Résumés
Résumé
Cet article cherche à définir l’élan de fabulation observé dans les écrits réflexifs du cinéaste québécois Pierre Perrault alors qu’il se trouve dans une posture de réception des figures animales de son oeuvre documentaire. Relevant d’altérités relatives et radicales, ces « corps fabuleux » induisent un mouvement de la pensée du poète-cinéaste qui, dès lors, est pris en flagrant délit d’invention, lui qui pourtant souhaite être au plus près du réel.
Abstract
This article seeks to define the impetus of fabulation observed in the writings of Quebecois filmmaker Pierre Perrault as he assumes a posture of receptivity of the animal figures observed in his documentary works. Pertaining to relative and radical otherness, these “fabulous bodies” induce a movement of Perrault’s thoughts. Therefore, he is caught in the act of invention, despite his desire to be as close to reality as possible.
Corps de l’article
Pierre Perrault[1]nous étions à la recherche de l’Oumigmag...
...
nous n’avons rencontré que l’énigmatique
...
mais nous aurons, au moins, fini par apprendre
que le renard est plus facile à apprivoiser
dans la fable que dans la réalité
...
et qu’il nous faudra tout recommencer!
Considérer la présence d’un « fabuler » chez Pierre Perrault oblige un déplacement de son oeuvre cinématographique vers ses écrits puisqu’il se trouve, dans ces derniers, un élan de fabulation qui repose sur la manière dont il fait lui-même la réception, dans certains textes, des figures animales issues de ses documentaires. De fait, quand il réfléchit ces traces dans ses livres-témoins[2], ses récits poétiques ou ses essais, il initie un mouvement de la pensée qui se fait en dehors de la « fonction de fabulation[3] » identifiée par Deleuze et omniprésente dans l’appréhension de son cinéma depuis 1985. Dans cette optique, à partir de l’observation minutieuse de trois films, le philosophe avait fait remarquer qu’un dispositif qu’il nomme « cinéma vérité » permettait le déploiement d’une « fonction fabulatrice » opposée « à la fiction[4] ». Pour lui, prise en charge par un sujet qui raconte à une caméra une histoire qu’il tient pour valable, cette fonction produit un contre-discours qui remet en question le récit vérace façonné par les discours dominants[5]. En cela, il démontre que la « fonction de fabulation[6] » inhérente à l’événement de la captation et du montage est surtout la conséquence d’une expérience collective en continu qui touche tous les intervenants du film. Or, dans cette lecture, il n’est jamais question des après-coups des films et de la manière dont Perrault reçoit lui-même, dans l’écrit, certains aspects de son oeuvre cinématographique. Même si Perrault a de la fable une vision parfois contradictoire, un examen attentif de ses écrits souligne le fait qu’il existe un dialogue entre les figures animales représentées à l’écran et la mise en place de ce que nous nommons ici un élan de fabulation. Pour le signifier autrement, il n’y a qu’au tout début de son livre Toutes Isles (1963) que le terme est employé de manière positive, alors qu’il écrit que le voyage qu’il s’apprête à faire est en lui-même une fable dont il ne veut rien perdre[7]. Partout ailleurs, souvent liée au mythe, à la légende et à la fiction[8], la fable sert à discréditer un « cinéma-cinéma » dont Perrault dénonce les mécanismes qui brouilleraient le réel ou encore ce lien trop tangible avec les « Humanités classiques » dont il tente de se défaire[9] lorsqu’il cherche, entre autres, à saisir le fleuve Saint-Laurent :
Ne dirait-on pas […] que nous sommes occupés par toutes sortes d’écritures étrangères. <sic> Je cherche une écriture du fleuve. […] Je cherche un homme du fleuve, une écriture du fleuve. Un passage vers autre chose que la fable. Peut-être que le passage n’existe pas. Et ce territoire de l’âme, la mienne, est-ce une fable[10] ?
À cette question, il serait possible de lui répondre qu’il ne fait pas dans la fable puisqu’il ne reconduit jamais ses traits phénotypiques. On retrouve plutôt chez lui un élan qui semble prendre racine dans une altérité territoriale (le fleuve, le Nord, la Côte-Nord, l’Abitibi) ou animale (le marsouin, le caribou, l’orignal, etc.[11]). C’est cette dernière altérité — ci-après aussi nommée « corps fabuleux » — qui nous intéresse ici révélant des particularités d’ordre éthique ou moral rattachées aux différents élans en jeu puisqu’elle permet d’en observer les différentes modulations. Elle entraîne alors la pensée de Perrault sur le chemin d’une fabulation dont les implications semblent alors relever de l’exemplarité.
Depuis Aristote[12], à des fins d’illustration et d’exemplarité, la fable et l’histoire inventée dont proviendrait cet élan de fabulation permettent ainsi d’utiliser les récits pour convaincre un auditoire du bien-fondé d’une chose vraie, mais tenue à l’écart[13]. Dans cette optique, fabuler ne relève plus des personnages placés dans le dispositif du « cinéma direct », mettant en action la « fonction de fabulation » dont la valeur d’expérience collective ne fait plus de doute, mais de Perrault lui-même qui déroge du réel, dans les textes, pour recourir à un élan de persuasion dont le point de départ est, ici, un animal. Cet élan se retrouve dans certains récits poétiques comme Toutes Isles[14], dans certains livres- témoins qui dérogent de leur fonction verbatim puisque Perrault y ajoute, dans des espaces dédiés, des parties réflexives — c’est le cas du livre-témoin d’Un pays sans bon sens[15] —, et dans les trois essais, dont celui qui nous intéresse ici, L’Oumigmatique ou l’objectif documentaire[16]. Ainsi, dans les films et les verbatims des livres-témoins, cet animal est un objet de désir qui induit une tension épique : la place qu’il occupe dans la communauté est exagérée; il est l’excuse d’une série de discours dont il arrive qu’il ne fasse pas partie; il permet de saisir une réalité qui s’oppose nécessairement à une autre[17]. En d’autres termes, il est le moteur d’une action à advenir : il sera capturé ou non et le spectateur sera témoin de cette prise ou non. De son côté, ce que nous pourrions appeler le « corps fabuleux », cet animal devenu métonyme, condenserait en lui-même une action déjà advenue. La tension n’existe alors plus et chacune de ces bêtes, convoquées dans les textes, préfigure la possibilité d’une transformation à portée de main.
En d’autres mots, l’élan de fabulation se distingue d’un geste ou d’une dynamique épique en ce sens qu’il est exempt de crises et de tensions. Il propose un mouvement de la pensée qui n’a pas à s’intéresser aux situations particulières d’une société et, s’il arrive qu’il aborde des problématiques sociales ou politiques, il trouve vite un moyen de les contourner. Il cherche surtout à mettre le doigt sur de grandes vérités universelles.
Dans cet article, il sera question de quatre corps fabuleux qui permettent de saisir trois types d’élan de fabulation : le premier découle d’une figure animale, le marsouin, vu comme épique dans les films Pour la suite du monde (Perrault, 1963), Le Règne du jour (Perrault, 1967) et Le beau plaisir (Perrault, 1968) et transformé en métonyme moral dans Toutes Isles ; le deuxième met en place deux corps fabuleux, la souris et le pou, que les espaces réflexifs du livre-témoin du film Un pays sans bon sens (Perrault, 1970) métamorphosent en regard des significations que leur donne le personnage de Didier Dufour, mais qu’exprime Perrault à l’aide de l’écriture; le troisième opère le mouvement inverse, puisque le texte, L’Oumigmatique ou l’objectif documentaire intègre des réflexions qui précèdent, accompagnent et suivent les moments de la captation et du montage de L’Oumigmag (Perrault, 1993). Dans cet exemple, nous verrons que le « corps fabuleux » alors en action, le boeuf musqué, est chargé de signes que les images cherchent à corroborer ou à contredire.
I. Le marsouin : illustration d’un glissement sémantique de l’épique à la fabulation
En ce qui concerne le premier type d’élan, l’exemple du marsouin est éloquent puisque, dès qu’il échappe aux films et aux transcriptions de ces derniers, il passe d’une « dynamique épique », issue de la puissance d’évocation que contient la « fonction de fabulation », à un « geste épique[18] », individuel, qui semble se produire en toute conscience chez Perrault. Ainsi, quand il utilise l’expression « l’épopée du marsouin[19] » pour signifier le mouvement qui est à l’oeuvre durant toute la durée de cette aventure, Perrault colore notre réception du marsouin. Il situe le rôle que joue le mammifère sur la pensée agissant alors comme une métaphore pour illustrer une tension entre un temps ancien, déjà largement oublié, et une époque moderne qui évacue une grande partie de ce que le Québec a déjà été. Le rôle du marsouin est en ce sens amplifié, l’objet d’un désir incommensurable : « C’est la pêche la plus enivrante, celle qui donne le plus de passion à l’homme. C’est la pêche la plus belle qui peut se faire ! », dira Alexis[20].
La pêche au marsouin était vraiment l’épopée de l’île. Quand Grand-Louis racontait la pêche, c’était comme si elle se passait là devant lui et devant nous. Il nous la montrait, il la vivait, il y avait du varech autour de lui, des lances et du sang. […] L’objet du film n’est pas la pêche, mais les hommes qui tendent cette pêche. J’ai facilité la reprise de la pêche pour essayer de découvrir son importance poétique, importance que je percevais dans le discours des hommes[21].
On voit ici que Perrault ne se trompe pas quand il accorde au marsouin du cycle de L’Isle-aux-Coudres une valeur épique parce que le mammifère n’échappe jamais à sa valeur d’objet de désir. La reconstitution de la pêche se présente comme une occasion de capter un geste qui, dès qu’il est évoqué, provoque des passions qui assurent le retour d’une cohésion sociale sur le point de disparaître. Le marsouin n’est pas mis en scène à la manière d’une altérité signifiante chargée d’un quelconque enseignement, il est l’objet d’une quête collective, la chose à cause de laquelle la parole est lancée, celle par laquelle s’opérera le transfert d’un geste. Par exemple, les corps mis en présence dans Pour la suite du monde semblent n'offrir qu’eux-mêmes et il est difficile pour Perrault, quand il écrit son livre-témoin, d’accepter autre chose que ce dont il aura été témoin. Quand il revient sur cette expérience dans son « Discours sur la parole[22] », il est fasciné de constater que tout s’est joué devant lui, et que, si certains moments ne lui étaient pas apparus aussi chargés au moment de la captation, ils n’en demeuraient pas moins vécus, donc reconstituables[23].
Or, le marsouin revient ailleurs dans l’oeuvre documentaire et écrite. Dans Le Règne du jour, par exemple, il fait partie de la famille et peut même être apprivoisé, sa convocation participe à la mise en place d’un élan que Perrault aura saisi pour illustrer une connivence entre les gens de L’Isle-aux-Coudres et l’animal :
Ma mère! Ma mère… quand i ont tendu la pêche, vlà une cinquantaine d’années… ben moi j’tais pas au monde encore… i avaient pris un p’tit marsouin comme ça… […] pis elle v’nait saigner (soigner) l’marsouin dans un panier. Elle dit qu’i les sentait v’nir. I les sentait venir dans l’chemin. Elle dit qu’ils le voyaient partir du large… pis i s’en v’nait…
Pouf…! he pouf…! he pouf[24]…!
Ici, même si ce passage rappelle la « fonction de fabulation » dans la mesure où Grand-Louis, en s’appuyant sur l’autorité de sa mère, invente une trame qui soit propre aux Coudrilois et aux Coudriloises, il appert que cette histoire sert surtout à affirmer le lien privilégié que ces derniers entretiennent avec l’animal. Être en mesure d’apprivoiser un mammifère marin du large comporte une part de merveilleux que Grand-Louis endosse totalement à partir d’une preuve orale qu’il rapporte dans cet extrait. Par ce récit, il justifie surtout la dénomination populaire qui sert à les désigner, lui et ses pairs insulaires : les Marsouins et les Marsouines. Cette intrusion de Grand-Louis dans le film, à ce moment-là, apporte une dimension « magique » au récit. Elle s’insère dans le film, comme elle s’est très certainement insinuée dans la tête de Perrault afin de nourrir l’exemple d’un lien tangible et particulier entre les divers partis mis en présence.
À l’inverse, dans Toutes Isles, la même bête a une valeur symbolique de psychopompe guidant le poète à travers les invisibles du fleuve Saint-Laurent. Il n’est là qu’au début du récit offrant la possibilité d’un premier geste épique mais, dès qu’il devient navire, il perd en signification et pour le lecteur et pour Perrault. Comme le déploiement de la figure épique du marsouin psychopompe est brusquement interrompu, « Blanchon, mon ami le dauphin blanc[25] », devient le « modèle réduit[26] » d’un mouvement d’exemplification. Ce faisant, il invite l’esprit à saisir l’animal comme le point de départ d’une fabulation dont le sens et l’effet se trouvent surtout dans son herméneutique
Dès la rencontre, même si le dauphin blanc habite un espace clos et accessible en surface pour l’homme, le contrat qui s’établit entre le poète et l’animal porte en lui la possibilité d’une révélation qui n’est jamais vraiment abordée de front, mais qui implique tout ce que ne peut voir le poète, tout ce qui brouille les repères d’« une vie encore enlisée dans le sable des plages qui ne savent de la mer que les discours creux des coquillages et le bronze des plagiaires[27] ». En ce sens, Blanchon porte une potentialité en laquelle le poète a entièrement confiance pour échapper au « repos » et « aux faux prétextes[28] ». Cette potentialité repose sur une invitation pour le poète et ses lecteurs à transcender ce qui s’impose toujours par le regard, ce qui est forcé par l’expérience tangible du monde :
Blanchon, ainsi je le nommai pour qu’il m’entende, me dit… n’as-tu jamais pénétré à l’intérieur des sons et des silences et des quatre mille couleurs qui se partagent les sillages de navire[29] ?
Comme on le voit ici, l’intériorité appelle une projection de l’esprit en dehors de l’expérience humaine, appelle un autre type de regard dont il est difficile de prendre la juste mesure puisque Perrault s’en tiendra alors aux enseignements qui découleront de cette rencontre et qui prendront la forme d’axiomes et de règles à suivre : « Plongeant, gueule ouverte dans cette lune de mai, sur les battures de la pointe aux Alouettes, Blanchon dit : nous sommes riches à millions[30]. » Associé à la liberté d’un mouvement qui n’est pas sans rappeler celui d’un navire[31], ce geste implique une occasion offerte par le travail de l’esprit qui est en mesure de plonger sur les battures sans s’échouer, sans échouer (voir figure 1).
Figure 1
Le navire « Blanchon », photogramme tiré du film La Grande allure, Pierre Perrault, 1984.
La valeur psychopompe, à peine évoquée plus tôt, prend ici tout son sens, puisque le paysage participe d’un récit où le dauphin blanc guide l’âme du poète à travers un monde qu’il pensait connaître. Cet accompagnement se concrétise dans l’effacement des frontières entre un monde physique où les battures sont des lieux d’échouerie et un monde spirituel qui lève le voile, peu à peu, sur des réels oblitérés. Sans le dauphin blanc, qui devient alors une sorte de Jacques Cartier inversé[32], le périple se serait passé comme n’importe quel autre voyage et les mondes rencontrés, pourtant bien réels, auraient été appréhendés en fonction d’une distance anthropologique qui est celle qui semble prévaloir avant cette rencontre déterminante[33] et même, parfois, après[34]. Objet d’un désir de recommencement pour les gens de L’Isle-aux-Coudres, le « blanc dauphin blanc » passe d’un geste épique à un élan de fabulation dès qu’il glisse du dispositif collectif qu’est le « cinéma vérité » au dispositif réflexif et poétique de Perrault.
D’ailleurs, quand Blanchon s’arroge la parole, Perrault lui fait dire, entre autres, des vérités axiologiques qui l’inscrivent dans une dynamique pédagogique qui rappelle les fins de la fable. En disant par exemple qu’« il ne suffit pas d’être riche pour aimer la mer[35] », Blanchon opère une critique de l’occupation du fleuve par les cargos étrangers et la désertion des goélettes. De la même manière, il initie aussi une pratique du fleuve qui s’éloigne de l’axe commercial pour s’intéresser aux rivages les plus reculés. Ne voit-on pas dans cette propension à rechercher ce qui est en marge une forme de descente aux enfers, de nekuia, qui assure la mort ou la transformation d’une vision du monde en une autre, qui implique un changement de regard ? En déléguant à une bête l’illustration d’un fait de vie, Perrault fabule contre lui-même, mais il semble conscient de la force inhérente d’un tel recours.
Ce premier exemple permet surtout de considérer que l’animal, en tant qu’objet de désir dans les films, peut devenir soit le point de départ d’un geste épique soit celui d’un élan de fabulation selon que Perrault l’emploie comme métaphore d’une tension ou métonyme d’une vérité axiologique. Dans cette perspective, il semble que le fait de « fabuler » ait besoin de passer par une première phase épique avant de pouvoir se défaire des crises sous-jacentes.
II. Des souris et des poux : les corps fabuleux d’Un pays sans bon sens
Le film Un pays sans bon sens[36] (Perrault, 1970) est un excellent exemple du potentiel des corps fabuleux qui, par le livre-témoin, échappent, dès le début, aux intuitions épiques pour trouver un espace de déploiement en dehors des lieux de confrontations pris en charge par les personnages dans les films. En fait, leur force d’évocation semble provenir d’un élan de substitution où l’animal n’est plus de connivence avec l’humain, mais le point de départ d’un autre possible. Plutôt qu’objet de désir, le corps fabuleux devient la pièce essentielle d’un élan de fabulation destiné à convaincre et à révéler ce qui a été dissimulé.
Ainsi, afin d’illustrer la faisabilité, ou non, de l’indépendance du Québec, Didier Dufour, le personnage central du film, construit une allégorie qui fait de ses souris de laboratoire des sujets « canadiens-français-catholiques » dont il faut connaître le degré de maturité pour savoir s’ils sont prêts ou non à une telle éventualité. Le film entier, orchestré par ce discours, n’échappera jamais à l’analogie de manière à pouvoir mettre l’accent sur la transformation progressive des souris et, par conséquent, des Canadiens français, de Didier Dufour et de Maurice Chaillot. Cette métamorphose est lente et implique un montage circulaire en regard du film, une structure justificative dans le livre-témoin. Lorsque le principal sujet du film introduit ces métonymes pour saisir les tenants et aboutissants du modèle politique, Perrault en profite, dans les zones grises de son livre-témoin[37], pour donner libre cours à sa propre pensée qui se laissera porter par un élan qui, de la souris, passera à la chouenne, aux mots, à la politique et au retour à une certaine origine dont il est difficile de se défaire. Le discours et la manière dont il est énoncé prendront davantage de place que les souris dans les réflexions de Perrault, mais les bêtes permettent à la pensée de saisir ce que le discours de Dufour essaie de cacher :
Ce discours, je le trouve à la fois merveilleux et exemplaire. Merveilleux de fantaisie sous les apparences scientifiques. Exemplaire en cela qu’il dénonce les hésitations de l’homme québécois devant les conséquences d’un album sans bon sens. Pour Didier Dufour, il s’agissait donc de poser le problème tout en évitant la question. […] Didier ne peut être soupçonné de solution douteuse, mais d’hésitation douloureuse. Il reconnaît l’essentiel, mais il hésite à en tirer les conséquences[38].
Si Didier Dufour ne voit pas tout de suite la force d’évocation de l’animal qu’il met en place, Perrault, lui, saisit d’un seul souffle, à ce moment précis, ce que tout le film cherchera à mettre en place en termes de transformation :
Et il rêve tout haut, le scientifique, d’une indépendance expérimentale subventionnée par le fédéral et supervisée par les Nations-Unis avec des juges de valeur internationale et neutre pour apprécier les résultats. […] Didier par ailleurs s’en rapporte au viscéral. Autant on ne parviendra pas facilement à l’éviscérer, autant il n’est pas facile à « désouriser ». Et pourtant à la fin du tournage, il admet devant nous qu’il a été transformé par ce « collège de la transformation » que nous avons en quelque sorte formé avec lui et il avouera avoir été « désourisé » par le caméramage Bernard Gosselin et par les silences attentifs de Serge Beauchemin et par une irrécusable solidarité avec l’album qui, à la réflexion, a pris une importance imprévisible dans ses appréciations et ses jugements[39].
Il semble évident que la manière dont Dufour a formulé son discours a joué un rôle fondamental dans la réception qu’en a faite Perrault, mais il est évident aussi que la seule présence des souris a ouvert tout un champ de possibilités quant à ce que dissimulait le scientifique derrière ses prétentions de laboratoire. L’idée de la « désourisation » implique un préjugé défavorable face à cet animal. La souris devient autre que ce qu’elle porte comme possibilité. Dans l’imaginaire de la fable, notamment chez La Fontaine, elle est paradoxalement peu représentée et, lorsqu’elle l’est, elle devient le plus souvent la victime d’une bête plus grosse, elle est naïve et croit pouvoir échapper à ses prédateurs dès que ceux-ci feignent la faiblesse ou l’épuisement. Ne plus être souris signifie donc se défaire de ces chaînes qui formulent les conditions d’une aliénation et d’un manque de courage.
Dans le même ordre d’idées, en laissant Grand-Louis raconter l’histoire du pou des forêts québécoises trois fois plutôt qu’une, Perrault provoque chez le spectateur un certain dégoût et une prise de conscience quant à la misère rencontrée par cette génération-là, filmant alors la fable en train de se faire et, qui plus est, l’animal en train de devenir autre[40].
Figure 2
Grand-Louis et l’histoire du pou, photogramme tiré d’Un pays sans bon sens, Pierre Perrault, 1970.
Mais en réfléchissant sur cette même séquence, il est lui-même soumis au pouvoir d’évocation qui se dégage de ces rencontres et de ces témoignages :
En réunissant la même histoire sous la même calotte […], nous avons illustré la permanence du récit et les équipements du conteur, les armes de sa poétique, la mémoire des effets, le jeu des intonations et des gestes, conférant à l’histoire du pou une force de fable. Le conteur dénoncé à son propre conte[41].
Mais ce que nous ignorions, ce faisant, c’est que cette mémoire de Grand-Louis ne lui appartenait pas en propre, que le geste du pou qu’il « déclinait », tous les gens des chantiers la connaissent plus ou moins dans des versions différentes et innombrables. De nombreux témoignages ont confirmé ce fait. Au fond, c’était la façon des bûcherons d’avoir de la misère avec amour [ou humour] que de rapporter aux maisons, pour montrer leur force et leur courage et faire peur aux femmes, les poux de la misère. Léopold Tremblay m’a même raconté qu’en général on en ramenait vivants après les avoir enfermés sous la vitre de sa montre de poche dont on pouvait dire qu’elle marquait poétiquement le temps de la misère. C’était là leur poème, leur chanson de geste, une sorte de tableau « ti-pop » de la misère des chantiers[42].
On voit bien ici une distinction nette et recherchée entre les moments de la captation et du montage qui remplissent la « fonction de fabulation » associée au « cinéma vérité », et les raisons qui sous-tendent la délégation de la parole à Grand-Louis qui, pour exprimer la misère des chantiers, choisit de raconter cette histoire. Ce simple choix place Perrault lui-même dans le piège de la fabulation qui se déploie dans ce texte. D’abord, pour se protéger d’une éventuelle accusation qui ferait de Grand-Louis un « chouenneur » qui chercherait l’attention et qui passerait son temps à exagérer, il met en parallèle trois moments de captations où son ami raconte, exactement avec les mêmes intonations et dans les mêmes termes, ce récit écoeurant où un énorme pou avait élu domicile dans son cou. De fait, le montage qui induit une répétition insiste sur la permanence du récit, mettant de l’avant la cohérence entre le discours de Grand-Louis et ce moment où s’énoncerait une fable qui se ferait en dehors de Perrault. On ne peut alors accuser Perrault de rechercher la fable, et de surcroît, il ne peut être accusé de fabuler. Or, malgré ses précautions, le pou n’arrive pas à demeurer dans le documentaire. Dans l’extrait de livre-témoin qui vient d’être évoqué, Perrault consacre une page entière à ce moment offrant alors les bases d’une fable moderne dont il est l’instigateur.
Parce qu’il est pou, parce qu’il est récit, parce qu’il est narré d’une manière telle qu’il devient symbole de misère, il déclenche non seulement la pensée de Perrault, mais la nôtre, offrant alors un moment de fabulation. En effet, lors de la réception, chez Perrault comme chez nous, la bestiole met en branle tout un imaginaire qui saisit l’horreur et les vérités d’une misère généralisée condensée dans cette idée qui a élu demeure dans un autre corps et qui est découvert en pleine nuit. Perrault a beau prétendre ne pas avoir besoin du marsouin, des souris, des poux, des caribous, voire de l’orignal[43], ces derniers trouvent toujours une façon de s’imposer par les voies narratives et réflexives qui se poursuivent toujours dans l’après-coup du film.
La souris et le pou sont d’excellents exemples de ces « corps fabuleux » qui se révèlent tels en dehors des films puisque ce qu’ils comportent comme vérité n’apparaît que dans le moment de la réception par Perrault. Pour ce faire, il ne semble pas nécessaire de passer par l’épique puisque de toute façon ils ne sont pas responsables, dans ce film-là, de cette dynamique. Ce deuxième exemple permet de considérer certains « corps fabuleux » comme des embrayeurs de récit; d’un premier récit tributaire de la « fonction de fabulation » pris en charge par le sujet d’un film et d’un autre relevant de l’élan de fabulation dont Perrault est l’instigateur.
III. Du corps à l’âme : le boeuf musqué comme métonyme d’une fable en action
Le cas du boeuf musqué détone un peu dans cet essai de classification des élans selon l’impact d’un corps fabuleux sur la pensée. En effet, dans ce cas, l’élan provient surtout d’un va-et-vient entre les impressions écrites avant et pendant le tournage, les images lors de leur réception et les réflexions de l’après-coup qui se trouvent déjà dans les premiers contacts. Ainsi, dans L’Oumigmatique ou l’objectif documentaire, quand Pierre Perrault se demande pourquoi il se consacrera sous peu au boeuf musqué plutôt qu’à un autre sujet parlant, il n’est pas dupe de la force d’évocation que peut contenir l’animal ni des raisons qui le poussent vers lui :
Mais pourquoi justement le boeuf musqué ? Pourquoi cet inconnu sans importance ? Ce grand silence énigmatique après tant de paroles et d’éloquence ? Une bête obstinée plutôt que des hommes rebelles ? Comment, tout compte fait, expliquer ce changement de cap ? En vérité le boeuf musqué m’obsède, depuis longtemps, comme une incomparable métaphore, comme un modèle, qui se propose à toute vie et plus singulièrement à celle d’un peuple oublié en terre d’Amérique par l’histoire et par les Princes. Un peuple abandonné à lui-même et à l’hiver. Une rumeur de boeuf musqué m’habite depuis longtemps. Il me restait à en vérifier le bien-fondé[44].
Alors que par ailleurs il la refuse, cette rumeur est bel et bien en action. Le boeuf musqué virtuel qui s’impose ici, celui qui aurait pu n’habiter que le mythe, se transpose en un lieu réel où, observé, il contient la promesse d’une révélation. Il devient à la fois le corps qui contient le métonyme et l’âme d’une métaphore politique et sociale qu’il reste à corroborer.
Prétextant le réel, Perrault avoue ne pas arriver à demeurer dans les objectivités souhaitées (celle de la lentille et celle de l’approche documentaire) dès qu’il franchit la frontière du tournage vers le montage et de ce dernier au texte. Ainsi, quand il redécouvre des images au moment où a commencé le montage de L’Oumigmag (Perrault, 1993), il opère un élan de fabulation devant les images qu’il découvre ou redécouvre[45] :
L’immense paroi de la réalité se propose à la perte de vue.
Et comme un roulement de tambour qui déambule, la belle troupe ondulante dont on ne peut pour l’instant rien espérer de plus que sa présence… lointaine… curieuse… erratique… en quête d’une destination indéfinie… comme envoûtée par les arêtes… comme se mettant en évidence… se produisant… se profilant… se déplaçant… s’éloignant… s’arrêtant… se croisant… s’entremêlant… dans le beau désordre de la liberté… regardant vers nous sans nous voir… Nous apercevant peut-être dans la distance sans comprendre nos agissements bizarres… sans se donner la peine de comprendre… incrédule… foncièrement méfiante… impassible… aussi étrangère à notre émotion que les bisons d’Altamira devant la foule des curieux impuissants à franchir les millénaires qui les séparent de l’incroyable actualité des parois imagées[46]…
L’économie d’écriture et l’omniprésence de la pensée en suspend tendent à souligner, deux ans après le tournage, que la réflexion est faite d’impressions vives qui ne s’arrangent que du mouvement et, quand il écrit son essai, encore plus tard, il reconnaît une forme de saisissement suivi d’un mouvement qui, d’un seul coup, change le rythme de l’énonciation pour faire une place à l’émerveillement, à la magie (voir figure 3).
Figure 3
Ce rythme n’est pas sans rappeler les fondements de la zoopoétique qui resitue le vivant au coeur d’une stylistique dont on retrouve certaines traces ici[47]. De fait, ce lien est contenu dans le souffle provoqué par la résurgence de souvenirs en attente de cette découverte/redécouverte :
J’écris cela [le passage précédemment cité] deux ans plus tard. Au moment où débute le montage. En visionnant les images. Je n’avais rien noté dans mes carnets à cause de la précipitation. L’émotion que je retrouve maintenant est-elle justement celle de la rencontre avec la réalité ou celle de la mémoire ? Ou celle de l’écriture qui falsifie : écrire n’est-ce pas se mettre en audience ! Ou encore celle de ma rencontre avec l’image[48] ?
Dans ce passage, Perrault sait raconter autre chose que ce qu’il montre à l’écran, semblant vouloir vibrer au rythme de la rencontre avec cette altérité radicale. Comme il le dit lui-même, c’est la première fois qu’il échappe à l’éloquence populaire et qu’il s’aperçoit que « c’est au moment où on se trouve au plus près [du boeuf musqué] qu’on se rend compte qu’on est au plus loin[49] ». Dans cette perspective, l’image et le réel ne peuvent fournir que des évidences que l’élan de fabulation s’empressera de dépasser. C’est le moment où il se plaît à dire qu’il se trouve devant l’« infranchissable[50] » que, pourtant, il réussit à franchir.
Afin de mieux considérer la force d’évocation que véhicule l’animal, rappelons que ce mur est par ailleurs franchi par la pensée d’un autre récepteur, Michel Serres qui, devant l’oumigmag, dans un texte intitulé « Découverte inspirée par Perrault[51] », revient sur le choc qu’il aura ressenti à la seule vue de la bête. Le texte qui en découle s’articule autour de cinq balises qui induiront un élan dont l’impact contribue à ajouter une nouvelle couche de sens aux oeuvres liées à l’animal.
Face à la mort imminente de Perrault et à cette altérité radicale qu’est, pour lui, le boeuf musqué révélé par le film, Serres met en place une allégorie de la métamorphose qui prend racine dans ce « corps fabuleux ». On observe alors un renversement des paradigmes civilisationnels, plaçant cet autre vivant, dépouillé de tous traits de culture, au coeur d’un paysage relevant à la fois d’une hétérotopie et d’une hétérochronie[52] :
Ainsi le tremblement de terre [c’est-à-dire L’Oumigmag] fit, pour moi, le travail de découverte de ce lieu, fondamental et sauvage, où toute intervention humaine s’annule et s’efface. Jardin soigné sous une latitude sans risque majeur. La France paysagère semble faire silence sur ce terrain au-dessus duquel ses paysages, vivants et humains, élèvent et tressent leur belle dentelle[53].
La dentelle à laquelle il fait référence ici fait écho à la laine « furibonde » des boeufs musqués qui danse au vent et tapisse les lieux au moindre mouvement des bêtes. La dentelle, de facture humaine, ne contient pas la promesse d’un tel dépaysement qui permet, si l’on regarde bien le parcours de la pensée, de renaître à soi-même.
Ainsi, la posture de rejet que Perrault adopte devant la fable l’oblige à faire face aux évidences qu’il revoit au montage. Ce réel tant espéré finit par provoquer, dans le processus, un élan de fabulation en deux temps : celui de la découverte des évidences qui reposent sur une révélation des parts cachées que pouvait nous dévoiler l’événement et celui du retour réflexif qui finit par accepter la part de fabulation qui se glisse dans sa propre poïétique. Contre la fable, donc, Perrault ne peut s’empêcher de fabuler à la manière d’un intransitif absolu qui, bien malgré lui, impose un rythme dont l’élan est surtout provoqué par les possibilités que présentent certains animaux de son corpus.
Pour conclure, il est évident que la fable ne se construit pas selon ses traits phénotypiques et de manière consentie et affirmée dans l’oeuvre écrite de Pierre Perrault, mais certaines présences animales, dans son corpus poétique ou réflexif, révèlent un pouvoir d’évocation qui se construit de plusieurs manières tout en véhiculant une vérité souvent latente, voire oblitérée par les discours officiels. Ainsi, le marsouin de Toutes Isles, la souris désourisée, le pou des forêts québécoises et le boeuf musqué de son oeuvre testament constituent autant d’exemples d’un élan de fabulation qui démontre que Perrault fabule. Dans cette perspective, il serait intéressant de voir s’il se trouve une stylistique animalière qui découlerait de ces différentes bêtes. À la lumière de notre dernier exemple, il semble bien que cette ménagerie du Nord que ces rencontres mettent au monde comporte une part de zoopoétique riche en possibilités.
Parties annexes
Note biographique
Formée en littérature grecque ancienne et en latin, Johanne Charest enseigne la littérature et le cinéma depuis près de 20 ans au Cégep de Sept-Îles. Codirectrice du Groupe de recherche sur l’écriture nord-côtière (GRÉNOC) et membre du Centre de recherche interuniversitaire sur la littérature et la culture au Québec (CRILCQ) depuis 2023, elle vient d’obtenir un doctorat en littérature générale et comparée, s’étant intéressée à certaines traces du cours classique telles qu’elles se manifestent dans l’oeuvre écrite et cinématographique de Pierre Perrault.
Notes
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[1]
Pierre Perrault, L’Oumigmatique ou l’objectif documentaire, Montréal, Les Éditions de l’Hexagone, 1992, p. 305.
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[2]
Le livre-témoin prend deux formes dans le corpus perraultien. La première est celle d’un verbatim des documentaires qui reprend tels quels les dialogues et monologues issus du film avec, parfois, des didascalies dépourvues de subjectivité. C’est le cas, par exemple, du livre-témoin du Règne du jour, Montréal, Lidec, 1968. La deuxième forme s’observe dans l’ajout important de commentaires personnels d’ordre réflexif. Ces derniers sont souvent mis de l’avant par un encadré qui sépare l’espace verbatim du film des interventions de Perrault. C’est le cas, entre autres, du livre-témoin d’Un pays sans bons sens dont il sera question ici. Voir, Pierre Perrault, Un pays sans bons sens, Montréal, Lidec, 1972, p. 247.
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[3]
Gilles Deleuze, Cinéma 2. L’image-temps, Paris, Éditions de Minuit, coll. « Critique », 1985, p. 196.
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[4]
Ibid.
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[5]
Ibid., p. 196–197.
-
[6]
Ibid., p. 196.
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[7]
Pierre Perrault, Toutes Isles [1963], Montréal, Lux, 2021, p. 21. Dans une entrevue qu’il accorde aux membres du Gerse, il emploie presque exclusivement l’adjectif « fabuleux » pour rendre compte de cette première expérience qui est d'abord passée par le magnétophone, puis par la caméra, voir « Entrevues avec Pierre Perrault — rencontre du 25 février 1994 avec le Gerse », Services des archives de l’Université Laval « Fonds Pierre Perrault (P319) », P319/D/20, 2,2.
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[8]
Dans son oeuvre écrite, tous ces mots sont employés comme synonymes sans que soient prises en compte les nuances qui les caractérisent. Ils comportent tous une dimension de mensonge et de manipulation des faits et du réel. Cette posture n’est pas unique à Perrault et trouve dans les écrits de Platon un important écho. À ce propos : Johanne Villeneuve, « Pierre Perrault, poète et cinéaste », L’esprit créateur, vol. 43, n° 2, 2003, p. 44.
-
[9]
Johanne Charest, La pensée aporétique et le regard rhétorique : traces du cours classique dans l’oeuvre de Pierre Perrault, thèse de doctorat, Université de Montréal, 2024, « Chapitre 1 », p. 9.
-
[10]
Pierre Perrault, La Grande Allure 1, De Saint-Malo à Bonavista, Montréal, l’Hexagone, 1989, p. 14.
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[11]
Une des grandes particularités de ces altérités est le fait qu’elles n’apparaissent pas dans le fonds commun occidental comme si Perrault voulait échapper aux aprioris des contes et des fables appris dans son enfance.
-
[12]
Aristote, Rhétorique, Pierre Chiron (trad.), Paris, Flammarion, coll. « GF », n° 1135, 2007, p. 357–358.
-
[13]
S’intéressant à La Fontaine dans un texte posthume, Michel Serres évoque ce mouvement que tente d’opérer l’apologue lorsqu’il aborde un aspect délicat largement oblitéré dans les discours officiels. Cette vision est rattachée à la pensée augustinienne par l’intermédiaire d’une citation de Pierre-Daniel Huet (1630–1721). Michel Serres, La Fontaine, Jean-Charles Darmon (dir.), Paris, les Éditions Le Pommier, coll. « Inédit », 2021, p. 122–123.
-
[14]
Perrault, 2021.
-
[15]
Pierre Perrault, Un pays sans bon sens, Montréal, Lidec, 1972.
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[16]
Perrault, 1995.
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[17]
Cette énumération prend en compte ce que Florence Goyet écrit à propos du geste et de la dynamique épique qui ne sont pas « épopées », mais mouvements de dévoilement de tensions guerrières. Florence Goyet, Penser sans concept : fonctions de l’épopée guerrière. Iliade, Chanson de Roland et Hôgen et Heiji monogatari, Paris, Honoré Champion, 2006, p. 8.
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[18]
Ibid.Voir aussi son étude d’épopées et de contre-épopées en contexte postcolonial qui définit mieux les différences entre le « geste » et la « dynamique », Florence Goyet, « Conclusion. Geste épique et dynamique épique : deux régimes possibles de l’épique dans le cadre postcolonial », Inès Cazalas, Delphine Rumeau (dir.), Épopées postcoloniales, poétiques transatlantiques, Paris, Classique Garnier, 2020, p. 261–285.
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[19]
Voir, entre bien d’autres mentions, « Sans l’épopée du marsouin qu’aurions-nous à dire du fleuve ? », Pierre Perrault, 2021, p. 16.
-
[20]
Pierre Perrault, Pour la suite du monde, 1963, ONF, https://www.onf.ca/film/pour_la_suite_du_monde/ (consulté le 18 mars 2024), 00:29:18–00:29:25.
-
[21]
Pierre Perrault, Un homme debout, avec la collaboration de Simone Suchet, Montréal, Varia, 2015, p. 40–41.
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[22]
Pierre Perrault, « Discours sur la parole », dans Pierre Perrault, De la parole aux actes, Montréal, l’Hexagone, coll. « Essais », 1985, p. 22.
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[23]
L’article de Michèle Garneau sur ce qui unit le mémorable et la mémoire électronique chez Pierre Perrault est en ce sens extrêmement éclairant puisque ce qui se trouve au coeur des films ne peut se faire sans la coexistence de ces deux « instances narratives » : l’évènement capté par le magnétophone et la caméra s’ouvre sur sa propre reconstitution, Michèle Garneau, « Les deux mémoires de Perrault », Protée, vol. 32, nº 1, printemps 1994, p. 23–30.
-
[24]
Pour le texte, Pierre Perrault, Le règne du jour, Montréal, Lidec, 1967, p. 11–12. Pour le film, Pierre Perrault, Le règne du jour, 1967, ONF, www.onf.ca/film/regne_du_jour/ (consulté le 18 mars 2024), 1’58”.
-
[25]
Perrault, 2021, p. 16.
-
[26]
Pour Michel Serres, 2021, p. 53–54, la fable repose sur des « modèles réduits de mythes ». Cette interprétation tend à valider notre lecture du « corps fabuleux » comme métonyme. Réduite à sa plus petite entité, la figure animale n’en est pas moins polysémique et génératrice de sens.
-
[27]
Perrault, 2021, p. 20.
-
[28]
Ibid.
-
[29]
Ibid., p. 20 (Perrault souligne et omet la majuscule).
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[30]
Ibid., p. 19.
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[31]
Le brouillage métaphorique entre le dauphin et un navire est d’ailleurs largement utilisé dans ce récit et dans le film Pierre Perrault, La Grande Allure, 1985, ONF, https://www.onf.ca/film/grande_allure_1/ (consulté le 18 mars 2024), 1’00”, où le bateau sur lequel l’équipage traverse l’Atlantique et sillonne le fleuve se nomme Blanchon. Un marsouin est également dessiné sur la poupe.
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[32]
Cette image s’impose à l’esprit parce que le voyage se fait en sens inverse en regard du voyage effectué par Cartier.
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[33]
Celle que l’on retrouve par exemple dans les courts-métrages réalisés avec René Bonnière de 1957 à 1960, pour la série Au pays de Neufve France. Parmi ces films, on retrouve, le court-métrage documentaire, Toutes Isles, 1960, ONF, https://www.onf.ca/film/toutes_isles/ (consulté le 18 mars 2024), 29”.
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[34]
Voir par exemple Pierre Perrault, Michel Brault et Bernard Gosselin (réalisateurs), Le beau plaisir, 1968, ONF, https://www.onf.ca/film/beau_plaisir_le/ (consulté le 18 mars 2024), 14”. Ce film semble vouloir faire le point sur la pêche elle-même, et ce, d’un point de vue objectif.
-
[35]
Perrault, 2021, p. 20.
-
[36]
Pierre Perrault, Un pays sans bon sens, 1970, ONF, https://www.onf.ca/film/un_pays_sans_bon_sens/ (consulté le 18 mars 2024).
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[37]
Il s’agit vraiment de zones grises.
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[38]
Perrault, 1972, p. 43.
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[39]
Pierre Perrault, 1972, p. 45 (c’est Perrault qui souligne).
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[40]
Perrault, 1970, 01’18”09”’.
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[41]
Le jeu de mots est volontaire, il ne s’agit pas ici d’une erreur.
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[42]
Perrault, 1972, p. 184 (c’est Perrault qui souligne).
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[43]
Dans l’entrevue qu’il accorde aux membres du Gerse, 1994, p. 14, Perrault rappelle ce moment où il dit que le marsouin de Pour la suite du monde était accessoire : « Ça avait pas d’importance pour moi le marsouin. Pas plus que j’ai pas d’orignal dans La Bête lumineuse. J’en ai pas d’orignal. J’en ai un qui est mort, mais je veux dire que le grand moment de l’orignal il n’y est pas, on ne le voit pas. » Or, si la bête à tuer n’apparaît jamais, le corps fabuleux, lui, est non seulement omniprésent par les éloges et les discours de Stéphane-Albert Boulais et des autres, remplissant alors la « fonction de fabulation », mais il habite surtout le sous-texte de notre réception et la partie réflexive de Perrault sur l’expérience vécue.
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[44]
Perrault, 1992, p. 32.
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[45]
Ibid., p. 152–155.
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[46]
Ibid., p. 152.
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[47]
Cet aspect devra faire l’objet d’une investigation plus rigoureuse, mais il semble bien que l’on retrouve ici ce qu’Anne Simon voit comme un rapport direct entre convocation animale et style. Selon elle, « le rythme de la phrase, la structure du verset, la déconstruction de la syntaxe sont des manières sensibles par lesquelles les écrivains peuvent rendre compte des tempos et des allures des autres espèces, de ces lignes de fuite et de ces devenirs ». Voir Anne Simon (propos recueillis par Nadia Taibi), « Qu’est-ce que la zoopoétique? », Sens dessous, vol. 16, n° 2, 2015, p. 124.
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[48]
Perrault, 1992, p. 154.
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[49]
Charles Perraton revient sur cette affirmation de Perrault dans les entretiens du Gerse, 1994, p. 23.
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[50]
Ibid., p. 23.
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[51]
Michel Serres, « Découvertes inspirées par Perrault », Paul Warren (dir.), Pierre Perrault, cinéaste-poète, Montréal, l’Hexagone, 1999, p. 407–411.
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[52]
Pour la notion d’hétérotopie : Michel Foucault, « Des espaces autres », Dits et écrits II (1976–1988), Daniel Defert et François Ewald (dir.), Paris, Gallimard, coll. « Quarto », 2017, p. 1571–1581. Dans ce court essai, les hétérotopies reposent sur « une sorte de description systématique qui aurait pour objet, dans les sociétés données, l’étude, l’analyse, la description, la « lecture » […] de ces espaces différents, [de] ces autres lieux, [cette lecture contient] une espèce de contestation à la fois mythique et réelle de l’espace où nous vivons », p. 1575.
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[53]
Serres, 1999, p. 407–408.
Liste des figures
Figure 1
Figure 2
Figure 3