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Les éditions LUX publiaient en 2016 une nouvelle édition de la biographie de Pierre Bourgault rédigée en 2007 par l’historien et journaliste au journal Le Devoir, Jean-François Nadeau. Succès de librairie lors de sa sortie initiale, Bourgault est désormais accessible en format de poche, à l’instar de plusieurs autres succès publiés par LUX. Or, avant de se lancer dans l’exercice du compte rendu en bonne et due forme, il importe de mentionner que l’ouvrage en question ne comporte aucune introduction justifiant cette nouvelle édition, ni de bilan ou de nouvelles perspectives de recherche. Il aurait pourtant été approprié d’apporter des éclaircissements en ce sens, en vertu du fait que les études sur les années 1960 et sur le mouvement indépendantiste québécois ont beaucoup évolué depuis une décennie. N’empêche, cette observation n’égratigne en rien la qualité initiale de la recherche effectuée par Nadeau. De ce fait, Bourgault constitue un exemple éclairant de l’utilité de la biographie historique dans le contexte de l’histoire politique et intellectuelle québécoise.
Quinze ans après sa mort, Pierre Bourgault demeure l’une des figures emblématiques de l’histoire québécoise du XXe siècle. Figure de proue du mouvement indépendantiste durant les années 1960, notamment à titre de président du RIN (1964-1968), ce dernier continue à opérer une certaine fascination chez les spécialistes de l’histoire du Québec. Homme engagé, passionné, imprévisible et intègre, Pierre Bourgault possédait une personnalité fort complexe. En ce sens, la qualité principale de l’ouvrage de Nadeau est d’avoir su reconstruire les multiples facettes du personnage (politique, intellectuelle et personnelle), et d’avoir superposé l’évolution de ce dernier à celle de la société québécoise à un moment charnière de son histoire. Il en ressort ainsi un portrait multiforme, qui expose les contradictions et les travers du personnage (vie personnelle instable, précarité financière, caractère bouillant et vaniteux) ainsi que les fondements de son engagement politique et intellectuel en faveur de la cause de sa vie : l’indépendance nationale du Québec. Grâce à un corpus de sources diversifiées (entrevues, articles, études, discours, etc.), Nadeau détaille en 18 chapitres éclairants les multiples facettes du parcours politique de Bourgault qui le mènera des assemblées de cuisine du RIN au front du Comité pour le Oui lors du référendum de 1980. Il élabore également sur les racines intellectuelles de son discours politique ancré dans une logique tiers-mondiste de la décolonisation et influencé, entre autres, par les enseignements de son mentor André d’Allemagne. Révolutionnaire pour certains, dont René Lévesque pour qui il fut l’éternel rival, Bourgault a marqué les esprits par ses discours enflammés et par ses actions politiques pour le moins musclées. Afin de pouvoir réformer en profondeur la société québécoise, il estimait, à l’instar de plusieurs membres influents du RIN, que l’indépendance constituait la première marche vers la démocratisation et l’épanouissement – à tous les niveaux – du Québec. En cela, il fut un précurseur qui contribua à démystifier l’idéal indépendantiste, un élément qui n’est pas étranger à la popularité du futur Parti québécois, un parti qui s’inspira à maints égards des modes de fonctionnement internes du RIN.
L’ouvrage de Jean-François Nadeau constitue à notre sens un remarquable jalon historiographique relatif au genre biographique. Se tenant loin des récits hagiographiques, qui furent longtemps l’apanage des biographies des grands hommes politiques, l’oeuvre de Nadeau se veut plutôt une analyse lucide des réalisations, des motivations, des contradictions et des échecs qui ont jalonné la carrière de Bourgault. Qui plus est, l’ouvrage de Nadeau constitue en soi un témoignage éclairant relatif à l’histoire des débuts des mouvements indépendantistes du Québec contemporain, tant par les détails relatifs à l’existence du RIN qu’aux modes d’actions privilégiées par ses dirigeants. Il dresse également un portrait fort évocateur de la décennie 1960, période marquée par la croissance accélérée des mouvements sociaux et politiques. Nadeau propose également un récit compréhensif de la vie de Bourgault à la suite de sa carrière politique. Professeur en communication à l’UQAM, animateur à Radio-Canada, acteur de cinéma, parolier (pour Robert Charlebois !), chroniqueur et auteur, Bourgault a mené une existence mouvementée, à l’image de son engagement dans la joute politique.
En cela, nous avons très peu de critiques à adresser à cette biographie très complète. Toutefois, nous estimons que Nadeau parle assez peu des relations qu’entretenaient le RIN et Pierre Bourgault avec les différents mouvements indépendantistes de gauche et d’extrême gauche actifs durant la décennie 1960. Pourtant, la revue Parti pris (1963-1968) a consacré de nombreux articles au RIN et à son président durant ses années d’existence, de même que les revues Socialisme (1964-1974) et Révolution québécoise (1964-1965). L’aile gauche du RIN entretenait d’ailleurs des relations assez intimes avec ces différents mouvements, comme le démontre notamment l’influence manifeste opérée par la militante Andrée Ferretti au sein du parti lors de ses dernières années d’existence. Une analyse plus aiguisée en ce sens aurait selon nous été salutaire afin de bien comprendre la place du RIN dans la nébuleuse des mouvements de gauche québécois actifs durant la Révolution tranquille.
Pour conclure, la lecture de Bourgault nous amène à considérer l’homme tel qu’il fut : un homme passionné, redoutable orateur, mais chef de parti instable, qui a néanmoins ouvert la voie à la fusion des forces indépendantistes qui concourra, dans les années 1970, aux succès du PQ sur la scène électorale. En cela, Pierre Bourgault représente une figure incontournable pour comprendre l’évolution de l’histoire politique québécoise durant la seconde moitié du XXe siècle.