Comptes rendus

Gagné, Joseph, Inconquis. Deux retraites françaises vers la Louisiane après 1760, Québec, Septentrion, 2016, 258 pages[Notice]

  • Arnaud Bessière

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  • Arnaud Bessière
    Département d’histoire, Université Laurentienne

L’historiographie de la Conquête a connu un nouvel essor au cours des dernières années. Les festivités entourant le 250e anniversaire de la signature du traité de Paris, qui mit fin à la guerre de Sept Ans, ont favorisé la sortie de nombreux ouvrages sur le sujet, contribuant au renouvellement des connaissances et des problématiques. Les éditions du Septentrion ont d’ailleurs beaucoup participé à cet élan et récidivent cette année en publiant le premier livre du jeune historien Joseph Gagné, candidat au doctorat à l’Université Laval et concepteur de l’utile site Nouvelle-France électronique. Issu de son mémoire de maîtrise (Université Laval, 2014), Inconquis. Deux retraites françaises vers la Louisiane après 1760 raconte l’histoire de deux officiers – Pierre Passerat de La Chapelle, commandant en second du fort Détroit, et Louis Liénard de Beaujeu, dernier commandant du fort Michillimakinac, situé entre les lacs Michigan et Huron – qui choisissent de fuir le Canada avec leurs hommes vers la Louisiane peu après la capitulation de Montréal en septembre 1760, et qui se rencontrent accidentellement au Pays des Illinois. Pour reprendre les mots de l’auteur, cette biographie croisée constitue une « brèche d’observation privilégiée sur la société militaire française du XVIIIe siècle en temps de crise en Amérique du Nord » (p. 19). Le livre est richement illustré et propose aux lecteurs des cartes, des gravures et des photographies qui permettent de suivre et de visualiser les principales étapes de ces deux retraites militaires. Pour le coup, l’invitation au voyage est réussie. Il offre également en annexe la transcription du rapport de campagne de La Chapelle ainsi que diverses correspondances sur lesquelles l’auteur s’est appuyé pour la réalisation de son étude. À cet égard, les pièces 5 et 10 sont particulièrement savoureuses. À cela s’ajoutent un index (plus ou moins achevé) et une bibliographie relativement complète. On regrettera que plusieurs références présentées en introduction (et notamment à la note 14) n’aient pas été ajoutées à la bibliographie, au même titre que les travaux de Wenzel (sur la justice et la culture militaires dans le Pays des Illinois) ou de Teasdale (sur les relations franco-amérindiennes dans la région des Grands Lacs et le Pays des Illinois). Gagné divise son ouvrage en cinq chapitres inégalement proportionnés. Les deux premiers, les plus courts, mettent en place le décor et les acteurs. Dans le premier chapitre (p. 32-42), l’auteur situe géographiquement le Pays des Illinois – vaste zone tampon entre la Basse-Louisiane et la région des Grands Lacs – et explique que la stratégie de repli vers cette région advenant la perte du Canada, pour « “conserver au roi un bon corps de troupes” et pour “sauver” la Louisiane » (p. 33), n’est en rien originale. Elle a, au contraire, été imaginée par l’état-major de la Nouvelle-France – Bougainville en tête – et a probablement inspiré les retraites de Beaujeu et de La Chapelle. La fuite des deux hommes, sans qu’ils se consultent, ne serait donc pas une coïncidence. Le deuxième chapitre (p. 43-61) est consacré aux origines des deux protagonistes et à leur parcours militaire respectif jusqu’à leur départ pour la Louisiane. On y apprend qu’ils sont issus de milieux sociaux différents. La Chapelle est un « produit du siècle des Lumières » (p. 121). Membre de la noblesse provinciale française, il « profite de son arrivée au Canada [en 1757, à l’âge de 22/23 ans] pour s’avancer dans les rangs de l’armée. Beaujeu, quant à lui, [de 18 ans son aîné] appartient à l’élite militaire et nobiliaire canadienne et est engagé dans le commerce des fourrures » (p. 62). C’est à partir du …