Résumés
Résumé
L’objectif de cet article est de comprendre et d’expliquer la perception de la performance par les propriétaires-dirigeants des très petites entreprises (TPE) du secteur informel au Sénégal et en déduire une typologie desdites entreprises. Bien que le concept de performance soit largement étudié, sa connaissance reste encore vague pour la petite entreprise et plus spécifiquement pour la TPE de l’informel. Ce secteur étant de nature très diversifié, notre choix s’est porté sur les ateliers de couture, de mécaniciens, de menuiserie et de tôlerie automobile. Au total, 26 propriétaires-dirigeants ont été interrogés au moyen de guides d’entretien.
Cette étude exploratoire, qualitative et inductive s’inspire de la méthode de codage de la grounded theory (GT). Nos résultats montrent que les entrepreneurs du secteur informel apprécient la performance essentiellement par des indicateurs qualitatifs pouvant être classés suivant trois dimensions : personnelle, économique et sociétale. Partant de cette perception de la performance, quatre types d’entreprise du secteur informel se distinguent : la TPE de survie, la TPE de subsistance, la TPE d’accumulation et la TPE de promotion.
Mots-clés :
- TPE informelle,
- Performance,
- Performance personnelle,
- Performance économique,
- Performance sociétale,
- Typologies des TPE
Abstract
The aim of this paper is to understand and explain the perception of performance by the owners managers of very small entreprises in the informal (VSE) sector in Senegal and to deduce a typology of the said entreprises. Although the concept of performance is widely studied, its knowledge is still vague for small businesses and more specifically for informal VSEs. As this sector is very diverse in nature, our choice focused on the production unit of mechanics, carpenters, welders and automobile sheet metal workers. Twenty-six (26) owner-managers were interviewed using interview guides.
This exploratory, qualitative and inductive study is inspired by the Grounded Theory (GT) methodology. Our results show that entrepreneurs in informal sector perceive performance mainly through qualitative indicators that can be classified according to personal, economic and societal dimensions. Based on this perception of performance, four types of informal sector enterprise can be distinguished: survival VSE, subsistence VSE, accumulation VSE and promotion VSE.
Keywords:
- VSE informal,
- Performance,
- Personal performance,
- Economic performance,
- Societal performance,
- Types of VSEs
Resumen
El objetivo de este artículo es comprender y explicar la percepción del rendimiento por parte de los propietarios dirigentes de las microempresas (TPE en sus siglas en francés) del sector informal en Senegal y deducir una tipología de dichas empresas. Aunque el concepto de rendimiento es ampliamente estudiado, su conocimiento sigue siendo vago para la pequeña empresa y más específicamente para la TPE de lo informal. Dado que este sector es de naturaleza muy diversa, nuestra elección se centró en los talleres de mecánicos-soldadores, carpinteros, chapa y pintura de automóviles. Un total de veintiséis propietarios dirigentes fueron entrevistados con guías de entrevistas.
Este estudio exploratorio, cualitativo e inductivo se inspira en el método de codificación de la grounded theory (GT en sus siglas en inglés). Nuestros resultados muestran que los empresarios del sector informal valoran el rendimiento principalmente mediante indicadores cualitativos que pueden clasificarse en tres dimensiones : personal, económica y social. Sobre la base de esta percepción del rendimiento, se pueden distinguir cuatro tipos de empresas en el sector informal: las MYPE de supervivencia, las MYPE de subsistencia, las MYPE de acumulación y las MYPE de promoción.
Palabras clave:
- TPE informal,
- Rendimiento,
- Rendimiento personal,
- Rendimiento económico,
- Rendimiento social,
- Tipos de TPE
Corps de l’article
Introduction
À son origine, le concept de secteur informel faisait référence à l’ensemble des activités de survie entreprises par des migrants ruraux attirés en ville par la recherche d’un emploi décent (Charmes, 1992). Dès lors, le secteur informel constitue un terme générique recouvrant toutes les stratégies de survie, les modes de subsistance des couches pauvres, déshéritées, déracinées. Aujourd’hui, la très petite entreprise (TPE) du secteur informel constitue une réalité incontournable dans les pays en développement. Le rapport de la Banque mondiale publié en 2021 montre que le secteur informel contribue jusqu’à un tiers du produit intérieur brut (PIB) dans les économies émergentes et en développement. C’est en Afrique subsaharienne que cette contribution est la plus importante avec un taux de 36 %. En outre, les entreprises informelles représentent 72 % des prestations de services dans ces économies. Ainsi, la Banque mondiale, à la suite du FMI en 2017, recommande à ces pays de prendre en compte ce secteur dans l’élaboration et la mise en oeuvre des politiques de développement.
Au Sénégal, les TPE du secteur informel constituent une partie intégrante de l’économie. Elles jouent un rôle crucial dans la réduction de la pauvreté, l’accès à l’emploi et la cohésion sociale. En effet, neuf travailleurs sur dix occupent un emploi informel (BIT, 2020). Le secteur informel contribue à hauteur de 41 % du PIB et 39 % de la production nationale (DPEE[1], 2018). Le dernier recensement général des entreprises de l’Agence nationale de la statistique et de la démographie (ANSD) montre que 99,8 % des entreprises sénégalaises sont de petites et moyennes entreprises (PME) et 97 % d’entre elles sont de très petites entreprises du secteur informel représentant 70 % de l’emploi (ANSD, 2017).
La TPE de l’informel est devenue un véritable enjeu pour les politiques et programmes de développement économique et social. Le secteur informel occupe ainsi une place de choix dans le plan Sénégal Émergent (2014). Il est appelé à jouer un rôle moteur dans ce processus d’émergence à l’horizon 2035. C’est pourquoi l’un des défis du plan Sénégal Émergent demeure « la modernisation de l’économie informelle » (Plan Sénégal Émergent, 2014). Ce défi nécessite un meilleur accompagnement des entrepreneurs afin de développer le potentiel économique dudit secteur.
Autrement dit, une bonne politique économique concernant le secteur informel doit reposer sur une connaissance approfondie des réalités managériales au sein de l’entreprise informelle. En effet, ce secteur ne constitue pas une réalité homogène. Les TPE informelles se retrouvent dans tous les secteurs d’activité (Tidjani, 2006). Les propriétaires-dirigeants de ces entreprises présentent des profils divers (Um-Ngouem, 2006). Les objectifs poursuivis peuvent être de nature économique, sociale, sociétale (Simen et Nkoa, 2019 ; Nimaga, Silla, Sarr, Simen et Tidjani, 2018 ; Tidjani et Simen, 2014 ; Hernandez, 1995). Par conséquent, l’étude de la perception de la performance permettrait de mieux comprendre les pratiques de gestion mobilisées au sein des entreprises informelles. Elle fournirait une base de connaissances à partir de laquelle les autorités étatiques et les organismes intervenants dans ledit secteur mettront en place des programmes adaptés afin de développer les potentialités et améliorer la performance de ces entreprises.
À ce titre, une meilleure compréhension de la perception de la performance par les acteurs de l’informel serait un préalable pour comprendre la diversité des comportements de ces dirigeants et des modes d’organisation de ces entreprises (St-Pierre et Cadieux, 2011). Partant de là, les gouvernants pourront mettre en place des initiatives et programmes efficaces pour développer les potentialités du secteur informel et améliorer la performance de ces entreprises.
Bien que la performance ait fait l’objet de nombreuses opérationnalisations dans la littérature, sa perception par les propriétaires-dirigeants des TPE reste encore méconnue (St-Pierre et Cadieux, 2011 ; Sogbossi Bocco, 2010). Sa définition et ses indicateurs dépendent des acteurs (Ferris, Arthur, Berkson et Kaplan, 1998), des contextes (Bourguignon, 1997 ; Allouche, Charpentier et Guillot-Soulez, 2004) et des facteurs culturels (Sogbossi Bocco, 2010). La performance a été souvent abordée suivant la seule dimension financière de l’entreprise. L’évolution de l’environnement économique et social consacre une vision élargie de la performance (Kessari, Joly, Jaeck et Jaouen, 2016) à travers ses dimensions financières, économiques, commerciales, sociales, sociétales et organisationnelles.
En contexte de très petite entreprise, la performance est intimement liée aux objectifs poursuivis par le propriétaire-dirigeant (Jaouen et Tessier, 2008). Étant donné que les entrepreneurs du secteur informel privilégient certaines dimensions de la performance aux dépens d’autres en fonction des objectifs poursuivis (Sangué-Fotso et Wamba, 2017), on peut conjecturer une typologie des TPE de l’informel basée sur la perception de la performance par ces propriétaires-dirigeants (St-Pierre et Cadieux, 2011). En effet, plusieurs typologies coexistent dans le secteur informel (Berrou et Girollet, 2019 ; Hugon, 2014 ; Tidjani, 2006 ; Um-Ngouem, 2006 ; Niang, 1996). La plupart de ces typologies sont basées sur le profil du dirigeant, la nature des activités, les modes organisation et de gestion de l’entreprise informelle. La présente étude se veut aussi une contribution à ce débat par une typologie des TPE de l’informel basée sur la perception de la performance par le propriétaire-dirigeant.
En contexte de TPE, la performance reste un concept méconnu (St-Pierre et Cadieux, 2011) dont les indicateurs et les mesures dépendent du réseau social du dirigeant (Ndangwa, Sonna et Djeumene, 2007), de son profil (Bouhaouala, 2007 ; St-Pierre et Cadieux, 2011) et de ses objectifs (Sangué-Fotso et Wamba, 2017). Ainsi, la présente étude se veut une contribution à la compréhension de ce concept dans la cadre des TPE du secteur informel au Sénégal et tente d’en déduire une typologie. Dès lors, notre question de recherche est la suivante : comment les propriétaires-dirigeants des TPE de l’informel perçoivent-ils la performance ? Quelle typologie des entreprises peut-on dégager de cette perception ?
Ce travail se structure autour de quatre axes : un état de l’art sur les concepts de TPE et de performance, une présentation de la méthodologie, un exposé des résultats et, enfin, une discussion.
1. État de l’art sur les concepts de TPE et de performance
L’étude de la perception de la performance par les propriétaires-dirigeants des TPE de l’informel incite à revenir sur les concepts de base.
1.1. Définitions et caractéristiques de la TPE du secteur informel
La première définition formelle de la TPE informelle adoptée par la 15e conférence internationale des statisticiens du travail (CIST) de 1993 retient trois critères : l’absence de statut juridique, le non-enregistrement administratif et la petite échelle des activités (BIT, 1993). Le deuxième critère est discutable. D’abord, quel type d’administration faut-il considérer ? L’administration centrale ou locale ? L’administration fiscale ou les autres ? En effet, certaines entreprises sont reconnues auprès des autorités locales auxquelles ils payent des patentes journalières sans pour autant avoir une personnalité juridique (Benjamin et Mbaye, 2012). En outre, les pratiques d’enregistrement varient d’un pays à un autre et le degré de conformité à la réglementation varie en fonction de la mise en pratique des exigences officielles en matière d’enregistrement.
Certaines définitions combinent les critères de non-enregistrement et de tenue d’une comptabilité formelle. C’est le cas notamment de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) qui définit la TPE du secteur informel comme toute entreprise non enregistrée, ne tenant pas une comptabilité écrite et formelle et produisant des biens et services marchands (ANSD, 2019). Toutefois, certaines définitions peuvent retenir la tenue d’une comptabilité officielle comme seul critère de définition ou l’associer de façon alternative au critère de l’enregistrement. Ainsi, dans le cadre de l’Enquête nationale sur le secteur informel au Sénégal (ENSIS) en 2011, l’ANSD définit l’entreprise informelle comme toute unité de production non agricole dépourvue de numéro d’identification national des entreprises et des associations (NINEA) et/ou de comptabilité officielle.
Ces différentes définitions se focalisent sur les rapports entre l’entreprise informelle et l’État. Elles mettent ainsi en évidence le niveau d’informalité et occultent le mode d’organisation et de gestion de la TPE. C’est ainsi qu’on leur adjoint d’autres critères pour une meilleure compréhension de l’entreprise informelle en se focalisant sur les pratiques managériales ainsi que les relations entre l’entreprise et son environnement. À cet effet, les Nations unies (2007) soulignent que les entreprises dudit secteur se caractérisent par un faible niveau d’organisation et opèrent à petite échelle et de manière spécifique, avec peu ou pas de division du travail et du capital en tant que facteurs de production (Diouf, Kane, Mbodji et Sarr, 2008).
De son côté, Hugon (2014) associe le secteur informel à la petite production marchande (PPM) qu’il définit comme « un ensemble d’unités de production à petite échelle, sans comptabilité et non enregistrées, où le salariat est absent (ou limité), où le capital avancé est faible, mais où il y a néanmoins circulation monétaire et production de biens et services onéreux. Les règles, normes sociales et conventions dominantes ne sont pas salariales, mais coutumières, hiérarchiques, paternalistes » (Hugon, 2014, p. 3).
Dans le cadre de la présente étude, nous adoptons une définition de la TPE informelle combinant les définitions de l’ENSIS de 2011 et de la petite production marchande. En cela, nous définissons la TPE informelle comme toute entreprise de production de biens et services marchands dépourvus de NINEA et/ou de comptabilité officielle, dont les règles, normes et conventions sont un mélange de traditions et de modernité avec un effectif inférieur à dix salariés.
1.2. De la spécificité des TPE de l’informel
Au-delà des critères d’informalité, la TPE informelle se distingue de son homologue du secteur moderne ou des TPE des pays développés en termes de mode de gestion et de profil du propriétaire-dirigeant.
1.2.1. Un mode de gestion et d’organisation spécifique basé sur des logiques familiales et communautaires
Selon Hernandez (2007), la TPE informelle fonctionne sur la base d’une vision de l’économique fortement enraciné dans le social. Le comportement de l’entrepreneur informel est efficient et cohérent, car reposant sur une logique de gestion et une rationalité certaine. Sous ce rapport, le mode de gestion et d’organisation de la TPE informelle peut être qualifié de spécifique au regard des modèles de gestion de la TPE classique (Nimaga et al., 2018).
En effet, la TPE informelle fonctionne en référence aux liens familiaux et à des solidarités de groupes ethniques ou religieux (Simen et Nkoa, 2019 ; Torrès, 1999). La famille constitue la principale source de main-d’oeuvre. À ce titre, la grande majorité du personnel est constituée d’aides ou d’apprentis recrutés dans la famille élargie (Simen, 2012 ; Tidjani ; 2006). Ainsi, l’on assiste à un prolongement des relations personnelles et familiales dans l’entreprise. Par conséquent, les relations de travail sont basées sur les liens de parenté et l’organisation est fortement hiérarchisée (Mpinda Madila, 2005).
Par ailleurs, les réseaux sociaux jouent un rôle prépondérant dans le secteur informel. Ils se substituent aux lois officielles pour réglementer les relations entre les différentes entités du secteur. Sous ce rapport, les liens sociaux permettent des stratégies de négociation complexes et souples. Ainsi, le droit de propriété et les mécanismes d’exécution des contrats reposent sur la solidarité de groupe plutôt que sur des régulations formelles (Hugon, 2014). Le fonctionnement de la TPE repose sur des solidarités et hiérarchies plurielles, familiales, ethniques, religieuses, villageoises, etc. (Hernandez, 2007 ; Hugon, 2014). À cet effet, les ressources de l’entreprise sont souvent utilisées pour financer des événements familiaux (naissance, décès, mariage, accident, etc.) ou pour favoriser la solidarité ou l’entraide avec d’autres membres de la société (Simen et Nkoa, 2019).
En outre, l’activité de production de l’entreprise informelle repose davantage sur les besoins quotidiens du ménage que sur une stratégie planifiée. Ainsi, la gestion au jour le jour et la création de revenus immédiats prédominent dans la méthode de gestion (Um-Ngouem, 2006 ; Simen, 2017), ce qui consacre le rôle prééminent du propriétaire-dirigeant dans le fonctionnement de la TPE informelle.
1.2.2. Une diversité de profils de propriétaires-dirigeants des TPE informelles
Le profil du dirigeant renvoie à ses caractéristiques sociodémographiques, à sa personnalité, à ses objectifs et motivations. La littérature révèle plusieurs typologies d’entrepreneurs de l’informel. Traditionnellement, on distingue deux types d’entrepreneurs dans le secteur informel : d’un côté une grande majorité d’entrepreneurs de nécessité luttant pour leur survie et de l’autre une minorité d’entrepreneurs d’opportunité (BIT, 2020). Le premier groupe est composé d’entrepreneurs ayant un très faible niveau d’éducation formelle, dont l’écrasante majorité n’a pas atteint le niveau primaire et a suivi un enseignement coranique (Berrou, Combarnous et Eekhout, 2018). Ils ont appris leur métier sur le tas et se retrouvent dans l’informel de survie. Ces entreprises se distinguent par des activités de petite échelle dans des secteurs du petit commerce, de l’artisanat, du transport et du commerce des vêtements neufs et d’occasion (Adoho et Doumbia, 2018 ; Grimm, Knorringa et Lay, 2012).
À l’inverse de ce premier groupe dominé par l’autoemploi, les entrepreneurs d’opportunité sont à la tête d’entreprises ayant au moins un salarié (Berrou et Girollet, 2019). Elles sont très proches de leurs homologues du secteur formel en termes de volume d’activité et de chiffre d’affaires. Les entrepreneurs d’opportunité, que Grimm, Knorringa et Lay (2012) qualifient de « top performant », sont plus âgés que les premiers. En général, ils ont un faible niveau d’éducation formelle, même si on y retrouve des individus avec un niveau d’études supérieur (Benjamin et Mbaye, 2012). Ces dirigeants se caractérisent aussi par un apprentissage professionnel traditionnel ou scolaire du métier et une longue expérience professionnelle (Berrou, Combarnous et Eekhout, 2018). En outre, bien que leur mode de gestion et d’organisation soit proche des entrepreneurs de nécessité, ils sont néanmoins animés par des objectifs d’accumulation et de croissance (Berrou et Girollet, 2019).
Au-delà de cette simple opposition entre entrepreneur de nécessité et entrepreneur d’opportunité, les études récentes révèlent une multisegmentation des entrepreneurs du secteur informel en fonction de leur niveau d’études, de leur comportement managérial, de leur esprit entrepreneurial et du potentiel de développement de leur entreprise. À travers leur étude portant sur sept pays de l’Afrique de l’Ouest, Grimm, Knorringa et Lay (2012) démontrent l’existence d’un segment intermédiaire entre les deux groupes de dirigeants identifiés. Ce segment est constitué d’entrepreneurs dont les niveaux de capital et de travail se situent à des niveaux bien supérieurs à ceux de l’informel de survie et juste en dessous de ceux du haut de l’informel. Il est qualifié de « gazelle » du fait de son haut potentiel de développement. Les « gazelles » partagent certaines caractéristiques des top performant en termes d’éducation, de comportement managérial, de formation et d’expériences professionnelles. Ils ressemblent aux entrepreneurs de nécessité par rapport au faible niveau du capital.
Abebe, Assefa, Gebre-Eyesus et Degu (2018) retrouvent la même segmentation dans le contexte éthiopien. De même, Adoho et Doumbia (2018) confirment cette typologie dans le contexte congolais. Concernant le Sénégal, Berrou et Girollet (2019) montrent que le segment intermédiaire est constitué de deux profils d’entrepreneurs : d’un côté les indépendants au parcours de formation scolaire et de l’autre les petits patrons au parcours de formation traditionnelle. Le premier groupe est caractérisé par des entrepreneurs très éduqués et compétents, à l’image des top performant, mais dont les activités ne sont pas encore en mesure de s’étendre en employant des travailleurs. Elles semblent se situer à une étape de développement moins avancée que les activités du second groupe. Celles-ci sont plus stabilisées et établies, l’emploi y est alors à un niveau bien plus important et semblable à celui des top performant. Ces entreprises sont dirigées par un profil particulier avec un faible niveau d’éducation, qui est compensé par une formation professionnelle ou traditionnelle.
Fort de ces constats, il semble évident que la spécificité de la TPE de l’informel, tant du point de vue de son mode d’organisation et de gestion que de la diversité des profils des propriétaires-dirigeants, conduise à une perception différente de la performance impliquant ainsi une typologie des TPE du secteur informel.
1.3. Performance et TPE du secteur informel
La revue de la littérature révèle que la performance est un concept complexe du fait de son caractère polysémique et multidimensionnel.
1.3.1. La performance : un concept polysémique et multidimensionnel
D’emblée, il n’existe pas de consensus sur une définition de la performance. Selon Bourguignon (1997), la performance recouvre des significations différentes selon les contextes. Il propose une définition de la performance en gestion en trois niveaux : la performance comme action, la performance comme résultat de l’action et la performance comme succès. La présente étude s’appuie sur l’idée que la performance correspond à l’atteinte des objectifs organisationnels. De ce fait, la performance est multidimensionnelle, à l’image des buts organisationnels. On distingue ainsi les performances financières, économiques, sociales et commerciales, etc.
Pendant longtemps, la performance économique et financière a été la référence en matière d’évaluation de l’entreprise (Sogbossi Bocco, 2010). Cette vision de la performance est de plus en plus remise en cause du fait de la prise en compte des exigences de plus en plus nombreuses des parties prenantes de l’entreprise (Saulquin et Schier, 2007 ; Simen, 2018). Celles-ci, singulièrement les plus directes, devront être prises en compte pour une évaluation juste et efficace de la performance. De fait, la performance sociale renseigne sur l’état des relations sociales ou humaines dans l’entreprise. Elle traduit ainsi la capacité d’attention du management au domaine social, dont le point focal reste la cohésion et la morale au sein de l’entreprise (Saulquin et Schier, 2007).
La performance commerciale ou performance marketing renvoie à la qualité de la relation avec les clients. Elle constitue la raison d’être de toute entreprise, c’est-à-dire la satisfaction des besoins des clients en vue d’en tirer un profit. Quant à la performance sociétale, elle traduit la légitimité de l’organisation vis-à-vis de ses parties prenantes externes comme la communauté, les bailleurs de fonds, les organismes (Saulquin et Schier, 2007 ; St-Pierre et Cadieux, 2011).
Fort de ces constats et en raison des intérêts parfois divergents des parties prenantes de l’entreprise, la performance résulte d’un compromis et est difficile à saisir. De multiples indicateurs sont utilisés pour rendre compte des exigences des parties prenantes. Par conséquent, elle n’existe pas de façon intrinsèque, mais au regard de la construction collective qu’en font, de façon plus ou moins cohérente, les acteurs organisationnels (Pesques, 2004). Ce qui fait dire à Ferris et al. (1998) que la performance est un concept socialement construit dont la signification peut varier d’un acteur à un autre. Qu’en est-il dans le secteur informel ?
1.3.2. Définitions, dimensions et indicateurs de la performance dans le secteur informel
La TPE du secteur informel se caractérise par une pluralité d’objectifs résultant de la diversité de ses parties prenantes (Simen, 2018 ; Torrès, 1999). Elles sont constituées par la famille, la communauté locale, les employés, les clients, etc. Par rapport à la communauté locale, les attentes sont les suivantes : création d’emplois, de services et le développement local (Tidjani et Simen, 2014). Pour les apprentis, la performance se traduit par l’entrée dans un métier et la consécration en tant que maître artisan (Tidjani, 2006). Pour les clients, la performance se perçoit par l’accès à des biens et services de qualité et accessibles (Hernandez, 2007).
Tidjani et Simen (2014) soutiennent que la TPE de l’informel constitue une entité avec des responsabilités sociales et économiques vis-à-vis de ses membres et de l’espace dans lequel elle opère. À ce titre, la performance est intimement liée à la responsabilité sociétale de l’entreprise (RSE). D’ailleurs, Simen (2018) confirme l’importance des logiques non économiques, garantissant la pérennité de l’entreprise informelle. Ses résultats montrent l’importance des actions de philanthropie telles que l’amélioration du sort des employés et de la famille pour le dirigeant de la TPE informelle.
Du fait de la centralité du propriétaire-dirigeant dans le fonctionnement de la TPE informelle (Diouf et al., 2008), l’étude de la performance ne saurait occulter les aspirations et motivations personnelles de ce dernier. Par conséquent, la conception et les critères d’appréciation de la performance sont intimement liés aux objectifs poursuivis par le propriétaire-dirigeant (Boukar et Tsapi, 2011). Selon Hernandez (2007), les objectifs personnels du propriétaire-dirigeant de la TPE informelle sont d’une part la recherche de liquidités pour faire vivre sa famille et d’autre part la quête d’avantages sociaux en termes de pouvoir, d’influence et de prestige au sein d’un groupe ou entre groupes.
Par ailleurs, la croissance ne constitue pas un objectif important pour l’entrepreneur du secteur informel (Hernandez, 1995). Il préfère diversifier ses activités plutôt que de développer son entreprise. Ainsi, au-delà d’une certaine taille, les microentreprises de l’informel ne se développent plus. L’entrepreneur préfère investir le surplus d’accumulation capitalistique dans d’autres unités de production plutôt que de développer la première activité (Niang, 1996).
Le tableau 1 fait une synthèse de la littérature sur le concept de performance dans les TPE en Afrique.
Tableau 1
Dimensions et indicateurs de la performance dans les TPE en Afrique
En résumé, bien que des recherches commencent à aborder le thème de la performance dans le secteur informel, les études empiriques sont encore rares. C’est pourquoi la présente recherche se veut une contribution au débat sur la performance en privilégiant les données du terrain.
2. Méthodologie de recherche
Rappelons que l’objectif de cette recherche est de comprendre la perception de la performance par les propriétaires-dirigeants pour en déduire une typologie des entreprises du secteur informel. Pour cela, la méthodologie qualitative a été adoptée. En sciences de gestion, cette méthodologie vise à chercher du sens, à comprendre des phénomènes ou des comportements. L’objectif est donc « de découvrir des concepts et des rapports entre les données brutes afin de les organiser dans un schéma théorique et explicatif » (Strauss et Corbin, 2004, p 28). Selon ces auteurs, l’approche qualitative est utilisée pour explorer des domaines spécifiques méconnus, pour élaborer des compréhensions nouvelles concernant des domaines passablement étudiés ou pour obtenir des détails approfondis et complexes concernant certains phénomènes. Ainsi, le caractère contextuel de la performance et la spécificité du secteur informel justifient l’adoption d’une méthodologie qualitative.
La présente étude est de nature exploratoire. En effet, même si des études commencent à être menées, aucune ne s’est appesantie sur le concept de performance dans le secteur informel, ce qui justifie largement le recours à l’induction. Ce mode d’inférence est jugé pertinent pour faire émerger des concepts et théories dans le secteur informel (Kane, 2018). Il s’agit dès lors de chercher à traduire fidèlement, si possible dans les langues locales des interlocuteurs, les visions et les pratiques managériales des dirigeants des entreprises de l’informel.
La présente étude s’intéresse aux propriétaires-dirigeants évoluant dans les métiers de couture, de menuiserie, de mécanique et de tôlerie. Ce choix se justifie par plusieurs raisons : ces unités informelles sont faciles d’accès (Diouf et al., 2008) ; il existe une organisation du travail en leur sein (Kane, 2009). Notre terrain d’étude est constitué des régions de Dakar et de Saint-Louis. Le choix de Dakar se justifie par le fait que le secteur informel y est très développé à travers toutes ses branches d’activité (ANSD, 2017). Le choix de Saint-Louis s’explique par la proximité du terrain d’étude.
2.1. Outils et méthodes de recueil des données
Selon Fillol (2007), la qualité d’une recherche dépend en grande partie des modalités de recueil des données mises en place pour observer le phénomène et la richesse, la pertinence et le volume des données collectées. Dans notre cas, la collecte des données a concerné 26 propriétaires-dirigeants. Elle s’est faite sur la base d’entretiens semi-directifs, très utilisés en sciences de gestion (Royer, Barideau et Duchesne, 2009) à l’aide de guides d’entretien. Les entretiens ont été entièrement recueillis par enregistrement audio. Les entrevues ont été réalisées en wolof (langue locale). En plus de la transcription, il fallait aussi procéder à une traduction. Elles ont une durée moyenne de 45 minutes.
Le recueil des données a suivi un processus en trois vagues. Tout d’abord, trois dirigeants de TPE ont été interrogés. Il s’agit de propriétaires-dirigeants d’un atelier de couture, d’une boulangerie à Dakar et d’une petite imprimerie à Saint-Louis. Le choix des entretiens s’est fait par convenance personnelle. Notre démarche consistait d’abord à identifier les entreprises appartenant au secteur informel et employant au moins trois personnes, avant d’entrer en contact avec le propriétaire-dirigeant pour obtenir un rendez-vous. Le premier entretien a été réalisé auprès du dirigeant d’une petite imprimerie parce que c’est la première personne ayant répondu favorablement à notre sollicitation. Les deux autres entretiens ont été réalisés à Dakar. Ces entretiens ont été facilités par notre proximité relationnelle avec ces dirigeants. Le choix des régions de Saint-Louis et de Dakar constitue un prétexte pour aborder le secteur informel dans ces différentes manifestations et éventuellement de faire des comparaisons.
L’analyse des données a montré que les dirigeants de la boulangerie et de l’imprimerie ont des profils et des comportements managériaux proches des entrepreneurs du secteur moderne quant à la recherche de rentabilité financière et les pratiques de GRH mobilisées. Par contre, l’analyse de l’entretien avec le propriétaire-dirigeant de la TPE de couture révèle des pratiques de GRH ancrées dans des processus sociaux et des indicateurs de performance à la fois économiques et sociétales. Ces résultats jugés intéressants quant à la perception des réalités managériales par les acteurs du secteur informel ont orienté notre recherche vers les dirigeants évoluant dans le secteur de l’artisanat afin de délimiter le terrain d’étude et d’approfondir notre compréhension de la performance dans le secteur informel.
Le guide d’entretien a été ainsi amélioré pour y adjoindre une thématique liée aux objectifs et motivations à la création de l’entreprise de façon à mieux cerner notre problématique de recherche. Ainsi, en plus des questions relatives aux caractéristiques managériales et organisationnelles de la TPE et de la perception de la performance par le propriétaire-dirigeant, nous avons adjoint une rubrique relative aux attentes et aspirations du propriétaire-dirigeant (Annexes 1 et 2).
Après cette première immersion, nous avons effectué quatre autres entretiens auprès des propriétaires-dirigeants d’un atelier de couture à Dakar, de deux ateliers de mécaniciens-soudeurs et d’un atelier de menuiserie métallique à Saint-Louis. Cette phase commence avec l’entretien auprès des mécaniciens suivi de celui avec le menuisier métallique. Les trois entretiens ont eu lieu le même jour, juste après la présentation des objectifs de l’étude, sans prise de rendez-vous. À Dakar, l’entretien a été effectué auprès d’un tailleur. Il s’est tenu, juste après la présentation des objectifs de l’étude et sans prise de rendez-vous. Nous comptions faire plusieurs entretiens à Dakar, mais nos rendez-vous n’ont pas abouti. L’analyse des données de cette deuxième vague a fait émerger des concepts relatifs à la performance et son caractère multidimensionnel. Ces résultats ont été confrontés à la littérature sur la performance afin de mieux affiner notre problématique de recherche.
La dernière vague a concerné dix-neuf propriétaires-dirigeants à Saint-Louis. Le processus de collecte des données est le suivant : tout d’abord huit entrepreneurs ont été interrogés, dont quatre tailleurs, deux tôliers et deux mécaniciens-soudeurs, afin d’élargir, approfondir ou expliciter les concepts qui avaient émergé de la deuxième phase. Le choix des ateliers repose sur la méthode boule de neige. Ensuite, cinq entretiens ont été effectués auprès des chefs d’ateliers de couture, de menuiserie, de mécanicien-soudeur et de mécanique générale afin de mieux saisir la variabilité de la perception de la performance. Enfin, six entretiens ont été réalisés pour valider nos résultats par saturation théorique (Annexe 3).
2.2. L’analyse des données
La grounded theory (GT) a été mobilisée comme méthode d’analyse des données. Elle permet l’élaboration d’une théorie ancrée, basée sur les faits d’une façon inductive (Glaser et Strauss, 1967). Selon Paillé (1994), cette méthode de recherche est orientée vers la découverte de relations entre les différentes composantes d’un phénomène. Par ailleurs, toute la démarche repose sur une constante comparaison entre les données et les résultats de l’analyse (Strauss, 1987, cité par Paillé, 1994). La méthode de la GT est fortement recommandée pour une meilleure compréhension des réalités managériales dans le secteur informel (Kane, 2018 ; Tidjani, 2006).
L’analyse par la GT suit trois étapes : le codage ouvert (opencoding), le codage axial (axialcoding) et le codage sélectif (selectivecoding). Il faut noter que la progression n’est pas linéaire et qu’il y a des chevauchements importants entre ces différentes étapes. Selon Strauss et Corbin (1990), le codage ouvert est un processus par lequel les données sont casées, comparées en vue d’identifier les concepts. Il s’agit de procéder à un codage ligne par ligne en vue de faire sortir des éléments relatifs à la performance, aux profils et aux motivations du propriétaire-dirigeant. Ainsi, les entretiens transcrits ont été fragmentés en plusieurs concepts correspondant à des mots ou groupes de mots qui dépendent de notre interprétation. Ce codage a permis d’identifier plus d’une trentaine de concepts. Au fil de l’analyse, ces derniers sont synthétisés et comparés pour arriver à des catégories. Les concepts renvoyant à la même idée ou à la même réalité sont classés dans une même catégorie.
Le codage axial consiste à identifier les catégories principales. Chaque catégorie principale est composée de sous-catégories. Chaque sous-catégorie est caractérisée en fonction de ses propriétés et dimensions. Selon Strauss et Corbin (1990), une propriété est une caractéristique ou un attribut appartenant à une catégorie. Quant à la dimension, elle correspond à une localisation d’une propriété le long d’un continuum. Enfin, le codage sélectif consiste à identifier la catégorie centrale qui chapeaute les autres catégories principales ou sous-catégories.
3. Présentation des résultats
La présentation des résultats se fera selon la méthode de la GT, à travers le codage ouvert et le codage axial. L’analyse des données fait ressortir deux catégories principales : profil du propriétaire-dirigeant et performance.
3.1. Profil du dirigeant
La catégorie « profil du propriétaire-dirigeant » revient sur les différents éléments caractéristiques de l’entrepreneur du secteur informel (Tableau 2).
Tableau 2
Présentation de la catégorie « profil du propriétaire-dirigeant » selon le codage axial
Les propriétaires-dirigeants interrogés ont souvent un faible niveau de scolarité formelle, la majorité ayant suivi l’enseignement coranique. Néanmoins, on rencontre des chefs d’atelier avec un niveau secondaire ou supérieur et qui ont souvent fait carrière dans le secteur moderne avant de rejoindre le secteur informel. Une grande majorité de propriétaires-dirigeants ont suivi une formation sur le tas, même s’il existe des chefs d’atelier ayant fait une formation dans des écoles de formation professionnelle. Les tranches d’âge 25-32 ans et 50-65 ans sont les plus représentées.
Les motivations à la création de l’entreprise sont diverses et variées. Certains propriétaires-dirigeants créent leur entreprise dans le but d’accéder à des revenus immédiats afin de subvenir aux besoins de leur famille. Du fait des conditions de vie précaires et d’absence d’opportunités dans le secteur moderne, le secteur informel constitue la seule alternative. D’autres mettent en place leurs unités de production informelles pour accumuler des richesses. À cet effet, un mécanicien-soudeur déclare : « Jevoulaisapprendreunmétierpoursoutenirmesparents.Monobjectifétaitdecréerunatelier. […] Lepremierobjectifdel’atelierestderéglerladépensequotidiennedelafamille […]. Jeveuxaussiaidermesfrères,neveuxetcousinsàassimiler un métier. »
Enfin, certains propriétaires-dirigeants choisissent de fonder leur atelier dans le but de transmettre un savoir-faire ou de perpétuer un métier. En ce sens un mécanicien affirme : « Je pense que j’irai en enfersi je meurs sans transmettre mon savoir. C’est capital pour moi. »
3.2. La performance dans le secteur informel : dimensions et indicateurs
La catégorie « Performance » revient sur la perception de la performance par les propriétaires-dirigeants du secteur informel (Tableau 3).
Tableau 3
Présentation de la catégorie « Performance » selon le codage axial
La performance personnelle renvoie à la satisfaction des motivations personnelles du propriétaire-dirigeant. Elle s’appréhende par la prise en charge de la famille et la perpétuation d’un métier. L’entrepreneur informel considère que son entreprise est performante si l’activité lui permet de dégager suffisamment d’argent pour subvenir aux besoins de sa famille. Un patron menuisier déclare : « L’atelierest enbonnemarchesi jegagnedel’argent […]. Jedoisd’abordsortirleschargesdel’atelier.Puis,j’endonneàchaqueapprentiàhauteurdesaparticipationà l’activité de production. Le reste, je l’utilise pour satisfaire les besoins de ma famille. »
La dimension personnelle de la performance renvoie aussi à la perpétuation du métier. À travers son activité de formation, le propriétaire-dirigeant assure la transmission d’un savoir-faire. Au terme de sa formation, l’apprenti devient un maître artisan et est appelé à gérer son propre atelier, ce qui constitue une fierté et un succès pour son patron comme l’atteste un propriétaire-dirigeant menuisier : « Monplusgrandsuccès,c’estd’avoirformédesapprentis […] quej’aiaidés à ouvrir leur atelier. C’est ça ma réussite. »
La performance économique s’appréhende à travers la maîtrise des charges d’exploitation, la stabilité de l’activité, la satisfaction et la fidélisation des clients. La maîtrise des charges d’exploitation suppose le paiement dans les délais des charges de location et des factures d’électricité, ainsi que d’autres charges liées à l’activité de production. Ces charges étant maîtrisées, l’excédent est utilisé pour satisfaire les besoins de la famille. Un patron soudeur le souligne ainsi : « Avecl’atelier,j’arriveàsubvenirànosbesoins.Jepaielalocation,l’électricité,lesimprévus,lesdépensesdelamaison.Chaquejour,jepeuxgagerentre5 000 francset6 000 francs. »
La performance économique implique aussi la satisfaction des clients. Elle passe nécessairement par le respect de la qualité et des délais. En effet, dans un contexte de forte concurrence, la prise en compte des exigences du client constitue l’une des conditions de survie de l’unité de production, car un client non satisfait représente une mauvaise publicité pour l’entreprise.
En outre, les TPE informelles se distinguent par leur capacité à répondre aux besoins des populations à faible niveau de revenu. De plus, le chef d’atelier s’appuie sur sa proximité avec ses clients pour établir une relation durable avec sa clientèle, ce qui se traduit par une fidélisation des clients et participe à la stabilité de l’activité. Un propriétaire-dirigeant menuisier soutient : « C’est-à-direquand on meconfie un travail, je le fais convenablement en respectantlesdélais.Sionlefaitpourune,deux,troispersonnes.Cespersonnesvontenparleràd’autrespersonnes. […] Le respect des délais est important pour moi. »
La performance sociétale s’appréhende par la reconnaissance sociale, le service à la communauté et la création d’emplois. La reconnaissance sociale renvoie à l’image de l’entreprise et au rang social de son propriétaire-dirigeant. L’image traduit la qualité des relations entre l’entreprise et ses parties prenantes (apprentis, compagnon, famille, riverains, clients, fournisseurs, etc.) à travers ses activités de formation et d’offre de biens et de services. En guise d’illustration, un patron tailleur déclare : « Cen’estpasl’argentquicompte,maislarenommée. […]. Despersonnesmecontactentpourdirequ’ilsonteuéchodel’atelieretqu’elles veulent me confier leurs enfants. »
Le rang social traduit la notoriété de l’individu auprès de sa communauté. Il résulte de la réalisation des objectifs relatifs à la transmission du savoir-faire. Aussi, à travers son activité de formation, le propriétaire-dirigeant participe-t-il à la création d’emplois. Il permet à l’apprenti d’acquérir un savoir-faire lui permettant d’accéder à un emploi soit en tant que compagnon, soit en tant que propriétaire-dirigeant comme en témoigne un patron soudeur : « Lafierté de toutpatronestdeformerdespersonnesquiarriventàgagnerleurviegrâceaumétierqu’ilsont appris. »
En outre, l’entreprise informelle se retrouve à développer des actions allant dans le sens du service à la communauté. En cela, la TPE de l’informel fait des prestations de service quasi gratuites ou à des tarifs accessibles à une population qui ne peut accéder aux biens et services du secteur formel. Il arrive également que l’entreprise informelle offre des services à crédit. Un propriétaire-dirigeant menuisier affirme : « Parexemple,ilyaunedamequihabitejustederrièremonatelierquim’afaitpartdesasituation,jeluiaifabriquédesportessanspourautantqu’elleaitpayé. […]. L’argent,cen’estpastellementimportant,c’estjusteunmoyenpoursatisfairesesbesoins.Cesontlesbonnesrelationsqu’onentretientaveclesgensqui sont plus importantes. »
3.3. Une typologie des TPE du secteur informel basée sur la perception de la performance par les propriétaires-dirigeants
Une analyse approfondie de nos résultats révèle que la performance est un concept difficile à saisir, dont la compréhension suppose la prise en compte de facteurs liés au contexte et au profil du propriétaire-dirigeant. La survie et la pérennité de la TPE informelle dépendent, dès lors de sa capacité à concilier efficacité économique et poursuite des objectifs de son dirigeant, tout en s’encastrant dans des processus sociaux. L’entreprise se retrouve ainsi dans un tiraillement permanent entre les objectifs économiques et sociétaux d’un côté et de l’autre côté les motivations personnelles de son propriétaire-dirigeant. Par conséquent, l’importance accordée aux indicateurs pour apprécier la performance n’est pas la même chez les propriétaires-dirigeants. En fait, alors que certains mettent l’accent sur la dimension économique, d’autres prônent la dimension sociétale, ce qui n’est pas sans conséquence dans la manière de gérer les ressources humaines. De plus, nos résultats montrent que la formation par apprentissage est un élément central dans le fonctionnement de la TPE informelle. L’apprenti constitue une ressource capitale, dont la gestion est intimement liée aux objectifs poursuivis par le propriétaire-dirigeant. Ainsi, selon la priorité accordée aux objectifs économiques ou sociétaux d’une part et selon que le propriétaire-dirigeant privilégie la fonction de production ou de formation d’autre part, nous proposons quatre types de TPE (Figure 1).
Figure 1
Typologies des entreprises de l’informel selon la priorité des objectifs et la visée des activités
La TPE de survie est dirigée par un propriétaire-dirigeant motivé par la recherche d’une légitimité sociale. Son action est orientée vers l’intégration et l’adaptation sociale de son entreprise. Il privilégie ainsi les activités de production aux dépens de la formation. Dans ce type d’entreprise, la formation-apprentissage est mise au service de la production. Le propriétaire-dirigeant a tendance à libérer tardivement l’apprenti qualifié. Un patron d’un atelier de mécanique déclare : « J’ai effectué l’apprentissage du métierchez deux maîtres mécaniciens.J’aiquittélepremierparcequelepatronétaitdansunelogiquedebusiness.Moijevoulaisapprendrelemétier,lepatronvoulaitgagnerplusd’argent. »
Un menuisier métallique déclare : « Dansmoncas,celuiquim’aapprislemétiernevoulaitpasquejequittel’atelierpourmonproprecompte.Ilm’avaitremismondiplôme,maisilnevoulaitpasquejequitte.C’estque, des fois, ils ne regardent que leurs propres intérêts et ignorent l’intérêt des apprentis. »
Le propriétaire-dirigeant profite ainsi de la main-d’oeuvre gratuite que constitue l’apprenti pour réduire son coût de production. Un patron soudeur révèle : « On ne peut se permettred’embaucherparcequel’activitéestinstable.Onfaitrecoursàdesgensquiveulentapprendrelemétier.Ilsvontfaire le boulotsanspourautantqu’onsupportedessalaires.Enretouronleur forme au métier. »
Cette rétention des apprentis permet de mener des activités de service à la communauté, ce qui participe à la reconnaissance et à la légitimité sociale de l’entreprise comme le souligne un patron tailleur : « Onnepeutpasdirequ’ongagnebeaucoup,maisonarriveàsurvivreetàsatisfairenosbesoins.Onaideaussid’autrespersonnesquinoussollicitentpourdesproblèmessociaux. »
Dans la même optique, un propriétaire-dirigeant d’un atelier de soudure déclare : « Parfois,leclientproposeunprixlégèrementinférieurauprixnormal.Onlefaitpourquedemain il puisse nous recommander d’autres clients. »
Dans le modèle de la TPE de subsistance, l’accent est mis sur les objectifs économiques. Ainsi, la performance est vue comme la capacité de l’entreprise à supporter ses coûts de fonctionnement et à subvenir aux besoins de subsistance de l’entrepreneur et de sa famille. En guise d’illustration, un propriétaire-dirigeant d’un atelier de soudure métallique affirme : « Le premierobjectifdel’atelierestd’assurerladépensequotidiennedelafamille.Lorsquejeréaliseunerecette,j’enlèvelesfraisdeproduction, le resteestdédiéàladépense du ménageets’ilyaquelquechosequireste,j’épargne […]. Jesuissatisfaitdanslamesureoùj’arriveàréglermesbesoins grâce à l’atelier. »
Dans ce modèle d’entreprise, l’activité de production l’emporte sur la formation. Comme dans le modèle de la TPE de survie, la durée de l’apprentissage du métier est longue. Cependant, les conditions d’accès au métier sont un peu relevées. Le propriétaire-dirigeant préfère recruter des apprentis qui ont un certain niveau d’éducation pour faciliter l’apprentissage du métier. Si, traditionnellement, la formation-apprentissage dans le secteur informel allie acquisition de valeurs et de savoir-faire, en contexte de TPE de subsistance, l’éducation est reléguée au second plan. À ce titre, un mécanicien déclare : « Moi,jeneprendspasencomptel’éducationdesapprentis.Quandunapprentiaunécart de comportement,jelerenvoie.J’enaidéjàrenvoyédesapprentis.Jenesuispasunservicesocial […]. Pourintégrermonatelier,ilfautaumoinspouvoirrésoudreuneéquationdeseconddegré […] parcequ’ilyabeaucoupdecalculs.J’aiunetableoùj’expliqueetdessinedesschémas. »
De même, un propriétaire-dirigeant d’un atelier de couture affirme : « On ne peut pas se permettre de s’occuper de l’éducation des apprentis. »
Dans le modèle de la TPE d’accumulation, la performance est perçue en termes de croissance et de diversification des activités. C’est ainsi que l’apprenti qualifié est recruté dans l’atelier comme compagnon avec une rémunération plus ou moins stable et tributaire des activités. Le dirigeant met ainsi à la disposition de ce dernier des outils de production et des ressources pour accroître l’activité de l’entreprise. Un propriétaire-dirigeant d’un atelier de couture affirme : « Situvoisquel’apprentimaîtrisebienlemétier, tupeuxleretenirdansl’ateliersituaslesmoyens,mais tu le payes maintenant pour le travail qu’il fait. »
D’autres dirigeants préfèrent investir dans d’autres activités, qui ne sont pas en relation directe avec leurs activités principales. Un chef d’atelier métallique le confirme : « Aprèssij’ailesmoyens,j’aimerais faire unautrebusiness enmême tempsque lemétier,mais qui n’a rien àvoir aveclemétier […] jepréfèreinvestirdansunautredomaine.Commeça,jepourraisengagerunepersonne qui maîtrise le domaine. On pourrait même être des associés. »
La TPE de promotion correspond à un modèle d’entreprise qui met l’accent sur la transmission d’un métier et la participation au développement du capital humain. Ici, l’entrepreneur est motivé par la perpétuation de son métier. À cet effet, les indicateurs de performance sont plus sociétaux qu’économiques : la performance est ainsi perçue par le nombre d’apprentis formés et le nombre d’apprentis installés. À ce titre, il privilégie les activités de formation-apprentissage. Un propriétaire-dirigeant d’un atelier de mécanique affirme : « Quandon ouvre un atelier,c’estpour former desgens jusqu’à cequ’ils puissent ouvrir leur propre atelieret gagner leurvie. »
Dans la même optique, un propriétaire-dirigeant d’un atelier de couture déclare : « Onpeutdirequemaintenant,jesuisplusdansl’encadrementdesapprentis.Àlamaîtrisedumétier,ilsquittentetd’autresapprentisintègrentl’atelier.J’aiforméunnombreimportantd’apprentis. »
De même, un propriétaire-dirigeant d’un atelier de soudure souligne : « Lesapprentissontdesjeunesquiontabandonnél’école, je lesrécupère,encadreetaideàs’insérer. Monobjectifestdelesaideràréussirdanslavie,às’autogéreretàaiderleursparents […]. Monobjectifestdetransmettrelemétieràunmaximumdepersonnes.C’estledéfiquejemesuisposé. »
4. Discussion
Nos résultats montrent que la plupart des indicateurs de performance sont qualitatifs. Les rares indicateurs quantitatifs sont des variables substitutives. Le recours à ce type d’indicateurs se justifie par la nature de la TPE, les objectifs poursuivis par le propriétaire-dirigeant et les motivations à la création de l’entreprise.
Les critères qualitatifs sont généralement privilégiés pour apprécier la performance dans les TPE (Kessari et al., 2016). En contexte de TPE, des études montrent que des indicateurs qualitatifs sont de plus en plus mobilisés pour rendre compte de la performance (Sogbossi Bocco, 2010 ; Ndangwa, Sonna et Djeumene, 2007). Le choix de variables qualitatives se justifie pour plusieurs raisons. Premièrement, la très petite entreprise se caractérise par une absence de données objectives pour une mesure quantitative de la performance (Sogbossi Bocco, 2010). Plus spécifiquement, les TPE du secteur informel se caractérisent par une certaine réticence des propriétaires-dirigeants à partager ou à communiquer leurs données économiques (Ndangwa, Sonna et Djeumene, 2007 ; Benjamin et Mbaye, 2014). Deuxièmement, la non-tenue d’une comptabilité rend difficile la production de documents financiers de synthèse pour donner une lisibilité sur l’activité de l’entreprise. Pour notre cas, les entrepreneurs considèrent que les indicateurs qualitatifs constituent une manière plus fidèle de rendre compte de leur performance. Ainsi, le succès ou l’échec de l’entrepreneur se perçoit mieux à travers des critères qualitatifs mettant en exergue les objectifs personnels, économiques et sociétaux de ce dernier.
La maîtrise des charges de fonctionnement constitue la première préoccupation du dirigeant de la TPE. Cet objectif n’est pas facile à atteindre du fait de la forte concurrence et de l’étroitesse du marché dans le secteur informel (Wassila et Abdeslam, 2010). Par conséquent, l’entreprise est performante si elle n’admet pas d’arriérés de paiement auprès de ses fournisseurs. Les entrepreneurs font ainsi recours à des indicateurs indirects (Ndangwa, Sonna et Djeumene, 2007) pour apprécier la performance économique. En cela, les propriétaires-dirigeants appréhendent cette performance par le « paiement factures fournisseurs dans les délais » et le « paiement du loyer et autres charges de l’entreprise ».
Les propriétaires-dirigeants ne font pas la distinction entre le chiffre d’affaires et le profit. Pour eux, l’essentiel, c’est d’être en activité pour assurer la stabilité de l’entreprise. D’ailleurs, la continuité de l’activité constitue un indicateur de performance. C’est ainsi que l’entreprise accepte des commandes, même si le dirigeant n’en tire pas de bénéfice, car cela lui permet de renforcer sa légitimité sociale à travers sa mission de formation de futurs entrepreneurs. À cet effet, Hernandez (2007, p. 28) souligne que « la non-maximisation du profit est liée non pas à l’irrationalité, mais à la volonté de consolider le groupe ».
La recherche de profit ne constitue donc pas le seul objectif poursuivi par le propriétaire-dirigeant de la TPE informelle. Il est animé par des objectifs à la fois sociaux, économiques et sociétaux, mettant l’entreprise au service d’un projet sociétal (Tidjani, 2006). Ainsi, elle se voit assigner une mission de récupération-formation de jeunes en décrochage et par là même, une contribution à la communauté locale. De ce fait, le nombre d’apprentis formés et installés ainsi que le service à la communauté constituent des indicateurs de performance pour le propriétaire-dirigeant. Sur ce point, nos résultats montrent l’importance des indicateurs extraéconomiques pour apprécier la performance de la TPE (Sangué-Fotso et Wamba, 2017 ; St-Pierre et Cadieux, 2011).
L’entretien de la famille constitue l’un des motifs à la création de la TPE de l’informel. En effet, dans un contexte d’absence d’opportunités d’emploi dans le secteur formel, la création d’une unité de production informelle constitue la seule alternative. L’objectif du propriétaire-dirigeant est d’accéder à un revenu pour subvenir à ses besoins personnels et à ceux de sa famille. En cela, une entreprise performante doit accéder aux besoins de l’entrepreneur et assurer la survie de sa famille, ainsi que l’entretien de ses membres. Aussi, en contexte sénégalais, l’individu est-il d’abord un acteur social avant d’être un acteur économique (Simen et Nkoa, 2019) ? La famille constitue la première institution sociale dont il dépend et qu’il doit entretenir.
Par ailleurs, l’établissement d’une relation de confiance avec le client est important pour le propriétaire-dirigeant. Cette confiance dépend de la satisfaction du client concernant le respect des exigences en termes de délais et de qualité. Le choix de ce critère de performance se justifie par l’étroitesse du marché et la forte concurrence dans le secteur informel. Quant à la fidélisation, elle renvoie à l’établissement et au maintien de relations sociales entre le propriétaire-dirigeant et sa clientèle. Le choix de la fidélisation comme indicateur de performance s’explique par la proximité des clients. Le dirigeant et ses clients se connaissent mutuellement et partagent le même quartier, rue ou village. Sur ce point, Wassila et Abdeslam (2010) soutiennent que la TPE informelle évolue dans un environnement complexe, marqué par des marchés imparfaits et inachevés. De ce fait, la logique de réseaux sociaux reposant sur des relations de confiance constitue un gage pour la survie de l’entreprise. Ainsi, la loyauté de la clientèle (Morris, Miyasaki, Watters et Coombes, 2006), la réputation, la qualité des produits ou des services offerts (Reijonen et Komppula, 2007 ; Sangué-Fotso et Wamba, 2017) constituent des indicateurs de performance pour le propriétaire-dirigeant de la petite entreprise.
Au-delà de ses objectifs personnels et économiques, le propriétaire-dirigeant est conscient des responsabilités sociales de son entreprise. Il s’agit de la contribution à la communauté à travers le développement du capital humain par la transmission d’un métier et le service à la communauté. La TPE informelle constitue à la fois un lieu de production de biens et de services, mais aussi de formation, tout en s’intégrant dans les processus sociaux (Tidjani et Simen, 2014). Ainsi, l’objectif de l’entreprise ne serait pas la maximisation du profit, mais plutôt la consolidation des relations sociales. À ce titre, la TPE du secteur informel constitue un bel exemple de conciliation entre intérêts économiques du propriétaire-dirigeant et attentes socioculturelles de l’environnement dans lequel elle évolue.
En outre, l’importance accordée aux dimensions de la performance n’est pas la même dans les différentes entreprises informelles. Cette différence dans la conception de la performance se traduit par des pratiques de gestion différentes au sein de ces entreprises. Il en résulte une typologie des TPE de l’informel, ce qui constitue une contribution majeure pour la présente étude. En effet, les traditionnelles typologies sont basées sur des critères d’informalité (Benjamin et Mbaye, 2012), de domaine d’activité (Tidjani, 2006 ; Um-Ngouem, 2006) et de profil du dirigeant (BIT, 2020). Elles mettent l’accent sur les aspects structurels et occultent les réalités internes dans les entreprises informelles. Dès lors, une typologie basée sur la perception de la performance permettrait d’améliorer l’état de la connaissance sur les pratiques de gestion au sein de ces entreprises. En effet, bien qu’elles soient informelles, ces entreprises traduisent des réalités managériales différentes. Par conséquent, chaque modèle de TPE doit faire l’objet d’interventions, de programmes et d’initiatives spécifiques et adéquats comme le préconise la recommandation 204 du Bureau international du travail (BIT, 2017).
Par ailleurs, il serait intéressant d’aborder les relations entre ces différents modèles d’entreprise du secteur informel. La TPE de survie semble constituer la première forme de l’entreprise informelle. L’objectif du propriétaire-dirigeant est la stabilité et la pérennisation de son activité par la quête d’une reconnaissance et d’une légitimité sociale. Les pratiques de gestion sont ainsi fortement ancrées dans les processus sociaux de solidarité et d’entraide. La reconnaissance et la légitimité sociales acquises, la TPE de survie pourrait se muer en TPE de subsistance. Bien que les objectifs sociétaux soient présents, l’accent est mis sur les objectifs économiques de rentabilité et de prise en charge de la famille. Ainsi, les objectifs de subsistance atteints, le propriétaire-dirigeant sera alors tenté par l’accumulation de richesses. En réalité, la stabilité de l’activité étant garantie par une clientèle satisfaite et fidèle ainsi qu’une famille à l’abri du besoin, l’entrepreneur cherche ainsi à accroître son activité.
Le modèle de la TPE de promotion correspond à des entreprises dont les dirigeants-propriétaires sont motivés par la promotion de leur métier. Plus ces derniers avancent en âge, plus ils seraient susceptibles d’orienter leurs objectifs vers la transmission du savoir-faire. C’est pourquoi dans le modèle de la TPE de promotion, le propriétaire-dirigeant privilégie les activités de formation et d’apprentissage.
Conclusion
Rappelons que notre étude cherche à comprendre et expliquer la perception de la performance par les propriétaires-dirigeants et d’en déduire une typologie des TPE du secteur informel. Une méthodologie qualitative basée sur une analyse des données par la méthode de la groundedtheory a permis d’identifier des dimensions personnelles, économiques et sociétales de la performance. De plus, cette étude révèle que la performance est perçue à travers des indicateurs qualitatifs et indirects. Elle a mis en évidence certains indicateurs spécifiques, comme les appuis financiers aux membres de la famille, la maîtrise de la dépense quotidienne du ménage, l’installation d’apprentis à leur compte, la prestation de service gratuite ou à des tarifs accessibles.
Ces indicateurs trouvent leurs pertinences dans la priorité accordée par le propriétaire-dirigeant à la transmission d’un métier ou à la production de biens et services d’un côté et à l’arbitrage entre les objectifs économiques et sociétaux de l’autre. Cet arbitrage entre, d’une part, les fonctions de production et de formation et, d’autre part, entre les objectifs économiques et sociétaux a permis de dégager quatre modèles de TPE du secteur informel.
Les contributions de cette étude sont d’ordres théoriques et managériaux. Sur le plan théorique, notre contribution est double. En premier lieu, elle contribue à donner du contenu à la notion de performance en contexte de TPE. Les indicateurs qualitatifs déjà relevés dans la littérature sont enrichis par d’autres, permettant de redonner de sens à cette notion dans le secteur informel. De plus, la présente recherche a permis de relever que la performance est un état d’esprit qui se concrétise par la réalisation de l’équilibre entre les exigences de la communauté locale et les aspirations personnelles du dirigeant. En second lieu, la typologie des TPE de l’informel ressortie de cette étude constitue une contribution majeure par rapport aux traditionnelles typologies dans le secteur informel (Benjamin et Mbaye, 2012 ; Tidjani, 2006 ; BIT, 2020 ; Niang, 1996).
Sur le plan pratique, la présente recherche propose de partir des motivations et des objectifs du propriétaire- dirigeant pour élaborer des initiatives et des programmes efficaces afin de développer les potentialités du secteur informel. De fait, chaque modèle de TPE devra faire l’objet de projets ou actions spécifiques en cohérence avec les objectifs poursuivis par le propriétaire-dirigeant. De plus, cette étude offre des éléments d’analyse permettant un meilleur pilotage de la performance dans les TPE de l’informel.
Toutefois, il convient de souligner que cette recherche présente des limites. De nature exploratoire, cette étude devrait être approfondie en incluant d’autres corps de métier. En effet, le secteur informel étant de nature hétérogène, il importe d’élargir l’étude à d’autres secteurs d’activité, comme le transport. Par ailleurs, il serait intéressant d’analyser l’effet de secteur d’activité sur la perception de la performance par les propriétaires-dirigeants et tester la validité de notre typologie. Il serait aussi intéressant d’étudier le passage d’un modèle de TPE à un autre.
Parties annexes
Annexes
Annexe 1. Guide d’entretien 1
Annexe 2. Guide d’entretien 2
Annexe 3. Caractéristiques des entreprises de l’enquête
1 Réparation de voitures, engins et moteurs ; fabrication de matériels et outillage industriels.
2 Fabrication de portes, de fenêtres et de mobilier de maison à partir du bois ou de l’aluminium.
3 Réparation de carrosserie de véhicule.
4 Fabrication de portes, de fenêtres et de mobilier de maison à partir du fer.
5 Couture et confection d’habits.
Notes biographiques
Malick Diallo est docteur en sciences de gestion. Spécialisé en GRH, il a participé à de nombreuses recherches sur le management des très petites entreprises du secteur informel. Ses recherches portent sur la GRH, l’entrepreneuriat, le secteur informel et la RSE.
Demba Kane est maître de conférences, agrégé en sciences de gestion. Il est enseignant-chercheur à l’UFR des sciences économiques et de gestion de l’Université Gaston Berger. Ses axes de recherche portent sur le management dans le secteur informel, la recherche qualitative (la grounded theory).
Bassirou Tidjani est professeur titulaire en sciences de gestion. Il est enseignant-chercheur à l’École supérieure polytechnique de Dakar. Il a conduit de nombreuses recherches sur le secteur informel et la GRH (télétravail, RSE dans les TPME).
Note
-
[1]
Direction de la prévision et des études économiques.
Références
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Liste des figures
Figure 1
Typologies des entreprises de l’informel selon la priorité des objectifs et la visée des activités
Liste des tableaux
Tableau 1
Dimensions et indicateurs de la performance dans les TPE en Afrique
Tableau 2
Présentation de la catégorie « profil du propriétaire-dirigeant » selon le codage axial
Tableau 3
Présentation de la catégorie « Performance » selon le codage axial
1 Réparation de voitures, engins et moteurs ; fabrication de matériels et outillage industriels.
2 Fabrication de portes, de fenêtres et de mobilier de maison à partir du bois ou de l’aluminium.
3 Réparation de carrosserie de véhicule.
4 Fabrication de portes, de fenêtres et de mobilier de maison à partir du fer.
5 Couture et confection d’habits.