Corps de l’article
Après le succès populaire et critique de son ouvrage Duplessis, pièce manquante d’une légende. L’invention du marketing politique au Québec, il était presque inévitable que son auteur, Alain Lavigne, professeur au Département d’information et communication de l’Université Laval, ne récidive en continuant son entreprise pour couvrir les années de la Révolution tranquille. Après Maurice Duplessis, vint Jean Lesage. Aussi, Lavigne nous présente-t-il dans cet ouvrage, qui ne s’adresse pas tant aux historiens qu’aux amateurs, le « marketing politique de l’équipe du tonnerre » entre 1960 et 1966, où il explique le succès – ou l’insuccès – des stratégies libérales à la lumière des résultats électoraux. Pour son ouvrage sur l’Union nationale, Lavigne avait rassemblé au fil des années une collection personnelle impressionnante d’objets de toutes sortes, une collection originale et à maints égards inédite qui constitue d’ailleurs le principal attrait du livre. Si Lavigne a bien rassemblé ça et là quelques objets reliés au Parti libéral du Québec, il reste que le tout ne faisait pas le poids devant sa première collection. Aussi a-t-il complété sa collection sur le Parti libéral du Québec grâce à l’apport du Service des ressources documentaires et des archives de l’Assemblée nationale du Québec (p. 11).
L’ouvrage comprend huit chapitres. Le premier porte sur les responsables du marketing politique du Parti libéral du Québec, regroupés autour de la Fédération libérale du Québec, créée en 1955. Des trois responsables de la publicité libérale pour cette période, Maurice Sauvé (1960-1963), Maurice Leroux (1963-1965) et Paul-André Joly (1965-1966), c’est surtout Leroux qui retient l’attention de Lavigne, avec qui il a d’ailleurs mené une entrevue des plus fructueuses. Ancien réalisateur à la télévision de Radio-Canada, il revient à Leroux « de faire comprendre à Lesage qu’il doit parler devant la caméra comme il parlerait à une personne dans son salon » (p. 28). La télévision joue en effet un grand rôle lors de ces élections, les libéraux profitant dans un premier temps de ce média, notamment lors du premier débat télévisé (p. 86-87), mais aussi au sein de différentes capsules publicitaires (p. 47-48, 72-73, 128-132), les unionistes ajustant le tir pour les élections de 1966 (p. 150-153). Les élections de 1960, 1962 et 1966 sont l’objet des deuxième, troisième et sixième chapitres.
Dans un cas comme dans l’autre, ces chapitres se déclinent comme suit : « contexte », « programme, argumentaire et slogan », « axes de la campagne », « stratégie publicitaire », « stratégie d’information de masse », « stratégie événementielle », « stratégie relationnelle », « stratégie d’affichage et pavoisement », « mise en image de Lesage » et « mise en récit de Lesage ». Dans ces pages se trouvent des images de différents documents (brochures, affiches, objets, caricatures, lettres, photographies, couvertures) qui, si elles ne sont pas analysées par l’auteur, permettent néanmoins de présenter ces campagnes sous différents angles. Alors que pour les deux premières campagnes électorales la stratégie libérale porte sur « l’équipe de tonnerre » de Jean Lesage, c’est plutôt autour du chef que porte la campagne électorale de 1966. Le départ de Leroux en 1965 ouvre la porte à ce changement de stratégie qui aurait, semble-t-il, favorisé la défaite libérale aux mains de l’Union nationale de Daniel Johnson (p. 14).
Dans cet ouvrage, Lavigne ne s’intéresse pas qu’aux seules campagnes électorales des années 1960. Les « vedettes médiatiques » du Parti libéral du Québec, les Jean Lesage, René Lévesque, Paul-Gérin Lajoie et Georges-Émile Lapalme, bien qu’il ne consacre qu’un maigre paragraphe à ce dernier (p. 100), sont l’objet du quatrième chapitre. Pour chacun, l’auteur brosse un bref portrait, s’inspirant d’un document d’époque. Il en profite pour rappeler leurs principales réalisations ou pour souligner certains traits de caractère. Le chapitre suivant digresse quelque peu du propos du livre. Lavigne décide en effet d’y aller d’« une brève incursion dans le marketing gouvernemental, en présentant comment Paul Gérin-Lajoie a “vendu” à la population le controversé Bill 60 créant en 1964 le ministère de l’Éducation » (p. 13-14). Il semble que l’auteur, ayant mis la main sur ces documents dans ses visites aux archives de l’Assemblée nationale, ait voulu tirer profit de cet heureux filon sans plus attendre, au risque de sacrifier quelque peu la cohérence de son ouvrage. Il aurait peut-être été plus opportun de conserver ces documents pour une prochaine étude.
Le septième chapitre concerne la réplique de l’Union nationale, c’est-à-dire comment elle organise ce que l’on pourrait appeler son contre-discours, mais aussi comment elle fabrique une contre-image de Lesage, surnommé en dérision « Ti-Jean la taxe » lors de la campagne de 1966. Enfin, le dernier chapitre traite de la mise en mémoire de Jean Lesage après sa défaite de 1966. L’auteur s’intéresse à cet effet à différentes initiatives mises en place à partir des années 1990 – nul mot sur ce qui a pu être fait dans les années 1970 et 1980 pour honorer la mémoire de celui qui est présenté sinon comme le père, du moins comme le chef d’orchestre de la Révolution tranquille – et aux mémoires de ses collègues du Parti libéral du Québec.
Quelques mots sur l’image choisie pour figurer sur la couverture. Ce choix surprend quelque peu. Dans un livre qui porte en grande partie sur la mise en image de Jean Lesage, le leader de « l’équipe du tonnerre », le chef d’orchestre de la Révolution tranquille, il va sans dire que les illustrations de l’homme politique sont nombreuses, et on en retrouve plusieurs dans ces pages. Or, l’auteur a plutôt choisi une photographie du « [p]oint de presse de Jean Lesage à la suite du décès de Daniel Johnson, [le] 26 septembre 1968 » (p. 6). Non seulement Lesage n’est-il plus premier ministre à ce moment, mais l’ouvrage ne couvre même pas cette période — outre quelques pages sur sa succession (p. 172-175). Qui plus est, Lesage est en retrait dans l’image. Entouré de journalistes, il semble même assiégé par eux en considérant la perspective retenue. Légèrement incliné vers la droite, le profil de Lesage donne l’apparence de répondre à celui de son alter ego, plus jeune, pour qui tout est permis, sur le macaron qui orne également la couverture.
À propos des images, il est bon de spécifier que cet ouvrage est abondamment illustré, le tout apprêté dans une facture des plus agréables. Là-dessus, Septentrion a décidé de miser sur une formule gagnante, celle éprouvée dans Duplessis, pièce manquante d’une légende, et force est de lui donner raison. Les lecteurs sont les grands gagnants de ce travail d’édition pour le moins remarquable, eux qui redécouvriront avec plaisir les années de la Révolution tranquille par le biais du marketing politique et de ces objets mis en valeur.