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Dans cet ouvrage collectif, Marie-Andrée Beaudet, Mylène Bédard, leurs six collaboratrices et leurs deux collaborateurs proposent une relecture du XIXe siècle québécois par le biais des discours épistolaires qui le traversent. S’appuyant sur les meilleurs travaux européens, notamment français, ils sont à même de faire ressortir la place de l’épistolaire dans l’émergence de la littérature québécoise. Ainsi, les études de cas qui sont présentées dans le livre font progresser les connaissances sur plusieurs aspects de l’écriture et de la réception des lettres, surtout au sein de l’élite politique et culturelle. Y ressort particulièrement le rôle des femmes instruites, qui sont souvent de grandes épistolières. Les historiens trouveront donc dans ce petit ouvrage de la matière pour alimenter leurs propres réflexions sur le phénomène épistolaire au Canada français.
Cependant, les historiens seront en même temps quelque peu frustrés par Relire le XIXe siècle québécois, celui-ci étant uniquement littéraire. Les scriptrices et les scripteurs dont les correspondances font ici l’objet d’analyses appartiennent en grande majorité au monde des lettrés, alors que les recherches des dernières décennies ont fait ressortir le fait que les moins lettrés, les femmes notamment, entretenaient de volumineuses correspondances. Il semble toutefois que, à l’heure de la pluridisciplinarité, de l’interdisciplinarité, voire de la transdisciplinarité, les travaux des littéraires intéressés par l’épistolaire se fassent en vase clos. Comment expliquer autrement l’absence, et ce, dans tous les chapitres, de références aux études novatrices de Marcel Martel, de France Martineau, de Mario Mimeault, de Jean Morency (pourtant lui-même littéraire), de John Willis et des miens sur les correspondances en Amérique française, y compris au Québec ?
Il faut dire que le seul historien de l’ouvrage, Gilles Gallichan, n’a pas pris en compte, lui non plus, ces travaux dans son chapitre sur les lettres de la famille de Pierre Bédard à John Neilson. Pour intéressante que soit sa contribution, il se sert essentiellement de la correspondance comme source pour étudier la famille Bédard, ne consacrant que quatre courts paragraphes au style épistolaire de ses membres. Par contraste, dans un des chapitres les plus fouillés du collectif, Julie Roy étudie dans la durée l’activité épistolière et littéraire des Canadiennes françaises, qu’elle met en relation avec leur sociabilité, mais aussi avec leur quasi-invisibilité dans l’institution littéraire. Le texte suivant, signé par Marie-Frédérique Desbiens, porte, lui, sur un seul épistolier, Siméon Marchesseault, patriote exilé aux Bermudes en 1837, dont la correspondance représente « une forme extrême » (p. 64) de l’épistolaire. Desbiens insiste sur les recoupements du privé et du public dans les lettres du scripteur, un thème que les historiens des lettres de migrants ont aussi mis en exergue. Les deux contributions suivantes traitent également de l’épistolaire en contexte insurrectionnel bas-canadien. D’abord, Mylène Bédard se penche sur 44 lettres qui sont, en fait, des requêtes adressées aux autorités coloniales par des femmes pour réclamer la libération d’un proche ou une indemnisation. Ici encore, l’acte épistolaire se retrouve à la confluence du privé et du public, et il implique parfois des femmes peu lettrées qui font appel à un écrivain public. Comme l’écrit Bédard, « avant même la mise à l’écriture, les conditions entourant la production de ces discours témoignent des rapports de pouvoir en présence » (p. 91). Pour sa part, Marie-Andrée Beaudet s’intéresse à trois lettres du patriote François-Maurice Lepailleur parues dans la presse. En plus d’examiner ces documents à l’aune des écrits d’exil et des pratiques épistolaires de la première moitié du XIXe siècle, elle montre l’importance des intermédiaires dans la circulation des lettres publiées dans les journaux.
Les autres textes de l’ouvrage portent sur la deuxième moitié du XIXe siècle. Dans un premier temps, Micheline Cambron analyse « un objet curieux » (p. 127), qui se situe au croisement de la lettre, du journal intime et du journal de presse. Il s’agit du Journal du siège de Paris d’Octave Crémazie. C’est l’occasion pour Cambron de réfléchir au journal comme forme épistolaire, comme récit de soi et des autres. Dans le chapitre suivant, Julie Auger se penche sur les usages de la correspondance dans la biographie pieuse. Elle prend comme exemple Une fleur du carmel, qui paraît en 1875 et qui relate la courte vie d’une jeune fille modèle, Hermine Frémont, racontée par son directeur spirituel, le père Antoine Braun. Même si ce dernier utilise la correspondance de Frémont à des fins didactiques, elle n’en est pas moins l’expression d’une intimité féminine et une forme d’invitation à l’écriture féminine. Dans le chapitre suivant, Marie-Pier Savoie scrute six lettres de Félicité Angers qui contribuent à la construction du destin littéraire de Laure Conan. Pour saisir ce processus d’invention, Savoie a eu la bonne idée de comparer les lettres qu’écrit Angers à soeur Catherine-Aurélie, fondatrice des soeurs adoratrices du Précieux-Sang, à celles qu’elle rédige à l’intention de l’abbé Henri Raymond Casgrain. C’est justement ce dernier qui fait l’objet de l’étude de Manon Brunet, spécialiste aguerrie du personnage. Elle s’attarde ici au réseau de 200 correspondants français du prêtre, dont la fréquentation des académies et des salons parisiens l’amène à « être en France passeur d’histoire et, de ce côté-ci de l’Atlantique, passeur de modernité » (p. 196). Enfin, c’est sur les lettres de Charles Gill à Louis-Joseph Doucet que porte la contribution de Louis-Serge Gill. Pour ce dernier, la correspondance de Charles Gill avec son ami poète est « le lieu de diverses confessions » (p. 216), ce qui lui permet de se mettre en scène et d’adopter la posture de l’artiste bohème.
Comme c’est le cas pour la plupart des ouvrages collectifs, les directrices n’ont pas jugé bon de rédiger une conclusion ou de demander à une collègue littéraire ou écrivaine de le faire. Une telle conclusion aurait pu dégager les traits communs aux dix chapitres ainsi que les caractéristiques spécifiques à chacun d’entre eux. Quoi qu’il en soit, et au risque de me répéter, les historiens qui s’intéressent à l’épistolaire et, plus généralement, à la culture canadienne-française trouveront matière à réflexion en lisant ce livre.