiblement sa propre vision de la société. Ainsi, des femmes fort bien habillées font leurs emplettes dans des commerces ou se promènent simplement dans les rues de la métropole, vivant une certaine vie de jet-set[59]. On voit également des femmes fréquenter les bars, les tavernes, où elles sont tantôt clientes[60], tantôt tenancières elles-mêmes de l’établissement, y compris dans les campagnes[61]. En fait, la femme devient, plus souvent qu’autrement, un personnage secondaire, voire un simple accessoire dans la caricature, un simple élément du décor.
Prenons pour exemple cette caricature, datée du 11 novembre 1949[62]. Réagissant à une manchette où il est question qu’il y ait un censeur du théâtre, La Palme tourne en dérision Léopold Houlé, auteur et dramaturge, lui qui aurait demandé, semble-t-il, un poste à la censure. Il s’agit d’une institution alors en pleine expansion, particulièrement en ce qui concerne le cinéma. Comme le souligne Yves Lever, Duplessis a d’ailleurs tenu à « assumer lui-même [le poste de procureur général, contrairement à son prédécesseur, ce] qui le situe, de facto, responsable de la censure du cinéma[63] ». Sous sa gouverne, les nominations au Bureau de la censure se multiplient. Journalistes, docteurs, avocats, et même des « ménagères » sont appelés à siéger au Bureau, des plus actifs dans ces années[64]. Aussi n’est-ce pas surprenant que Houlé ait voulu, selon La Palme, se placer à la censure. Un poste où il y avait de l’avenir sous Duplessis, pourrait-on dire ! Grand mal lui en prit de vouloir se placer à la censure, alors que Houlé se retrouve plutôt… à l’ascenseur ! Ascenseur qu’une femme, passant par là par le plus grand des hasards, s’apprête à prendre d’un pas décidé.
3 Les femmes symboliques
3.1 Les principaux personnages
Dans le théâtre qu’est son oeuvre satirique, La Palme puise à même le panthéon des figures allégoriques pour peupler la scène de son théâtre. C’est ainsi que La Palme consacre aux femmes symboliques 31 caricatures, ce qui en fait l’aspect de la féminité le plus traité dans le corpus analysé dans cette étude. Ces figures, des plus nombreuses, sont également très répandues dans la culture occidentale. Que l’on pense à cet effet aux déesses Fortune et Justice, cette dernière reprise par La Palme[65]. À la Justice se joignent d’autres personnages dont, parmi les plus importants, Concordia[66], symbolisant la métropole, la célèbre Marianne[67], qui ne requiert aucune présentation, la culture[68] – ainsi que ses dérivés : la langue, la foi, nos droits[69], etc. –, les Élections (#6), la Session législative (#4) et la dernière mais non la moindre, et surtout, la Province de Québec (#5)[70].
Le personnage de la femme avec ses attributs est en effet fréquemment utilisé, et ce partout, pour représenter des valeurs, des institutions, ainsi que des collectivités. Est-ce en raison de l’innocence que la féminité incarne ? De la pureté qu’elle suppose ? De sa noblesse inhérente ? Une problématique d’envergure qui préoccupe de nombreux chercheurs – dont Maurice Agulhon, qui a travaillé sur Marianne[71] – et à laquelle nous ne tenterons pas de répondre dans cette étude. Nous analyserons plutôt le contexte dans lequel elles évoluent afin de voir, d’une part, dans quelles situations elles sont sollicitées par le caricaturiste et, d’autre part, leurs interactions avec les autres personnages de ce théâtre, Duplessis en particulier.
3.2 Leurs relations avec les autres acteurs
Ces relations sont dans l’ensemble à sens unique. Ces personnages féminins sont l’objet de toutes les convoitises, et ce, de la part de Duplessis autant que de Godbout. Ceux-ci se retrouvent à courtiser, à la veille des élections de 1948, la province de Québec dans cette caricature datée du 20 juillet[72]. Tandis que le chef de l’Union nationale est grossier, le regard plongeant impunément dans la poitrine de la belle, sa contrepartie au Parti libéral est incapable de s’interposer entre les deux. Ces personnages symboliques sont en effet sollicités de toutes parts. On recherche tantôt leur appui, tantôt leur soutien, toujours leurs faveurs. Dans ces relations qu’il met en scène dans son théâtre, La Palme met à profit les attributs de ces personnages, mais en particulier ces qualités que nous mentionnions précédemment : la pureté, l’innocence, la vertu. Ce sont effectivement des êtres purs : la déesse Justice[73], la courageuse Marianne[74], la belle Province[75]… Des qualités qui inspirent à juste titre La Palme : le blanc immaculé ne fait-il pas ressortir qu’avec plus de force le noir de la boue ?
Ces êtres purs et délicats sont souillés dans son oeuvre par Duplessis et ses sombres hommes de main[76]. Au sujet de la faiblesse inhérente de ces femmes – ne parle-t-on pas du sexe faible, à l’époque ? –, La Palme en fait des êtres battus, maltraités, piégés par Duplessis et d’autres hommes de pouvoir. Insistant sur leur innocence, leur pureté, La Palme les avilit dans ses représentations en mettant en scène le viol bestial. Ce crime lâche et infâme n’en est que plus grave puisqu’il est commis envers les personnages de la Justice (#8) et de la Province de Québec, des personnages aux nobles vertus. Pour ce qui est de la Province de Québec, cette caricature (#5) paraît alors qu’Onésime Gagnon, trésorier de la province, vient de présenter le 28 mars 1946 le budget pour l’exercice en cours. La Palme transpose dans un récit biblique les personnages de Duplessis, de la province et du « Big Business », afin de reprendre la scène de « La trahison de Judas », tournée ici à la québécoise. À Duplessis le rôle de Judas, tandis que la province, toujours symbolisée par une femme, prend la place d u Christ et le « Big Business » celle des Romains. Après avoir vendu pour 30 deniers la province de Québec, emportée au loin par le « Big Business », Duplessis récolte son dû, sans avoir aperçu la corde qui pend au-dessus de sa tête…
En fait, l’immense majorité de ces représentations font de ces femmes symboliques de passives victimes de leur sort. Battues, violées, elles sont sans défense devant leurs tortionnaires, Duplessis en tête. Ces personnages féminins oeuvrant soit sur la scène politique, soit dans la sphère publique, force est d’admettre que la dynamique même de leurs relations avec les hommes politiques de l’époque, dans les représentations de La Palme, les confine dans un rapport dominant/dominé qui ne les avantage pas. Continuellement, La Palme les présente dans une posture délicate, voire préjudiciable, où elles ne peuvent tirer leur épingle du jeu. Ignorées, dénigrées, violentées, vendues comme de vulgaires bêtes de bétail quand elles ne sont pas carrément violées, de tels rapports de genres mis en scène et répétés par La Palme nous indiquent que le caricaturiste n’a pas pleinement pris acte de l’entrée sur la scène politique des femmes qui, rappelons-le, n’ont pas seulement qu’obtenu le droit de vote en 1940, mais également le droit de se présenter aux élections. Les caricatures de La Palme sont ici un juste reflet de l’époque, où il appert bien que la chose politique, loin d’être une affaire délicate, n’est tout simplement pas appropriée pour les femmes. Cela va de pair avec cette conception des rapports de genres selon lesquels la femme a nécessairement besoin de l’homme pour la protéger, pour éviter qu’elle soit violée ou battue… L’indépendance ou l’autonomie de la femme face à l’homme est ici condamnée implicitement.
3.3 Renversement des rôles ?
Il nous faut cependant revoir cette lecture car 2 caricatures, parmi les 31, viennent sinon contredire cette analyse, du moins nous forcer à la nuancer. À deux occasions, en 1945 et en 1948, le caricaturiste donne des traits féminins aux Élections et à la Session législative où la dynamique de la relation est tout autre. Cette fois, la femme se retrouve en position de force et Duplessis est désavantagé dans la relation. Dans une première caricature (#4), le Premier ministre prend les allures d’un homme tout nerveux devant elle. Dans la seconde, Lapalme, jouant avec les proportions, le fait apparaître en décalage avec le personnage des Élections (#6). Cette dernière caricature est particulièrement révélatrice de la possible prégnance dans l’imaginaire de La Palme de cette idée, de cette notion que les femmes font maintenant partie, à plus d’un degré, de la vie politique – au sens des institutions parlementaires – de la province de Québec.
Dans ces représentations, la femme n’est plus passive, faible, discrète ; elle est au contraire active, forte, puissante, s’imposant littéralement sur la scène, faisant même reculer Duplessis qui tremble comme une feuille devant elle. Retallack insiste d’ailleurs sur l’importance des jeux de proportions dans la caricature, alors que la taille des personnages est indubitablement synonyme de pouvoir, de domination sur l’autre, plus petit, décalé, désavantagé.
Like all perspective drawings, then, this cartoon places the viewer in the position of sole audience and judge – a powerful position indeed. More fundamentally, because « we associate size with strength – strength of any sort, » any large figure will always be imbued with an aura of greater power then a smaller one[77].
En somme, sous la plume de La Palme, de victimes de Duplessis, les figures symboliques féminines comptent désormais parmi ses adversaires les plus redoutables. Elles puisent dans leur faiblesse leur plus grande force. D’une part, violentées, elles seront pleurées et leurs tortionnaires condamnés. La Palme insiste ici dans son discours sur le pathos, soit l’appel aux sentiments[78], lui qui cherche à toucher son lecteur, voire à le culpabiliser. En effet, comment ce lecteur pourrait-il rester insensible devant ce crime infâme en train ou sur le point de se commettre sous ses yeux ? Or, s’il ne fait rien, ne sera-t-il pas dès lors un complice de cette infamie ? Du moins est-ce ainsi que le caricaturiste voit la chose. Bref, La Palme instrumentalise dans son oeuvre la faiblesse des femmes afin de mieux rejeter le blâme sur leurs agresseurs. D’autre part, il tire profit des rapports de genres conventionnels en renversant les rôles lorsque Duplessis se voit obliger de reculer devant les Élections. À l’époque, il n’y a rien de pire pour un homme que d’être surclassé par une femme, surtout lorsqu’il est question de politique. La honte, l’humiliation n’en est que plus grande pour Duplessis.
On notera qu’il ne s’agit pas, non plus, d’une simple coïncidence due à la langue française. « Élections » étant un mot féminin, le caricaturiste aurait pu lui donner des traits féminins en conséquence. S’il ne s’agissait que de cela, La Palme aurait fort bien pu recourir à d’autres termes, comme les suffrages au lieu des élections, par exemple, pour passer outre à cette disposition. Sur ce point, nous rejoignons Retallack, pour qui la féminité n’est pas synonyme, par définition, d’impuissance. C’est plutôt l’impuissance qui est associée à la féminité dans les discours, dans les représentations : « it is not feminization that diminishes the powerful, but powerlessness that has been used to diminish the female[79] ».
Il ne s’agit toutefois que de figures féminines allégoriques. Féminines, certes, mais allégoriques d’abord. Ainsi, tout comme La Palme ne reconnaît point l’existence d’ouvrières, si ce n’est qu’à travers la figure symbolique des unions syndicales, représenter la femme comme acteur politique à part entière en dehors de l’allégorie est impossible, voire impensable pour le caricaturiste. Jamais il ne représente les femmes en tant que citoyennes, exerçant l’un ou l’autre de leurs droits. Comme s’il ne fallait pas ouvrir cette boîte de Pandore, dont on ne sait ce qu’elle contient. En fait, l’usage de l’allégorie féminine semble être une véritable fuite en avant – pas seulement chez La Palme – pour éviter d’aborder ces questions.
4 La féminité comme tare
4.1 Les responsables politiques
La féminité chez La Palme se retrouve également dans les traits féminins qu’il prête à certains hommes politiques dans huit caricatures. Ces traits, il les prête plus précisément à Duplessis[80], Camilien Houde (#7)[81], Paul Gouin, Philippe Hamel[82], Omer Côté[83] et, surtout, André Laurendeau[84], auquel La Palme donne des traits féminins à six occasions. Bien avant Duplessis, Laurendeau fut le premier souffre-douleur de La Palme au Canada, sa tête de Turc[85]. Cela en dit long sur la signification même de ces traits féminins dans l’imaginaire du caricaturiste. La féminité est ici un accessoire dont se sert l’artiste pour attaquer, voire vilipender ces hommes politiques, et leur faire un bien mauvais parti.
Ces caricatures, que nous avons qualifiées d’entrée de jeu de grotesques, reprennent des modèles, des sortes d’archétypes que La Palme reproduit ici : la prostituée (#7), la danseuse (#3), Dalila[86], – séductrice et traîtresse –, le Petit Chaperon rouge[87] et la (malheureuse) épouse de Barbe-Bleue[88]. Ces rôles, pourrait-on dire, qu’enfilent les hommes politiques comme autant de différents costumes, renvoient également à certains défauts, certains travers de l’âme. Soit la traîtrise, la faiblesse, la lâcheté, l’innocence – dans tous les sens du terme –, et un certain appât du gain dépravé. Ces hommes politiques sont en effet prêts à se vendre au plus offrant, telles des prostituées, une occupation socialement répréhensible. La féminité est en fait utilisée, instrumentalisée ici comme étant une dénaturation, voire une dégradation de ces personnages masculins. Dénaturation, bien sûr, considérant que le caricaturiste les fait se travestir. Mais dénaturation également du fait que ces traits sont autant d’occasions pour La Palme de faire enfiler tel costume, tel habit à Duplessis, Laurendeau ou un autre, et d’en faire justement autre chose qu’un homme politique.
4.2 André Laurendeau
Le cas de Laurendeau est frappant à cet effet. Du jeune homme politique intellectuel et lettré, La Palme en fait un être efféminé ou homosexuel selon Dominic Hardy[89], une sorte de danseuse espagnole, rôle qui symbolise, qui traduit tout à la fois son inconstance, sa légèreté, mais également sa traîtrise, en passant par sa faiblesse et sa vanité. Il est nécessaire de remettre cette accusation de traîtrise dans son contexte. Durant ces années, Laurendeau est alors l’un des membres les plus en vue de la Ligue pour la défense du Canada, laquelle milite contre la conscription lors du plébiscite du 27 avril 1942. La conscription est revenue à l’ordre du jour, King ayant demandé aux électeurs de le relever de sa promesse de ne jamais instaurer la conscription. Caricaturiste du journal Le Canada, qui appuie les politiques du Parti libéral, La Palme est lui-même l’un des partisans les plus vocaux de l’effort de guerre au Québec à l’époque. Par ses caricatures, il corrobore, en effet, la propagande de guerre qui dépeint sous un jour négatif les forces de l’Axe. Ce faisant, il justifie par le fait même la position officielle du gouvernement canadien, qui est celle du Parti libéral du Canada et du Canada : le pays doit s’engager dans ce conflit afin de libérer l’Europe du joug des nazis et des fascistes.
Aussi, dans la vision manichéenne et partisane de La Palme, tout opposant à l’effort de guerre, et par le fait même à la conscription, n’est rien d’autre qu’un traître, qu’un collaborateur avant le terme. Ainsi sont considérés tous les membres du Bloc populaire, en particulier Maxime Raymond, chef de la formation politique, et Laurendeau, sur lequel le caricaturiste s’acharne. Écoutons-le :
Je l’ai représenté en danseur de ballet plus d’une fois. Danseur, homosexuel, intellectuel, on mettait tout ça dans le même sac… Le caricaturiste n’est pas là pour flatter les gens. J’étais caricaturiste au Canada, le journal du parti libéral. Je n’aimais pas le Bloc. Pour Le Canada, Laurendeau était un adversaire. Je le traitais donc comme tel[90].
En ce qui a trait à la féminisation des hommes politiques, nous pouvons également parler de dégradation parce que ces traits féminins sont utilisés dans une optique des plus claires. La Palme ne se contente pas de simplement vouloir fournir une mauvaise publicité à ces personnages, ou de verser dans l’ironie, dans une perspective de dérision. Le caricaturiste cherche plutôt à les démolir, à les attaquer par tous les moyens qui soient. La féminité n’est alors qu’une arme parmi d’autres qu’il puise dans son arsenal rhétorique.
***
Les représentations des femmes et de la féminité dans l’oeuvre de La Palme sont multiples, complexes et à certains égards contradictoires. Alors que les femmes investissent de plus en plus l’espace public au cours des années 1940, le caricaturiste reste muet sur le sujet. Les femmes sont écartées, sciemment ou non, de la chose politique dans ses caricatures. En cela, rien de surprenant ; il appert que La Palme est ici le reflet fidèle de son époque. Or, l’occasion était belle pour le caricaturiste de se prononcer sur le sujet, ou du moins d’aborder, de manière plus tangible, le fait que les femmes sont désormais des électrices à part entière au Québec. Il n’y aurait eu d’ailleurs rien de spectaculaire dans ce geste en lui-même, puisque le droit de vote des femmes avait ses partisans. Au Canada lui-même, d’abord et avant tout, où La Palme loge.
Le fait est que La Palme ne déroge pas des rapports de genres conventionnels, et ce, afin de rejoindre le lectorat du Canada, un lectorat cultivé. Pour ce faire, le caricaturiste n’a d’autre choix que d’ajuster son message en conséquence, afin de s’assurer que son discours ait une résonance.
En effet, lorsqu’il est question des femmes de chair et d’os, La Palme insiste sur les vieux stéréotypes de la ménagère, de la femme au foyer lavant la vaisselle tandis que les hommes discutent, eux, des vraies affaires. Il exclue ainsi de ses représentations les ouvrières, des femmes qui sont pourtant une réalité concrète de l’époque. Or, il s’agit d’une réalité pour les milieux populaires, mais pour d’autres milieux, davantage aisés ceux-là, cette réalité se situe en marge de l’espace du pensable. Cela se voit également dans la division sexuelle du travail telle que la représente La Palme dans son oeuvre, où les femmes sont limitées aux mêmes deux ou trois métiers qui leur sont traditionnellement réservés. Quand il parle des femmes symboliques, c’est pour les placer dans des situations où elles sont maltraitées, violées, souillées dans leur être ; et pour conclure, le caricaturiste utilise la féminité comme une dénaturation, comme une dégradation de la nature même de l’homme politique. Bref, les rapports de genres conventionnels priment dans l’imaginaire du caricaturiste. S’il déroge un tant soit peu de sa course, ce n’est que lorsqu’il est question des personnages allégoriques. Alors il peut se permettre de représenter des femmes fortes, puissantes, actives sur la scène politique. Telle la Marianne de la Révolution française. Sinon, il n’en est rien.
Revenons d’ailleurs aux personnages qui symbolisent, dans l’imaginaire de La Palme, le peuple canadien-français. Il s’agit du couple formé de Baptiste et de la province de Québec, dont la femme est une allégorie. Pourtant, à La Presse, un journal populaire[91], au début du siècle, Albéric Bourgeois met de l’avant un autre couple pour représenter les Canadiens français. Ce couple est formé de Baptiste et Catherine Ladébauche. Dans les représentations de Bourgeois, la figure féminine par excellence n’est pas une allégorie. Il s’agit d’un personnage qui possède, tout comme Baptiste, nom, prénom et personnalité. Comme le signalent Robert Aird et Mira Falardeau, « [a]vec Bourgeois, on a pour la première fois non seulement la vision d’un couple, mais la vision d’une femme sur l’évolution de la société, en cette période de grands changements pour la situation des femmes[92] ». Ceci expliquant cela, il se pourrait fort bien que le choix des caricaturistes, pour représenter la figure féminine par excellence dans leur oeuvre respective, soit relié aux lectorats auxquels ils s’adressent[93].
Aussi, concernant les rapports de genres et plus précisément les femmes et la féminité, on ne saurait dire que La Palme est le reflet de son époque. Ce serait inexact, ou plutôt imprécis. Il est davantage le reflet d’un certain point de vue, celui des élites culturelles et sociales, qu’il fait sien au Canada. Un point de vue avec ses valeurs, ses préjugés, ses stéréotypes, ses représentations, dont l’on retrouve, comme nous l’avons montré au terme de notre analyse, un certain nombre dans les caricatures de La Palme au Canada. Alors que les femmes au Québec investissent l’espace public et obtiennent de nouveaux droits politiques au cours des années 1940, ce phénomène ne s’accompagne pas d’une reconnaissance dans les caricatures de La Palme. Les femmes restent en effet confinées aux marges de la scène, aux coulisses de son théâtre, en adéquation avec les rapports de genres conventionnels. Cette scène n’est pas pour elles. Du moins, pas encore.
Parties annexes
Annexes
Note biographique
Alexandre Turgeon est candidat au doctorat en histoire à l’Université Laval. Spécialiste en histoire des représentations et en analyse du discours, il poursuit ses recherches sur le rôle du caricaturiste Robert La Palme dans la conception et la diffusion du mythe de la Grande Noirceur au sein de la société québécoise. Il a publié, entre autres, « Entre discussion et polémique : des conceptions de la Cité au sein des pages du Devoir, 1970-1979 » paru dans le Bulletin d’histoire politique, 18,1 (2009) et « Le petit cabinet de Maurice Duplessis : l’administration du Québec selon Robert La Palme », dans l’ouvrage collectif Duplessis, son milieu, son époque, publié chez Septentrion.
Notes
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[1]
Une version préliminaire de ce texte a été présentée lors du colloque Femmes, culture et pouvoir, qui s’est tenu à Sherbrooke les 20-22 mai 2009. L’auteur désire remercier en premier lieu les organisateurs du colloque, Catherine Ferland et Benoît Grenier. Il remercie également Jean-François Conroy, Maxime Morin, et en particulier Marilyne Brisebois pour sa lecture critique et ses commentaires judicieux sur ces problématiques. L’auteur tient d’ailleurs à exprimer sa reconnaissance à Robert Gagnon et aux évaluateurs anonymes de la Revue d’histoire de l’Amérique française pour leurs commentaires et remarques des plus pertinents.
-
[2]
G. Bruce Retallack, Drawing the Lines : Gender, Class, Race and Nation in Canadian Editorial Cartoons, 1840-1926, thèse de doctorat (histoire), Université de Toronto, 2006, 108.
-
[3]
Marilyne Brisebois, « Les procédés discursifs relatifs à l’engagement civique présents dans La Bonne Parole, 1939-1951 », Bulletin d’histoire politique, 18,2 (hiver 2010) : 206-207.
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[4]
Notons que les femmes exercent ce droit pour la toute première fois lors des élections partielles de Huntingdon et de Saint-Jean–Napierville, le 6 octobre 1941. Il faudra toutefois attendre les élections générales du 8 août 1944 pour que toutes les femmes de la province puissent exercer massivement leur droit de vote.
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[5]
Diane Lamoureux, Citoyennes ? Femmes, droit de vote et démocratie (Montréal, Éditions du Remue-Ménage, 1989), 9. Sur la question, on consultera également Diane Lamoureux, L’amère patrie : féminisme et nationalisme dans le Québec contemporain (Montréal, Éditions du Remue-Ménage, 2001), 181 p. ; et Jacinthe Fortin et Marie Lavoie, Les femmes à l’Assemblée nationale : du droit de vote au partage du pouvoir (Québec, Secrétariat à la condition féminine, Assemblée nationale, Service de l’accueil et des renseignements, 1990), 57 p.
-
[6]
Voir Micheline Dumont et Louise Toupin. La pensée féministe au Québec. Anthologie 1900-1985 (Montréal, Éditions du Remue-Ménage, 2003), 29-30.
-
[7]
Qui sont Madeleine Arbour, Marcelle Ferron, Muriel Guilbault, Louise Renaud, Thérèse Renaud, Françoise Riopelle et Françoise Sullivan. Leur engagement et leur courage sont d’ailleurs soulignés par Patricia Smart : « Les femmes subissaient de fortes pressions pour se conformer aux modèles de comportement traditionnels de l’épouse et de la mère, intériorisés à la suite de longues années de conditionnement. Vouloir y échapper posait d’énormes difficultés. ». Cité dans Jeanne Morazain, « Les femmes du Refus global », La Gazette des femmes, 20,2 (juillet-août 1998) : 12-14, http://www.csf.gouv.qc.ca/gazette/article.php?article=2847&recherche=&auteure=0&theme=8 [consulté le 24 février 2010].
-
[8]
Ibid.
-
[9]
L’utilisation du terme conventionnel remplace ici traditionnel. Il semble que les rôles associés aux genres relèvent d’une convention, qui se veut une tradition. Imposée avec l’accession au pouvoir de la bourgeoisie au xixe siècle, elle sert à justifier une nouvelle tradition, celle de la ménagère se consacrant à temps complet à son rôle de mère et d’épouse ainsi que celle du père dont le rôle en est un de pourvoyeur.
M. Brisebois, « Les procédés discursifs… », loc. cit., 213-214 -
[10]
La Palme a travaillé à L’Action catholique (1939-1943), L’Événement-Journal (1939), L’Ordre (1934-1935), La Nation (1936), La Patrie (1933-1934, 1938), La Presse (1959-1961), Le Canada (1943-1951), Le Devoir (1951-1959), Le Droit (1937), Le Jour (1946), Le Journal [Québec] (1937-1938), Le Nouveau Journal (1961-1962) et Vrai (1954-1959). Pour une liste plus exhaustive, voir Alexandre Turgeon, Le nez de Maurice Duplessis. Le Québec des années 1940 tel que vu, représenté et raconté par Robert La Palme : analyse d’un système figuratif, mémoire de maîtrise (histoire), Université Laval, 2009, 130.
-
[11]
Jean de Bonville, Les quotidiens montréalais de 1945 à 1985 : morphologie et contenu (Québec, Institut québécois de recherche sur la culture, 1995), 39. Nous reviendrons sur cette question plus loin.
-
[12]
Voir Dominic Hardy, A Metropolitan Line. Robert LaPalme (1908-1997), Caricature and Power in the Age of Duplessis (1936-1959), thèse de doctorat (histoire de l’art), Université Concordia, 2006, 18 ; et Robert Aird et Mira Falardeau, Histoire de la caricature au Québec (Montréal, vlb éditeur, 2009), 118.
-
[13]
G. B. Retallack, Drawing the Lines…, op. cit., 108.
-
[14]
Il s’agit du corpus sur lequel nous avons travaillé lors de nos études de deuxième cycle. Voir A. Turgeon, Le nez de Maurice Duplessis…, op. cit., 16-23.
-
[15]
Ainsi, au cours des années 1940, tous les journaux, outre Le Canada, s’écrasent devant Duplessis dans les représentations du caricaturiste. Voir Ibid., 59-63.
-
[16]
Voir le tableau en annexe. On notera par ailleurs que La Palme quitte Le Canada au début de 1951. Seulement 32 de ses dessins paraissent cette année-là dans les pages du Canada.
-
[17]
Voir M. Brisebois, « Les procédés discursifs… », loc. cit., 206-209.
-
[18]
Tel Jules Champfleury, Histoire de la caricature sous la république, l’empire et la restauration (Paris, E. Dentu, 1877), 363 p., cité dans Jean-François Nadeau, La Palme : la caricature et autres sujets sérieux (Montréal, Éditions de l’Hexagone, 1997), 16.
-
[19]
Roger Chartier, « Le monde comme représentation », Annales ESC, Paris, Armand Colin, 6 (novembre-décembre 1989) : 1505-1520.
-
[20]
Équipe Creathis, « Avant-propos », dans Mercedes Blanco, dir., Satire politique et dérision : Espagne, Italie, Amérique latine (Villeneuve d’Ascq, Université Charles-de-Gaulle – Lille 3, 2003), 9.
-
[21]
De ces études, on consultera en particulier Christian Delporte, Les crayons de la propagande. Dessinateurs et dessin politique sous l’Occupation (Paris, CNRS, 1993), 223 p. ; Réal Brisson, La représentation d’Oka – Une crise vue par la caricature, thèse de doctorat (histoire), Université Laval, 1998 ; et Huang Yvanlin, « Le grand timonier et les tigres de papier », Matériaux pour l’histoire de notre temps, 28 (1992) : 40-43.
-
[22]
G. B. Retallack, Drawing the Lines…, op. cit.
-
[23]
Retallack se retrouve en fait à réactualiser la thèse aux relents de marxisme de Morris, thèse que celui-ci avance dans Raymond N. Morris, Behind the Jester’s Mask : Canadian Editorial Cartoons About Dominant and Minority Groups, 1960-1979 (Toronto, University of Toronto Press, 1989), 230 p.
-
[24]
A. Turgeon, « De la démocratie au Québec : la société canadienne-française dans les caricatures de Robert La Palme, 1943-1951 », dans Valérie Lapointe-Gagnon et al., dir., Actes du 9e Colloque international étudiant du Département d’histoire (Québec, Artefact, 2010), 250-252.
-
[25]
Noam Chomsky, Necessary Illusions : Thought Control in Democratic Societies (Toronto, House of Anansi Press Limited, 1991), 48, cité dans G. B. Retallack, Drawing the Lines…, op. cit., 75.
-
[26]
R. Brisson, La représentation d’Oka…, op. cit., 17.
-
[27]
D. Hardy, A Metropolitan Line…, op. cit., 188.
-
[28]
Outre Le Canada, seuls Le Soleil et Le Jour donnent alors leur soutien au gouvernement Godbout parmi les journaux québécois. Un appui « mitigé » de la part du Soleil et « plus encombrant qu’utile » pour ce qui est du Jour, considérant son « rédacteur anticlérical », Jean-Charles Harvey. Voir Jocelyn Saint-Pierre, Histoire de la Tribune de la presse à Québec, 1871-1959 (Montréal, vlb éditeur, 2007), 133.
-
[29]
En effet, de 1945 à 1953, le tirage du Canada se maintient entre 22 000 et 25 000 exemplaires. Voir J. de Bonville, Les quotidiens montréalais…, op. cit., 43.
-
[30]
J. Saint-Pierre, Histoire de la Tribune…, op. cit., 133-134.
-
[31]
Jean-Louis Gagnon, Les apostasies. 2 : Les dangers de la vertu (Montréal, La Presse, 1986), 378, cité dans J. Saint-Pierre, Histoire de la Tribune, op. cit., 134.
-
[32]
Le jour même de sa fermeture, la direction du Canada en avise Gérard Filion, directeur du Devoir, qui paraissait le soir. En l’espace d’une nuit, toute l’équipe du Devoir travaille d’arrache-pied pour faire paraître l’édition du lendemain le matin suivant. Voir là-dessus J. de Bonville, Les quotidiens montréalais…, op. cit., 44-45 ; et Pierre-Philippe Gingras, Le Devoir (Montréal, Libre Expresion, 1985), 160-161.
-
[33]
D. Hardy, A Metropolitan Line…, op. cit., 137.
-
[34]
Ibid., 202.
-
[35]
Ibid., 201.
-
[36]
Le Canada, 31 janvier 1949.
-
[37]
Le Canada, 7 juin 1949.
-
[38]
Le Canada, 20 juin 1949.
-
[39]
Sur les propos polémiques de Drew et la manière dont Le Canada et La Palme les ont exploités lors des élections fédérales de 1949, voir A. Turgeon, Le nez de Maurice Duplessis…, op. cit., 75-79.
-
[40]
Ce titre est repris à quatre occasions au moins par Le Canada, soit les 14 et 25 février ainsi que les 21 et 27 juin 1949.
-
[41]
Le Canada, le mardi 28 juin 1949, 4. On notera que pour identifier les caricatures de La Palme au sein des quotidiens nous ajoutons le jour de la semaine dans la référence.
-
[42]
Le Canada, le mardi 20 juillet 1948, 4.
-
[43]
La Direction, « La Palme quitte Le Devoir », Le Devoir, 31 janvier 1959.
-
[44]
En 1951, 81,2 % du tirage du Canada était concentré dans la grande région de Montréal. Voir J. de Bonville, Les quotidiens montréalais…, op. cit., 42.
-
[45]
Le Canada, le mercredi 23 juillet 1947, 4.
-
[46]
Le Devoir, le lundi 12 septembre 1955, quatre. Nous conservons ici la pagination originale du Devoir.
-
[47]
On notera que toutes les caricatures présentes en annexe sont accompagnées, dans le corps du texte, d’un dièse (#) entre parenthèses.
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[48]
Le Canada, le mercredi 10 janvier 1945, 4.
-
[49]
Le Canada, le mercredi 24 mai 1944, 4.
-
[50]
Ce qui est d’autant plus particulier, considérant qu’à l’époque les femmes sont interdites d’accès dans les tavernes. Cette présence féminine, dans les caricaturistes de l’artiste, est-elle un trait subversif que La Palme donne à son oeuvre ? Difficile à dire pour l’instant.
-
[51]
C’est d’ailleurs à cette occasion que Duplessis brandit un document lequel, de ce qu’il prétend, prouve hors de tout doute que les Juifs financent la campagne électorale des libéraux de Godbout, en retour de quoi ceux-ci accepteront l’établissement en sol québécois de quelque 100 000 réfugiés juifs. Sur cette affaire, on consultera Conrad Black, Duplessis, 1 : L’ascension (Montréal, Éditions de l’Homme, 1977), 441-442 ; et Martin Pâquet, Tracer les marges de la Cité : étranger, immigrant et État au Québec, 1627-1981 (Montréal, Boréal, 2005), 161-164.
-
[52]
Voir Robert Rumilly, Maurice Duplessis et son temps, 1 : 1890-1944 (Montréal, Fides, 1973), 642-655.
-
[53]
Duplessis s’est d’ailleurs déjà adressé spécifiquement aux électrices, le 3 août 1944, comme le rappelle Conrad Black. « De votre vote, Mesdames, va dépendre la survivance de notre province. Faites, le 8 août, une croix qui crucifiera les renégats et les traîtres et qui sera en même temps un signe de rédemption pour notre province. Il fallait arriver à M. Godbout Premier ministre pour voir la législature transformée en cimetière et les membres du gouvernement en fossoyeurs… Pour dix jours de promesses, le gouvernement vous donne cinq ans de taxes et de misère. Mais où va-t-il, cet argent-là ? », cité dans C. Black, Duplessis…, op. cit., 463. Soulignons que ce discours n’eut pas de suites chez La Palme.
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[54]
Rappelons que Duplessis est, à ses premières années en politique, un responsable politique assez délinquant. Collectant les conquêtes amoureuses, abusant à satiété de l’alcool (il aurait prononcé certains discours ivre mort), Duplessis atteint le fond du baril en 1942, alors qu’il passe la majeure partie de l’année hospitalisé. D’aucuns n’hésitent pas alors à prédire le glas de sa carrière politique. La légende veut que Paul Sauvé ait dit : « Qui veut d’un ivrogne pour chef ? » L’année suivante, décidé plus que jamais à reprendre le pouvoir, Duplessis cesse de boire et remet de l’ordre dans sa vie, présentant et assumant dès lors l’image du célibataire rangé dont il ne démordra pas. Un changement d’image dont La Palme s’est moqué abondamment dans ses caricatures. Voir D. Hardy, A Metropolitan Line…, op. cit., 200 ; et C. Black, Duplessis…, op. cit., 425-426.
-
[55]
Le Canada, le mercredi 6 septembre 1944, 4.
-
[56]
Développée par Leon Festinger, la théorie de la dissonance/consonance avec l’environnement stipule que tout individu ne peut vivre qu’en consonance avec son environnement. Ses valeurs doivent donc être cohérentes avec celui-ci. Or, la consonance peut cesser, l’individu se retrouvant dès lors en dissonance avec son environnement. Ne pouvant endurer cette situation, il tentera alors de rétablir la consonance. De deux choses l’une. Soit il actualisera ses valeurs à cette nouvelle réalité, soit il se convertira à de nouvelles valeurs. Voir Leon Festinger, Henry W. Riecken et Stanley Schachter, When Prophecy Fails (Minneapolis, University of Minnesota Press, 1956), 256 p.
-
[57]
Le Canada, le mercredi 23 mars 1949, 4.
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[58]
Le Devoir, le samedi 10 mai 1958, 4.
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[59]
Le Canada, le samedi 4 mars 1950, 4.
-
[60]
Le Canada, le jeudi 1er juin 1950, 4.
-
[61]
Le Canada, le vendredi 10 septembre 1948, 4.
-
[62]
Le Canada, le vendredi 11 novembre 1949, 4.
-
[63]
Yves Lever, Anastasie ou la censure du cinéma au Québec (Sillery, Septentrion, 2008), 134.
-
[64]
Ibid., 134-135.
-
[65]
Le Canada, le mardi 22 juillet 1947, 4.
-
[66]
Le Canada, le jeudi 20 mars 1947, 4 et Le Canada, le jeudi 23 mars 1950, 4.
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[67]
Le Canada, le mardi 17 février 1948, 4.
-
[68]
Le Canada, le mercredi 3 mai 1950, 4.
-
[69]
Le Canada, le mercredi 18 janvier 1950, 4.
-
[70]
Le Canada, le jeudi 12 décembre 1946, 4 et Le Canada, le lundi 5 mai 1947, 4.
-
[71]
Maurice Agulhon, Marianne au combat : l’imagerie et la symbolique républicaine de 1789 à 1880 (Paris, Flammarion, 1979), 251 p.
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[72]
Le Canada, le mardi 20 juillet 1948, 4.
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[73]
Le Canada, le samedi 20 novembre 1948, 4.
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[74]
Le Canada, le mardi 17 février 1948, 4.
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[75]
Le Canada, le samedi 8 mai 1948, 4.
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[76]
Le Canada, le samedi 20 novembre 1948, 4.
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[77]
G. B. Retallack, Drawing the Lines…, op. cit., 128.
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[78]
Insister sur le pathos reste bien souvent le moyen le plus sûr pour tout interlocuteur de passer son message. Voir là-dessus Patrick Charaudeau, Le discours politique : les masques du pouvoir (Paris, Vuibert, 2005), 35.
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[79]
G. B. Retallack, Drawing the Lines…, op. cit., 46-47.
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[80]
Le Canada, le jeudi 13 juillet 1944, 4.
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[81]
Ancien chef du Parti conservateur du Québec, maire de Montréal de 1928 à 1932, de 1934 à 1936, de 1938 à 1940 et de 1944 à 1954, Houde fut une figure marquante de la scène politique québécoise.
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[82]
Gouin et le Dr Hamel comptent parmi les membres fondateurs de l’Action libérale nationale – dont Gouin était le leader –, formation de libéraux dissidents dégoûtés du gouvernement libéral de Louis-Alexandre Taschereau. Cette formation s’allie au Parti conservateur du Québec, dirigé par Duplessis, alliance de laquelle émergea l’Union nationale. Une fois bien installé au pouvoir à la suite des élections générales de 1936, Duplessis écarte les principaux leaders de l’Action libérale nationale. D’où ce rappel de La Palme du souvenir malheureux de Gouin et Hamel, alors que le caricaturiste prédit un sort semblable à Laurendeau. À l’alliance politique se substitue la métaphore (traditionnelle) du mariage, alors que Duplessis endosse le rôle peu enviable de Barbe-Bleue. Voir Le Canada, le mardi 9 mai 1944, 4.
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[83]
Député du comté de Montréal–Saint-Jacques de 1944 à 1956 sous la bannière de l’Union nationale, Côté est également le Secrétaire de la province de Québec pour la même période. Il est l’une des cibles de choix de La Palme au Canada et au Devoir. Voir Le Canada, le vendredi 1er février 1946, 4.
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[84]
De 1944 à 1947, Laurendeau est le chef de l’aile provinciale du Bloc populaire canadien, qui tire ses origines de la Ligue pour la défense du Canada. Il se joint par la suite à l’équipe éditoriale du Devoir. Voir Le Canada, le mardi 7 mars 1944, 4 et Le Canada, le lundi 15 mai 1944, 4 entre autres.
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[85]
C’est d’ailleurs pour cette raison que les caricatures contenant des personnages féminisés apparaissent surtout au début des années 1940 au lieu d’être réparties sur l’ensemble de la période. Voir le tableau en annexe.
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[86]
Le Canada, le vendredi 1er février 1946, 4.
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[87]
Le Canada, le lundi 15 mai 1944, 4.
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[88]
Le Canada, le mardi 9 mai 1944, 4.
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[89]
D. Hardy, A Metropolitan Line…, op. cit., 222.
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[90]
Robert La Palme, cité dans D. Hardy, A Metropolitan Line…, op. cit., 154.
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[91]
Dont les tirages dépassent alors les 200 000 exemplaires. Voir J. de Bonville, Les quotidiens montréalais…, op. cit., 42.
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[92]
R. Aird et M. Falardeau, Histoire de la caricature au Québec…, op. cit., 88.
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[93]
Pour confirmer cette hypothèse, il faudrait certes l’étayer en élargissant notre regard aux autres journaux où La Palme a commis des caricatures, et ce, afin d’y aller d’une analyse comparative. Pensons justement à La Presse, où il succède à Bourgeois, ou aux caricatures qu’il dessine pour le journal communiste Le Combat. Autant de voies à explorer prochainement.