Résumés
Résumé
Cet article cherche à étudier la manière dont les récits filmiques contemporains fabulent avec des animaux « augmentés », c’est-à-dire résultant d’une fabrication humaine volontaire. Nous cherchons d’abord à décrire ces formes animales contemporaines à partir de trois exemples : Okja (Bong Joon-ho, 2017), Jurassic World (Colin Trevorrow, 2015), et « Hated in the Nation » (James Hawes, 2016), puis nous nous penchons sur les fonctions qui leur sont attribuées. Cela nous conduit enfin à interroger la place laissée à une authentique existence animale dans ces fables, en nous appuyant sur deux exemples supplémentaires : Les Gardiens de la galaxie vol. 3 (James Gunn, 2023) et Eo (Jerzy Skolimowski, 2022).
Abstract
This article looks at the way in which contemporary film narratives use “enhanced” animals, i.e. animals that have been deliberately designed by humans. First, I describe these contemporary animal forms based on three examples: Okja (Bong Joon-ho, 2017), Jurassic World (Colin Trevorrow, 2015), and « Hated in the Nation » (James Hawes, 2016). Then, I look at the functions they are assigned. Finally, I question the place given to a genuine animal existence in these fables, relying on two further examples: Guardians of the Galaxy vol. 3 (James Gunn, 2023) and Eo (Jerzy Skolimowski, 2022).
Corps de l’article
Le long d’un oeuf, une fêlure. Un morceau de coquille se détache, laissant apparaître un oeil reptilien[1]. Le plan inaugural du film Jurassic World (Colin Trevorrow, 2015) cite le début de son illustre prédécesseur (Jurassic Park, Steven Spielberg, 1993) qui, lui aussi, montrait d’abord le dinosaure par le détail de son oeil. Quelle différence alors entre les deux animaux et, donc, entre les deux films ? Dans Jurassic World, le parc d’attractions consacré aux dinosaures a ouvert au public. Mais ce dernier, désormais habitué à voir évoluer les créatures multiséculaires, a besoin qu’on lui raconte de nouvelles histoires : les dinosaures ne seront donc plus seulement sortis de leur extinction, mais génétiquement modifiés. Le film justifie du même coup sa propre existence : vingt-deux ans après, cette nouvelle histoire de dinosaures remobilise la vieille fable de la démesure humaine, doublée cette fois-ci d’une dénonciation de la société du spectacle.
Nombreux sont aujourd’hui les récits filmiques et sériels qui, eux aussi, produisent leur récit en produisant des animaux. À la suite des fables, ils témoignent d’une volonté, sinon d’édification morale, du moins de dévoilement critique : Okja (Bong Joon-ho, 2017) se présente comme une véritable fable écologique, tandis que « Hated in the Nation[2] » (James Hawes, 2016) constitue un avertissement moral et technologique. Dans chacun de ces exemples, les animaux ont une particularité commune : ils résultent tous d’une fabrication humaine volontaire censée répondre à un besoin précis. Okja, le cochon du film éponyme, est un réservoir à viande ambulant; les dinosaures du parc Jurassic World sont des bêtes de foire; les abeilles robotiques de Black Mirror remplacent les véritables insectes désormais disparus.
Ainsi « augmentés », tant dans leurs formes que dans leurs fonctions, les animaux de ces productions sont, comme dans la fable littéraire, des outils narratifs dont on pourrait oublier la singulière animalité. Que peuvent bien avoir de « véritable » des animaux fabriqués dans des éprouvettes de laboratoire ou sur l’établi d’une usine ? Ces récits filmiques donnent-ils à leurs personnages animaux l’occasion d’être, authentiquement, des bêtes, au-delà des fonctions narratives et signifiantes dont ils sont lestés ?
Dans cet article, on se propose d’étudier la manière dont les récits filmiques contemporains fabulent avec ces animaux « augmentés ». Dans un premier temps, nous chercherons à décrire ces formes animales contemporaines en nous appuyant sur les trois exemples cités plus haut, puis nous nous pencherons sur les fonctions qui leur sont attribuées par le récit. Cela nous conduira à interroger, dans un troisième temps, la place laissée à une authentique existence animale dans ces fables.
Fabriquer le vivant : formes animales contemporaines
Si les animaux artificiels qui peuplent les exemples filmiques choisis s’avèrent très différents, ils n’en sont pas moins similaires en ce qu’ils résultent d’une même volonté d’« augmentation ». Le super-cochon d’Okja regroupe les caractéristiques de plusieurs animaux réels : sa rondeur, ses pattes, son poil ras évoquent le cochon, mais son gigantisme rappelle l’hippopotame tandis que ses oreilles, sa truffe et son comportement familier l’apparentent au chien. Les animaux des films Jurassic Park et Jurassic World ne ressemblent à de « véritables » dinosaures qu’au sens où ils conjuguent des « données scientifiques (les paléontologues), réelles (observation d’animaux imposants) et imaginaires (les dinosaures au cinéma et dans l’inconscient collectif[3]) » : ces dinosaures sont le résultat d’une compromission, et pas seulement des animaux préhistoriques « réels ».
De leur côté, les insectes de « Hated in the Nation » n’ont d’animal que leur forme (d’abeilles) et leur fonction (butiner), la chair vivante étant remplacée par l’acier nécessaire à ces mini-drones dont le sound design accuse le caractère de machines. Les sons qu’émettent les abeilles-robots ressemblent à des interférences, et celles-ci sont traitées comme une nappe sonore qui donne l’impression d’emplir le champ même quand celui-ci est, en apparence, vide de tout danger. Un tel choix souligne l’ambiguïté de ces animaux qui vrombissent comme des drones mais occupent l’espace (sonore, visuel) de manière parfois invasive : le jeu des échelles permet de donner une place importante à l’abeille, et de réduire l’humain à une silhouette à demi effacée (voir la figure 1).
Figure 1
Photogramme de la série Black Mirror, 2011–présent, Charlie Brooker, saison 3, épisode 6 « Hated in the Nation » (James Hawes, 2016), diffusion depuis le 21 octobre 2016, Netflix.
Deux modalités d’« augmentation » des animaux apparaissent : par amalgame de plusieurs animaux d’une part; par conjugaison de l’animal à une machine d’autre part. Les animaux ainsi augmentés sont de véritables formes-fonctions : destinée à être mangée, Okja est rendue plus grosse; destinés à impressionner, les dinosaures sont rendus plus « vrais »; destinées à butiner, les abeilles disparues sont remplacées par des robots plus contrôlables[4].
Il n’est pas anodin que le récit de ces fabrications occupe une place si importante dans les fables contemporaines. La genèse de chaque animal est racontée de manière très didactique, jusqu’à la parodie : Okja s’ouvre sur les images colorées et engageantes du spot télévisé promouvant le concours du « super-cochon » organisé par Lucy Mirando. La suite nous apprendra que les vingt-six animaux en compétition, loin d’être issus d’une reproduction naturelle, sont en fait des organismes génétiquement modifiés. Les cochons géants, les dinosaures antédiluviens et les abeilles automates sont ainsi le résultat d’une fabrication humaine volontaire, c’est-à-dire de l’artificialisation et de l’exploitation du vivant.
La quête d’un animal « augmenté » renvoie à l’histoire du productivisme : s’il devient nécessaire d’augmenter les capacités animales (mais aussi humaines), c’est que celles-ci sont considérées comme insatisfaisantes au regard de certains objectifs. Le souhait d’une transformation des corps en machines ne découle pas tant des débats philosophiques du 17e siècle autour de l’âme des bêtes (à l’issue desquels il s’avère, comme le souligne Catherine Larrère[5], que tout le monde ou presque est d’accord pour dire que l’animal n’est pas une machine), que dans les obsessions du 18e siècle. François Jarrige relève ainsi que le siècle des Lumières compte, calcule et compare tout — une manie qui contribue « à faire du travail une catégorie abstraite, où l’ouvrier, les bêtes et les machines sont interchangeables[6] ». Au 19e siècle, de nombreuses activités nécessitent des animaux dont le nombre augmente au point de contribuer à les réduire à de simples rouages, au sein d’un ensemble tourné vers la production toujours plus importante d’énergie et de marchandises. La zootechnie, qui défend et développe l’usage des « moteurs animaux », permet dès le 19e siècle la transformation des animaux qui « deviennent plus forts, plus lourds, plus productifs et plus rapides au fur et à mesure que l’agriculture se mue en activité capitaliste[7] ». Rivale de la machine à vapeur, la force animale lui est encore souvent préférée au 19e siècle, au point que ce n’est plus l’animal qui est, comme chez Descartes, assimilé à une machine, mais la machine qui est assimilée à un animal[8], étalon de la mesure du progrès technologique.
Les animaux augmentés des récits filmiques contemporains héritent en bonne partie de cette histoire productiviste au cours de laquelle la fonction des objets, même vivants, a fini par décider de leur usage, de leurs formes et même, quand c’était possible, de leur existence. Dans Okja, « Hated in the Nation » et Jurassic World, les animaux sont produits par des ingénieurs ou des généticiens; pourtant, le plan inaugural de Jurassic World conserve pour « acte de naissance » du dinosaure (et du film) la sortie de l’oeuf : ce fait même, tout « naturel » qu’il paraisse, n’est possible qu’après de nombreuses manipulations, si bien que l’animal qui sort de la coquille n’existe qu’en vertu d’une volonté humaine qui seule confère à la « nature » sa « naturalité[9] ».
Dinosaures, super-cochons, abeilles-drones : ces animaux sont de purs produits diégétiques, dont la possibilité est littéralement fabuleuse, c’est-à-dire fabriquée. Les fictions contemporaines, y compris celles qui cherchent à « raconter » la science[10], convoquent des animaux pour servir de rouages à leurs récits où ils restent des outils mis au service des procédés narratifs. L’animal est fictionné aux dépens de sa singularité : pure construction littéraire, il génère reconnaissance empathique ou rejet édifiant. Dans les fables de type filmique (dont le matériau expressif est composé d’images mouvantes et de sons), les animaux sont tout autant mis au service du récit, mais ils y prennent aussi forme : leur invention comme personnages nécessite une autre fabrication, celle d’images et de sons, a fortiori lorsque ces animaux n’existent pas ou plus dans la réalité matérielle captée par l’appareil de prise de vues. Si le médium cinématographique a recours depuis très longtemps aux effets spéciaux, la démocratisation des images de synthèse constitue un moment singulier dans l’histoire des techniques auxquelles il peut recourir pour faire exister ces êtres fabuleux. Si Jurassic Park conjuguait encore animatroniques et images de synthèse, Jurassic World ne recourt plus aux robots qu’à des fins citationnelles. Les dinosaures, comme le cochon Okja ou les abeilles-robots, sont ainsi massivement rendus possibles (comme images) par les outils numériques dont les progrès sont mis au service, dans les productions dominantes, d’un accroissement de la crédibilité.
Ces formes numériques attribuées aux animaux des fables filmiques contemporaines soulèvent un problème essentiel : celui du statut exact accordé à ces corps fabriqués dans et par la diégèse. Le corps-masse d’Okja, la verticalité écrasante de l’Indominus Rex, la nuée d’abeilles-robots, tous ces éléments impressionnants qui envahissent littéralement le champ sont pourtant absents à la prise de vue, qui se fait donc sans eux. L’enjeu est ontologique : les effets numériques permettent de faire sans en faisant plus tard (en postproduction). L’image cesse de dépendre de la coprésence de l’élément matériel et de sa captation, alors qu’auparavant il fallait qu’un corps, même truqué, même maquillé, eût bien été là comme corps (devant la caméra) pour être là comme image (devant les destinataires[11]). Tournant « cyborgien[12] » du médium cinématographique et, plus généralement, du 21e siècle, « le temps de la fin du corps[13] » lui préfère la « dématérialisation » numérique ou, à la rigueur, le robot.
La manière dont la chair résiste à cette disparition est à cet égard intéressante. Dans les fables filmiques contemporaines, ce sont les humains qui sont rappelés à leur condition carnée : victimes de l’appétit des bêtes dans Jurassic World, matière organique accessible aux insectes dans « Hated in the Nation », obsédés par l’idée de manger ou de faire manger dans Okja. De leur côté, les bêtes peuvent être douées de certaines qualités « humaines », surtout Okja, caractérisée par sa sensibilité (souffrance, affection) et même sa volonté (résistance, protection). Dans Jurassic World, les vélociraptors sont les seuls dinosaures qui bénéficient d’un nom mais leur « humanité[14] » tient surtout à leur genèse technique : Camille Brunel rappelle qu’ils sont « incarnés par des danseurs et des gymnastes en costumes de motion capture[15] ». Après les robots, c’est aux humains qu’incombe la charge d’« incarner » les animaux, dont « l’augmentation » consiste alors en une assimilation des compétences humaines, réduites à un squelette numérique habillable à l’envi. L’animal augmenté est une image.
C’est peut-être plus vrai encore dans le film de Bong Joon-ho, où des publicités sont diffusées sur de multiples écrans mais aussi transmises par des calendriers ou des ballons gonflables. Cette surenchère d’images sur supports variés redouble le procédé narratif propre au médium cinématographique à l’ère du numérique (et des plateformes, on y reviendra) : la quête de crédibilité du corps impossible passe par une insistance telle (de la bête, il n’y a rien qu’on ne voie) qu’il peine à s’incarner autrement que comme l’objet d’un regard, condamné à n’occuper le champ qu’artificiellement, à la faveur des possibilités d’incrustation. D’ailleurs, les films multiplient les choix de composition qui soulignent l’écart entre les corps, recourant à des surfaces frontalières (miroirs, vitres) qui isolent les espaces[16] (voir la figure 2). La fabrication de la forme animale consiste ainsi en grande partie à faire croire à la présence du personnage pour mieux le mettre au service de la fable.
Figure 2
La fable et ses fonctions : l’animal au service du récit
Conçu comme une forme destinée à remplir une fonction particulière dans la diégèse (Okja doit être mangée, les dinosaures admirés, les abeilles-robots utiles à la pollinisation), l’animal augmenté sert aussi les objectifs de la fable, qui n’hésite d’ailleurs pas à changer les fonctions intradiégétiques accordées aux bêtes, de manière à subvertir un projet que le récit entend condamner (Okja devient un animal de compagnie; les vélociraptors et les abeilles-drones sont employés comme des armes).
Car les fables cherchent à produire un effet sur leurs destinataires : « sous ce déguisement anecdotique, [ce récit] décrit des moeurs humaines générales, et en tire un enseignement[17] ». La fable se caractérise par le divertissement que produit l’histoire racontée, mais cette mise en fiction cherche aussi à lever le voile des apparences : d’un leurre plaisant, la fable fait une leçon édifiante, y compris en se servant de personnages animaux.
Fidèles à ce principe ancien de l’utile dulci, les récits filmiques qui nous intéressent ici cherchent tous à adopter une forme plaisante, qui permettra l’accès à une « leçon ». Il s’agit donc d’abord de déterminer ce qui plaît dans les personnages d’animaux augmentés.
Certes monstrueux en raison de son énormité et de sa genèse, le cochon Okja incarne exemplairement l’animal de compagnie qui, rendu adorable par ses formes arrondies et sa maladresse, génère l’empathie nécessaire à une fable construite sur des antagonismes moraux, écologiques et symboliques : d’un côté, l’innocence enfantine, le respect d’un monde perçu comme intouché, les grands espaces surélevés; de l’autre, les bassesses des adultes, l’artificialisation des espaces, les entrelacs souterrains de la ville (voir les figures 3–4). La convocation de l’enfance est attendue quand il est question d’animaux : « Les animaux et le monde animal constituent bien souvent pour l’enfant un terrain privilégié de protection, d’attrait et de répulsions, et l’adulte — qui a gardé la mémoire de son enfance — le sait parfaitement[18]. »
Figures 3 et 4
Photogrammes du film Okja (Bong Joon-ho, 2017) © Netflix
Cette relation privilégiée avec l’animal peut aussi exister dans des récits où l’adulte est présenté comme relativement immature. C’est le cas d’Owen dans Jurassic World, qui rejoint la « meute » de vélociraptors en chevauchant une moto, rêve cyborgien s’il en est. Dans ce film, la familiarité avec les animaux va même jusqu’à permettre l’ouverture d’une mini-ferme à dinosaures, adaptée aux enfants à la recherche d’un compagnon à câliner. Mais « plus personne n’est impressionné par un dinosaure » : les adultes réclament « plus de dents »; le plaisir naît aussi de cette satisfaction d’un public venu au parc (et au cinéma) pour trembler. Le lieu est ainsi configuré pour exposer les dinosaures : comme dans un zoo, ils sont voués aux regards toujours plus envahissants des spectateurs (une attraction consiste à circuler parmi les dinosaures dans une boule panoptique, entièrement faite de plexiglas); mais le parc exhibe aussi ces animaux en leur faisant faire des tours, comme dans un parc aquatique[19].
On retrouve une similaire fascination pour la bête menaçante dans « Hated in the Nation ». Tant qu’elles remplissent leur fonction initiale, les abeilles-robots demeurent anecdotiques, y compris à l’image. Elles ne font l’objet de l’attention des deux policières (et, donc, de la réalisation) qu’une fois qu’elles sont détournées de leur usage premier pour être employées comme armes. Le récit joue avec la curiosité du téléspectateur qui prend plaisir à chercher dans les recoins de l’image les traces de ce nouveau danger (voir les figures 5–6).
Figures 5–6
Photogramme de la série Black Mirror, 2011–présent, Charlie Brooker, saison 3, épisode 6 « Hated in the Nation » (James Hawes, 2016), diffusion depuis le 21 octobre 2016, © Netflix.
Empathie, terreur, jeu, la nature du plaisir procuré par ces personnages animaux peut varier, mais à ces émotions s’adjoint un enseignement : Jurassic World et « Hated in the Nation » constituent des avertissements clairs (contre les manipulations génétiques[20], contre certains usages technologiques). Les fables contemporaines sont saturées de leçons qu’elles revendiquent souvent explicitement. Bong Joon-ho déclare en entretien, à propos d’Okja : « Mon idée était de montrer ce qu’il peut y avoir de meilleur dans le lien qui unit les humains et les animaux, mais aussi ce qu’il y a de plus atroce[21]. » L’objectif de la jeune Mija est de reconduire son amie Okja en lieu sûr, tandis que celui du récit est de révéler l’horreur véritable cachée derrière les images lisses et roses de Mirando[22].
Les récits du 21e siècle sont nombreux à ainsi dénoncer l’orgueil humain à partir de l’exploitation (littérale comme symbolique) qu’il fait des animaux. Le terroriste de « Hated in the Nation » utilise les abeilles mécaniques pour se venger des humains qu’il compare, eux, à des insectes : il fabrique une fable qui justifie sa propre cruauté et fait de la masse humaine un danger. De leur côté, Okja et Jurassic World dénoncent la surconsommation, qu’elle s’applique à la viande ou au spectacle. Ces récits partagent un même intérêt, quoiqu’à des degrés divers, pour la relation que tissent les humains avec leur milieu. Dans « Hated in the Nation », c’est la destruction des écosystèmes par l’activité humaine qui a conduit à la création des robots, chargés de remplacer les abeilles disparues. De son côté, Okja dénonce les violences exercées contre les animaux et les dangers des expérimentations incontrôlées. Le film rejoint en cela Jurassic World, où l’écart entre la démesure humaine et ses conséquences est régulièrement souligné.
Ces histoires ne cherchent pas vraiment à s’appuyer sur un raisonnement critique du public, mais peut-être plutôt à lui vendre des réponses sur-signifiantes. Jurassic World est en cela le plus cynique de nos exemples : son récit alerte le public sur les dangers d’une société du spectacle qui transforme tout, même le vivant, en attraction foraine, mais ce discours est tenu par un film qui procède de la même logique marchande. Doté d’un budget très confortable, bénéficiant de la présence de stars et du recours aux effets spéciaux les plus perfectionnés, Jurassic World est un blockbuster qui cherche à produire sur son public le même effet que celui voulu par le parc d’attractions fictif. On touche là aux limites de la fable capitaliste : la dénonciation critique y est la bienvenue, à condition qu’elle se fonde dans un moule aux bords bien définis. À cet égard, le film de Bong Joon-ho se révèle autrement plus critique puisqu’il intègre à son récit la capacité d’affabulation du discours capitaliste : la société Mirando n’a de cesse de raconter de belles histoires édifiantes qui se jouent de la vérité.
Le principe singulier de la fable filmique contemporaine serait ainsi son infinie déclinabilité : les récits aussi connaissent une ère productiviste qui vise à satisfaire un besoin supposé d’histoires par leur fabrication à la chaîne. Abondance et immédiateté président au modèle sériel qui, s’il n’est pas nouveau, est devenu dominant avec la généralisation des outils numériques et d’Internet. En effet, « la “déclinabilité” narrative des récits fait écho à la déclinabilité technique que permet l’image numérique et à la déclinabilité matérielle des produits dérivés sous franchise[23] ». La reproductibilité technique de l’image filmique n’est certes pas nouvelle, mais l’échelle de fabrication et l’étendue de diffusion ne sont plus les mêmes : hors salle, le film vit aussi sur les écrans d’ordinateur et de téléphone par l’intermédiaire des plateformes, quand ce ne sont pas elles qui sont à l’origine du projet[24]. Les films donnent désormais aussi lieu à d’autres produits qui en dérivent, c’est-à-dire les prolongent vers d’autres histoires ou d’autres médias; il existe par exemple de très nombreuses vidéos de type « making of » qui exposent l’envers du décor de Jurassic World.
Puisque la déclinabilité décide de sa fabrication et de sa diffusion, la fable filmique contemporaine applique assez logiquement ce principe à sa diégèse : toute forme, même la plus inédite (cochon génétiquement modifié, dinosaure surgi du passé, abeille robotique), est elle aussi reproductible à l’infini. D’ailleurs, ces animaux ont en commun d’avoir été conçus en nombre. C’est une information qui scandalise dans Okja puisque les cochons y avaient été faussement présentés comme « uniques ». La surprise est d’autant plus grande pour le spectateur du film car il a suivi le parcours de l’un de ces animaux, jusqu’à la découverte cauchemardesque de la ferme-usine où des centaines de ses semblables surchargent le cadre de leur masse grise (voir la figure 7). La fin du film déborde de tous côtés : les signes du vivant — chairs, fluides — envahissent des images qui avaient tenté de s’en passer.
Figure 7
Dans ces fables du 21e siècle, le corps est souvent rejeté des images où se lit la généralisation de la télésurveillance : les êtres subissent une réduction schématique ou brouillonne; quand ils sont « augmentés », c’est par association à une machine informatique qui donne accès à des données supposées informatives. Il en va ainsi dans Okja, où l’image du cochon est déclinée sous différentes formes qui le désincarnent systématiquement (plan de découpe bouchère, animations enfantines — voir la figure 8), ou dans Jurassic World, où les dinosaures sont équipés de matériel militaire — on y reviendra — quand ils ne sont pas réduits à un hologramme de musée[25]. Ces récits ne sont, au fond, qu’une affaire d’image de marque : celle de Mirando qui transforme son ennemie, la jeune Mija, en nouvelle égérie; celle du parc d’attractions, oublieux de la leçon donnée par son prédécesseur, qui joue sa réputation sur un mélange ADN hasardeux. Le capitalisme (le système économique autant que ses récits) fait feu de tout bois.
Dans ce mécanisme narratif, les personnages animaux n’apparaissent décidément plus à leur tour que comme des produits uniformes, interchangeables et reproductibles à l’infini : ils tendent à disparaître sous le poids de la sur-signifiance du récit. Okja échappe à la mort, à condition d’être remplacée par un autre cochon, en or cette fois. Et si Mija parvient à soustraire un bébé cochon à Mirando, cette victoire est rendue dérisoire par les plans généraux qui donnent à voir, une dernière fois, l’étendue de l’élevage. La présence finale de ce bébé redonne certes de l’air au récit, mais elle contribue paradoxalement à la structure cyclique de la fable qui ne peut se départir d’une forme de destinée, biographique et narrative. Le grand-père affirme à propos d’Okja que « c’est son destin » d’être mangée, mais même si ce n’est finalement pas le cas, le récit s’achève sans que le monde ait changé : accompagné d’une version réduite de lui-même, le cochon retrouve les hauteurs coréennes et son amie Mija, mais c’est au prix d’un accord avec Mirando qui revient à laisser le champ libre à la poursuite des horreurs.
Figure 8
Il y a ainsi une forme de cynisme surprenant en clôture d’une fable dont on a dit la littéralité; c’est que Bong Joon-ho cherche à faire ressortir de son propre récit édifiant l’aporie de tout discours (et de tout spectacle) sur les bêtes. « Le jeu de la fable est de faire parler les animaux[26] », certes, mais ce logos, littéral ou métaphorique, ne dit rien d’eux; il parle aux humains ou des humains. Les animaux, eux, demeurent sans existence.
À la recherche d’une existence animale
Il semble bien, comme l’écrit Jean-Christophe Bailly, que « les animaux n’ont pas la parole, même lorsqu’on la leur donne[27] ». Le cochon Okja et le vélociraptor Blue sont certes de véritables personnages, voire des « individus[28] », mais sont-ils des animaux[29] ? Créées pour les besoins d’un récit qui leur imagine une genèse singulière les rendant dépendantes de démiurges humains, ces bêtes sont condamnées à servir les intérêts qui ont justifié leur apparition. Est-ce à dire que les fables contemporaines échouent à faire des animaux, non pas seulement des rouages au service du récit, mais des configurateurs de mondes ?
Limités à leur utilité, les personnages animaux de ces films sont dès lors privés de toute perspective émancipatrice, même au sein d’un récit comme celui de Bong Joon-ho qui tente pourtant de sortir la bête de l’engrenage de la fable capitaliste. Les récits de « Hated in the Nation », Okja et Jurassic World sont ainsi marqués par une paradoxale impuissance animale. Les bêtes devraient sortir victorieuses de ces histoires où elles occupent le haut de la pyramide du vivant : les dinosaures sont des mastodontes antédiluviens et terrifiants; les nuées d’abeilles-robots sont capables de tuer n’importe qui, n’importe où; même Okja se montre forte, courageuse et intelligente. Mais cette dangerosité sert surtout l’horizon symbolique de récits qui ne veulent peut-être pas tant célébrer la force du « naturel » contre l’artificiel que condamner l’humanité qui croit pouvoir se l’approprier. Ce faisant, les personnages animaux importent finalement peu. Dans Okja, on ne voit jamais vraiment ce que voit l’animal (sauf pour un court plan, au début, alors qu’Okja vit encore une existence paisible avec Mija). Quand on accède à ce qu’endure Okja, c’est par l’intermédiaire d’un appareil implanté dans l’animal, augmenté donc d’un regard-machine qui pallie l’impossible accès au regard animal. Il y a dans Jurassic World une séquence similaire, celle de la traque nocturne, au cours de laquelle les vélociraptors sont équipés de caméras dont les images adoptent les marqueurs militaires : vision nocturne, graphiques et indications variées. Transformés en armes, les animaux perdent leur animalité pour les humains qui les utilisent, au point que leur regard lui-même est contaminé par l’imagerie militaire. Ces plans « subjectifs », qui rappellent les images de drones ou de jeux vidéo[30], sont en fait produits par des humains, qui les destinent à des humains.
Il ne serait donc pas possible de faire droit à un authentique regard animal, celui-ci n’étant rendu accessible à l’humanité que par le recours à des appareils qui, nécessairement, transforment encore davantage ces animaux en machines. Pourtant, à l’heure de leur disparition massive, Jean-Christophe Bailly invite à envisager les animaux « non seulement comme des survivants mais comme des témoins[31] » : il ne s’agit pas seulement de les regarder, mais peut-être aussi d’accéder à ce qu’eux-mêmes regardent et d’inventer de véritables fables animales. Cela ouvre des perspectives existentielles : un animal qui regarde a-t-il une histoire à raconter, un « discours » à tenir sur ce qu’il voit ? Peut-on imaginer répondre, avec les récits filmiques, à la question : qu’est-ce qu’être un animal ?
Il n’y a peut-être véritablement pas d’autres moyens que filmiques pour répondre à cette question, puisque l’être humain ne peut pas faire l’expérience de l’être-au-monde de l’animal sans lui construire une subjectivité[32], le privant dès lors de l’altérité et de l’étrangeté dont son animale indifférence témoigne nécessairement pour un regardeur humain — indifférence dont Béla Balázs soulignait dès 1924 l’intérêt cinématographique, car « le plaisir spécifique de regarder des animaux au cinéma vient du fait qu’ils ne jouent pas, mais qu’ils vivent. Ils ignorent l’appareil et font ce qu’ils ont à faire avec le sérieux de la naïveté[33]. » L’animal (comme l’enfant), pour Balázs, c’est le réel se manifestant comme énigme insoluble devant un appareil d’un nouveau genre, machine moderne seule apte à capter et restituer ce qui, dans le monde, vit en l’absence de la volonté et de la pensée qu’y projette l’humanité. En ces termes, l’animal « acteur » évoque les modèles du cinéaste français Robert Bresson, pour qui « l’important n’est pas ce qu’ils me montrent mais ce qu’ils me cachent, et surtout ce qu’ils ne soupçonnent pas qui est en eux[34] ».
L’animal qui vit, véritablement, en animal, au cinéma, a donc besoin de l’appareil qui l’enregistre. Jean Epstein déjà disait du cinématographe qu’il « agit comme un génial augmentateur de la réalité des choses », « parce qu’il crée des rapports nouveaux entre les figures du monde[35] ». Mettre en rapport des figures, configurer, c’est ce que fait le montage : il s’agit bien alors de voir avec les bêtes, c’est-à-dire d’articuler leur image à d’autres. Deux nouveaux exemples vont nous permettre d’analyser la manière dont les personnages animaux peuvent exister dans la fable filmique contemporaine.
Le troisième volet des aventures des Gardiens de la galaxie (James Gunn, 2023) est en partie le biopic[36] d’un de ses personnages, Rocket, dont la genèse était restée un mystère. Rocket a tout de l’animal augmenté : ce petit mammifère est bipède, vêtu, lourdement armé et doué de parole[37]. Ses compétences très humaines ne font pas oublier son allure générale : celle d’un raton-laveur, ce dont il se défend âprement.
L’origine de Rocket est racontée à l’aide de multiples flash-back qui révèlent un passé traumatique : le récit ne fera pas seulement la biographie de l’animal, mais aussi sa psychanalyse, afin que Rocket se réconcilie avec ses origines animales. L’épiphanie thérapeutique a lieu lors du sauvetage final. Alors que les gardiens évacuent du vaisseau en perdition les formes de vie les plus évoluées (c’est-à-dire pas strictement animales), Rocket découvre de jeunes ratons-laveurs dans une cage. Un travelling latéral, accompagnant Rocket jusqu’à ses congénères, souligne l’importance de ces retrouvailles. Mais plus encore, cette fin nous invite à nous rappeler le début, comme en un champ-contrechamp imaginaire qui permettrait au Rocket adulte de regarder le jeune Rocket. Remplaçant la main menaçante vue au début du film, Rocket peut cette fois sauver ses congénères — et lui-même[38]. La comparaison entre les deux plans permet d’en relever les similitudes de composition (réalisée depuis l’intérieur de la cage, avec un premier et un second plans qui se rencontrent) mais aussi de mesurer une évolution dont témoignent le travail de la lumière (de sombre, le plan devient bien éclairé) et de la profondeur (la focale déréalise tout l’espace, isolant le jeune Rocket, tandis qu’à la fin, la mise au point permet de réunir dans la même zone nette Rocket adulte et les jeunes ratons). Sorti de sa cage, Rocket accepte son identité animale, pleinement intégrée à son nom : Rocket Raccoon.
Le deuxième exemple s’inscrit dans un modèle économique bien différent, ce qui n’est pas étranger à sa singularité, permise par une latitude que ne donne que très rarement le système de production dominant. Le personnage animal de EO (2022), de Jerzy Skolimowski, est un âne, mutique[39] cette fois. Ce film aux complexes enjeux de points de vue fait la part belle aux regards et aux rêves animaux : le récit se fabrique, ou tente de se fabriquer, non plus avec les animaux, mais à partir de leurs configurations du monde que nous sommes invités à approcher. Certains plans adoptent en effet des procédés qui, très éloignés des capacités humaines, tendent à une sorte de déréalisation, tant en matière d’espaces (flottement au-dessus du sol, tournoiement dans les airs, focales et stroboscopes déformants, surimpressions) que de temps (ralentis, surdécoupage, chronologie incertaine des événements, marches arrière) (voir les figures 9–11). On peut penser que ces visions explicitement machinées cherchent à saisir les rêves et souvenirs de l’animal. Mais voir dans tous ces plans l’espace mental du seul âne pose problème : comment expliquer cette diversité de prises sur le monde ? Est-ce à dire que Eo rêve d’être un oiseau, un cheval ? Un animal peut-il vouloir en devenir un autre ? Ces plans multiplient les référents et les points de vue[40], faisant de la caméra elle-même une sorte d’animal augmenté, conformément à l’essence souvent revendiquée du cinéma, « amalgame entre animalité et technologie[41] » grâce auquel l’étrange fluidité du vivant se combine avec les puissances de l’appareil qui témoigne de cette « vie qui n’est pas la nôtre[42] ».
Figures 9, 10 et 11
Photogrammes du film EO (Jerzy Skolimowski, 2022) avec l’aimable autorisation de ARP Sélection.
Une séquence de EO explicite le lien qui unit animalité et technologie. Passé à tabac par des supporters, Eo tombe au sol. Un plan subjectif mime sa chute et s’achève au ras du sol, dans l’herbe. Une coupe franche brutale enchaîne sur un gros plan, filtré en rouge, cadrant de face la « tête » d’un chien-robot (voir les figures 12–13). Les deux plans semblent sans rapport et pourtant leur succession nous invite à considérer ce qui les rapproche : même position au sol de la caméra, mêmes brins d’herbe, même ambiance nocturne, même fébrilité de la caméra portée. Il peut n’y avoir entre ces plans qu’une simple ellipse, de sorte qu’ils relèvent tous deux de la « subjectivité » de l’animal. Celui-ci alors fantasmerait sa transformation en robot, fuyant à toutes « jambes » les horreurs qu’inflige l’humanité et contre lesquelles Skolimowski dit vouloir alerter[43].
Figures 12 et 13
Photogrammes du film EO (Jerzy Skolimowski, 2022) avec l’aimable autorisation de ARP Sélection
Pour Rocket et Eo, exister comme animal dans une fable filmique est une affaire de regard, c’est-à-dire de suture : les deux animaux « guérissent » de leurs maux en accédant à un raccord impossible, celui qui les met en contact avec leur essence animale (Rocket) ou leur projection mécanique (Eo). La leçon édifiante des Gardiens consiste bien à faire de Rocket un nouveau Noé qui, regardant ce qu’il fut, renvoie le spectateur à sa propre condition d’ancien animal, invité dès lors à respecter le vivant. Rocket n’est plus seulement un animal, mais la somme de tous les animaux — au point d’intégrer l’humanité à un rêve « transespèce » qui en passe par le recours aux images de synthèse. Plus encore : son meilleur ami étant un végétal (Groot, sorte d’arbre extraterrestre), Rocket fait figure d’être total, défendant la possibilité d’une solidarité étendue du vivant. Dans cette perspective, la fable convoque le personnage animal pour en faire décidément plus qu’il n’est — une inflation de la signification qui caractérise une grande part de la production filmique et sérielle contemporaine. A contrario de cette tendance hypertrophique, EO fonctionne plutôt par réduction puisque l’âne demeure réfractaire au sens que l’humanité projette sur lui : impossible d’affirmer avoir pénétré le mystère de ses actions et de ses rêves[44].
Les Gardiens et EO envisagent pour l’existence animale un même horizon solidaire, mais selon des modalités distinctes. Dans le premier, la réunion globale du vivant se fait sous l’égide de l’humanité, « augmentée » désormais de la (re)connaissance de son origine animale — d’ailleurs, l’anthropomorphisme continue d’être la norme : même Groot est un humanoïde. Dans le second, la communauté animale renonce à l’humanité pour tenter d’exister sans elle, quitte à devenir un cyborg ou à mourir à l’abattoir.
Tandis qu’Okja obéit à une structure cyclique pessimiste, que Jurassic World et « Hated in the Nation » massifient leurs personnages animaux, Rocket et Eo sont des individus véritables, vivant une expérience à la fois sensible et existentielle. Aucun d’eux n’échappe à la logique du récit qui veut qu’ils demeurent des constructions narratives signifiantes, au profit, en l’occurrence, de fables de la réconciliation ou du renoncement. Mais cette fois, la fable s’est faite biographique et collective : Rocket reconquiert le récit de sa vie après avoir subi les péripéties imposées à son corps; Eo reste parmi les animaux, même si cela le conduit à la mort.
L’animal ouvre la voie à une diversité de configurations, c’est-à-dire de possibilités formelles inédites pour les récits en images et en sons qui ont le privilège ontologique de s’approcher au plus près du monde tel qu’il pourrait être vécu par d’autres vivants. Raconter cette fable-là, c’est permettre aux animaux, augmentés ou non, de ne plus être seulement des personnages de surface, outils narratifs interchangeables, mais de jouer un rôle véritablement moteur dans le récit de l’aventure du vivant.
Parties annexes
Note biographique
Docteure en études cinématographiques, certifiée de lettres modernes, Alice Letoulat est ATER à l’Université de Poitiers. Ses recherches portent sur les « limites » du cinéma, c’est-à-dire tout ce qui le borne, qu’il s’agisse des discours portés sur le cinéma et ses formes, ou bien des fonctions attribuées au cinéma ou revendiquées par lui. Autrice de l’ouvrage Archaïsme et impureté : les écarts de Pasolini, Paradjanov et Oliveira (Hermann, 2022), Alice Letoulat a également contribué à des numéros de revues et à des ouvrages collectifs.
Notes
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[1]
Photogramme du film Jurassic World disponible sur https://static.hitek.fr/img/actualite/2015/06/fb_jurassic-world.png (consultation le 27 février 2024).
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[2]
Black Mirror, 2011–présent, Charlie Brooker et James Hawes, saison 3, épisode 6, « Hated in the Nation », diffusion le 21 octobre 2016, Netflix.
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[3]
Réjane Hamus-Vallée, « Histoire des effets spéciaux, de Méliès à Jurassic Park, en passant par King Kong, L’homme invisible, Star Wars et 2001, L’Odyssée de l’espace », Réjane Hamus-Vallée (dir.), Du trucage aux effets spéciaux, CinémAction, n° 102, 2002, p. 36.
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[4]
Conformes à la fonction qui a présidé à leur création, ces animaux n’ont de valeur qu’instrumentale, voire marchande. Les secteurs dans lesquels les animaux constituent une marchandise sont nombreux, comme le rappelle Georges Chapouthier, entrée « Animal (A) », Maxime Kristanek (dir.), L’Encyclopédie philosophique, 2017, https://encyclo-philo.fr/animal-a (consultation le 30 juin 2023).
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[5]
Catherine Larrère, « Que savons-nous des animaux ? Machines ou êtres sensibles ? », Vinciane Despret et Raphaël Larrère (dir.), Les Animaux : deux ou trois choses que nous savons d’eux, Paris, Hermann, 2014, coll. « Colloque de Cerisy », p. 61–82.
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[6]
François Jarrige, La Ronde des bêtes. Le moteur animal et la fabrique de la modernité, Paris, La Découverte, 2023, p. 257. Avant La Mettrie et son Homme-machine (1748), Fontenelle, en 1722, décrivait les ouvriers comme « des espèces d’automates montés pour une certaine suite de mouvemens » (ibid., p. 258, orthographe d’époque) : tout le vivant est défini par sa fonction (et privé de sa sensibilité), pas seulement les animaux.
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[7]
Ibid., p. 261.
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[8]
L’ingénieur Bélidor décrit la machine à vapeur en la comparant à un animal (ibid., p. 258).
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[9]
Le concept de « nature », opposé à celui de « culture », relève d’une « fiction construite » par l’humanité pour désigner quelque chose dont elle ne fera, par essence, pas l’expérience. Seung-hoon Jeong, « A Global Cinematic Zone of Animal and Technology », Angelaki : Journal of the Theoretical Humanities, vol. 18, n° 1, mars 2013, p. 154 (en note).
-
[10]
Vinciane Despret, par exemple, fait finalement du cratérope un possible narrateur de sa propre histoire. La danse du cratérope écaillé : naissance d’une théorie éthologique, Paris, Les Empêcheurs de tourner en rond / La Découverte, 2021, p. 175–176.
-
[11]
Dès 1997, Barthélemy Amengual estime que les images de synthèse, incapables « d’atteindre au mythe », ne permettront plus de voir que « des trucs auxquels il manquera la chair et le savoir que cette chair un jour existait ». Du réalisme au cinéma, Paris, Nathan, 1997, p. 25.
-
[12]
Donna Haraway s’empare à la fin du 20e siècle de la figure du cyborg pour construire « un mythe politique ironique ». « Manifeste Cyborg : Science, technologie et féminisme socialiste à la fin du XXe siècle », Mouvements, vol. 3, n° 45–46, 2006, p. 15.
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[13]
David Le Breton, « Le corps et le monde comme “effets spéciaux” », Hamus-Vallée, 2002, p. 133.
-
[14]
Ces animaux tiennent surtout du cheval : Owen accomplit leur domestication (annoncée par Jurassic Park où Alan disait d’un brachiosaure qu’il était « un genre de grande vache ») en empruntant ses méthodes au dressage des chevaux.
-
[15]
Camille Brunel, Le Cinéma des animaux, Paris, Éditions UV, 2018, p. 35.
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[16]
Photogramme du film Jurassic World disponibles ur https://m.blog.naver.com/PostView.naver?isHttpsRedirect=true&blogId=boba0210&logNo=220441738936&view=img_106 (consultation le 27 février 2024).
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[17]
Anne Souriau, entrée « Fable », Étienne et Anne Souriau (dir.), Vocabulaire d’esthétique, Paris, Presses universitaires de France, 1990, p. 721.
-
[18]
Georges Reddé, « L’enfant et l’animal », La Revue du cinéma – Image et Son, n° 334, décembre 1978, p. 49.
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[19]
Photogrammes du film Jurassic World disponibles sur https://oyster.ignimgs.com/wordpress/stg.ign.com/2015/02/SW00007Resized.jpg; https://ds.static.rtbf.be/article/image/1248x702/6/e/4/31a6b5568bbb9c350c1b296d9086acf0-1422956775.jpg (consultation le 27 février 2024).
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[20]
L’avertissement émis dans Jurassic World est vite confirmé : le film suivant, Jurassic World : Fallen Kingdom (Juan Antonio Bayona, 2018), révélera que les manipulations génétiques ont aussi conduit à la création d’un clone humain.
-
[21]
Joon-ho Bong, « L’ami Okja », entretien réalisé par Vincent Malausa, Cahiers du cinéma, n° 729, janvier 2017, p. 10.
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[22]
Rappelons que la couleur rose associée au cochon est le résultat, assez récent (18e siècle), de sa domestication.
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[23]
Martin Barnier et Laurent Jullier, Une brève histoire du cinéma (1895–2015), Paris, Fayard / Pluriel, 2017, p. 389.
-
[24]
C’est le cas d’Okja, produit par Netflix, alors que Bong a consacré tous ses autres films au grand écran.
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[25]
Photogramme du film Jurassic World disponible sur https://images.squarespace-cdn.com/content/v1/544ecf8de4b03cb72febd3f0/1507840520216-CBNEOW7PQCRX2R3LCQQU/image-asset.png?format=1500w (consultation le 27 février 2024).
-
[26]
Jean-Christophe Bailly, « Les animaux sont des maîtres silencieux », Le Parti pris des animaux, Paris, Christian Bourgois, 2013, coll. « Satellites », p. 83.
-
[27]
Ibid., p. 84.
-
[28]
Brunel, 2018, p. 240.
-
[29]
De leur côté, les nuées d’abeilles de « Hated in the Nation » sont assez nettement réduites au seul statut d’objet.
-
[30]
Photogramme du film Jurrasic World disponible sur https://cinefagos.files.wordpress.com/2015/08/3.jpg (consultation le 27 février 2024).
-
[31]
Bailly, 2013, p. 81.
-
[32]
Thomas Nagel, « What Is It Like to Be a Bat ? », The Philosophical Review, vol. 83, n° 4, octobre 1974, p. 435–450; Jeong, 2013, p. 145.
-
[33]
Béla Balázs, L’Homme visible et l’esprit du cinéma, Claude Maillard (trad.), Belval, Circé, 2010, p. 98.
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[34]
Robert Bresson, Notes sur le cinématographe, Paris, Gallimard, 1975, p. 11. L’auteur souligne.
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[35]
Jean Epstein, Le Cinéma du diable, édition électronique réalisée par « Les Classiques des sciences sociales » (à partir de l’édition de Jacques Melot, 1947), 2002, p. 55.
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[36]
L’idée d’une « biographie » animale nous est suggérée par Florence Burgat, « États des lieux de la “question animale”. Enjeux théorico-pratiques », Revue philosophique de la France et de l’étranger, vol. 3, tome 144, 2019, p. 305.
-
[37]
Parmi nos exemples précédents, aucun animal n’était capable de parler. Leur relation avec les humains consistait en l’exercice d’un contrôle (« Hated in the Nation ») ou à la rigueur d’un dressage (Jurassic World). Dans Okja, le cochon fait preuve d’une sensibilité accrue et partage une sorte de langage secret avec l’enfant : Mija susurre régulièrement à l’oreille de l’animal que l’on voit, à la fin, faire de même. Le contenu de ces confidences reste secret, c’est ce qui marque la véritable connivence entre les deux êtres.
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[38]
Photogrammes du film Les Gardiens de la galaxie vol. 3 disponibles sur https://www.numerama.com/wp-content/uploads/2022/12/rocket-originstory-gardiens3.jpg; https://preview.redd.it/im-a-grown-man-and-this-is-the-scene-that-completely-v0-tugig4uqsjgb1.jpg?width=1080&crop=smart&auto=webp&s=ec0110d00e6e51508fb62fcd300b34b93472e80a (consultation le 4 mars 2024).
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[39]
Il y a très peu de dialogues articulés dans ce film qui semble ainsi constituer sur ce point l’envers des Gardiens de la galaxie vol. 3 : tandis que le film américain « donne » la parole à l’animal, le film de Skolimowski adopte son silence.
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[40]
Une « diversification » des points de vue dont Marianne de Cambiaire s’est également fait l’écho. « Reflets dans un oeil d’âne : réflexions sur le point de vue non humain et le mimétisme de la caméra dans EO (Skolimowski, 2022) », intervention au colloque Étranges percepts. Configurations cinématographiques de sensibles non humains, Université de Strasbourg, 15–16 juin 2023.
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[41]
Jeong, 2013, p. 154.
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[42]
Balázs, 2010, p. 99.
-
[43]
« Jerzy Skolimowski and Ewa Piaskowska on EO », entretien avec Elissa Suh, Screenslate, 11 octobre 2022, www.screenslate.com/articles/jerzy-skolimowski-and-ewa-piaskowska-eo (consultation le 7 février 2024).
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[44]
Il en va de même de l’âne d’Au hasard Balthazar (1966) de Robert Bresson, pure extériorité conforme au « modèle » recherché par le cinéaste.
Liste des figures
Figure 1
Figure 2
Photogramme de la série Black Mirror, 2011–présent, Charlie Brooker, saison 3, épisode 6 « Hated in the Nation » (James Hawes, 2016), diffusion depuis le 21 octobre 2016, © Netflix.
Figure 7
Figure 8
Photogrammes du film EO (Jerzy Skolimowski, 2022) avec l’aimable autorisation de ARP Sélection.