Comptes rendus

ALLARD, Geneviève, Névrose et folie dans le Corps expéditionnaire canadien (1914-1918) : le cas québécois (Outremont, Athéna éditions, 2012), 242 p.[Notice]

  • Yves Tremblay

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  • Yves Tremblay
    Historien, Ministère de la Défense nationale

Le livre s’ouvre sur une discussion de la notion de shellshock, car on peut penser que la folie dont il est question ici est causée par des traumatismes subis au front. À partir de 1915, de nombreux malades sont diagnostiqués shellshock, diagnostic qui ne fait pas l’unanimité, car il est souvent appliqué à des individus n’ayant pas été exposés à une explosion. D’ailleurs, en 1919, les psychiatres britanniques, que suivent les Canadiens, admettront que les troubles nerveux de la guerre ne sont pas spécifiques au combat, les symptômes constatés étant semblables à ce qui se rencontrait dans la pratique civile. Si le concept a connu une grande vogue, ce serait pour deux raisons « politiques » : le désir d’éviter au soldat la qualification d’hystérique, une qualification alors en déclin mais considérée comme une « condition féminine » ; et pour épargner à l’État de coûteuses pensions, car le shellshock étant un traumatisme de courte durée ne donnerait pas droit à des soins pour très longtemps. Du moins c’est ainsi que certains l’envisageaient. Cette partie sur la notion de névrose de guerre n’est pas originale, les historiens des années 1990 ayant bien documenté le phénomène. C’est l’étude d’un corpus émanant des travaux de la Commission des soldats invalides, dont 121 internés dans les asiles du Québec, que Geneviève Allard suit jusqu’en 1924, qui fait l’originalité de sa thèse. Il s’agit des cas plus lourds, difficiles à « guérir ». Ces patients vont subir les cures que la psychiatrie développe dans les premières décennies du XXe siècle. De manière fort appropriée, †Geneviève Allard lie le reste de sa thèse (à partir de la p. 75) au traitement de ces cas, ainsi qu’à la manière dont l’État fédéral, l’État québécois aussi puisque les asiles de la province sont sollicités, s’adaptent plus ou moins à l’arrivée d’ex-militaires au début des années 1920. Sans que cela surprenne, on est placé devant le fait que la psychiatrie québécoise retarde sur celle du reste du Canada, et on a souvent l’impression que parmi les hôpitaux québécois, c’est celui de Verdun, pour les anglophones, qui est le plus progressiste. Avant leur transfert, ces patients passaient par une longue chaîne d’évacuation (escamotée dans le livre mais bien décrite dans des publications plus anciennes), qui aboutit finalement à l’hôpital spécialisé de Granville dans le Kent. C’était un vaste hôtel de villégiature, bien équipé pour l’époque avec parcs, salles d’hydrothérapie et d’électrothérapie, ateliers d’ergothérapie, espaces pour la pratique des sports et piscine. Y étaient traités les cas résistants. Le traitement avait pour but de rétablir l’équilibre mental du patient pour qu’il « guérisse » et retourne au front. En réalité, il y a souvent changement d’affectation vers des fonctions non combattantes, et fréquemment le patient reçoit son congé de l’armée (tableaux de la p. 143-144). Ici, l’auteure inscrit sa description dans la thématique d’une restauration de la masculinité, sur laquelle elle a eu le bon sens de ne pas trop insister. Le médecin chef de Granville, le docteur Colin Kerr Russel, Montréalais pionnier de la neurologie au pays, devient un des premiers vrais psychiatres canadiens. Avant la guerre, Kerr avait pratiqué au Royal Victoria. Il n’a jamais fait de milice ni appartenu à l’armée régulière et, comme les autres médecins, il a tout à apprendre des névroses de guerre. Russel pensait que ces névroses étaient guérissables si elles étaient soignées rapidement. Il abandonne les théories de la dégénérescence et de l’origine physique (donc du shellshock au sens strict – le traumatisme a d’abord des sources psychologiques) vers 1916 pour s’intéresser à la thérapie individuelle (influence freudienne peut-être), …