Résumés
Résumé
Ce texte se propose d’étudier la production de jeux vidéo du studio montréalais Red Barrels afin d’en saisir la richesse et l’exemplarité au sein du récent renouveau de l’horreur vidéoludique qui s’est opéré à travers une articulation du regard et de la spatialisation suscitant une dynamique de piège séduisant. Avec Outlast, en 2013, puis son extension Outlast: Whistleblower, sortie un an plus tard, le studio indépendant réactualisait certaines des grandes thématiques du genre horrifique : dans leur hôpital psychiatrique délabré, on retrouvait notamment le « drame de couloirs » de Noël Carroll, le chronotope du château de Mikhaïl Bakhtine et, telle que l’a théorisée Bernard Perron, la peur comme moteur émotionnel de l’avancée du joueur. Cependant, en retirant toute mécanique de combat et en équipant le personnage principal d’une caméra permettant de voir temporairement dans le noir, ces jeux se sont inscrits dans la mouvance du first-person avoider (jeu de fuite en vue subjective) qui se développait depuis 2010, où l’enjeu ludique tient principalement à l’idée de voir sans être vu. Dans des jeux vidéo qui renouent avec un principe de transgression du regard dont la Méduse antique constitue l’archétype, il ne s’agit pas tant de triompher des monstres que de ses peurs. En 2017, avec Outlast 2, Red Barrels s’est ensuite attaché à explorer les possibilités architecturales offertes par ce modèle en délaissant les intérieurs médicaux pour un village isolé propice à ce que Mario Gerosa a qualifié de « claustrophobie à ciel ouvert », mais aussi en usant de structures spatiales défiant la physique renvoient symboliquement à l’enjeu du regard comme pourvoyeur de connaissances et du trouble de sens devenant suspects. Il s’agira donc, au fil de l’analyse de ces trois œuvres, de proposer un aperçu des enjeux esthétiques qu’elles suscitent et qui témoignent du dynamisme des productions vidéoludiques indépendantes actuelles.
Mots-clés :
- jeu vidéo,
- horreur,
- Québec,
- Outlast,
- Red Barrels
Abstract
The aim of this paper is to study the production of the Montreal studio Red Barrels so as to grasp its value and how it is exemplary of the recent renewal in horror video games through an articulation of sight and space producing an enticing trap. With Outlast in 2013 and a year later with its extension Outlast: Whistleblower, this independent studio revived some of the great themes of the horror genre: one can recognize in their derelict psychiatric hospital Noël Carroll’s « drama of corridors », Mikhaïl Bakhtine’s castle chronotope and fear as an emotional drive for the player’s progression, as theorized by Bernard Perron. Yet, these games also took part in the First-person avoider trend that bloomed in the 2010s by removing all combat mechanics and leaving the main character with nothing more than a camera allowing him to temporarily see in the dark; the main goal being to remain unseen while seeing. In these games that reconnect with the idea of a transgressive gaze of which Medusa is the antique archetype, the point is less to overcome monsters than one’s own fears. In 2017, with Outlast 2, Red Barrels then aimed at exploring the architectural possibilities of this model by forsaking medical facilities for an isolated village and what Mario Gerosa called an “open air claustrophobia” and using physics defying spatial structures that symbolically convey the stakes of a gaze that allows knowledge and of deceitful senses. Through the analysis of these three games, the aim is thus to offer an overview of the aesthetics stakes they tackle and of the current momentum in independent video game production they represent.
Keywords:
- Video game,
- horror,
- Quebec,
- Outlast,
- Red Barrels
Parties annexes
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