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Introduction

Signe d’une « démocratisation des démocraties », une implication plus directe des citoyens dans le processus d’élaboration et de révocation des normes ainsi que dans la surveillance du travail de leurs représentants figure désormais dans de nombreuses constitutions sous la forme de mécanismes participatifs ou décisionnels, dont le référendum demeure le plus répandu. Cette étude se focalise sur une procédure méconnue dans sa diversité, celle des initiatives populaires consacrées de façon plus ou moins explicite par un nombre de plus en plus important de constitutions dans le monde. Elles sont à la fois conçues comme un remède à la crise de la représentation et un moyen de rapprocher les citoyens de la décision publique en donnant la possibilité à un petit nombre d’entre eux de mobiliser une partie de la population sur un acte de gouvernement populaire : proposer, abroger ou s’opposer à une loi, convoquer une assemblée constituante ou encore révoquer un ou plusieurs élus. Les diverses procédures d’initiative populaire ont en effet en commun d’être déclenchées par des citoyens cherchant un soutien auprès d’une fraction du corps électoral.

L’inscription de tels mécanismes à l’échelle constitutionnelle permet de reconnaître des droits aux citoyens dont le législateur devra assurer la concrétisation. La plupart des constitutions étant accessibles en anglais[1], il est assez aisé de repérer les dispositions qui les consacrent. En revanche, l’accès aux législations les mettant en oeuvre est souvent plus délicat, à la fois pour des raisons d’accessibilité aux documents en ligne et de compréhension de la langue. Il arrive souvent en outre qu’à l’initiative des autorités publiques, à côté de procédures directement prévues et encadrées par les textes constitutionnels, des mécanismes participatifs parfois plus souples soient prévus par la voie législative ou réglementaire, à l’échelon local, national ou fédéral.

Parmi les procédures d’initiative populaire (IP), les initiatives populaires directes (IPD) sont les plus connues, notamment en raison de certains sujets clivants qui ont suscité une large attention des médias, tels que l’interdiction du mariage entre personnes de même sexe aux États-Unis (Californie en 2008, par exemple) ou encore l’interdiction des minarets en Suisse. Même si les IPD ne sont pas les plus répandues, elles ont tendance à mobiliser les commentaires et les critiques de la doctrine en raison de leur visibilité et de la radicalité de certains sujets adoptés par référendum. En revanche, l’initiative populaire d’agenda telle qu’elle existe en Italie (art. 71 de la Constitution), en Espagne (art. 87, al. 3, de la C.) ou au Portugal (art. 167 de la C.), le référendum veto (déclenché à l’initiative des citoyens) qui existe en Suisse (art. 141 de la C.) et en Italie à l’échelle constitutionnelle (art. 138 de la C.), ou encore l’initiative permettant de demander la mise en place d’une assemblée constituante comme au Panama (art. 314 de la C.), en Bolivie (art. 411 de la C.) ou en Équateur (art. 444 de la C.) sont beaucoup moins étudiés dans une perspective comparée.

En France, des études récentes ont porté sur le référendum d’initiative citoyenne (RIC) (Magni-Berton et Egger, 2019 ; Girault, 2020 ; Magni-Berton et Morel, 2022), à la suite d’une demande exprimée lors du mouvement dit des « Gilets jaunes » en 2018, et, dernièrement, sur le « référendum d’initiative partagée » (RIP) ayant suscité l’intérêt de l’opposition à l’occasion de la réforme des retraites engagée par le gouvernement français en 2023. La demande de RIC a engendré beaucoup de méfiance compte tenu de la pression permanente que cette procédure pourrait faire peser sur les représentants par la combinaison de quatre procédés : l’initiative populaire législative, l’initiative populaire constitutionnelle, l’initiative populaire abrogative et l’initiative populaire de révocation des élus. Le RIC a été perçu comme trop révolutionnaire au regard du fonctionnement des institutions françaises, et d’autant plus subversif qu’il est soutenu par les partis populistes situés aux extrêmes de l’échiquier politique. D’autres procédés plus « maîtrisables » pour les gouvernants, tels que le Grand Débat national ou les conventions citoyennes, ont été préférés par la majorité au pouvoir. Les mini-publics délibératifs ont d’ailleurs le vent en poupe depuis plusieurs années dans les débats doctrinaux, au détriment du mécanisme référendaire, critiqué pour son « déficit délibératif » (Morel, 2022 : 29). Le « référendum d’initiative partagée » (RIP) français, pour sa part, est une initiative qualifiée de partagée, mais en réalité de type minoritaire, car ne pouvant être déclenchée que par une minorité de parlementaires (1/5 des membres du Parlement) et éventuellement soutenue par une minorité de citoyens, si les conditions posées par la Constitution et la loi organique pour organiser une telle procédure sont réunies. Il ne s’agit donc pas d’une procédure d’initiative populaire à proprement parler.

Cette confusion quant au sens, à la teneur et à la portée d’un véritable droit d’initiative populaire en France nous a conduite à nous intéresser, dans une perspective comparée, aux différents mécanismes existants à l’initiative d’une minorité du corps électoral et nécessitant un soutien populaire minimal pour prospérer. L’objectif de cette contribution est, à la suite de cette recherche, de proposer une typologie des différents types d’initiatives populaires et de leurs effets à partir d’expériences développées dans différents États, que ce soit à l’échelle fédérale, nationale ou locale. Les exemples présentés ont été conditionnés par un accès aux sources juridiques prévoyant et précisant ces dispositifs et à la littérature scientifique décrivant leur mise en oeuvre. En outre, le cas unique de l’Initiative citoyenne européenne (ICE) est également évoqué, d’autant que cette spécificité à une échelle régionale est très bien documentée et facilement accessible en ligne[2].

1. Une richesse et une complexité de procédures méconnues

La méconnaissance ou du moins le peu d’études consacrées à certains dispositifs d’initiative populaire en langue française semble provenir principalement, outre des problèmes d’accès à la documentation et de compréhension de la langue, d’une difficulté de compréhension de mécanismes souvent complexes dont le fonctionnement ne peut être appréhendé sans être resitué dans le système juridique et politique global de l’État étudié. S’ajoute à cette cause une difficulté à recenser des pratiques qui se développent plus facilement à l’échelle locale[3], un manque d’expérimentations déployées à l’échelon national et sans doute le peu de succès de la majorité des procédures prévues par les différents ordres juridiques nationaux, à l’exception de la Suisse et du Liechtenstein. Le cadre juridique strict entourant nombre de ces processus est un facteur d’explication de ce faible succès. En effet, peu d’initiatives populaires parviennent aux fins pour lesquelles elles ont été mises en place (Magni-Berton et Egger, 2019 : 85). La difficulté à réunir le nombre de signatures nécessaires n’est pas le seul obstacle. Les conditions exigées pour déposer une initiative, le pouvoir d’appréciation dont dispose l’autorité à laquelle elle s’adresse pour y donner suite, ou encore la nécessité d’un soutien populaire parfois élevé (pouvant aller de 1 % en Suisse jusqu’à 25 % du corps électoral aux îles Palaos) lorsqu’une telle proposition est soumise au scrutin sont également des facteurs expliquant le peu d’intérêt que peut susciter ce type de procédures, y compris pour les citoyens eux-mêmes. Cela conduit à s’interroger sur les finalités des procédures d’initiative populaire prévues à différentes échelles (locale, régionale, nationale, fédérale, supranationale). D’une manière générale, le but même d’une initiative populaire n’est-il pas de susciter l’attention de l’ensemble des citoyens sur une question et de les inciter à se faire une opinion sur la thématique proposée ? Pour ou contre le mariage entre personnes de même sexe ? Pour ou contre la suppression de la taxe audiovisuelle ? Pour ou contre la reconnaissance de la personnalité juridique à une lagune ? Pour ou contre la fin du mandat d’un gouverneur en raison des choix politiques effectués en période de COVID ? D’ailleurs, ces mécanismes sont avant tout utilisés par des partis politiques, des lobbies ou des collectifs de citoyens pour faire valoir une revendication, contester une réforme ou remettre en cause des élus au moment où cela paraît le plus opportun.

L’intérêt de ces procédures ne semble pas tant d’aboutir à une prise de décision que de porter une question dans le débat public, de modifier le droit ou de changer de représentants ne donnant pas satisfaction pour diverses raisons. En ce sens, de tels mécanismes s’inscrivent aux côtés d’autres modalités procédurales, comme le recours en justice, dont disposent les citoyens à titre individuel ou collectif pour faire évoluer le droit. Les conditions et la portée de ces procédures ne sont cependant pas les mêmes. Si le recours en justice nécessite la reconnaissance d’un contentieux et l’intervention d’un juge pour trancher généralement un cas concret, l’initiative populaire en appelle directement aux autres citoyens, voire aux représentants, pour modifier une situation qui touchera, dans son ensemble, la communauté concernée.

2. L’appréhension large de la notion d’initiative populaire

La notion même d’initiative populaire mérite d’être clarifiée. Au sens strict, l’initiative populaire est ce qui est désigné comme telle par un texte juridique. Ainsi, à l’échelle fédérale, la Suisse distingue l’initiative populaire, consistant à proposer un texte de loi (art. 139 de la C.), du référendum facultatif, qui permet aux citoyens de s’opposer à un texte de loi par le biais d’un veto populaire (art. 141 de la C.). Dans les deux cas, pourtant, l’initiative de la procédure réside entre les mains des citoyens, plus particulièrement d’un comité d’initiative qui va essayer de réunir un certain nombre de signatures pour que le vote populaire (appelé votation) puisse avoir lieu. De la même façon, la Constitution italienne dispose d’une procédure connue sous le nom de référendum abrogatif, prévue à l’article 75 de la Constitution, qui peut être à l’initiative des citoyens (« 500 000 électeurs ») ou des conseils régionaux (5 au minimum), et qui consiste à demander au Parlement l’abrogation d’une loi. Cette demande sera soumise au référendum si les conditions de recevabilité sont remplies et si le Parlement ne consent pas à abroger lui-même cette disposition[4]. L’initiative populaire au sens strict peut également être nommée « initiative citoyenne ». Les termes « iniciativa ciudadana » désignent plusieurs types de procédures en Amérique latine, qui sont présentes dans les textes constitutionnels. Ainsi, en Bolivie, l’initiative citoyenne permet de demander l’organisation d’un référendum révocatoire (art. 240) ou la convocation d’un référendum sur la mise en place d’une assemblée constituante pour la révision totale de la Constitution (art. 411 I). Les termes d’« initiative “populaire” » sont utilisés pour la révision partielle de la Constitution (art. 411 II). En Équateur, une « initiative citoyenne » permet de demander l’organisation d’une consultation populaire (art. 104) ou la ratification d’un traité international (art. 420). Au Honduras, les citoyens disposent à ce titre de l’initiative législative aux côtés des députés, du président de la République, de la Cour suprême de justice et du Tribunal suprême électoral (art. 213). Enfin, au Panama, une initiative citoyenne permet de convoquer une « assemblée constituante parallèle », autrement appelée « assemblée constituante originaire », pour adopter une nouvelle constitution. Dans tous ces cas, l’initiative citoyenne désigne une procédure bien précise pour laquelle un comité de citoyens doit réunir un certain nombre de signatures, dont le seuil en nombre ou en pourcentage est préalablement défini, dans un délai déterminé.

Au contraire, dans un sens large, voire très large, l’initiative populaire peut englober toute une palette de procédures plus ou moins institutionnalisées et encadrées, à la limite parfois d’une confusion avec un droit de pétition collectif, par exemple. Ainsi, en France, l’initiative populaire n’existe pas à l’échelon national. Aucune disposition constitutionnelle ne permet donc aux citoyens de proposer collectivement l’adoption d’une proposition de loi. En revanche, le droit de pétition collectif s’est développé depuis 2008 avec la possibilité pour les citoyens de saisir le Conseil économique, social et environnemental[5]. En outre, depuis 2019, les deux assemblées parlementaires nationales ont mis en place des plateformes de pétitions en ligne (appelées e-pétitions), sur des sites dédiés. Le site proposé par le Sénat prévoit des conditions de formes, parmi lesquelles une incitation à demander soit l’adoption d’un texte présenté sous forme de proposition de loi, soit la mise en place d’une mission de contrôle. Ces e-pétitions permettent de recueillir des soutiens ; en fonction du nombre récolté, cela peut déclencher l’examen de la proposition par une commission parlementaire permanente ou encore le dépôt d’une proposition de loi par les parlementaires[6]. Si cela s’apparente à une initiative populaire classique, quelques différences persistent cependant. Tout d’abord, l’initiative populaire est en principe réservée aux « citoyens » au sens strict, c’est-à-dire aux personnes disposant de la capacité électorale. Le droit de pétition, en revanche, peut généralement être exercé par tous, sans conditions d’âge ni de nationalité[7]. Le droit de pétition est en outre ordinairement beaucoup moins réglementé et donc moins contraint juridiquement que l’initiative populaire. En principe, il n’existe pas de limites matérielles ni même formelles[8] à l’exercice du droit de pétition, alors que de telles limites sont généralement présentes pour les initiatives populaires législatives propositives ou abrogatives. De ce fait, l’objet de la pétition peut être personnel, par exemple sous forme de réclamation, ou collectif, pour soutenir une proposition de réforme législative ou obtenir la mise en place d’une mission de contrôle ou d’évaluation d’une politique publique.

Une autre différence importante réside dans le fait que l’initiative populaire est déclenchée en principe par un collectif de citoyens appelé « comité d’initiative[9] », alors que la pétition peut être portée par une seule personne, même si certains ordres juridiques prévoient un suivi plus important lorsque la pétition est soutenue par d’autres citoyens[10]. Enfin, la réunion d’un certain nombre de signatures dans un délai déterminé est une condition sine qua non de la poursuite de la procédure en cas d’initiative populaire, alors qu’une simple pétition peut être examinée par l’autorité à qui elle est adressée si cette dernière le souhaite même en l’absence de soutien populaire. À l’échelle de l’Union européenne, la pétition et l’initiative citoyenne sont d’ailleurs clairement distinguées par les textes[11]. Elles ne suivent pas la même procédure et n’entraînent pas les mêmes effets.

La diversité des modalités de procédures de pétition et d’initiative populaire d’un État à l’autre est de nature à entretenir la confusion entre ces deux types de mécanismes. Toutefois, en ce qui concerne l’influence sur le Parlement et les politiques publiques, le droit ou le pouvoir d’initiative populaire est en principe plus important, car il offre une véritable prérogative aux citoyens initiateurs soutenus par une fraction du corps électoral. Cette prérogative est généralement protégée par la Constitution. À l’inverse, les pétitions peuvent n’avoir aucune autre conséquence que celles décidées par les autorités à qui elles s’adressent.

3. Essai de typologie des différents types de procédures d’initiative populaire

En fonction des dispositions prévues par les constitutions et les législations de plusieurs États, nous proposons une typologie des différentes formes d’initiative populaire (tableau ci-dessous). Les dispositions des constitutions mentionnées ont été choisies à titre d’exemples pour illustrer le propos. Ce tableau n’est pas exhaustif et ne présente pas toutes les procédures d’initiative populaire pouvant exister dans les divers systèmes juridiques ni les spécificités procédurales présentes dans chacun des systèmes juridiques concernés.

Tableau 1

Tableau récapitulatif des différentes procédures d’initiative populaire

Tableau récapitulatif des différentes procédures d’initiative populaire

Tableau 1 (suite)

Tableau récapitulatif des différentes procédures d’initiative populaire

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Parmi les différents types d’initiatives populaires, une première distinction se profile au regard de l’objet général de l’initiative populaire, qui peut être convocatoire ou encore révocatoire (3.1.), propositif ou abrogatif (3.2.). Une deuxième distinction porte sur le caractère propositif direct ou indirect (3.3.) des initiatives populaires. Les initiatives populaires indirectes avec référendum se déclinent à leur tour en initiatives avec référendum obligatoire ou facultatif (3.4.). Enfin, les référendums veto, pouvant être décrits comme des initiatives « suspensives », font également partie de cette large palette de procédures (3.5.).

3.1. Initiatives convocatoires et révocatoires

Les initiatives consistant à convoquer une élection ou à révoquer des élus peuvent faire l’objet d’un traitement à part, car elles ne portent pas sur un texte qu’il convient d’adopter ou de rejeter.

Le recall, ou référendum révocatoire, déclenché à l’initiative des citoyens, porte sur un mandat individuel ou collectif (Sénac, 2020 : 67 ; Welp et Whitehead, 2020). Qu’il s’agisse de la révocation d’un gouverneur, d’un représentant ou d’un juge, comme aux États-Unis à l’échelon fédéré (Bachert-Peretti, 2021 : 169), en Bolivie, en Colombie, en Équateur, au Pérou ou encore au Venezuela (Cerda-Guzman, 2021 : 189 ; Le Quinio, 2021 : 205), ou de la révocation d’une assemblée, comme en Lettonie ou au Liechtenstein (Sénac, 2021 : 21), cela aura pour effet de provoquer de nouvelles élections, soit concomitantes, soit consécutives à la procédure de révocation populaire. De ce fait, bien qu’étant un outil de participation des citoyens à l’initiative directe de ceux-ci, le recall peut être classé parmi les outils de la « démocratie représentative, électorale » (Morel, 2022 : 35)[12].

De la même façon, un traitement à part peut être réservé aux initiatives consistant à demander la convocation d’une assemblée constituante. Leur seul objet est soit de solliciter directement la mise en place d’une telle assemblée (Panama), soit de demander l’organisation d’un scrutin pour décider ou non de lancer le processus de réforme constitutionnelle sans que le contenu, en principe, soit défini (Bolivie, Équateur). Si ces demandes aboutissent, des élections seront mises en place pour former l’assemblée constituante. De ce fait, ces initiatives, que l’on peut nommer « convocatoires constituantes », sont à rapprocher des initiatives populaires révocatoires, car dans un cas comme dans l’autre, elles auront généralement pour effet, si le nombre de signatures requis est atteint, de provoquer un scrutin électoral soit directement (Colombie-Britannique avec un seuil de 40 % de soutiens), soit après que cette proposition aura été soumise aux citoyens (Équateur, Venezuela et de nombreux États fédérés américains).

3.2. Initiatives populaires propositives et initiatives populaires abrogatives

Le champ d’une initiative populaire propositive peut être très large et englober des domaines couverts parfois par d’autres types d’initiatives. Par exemple, si elle est autorisée en matière constitutionnelle, l’IP peut avoir pour objet une proposition de réforme totale de la Constitution qui conduirait à mettre en place une assemblée constituante. De même, on peut imaginer qu’une initiative populaire puisse proposer une réforme électorale et la convocation de nouvelles élections qui entraîneraient de ce fait la dissolution d’une assemblée. L’initiative populaire propositive peut également permettre de demander l’abrogation d’un texte à certaines conditions, dont celle, généralement, de ne pas porter sur un texte qui viendrait tout juste d’être adopté. L’inverse, en revanche, n’est pas vrai, comme a pu le souligner la Cour constitutionnelle italienne devant des propositions de référendums dits « manipulatifs » qui visaient à permettre une nouvelle législation par l’abrogation de certaines dispositions dans les textes existants (Bartole, 1998 : 95). Le champ d’application d’une initiative populaire peut donc permettre de nombreuses réformes à partir du moment où leur objet n’est pas exclu, sous forme de liste positive ou négative, par la Constitution ou la loi, à la différence des autres types d’initiatives populaires, qui ont en général un objet plus précis.

3.3. Initiatives populaires directes et initiatives populaires indirectes

Parmi les initiatives populaires propositives, l’initiative populaire directe est de loin la plus connue. Elle n’est pourtant pas la plus répandue. À la différence de l’initiative populaire d’agenda, le Parlement n’y a qu’un rôle limité, car l’objectif de l’IPD est justement de concurrencer le Parlement dans ses fonctions d’élaboration et d’adoption d’une législation. L’IPD permet d’influencer plus directement les politiques publiques en plaçant certaines questions dans le débat public et, si toutes les conditions sont réunies, en provoquant un scrutin appelant tous les citoyens à voter sur ces sujets.

En Suisse, la procédure de l’IPD, qui est l’une des deux modalités de révision partielle de la Constitution, prévues à l’article 139 de cette dernière, peut cependant prêter à confusion quant au rôle exercé par le Parlement. En effet, celui-ci est chargé de vérifier la recevabilité de l’initiative. Cet examen est sommaire, puisqu’il porte sur la vérification du respect des limites formelles et matérielles prévues par la Constitution. Or, en matière de révision de la Constitution, ces limites sont particulièrement faibles. Les limites formelles sont liées au mode de présentation de l’initiative, lequel permet soit de proposer un texte entièrement rédigé, ce qui est la modalité la plus utilisée, soit de formuler une proposition en termes généraux que le Parlement sera chargé de rédiger par la suite si la majorité des citoyens et des cantons soutiennent cette initiative. À cette exigence d’unité de forme s’ajoute une exigence d’unité de matière, qui suppose une certaine homogénéité dans le texte proposé quant à son objet. La seule limite matérielle a été introduite en 1999 dans la Constitution (art. 139) et est issue d’une décision de non-recevabilité de l’Assemblée fédérale rendue quelques années auparavant : le respect des règles impératives du droit international, communément appelé jus cogens. En somme, en examinant cette proposition d’initiative populaire, l’Assemblée fédérale suisse joue le même rôle qu’une juridiction constitutionnelle, telle que le Tribunal constitutionnel portugais, qui examine la recevabilité législative et constitutionnelle des initiatives populaires visant l’organisation d’un référendum (art. 115 et 223 de la C.), ou la Cour constitutionnelle italienne, qui examine celle des demandes de référendum abrogatif (loi constitutionnelle no 1 de 1953 et loi no 352 de 1970). Le contrôle exercé par l’Assemblée fédérale suisse est toutefois beaucoup plus léger que celui de ces dernières. En revanche, à la différence d’une initiative populaire indirecte, l’objectif de la procédure n’est pas de faire valider le texte par le Parlement, mais bien de le soumettre directement au référendum.

Ces initiatives populaires directes sont à distinguer des initiatives populaires indirectes, autrement appelées initiatives d’agenda. L’Initiative citoyenne européenne constitue d’ailleurs le seul exemple d’initiative populaire indirecte à l’échelon supranational, même si elle peut être classée parmi les mécanismes les plus faibles de ce type en matière d’influence quant à l’adoption d’une norme (Dumont et Fatin-Rouge Stefanini, 2019). Là encore, tout un panel de procédures existe dont le seul point commun est de concerner des propositions citoyennes adressées au Parlement, qui est, selon les systèmes juridiques, plus ou moins contraint de se prononcer sur celles-ci. Ces degrés de contraintes tiennent à plusieurs éléments : tout d’abord, le Parlement peut être tenu d’examiner ou non les propositions dans un certain délai[13]. Cette modalité prend diverses formes : un filtrage par un organe en dehors du Parlement (cas de l’ICE, examinée préalablement par la Commission européenne, qui décidera des suites à donner à la proposition), un examen préalable en commission parlementaire une fois que le texte a été déclaré recevable, un vote du texte à l’Assemblée (cas du Portugal, où le texte ne peut être qu’adopté ou rejeté en bloc) en constituent quelques exemples. La contrainte peut également tenir à la manière dont le texte est formulé. Ainsi, en Suisse, les initiatives populaires d’agenda à l’échelon fédéral sont rédigées en termes généraux, et si cette proposition est acceptée par référendum, le Parlement fédéral sera chargé de la concrétiser, puis la proposition rédigée par ce dernier sera de nouveau soumise au référendum (art. 139, al. 4, de la C.). Les contraintes peuvent également être liées à l’audition de membres du comité d’initiative et à la possibilité pour ceux-ci de faire évoluer le texte en lien avec l’Assemblée (Pologne, par exemple). Enfin, la contrainte la plus forte est celle consistant à prévoir un référendum si le texte proposé est modifié ou rejeté par le Parlement. Ainsi, en Lettonie, l’article 78 de la Constitution prévoit que les citoyens peuvent proposer une réforme de la Constitution ou une nouvelle loi à la condition de réunir au moins 10 % des signatures du corps électoral. La proposition sera ensuite examinée par le Parlement (la Saeima), et si ce dernier procède à des modifications avant de l’adopter, le texte sera soumis à référendum. Il en va de même au Liechtenstein, dans le cas où le texte proposé par les citoyens est rejeté par le Parlement[14].

L’initiative populaire directe, pour sa part, entretient un rapport très concurrentiel avec le Parlement. En effet, dans ce cas, il ne s’agit plus d’adresser un texte à ce dernier pour lui demander de s’en saisir et de l’adopter, mais simplement de proposer au scrutin populaire un texte qui, dans la procédure législative normale, aurait été examiné et voté par celui-ci. Par conséquent, l’examen du texte en commission, les débats parlementaires, le vote article par article et le vote général de la loi par le Parlement sont évincés au profit d’un débat extraparlementaire et d’un scrutin permettant généralement d’adopter ou de rejeter le texte en bloc, les citoyens étant alors dans l’impossibilité de l’amender. Le texte adopté ne sera pas, en principe, un texte consensuel ou de compromis entre les différents intérêts et partis en présence, comme les débats parlementaires peuvent généralement le permettre si de tels débats et amendements du texte sont réellement possibles au sein du Parlement. Cette remarque doit toutefois être tempérée par le fait que le Parlement peut parfois avoir la possibilité, comme en Suisse, de présenter un contre-projet qui sera placé aux urnes en même temps que la proposition d’initiative citoyenne. Dans ce cas, il arrive que le texte finalement retenu soit celui proposé par le Parlement, et il constituera un compromis entre la proposition citoyenne et la volonté des représentants, qui prennent en considération d’autres intérêts.

3.4. Initiatives populaires indirectes avec référendum obligatoire et initiatives populaires indirectes avec référendum facultatif

La présence ou non d’un référendum à l’issue du processus pour certaines procédures d’initiative populaire indirecte (ou d’agenda) est source de confusion avec les initiatives populaires directes. Cela conduit souvent à placer toutes les initiatives propositives avec référendum dans le même ensemble et à les distinguer en bloc des initiatives d’agenda. En effet, parmi les procédures d’IPI avec référendum peuvent être distinguées celles pour lesquelles un référendum facultatif est prévu, celles où le référendum est obligatoire à certaines conditions et celles où le référendum est toujours obligatoire après que le Parlement s’est prononcé sur le texte. Il existe donc trois grandes catégories d’initiatives populaires indirectes avec référendum. Dans la première catégorie, celle où le recours au référendum est facultatif, un tel scrutin devra être soit proposé, soit demandé. Par exemple, en Équateur, pour les IPI portant sur des révisions constitutionnelles, le comité promoteur de l’initiative peut lui-même demander l’organisation d’un référendum si une proposition d’IPI portant réforme de la Constitution n’a pas été examinée dans le délai d’un an (art. 103 de la C.). Plus largement, tous les cas de figure permettant de combiner une procédure d’initiative populaire et la possibilité pour une autorité (exécutive ou législative) de recourir au référendum pourraient être placés dans cette catégorie d’IPI avec référendum facultatif.

Dans la seconde catégorie peuvent être classées les IPI dans lesquelles le référendum est obligatoire si le Parlement ne se saisit pas du texte, le rejette ou l’amende. Ce type d’initiative populaire peut être qualifié d’« IPI avec référendum conditionné ». Les exemples de la Lettonie et du Liechtenstein, où un rejet du texte conduit à soumettre la proposition d’IP au référendum, ont déjà été cités. En Arménie, 50 000 citoyens peuvent proposer une initiative législative (art. 109 de la C.). Si ce texte est rejeté cependant, il sera nécessaire de collecter 300 000 signatures supplémentaires dans un délai de 60 jours (art. 214 de la C.) afin que le texte initial soit soumis au référendum pour être approuvé ou rejeté.

Dans la troisième catégorie se trouvent les initiatives populaires indirectes avec référendum obligatoire, qui sont celles qui se rapprochent le plus des initiatives populaires directes. En effet, dans ce cas, quelle que soit la réponse du Parlement, un référendum sera organisé. Souvent, cela ne tient pas tant au fait que la procédure est d’initiative populaire, mais que l’adoption de ce type de législation est obligatoirement soumise au référendum. En Suisse, par exemple, les initiatives conçues en termes généraux, prévues par l’article 139, al. 2 et 4, seront nécessairement soumises au vote des citoyens, que la proposition soit acceptée ou rejetée par l’Assemblée fédérale. Comme la Constitution le précise, même si l’Assemblée fédérale rejette la proposition, en cas d’acceptation par le peuple, elle est tenue d’élaborer le projet demandé par les citoyens (art. 139, al. 4, de la C.). Le rejet de la proposition d’initiative citoyenne par l’Assemblée fédérale n’aura pour effet que de multiplier les étapes devant les citoyens. En effet, le projet rejeté par l’Assemblée fédérale sera soumis à l’approbation ou au rejet des citoyens. Si ces derniers rejettent le texte à la majorité, la procédure s’arrête. En revanche, si le peuple l’accepte, malgré le rejet du Parlement, ce dernier doit rédiger le projet de loi constitutionnelle. Par ailleurs, comme toute réforme de la Constitution, le texte confectionné par l’Assemblée fédérale sera soumis au référendum obligatoire et au vote des cantons (art. 140 de la C.).

Ce qui conduit à classer ce type d’initiatives populaires parmi les IPI tient, encore une fois, au rôle important joué par le Parlement, en ceci que les différentes chambres doivent s’entendre sur un texte qui sera par la suite soumis au vote des citoyens. La rédaction de ce texte appartient donc aux chambres. Ces dernières maîtrisent la concrétisation de la demande citoyenne sous forme d’un texte rédigé qui sera soumis au référendum.

3.5. Initiatives suspensives ou référendum veto

Les initiatives suspensives (référendum veto) se différencient des initiatives abrogatives en ce que ces dernières peuvent intervenir à tout moment, ou après un certain délai, une fois que le texte qu’elles visent a été adopté. Le référendum veto d’initiative populaire ne peut intervenir qu’au cours du processus législatif ou dans les jours qui suivent l’adoption d’un texte[15]. Les initiatives suspensives ne connaissent pas une diversité aussi importante que les initiatives propositives ou abrogatives, si ce n’est dans leurs modalités précises d’application en ce qui concerne le type d’acte pouvant faire l’objet d’un veto populaire, le nombre ou pourcentage de citoyens pouvant demander la suspension et le délai de récolte des signatures permettant l’organisation d’un scrutin. Ainsi, en matière constitutionnelle, l’initiative suspensive est opposable dès la publication de la réforme constitutionnelle adoptée par les chambres pour l’Italie (art. 138 de la C.) et dès la première lecture par la chambre des députés pour le Luxembourg (art. 114 de la C.). Dans le cas italien, la demande suspend la promulgation de la loi, et les 500 000 signatures nécessaires pour obtenir l’organisation d’un référendum qui permettra de valider ou de rejeter le texte doivent être récoltées dans un délai de 3 mois. Toutefois, les chambres peuvent décider d’adopter le texte à une majorité des deux tiers pour éviter le référendum. Au Luxembourg, la demande permet d’éviter la seconde lecture de la loi par la Chambre des députés, et les citoyens disposent d’un délai de deux mois pour recueillir les 25 000 signatures nécessaires. Le référendum, dans ce cas, est obligatoire. En Lettonie, en Slovénie, en Suisse et en Uruguay, l’initiative suspensive ne concerne que les lois. Le nombre ou taux de signatures requis peut être très faible, comme en Suisse (50 000 signatures, soit moins de 1 % de la population). De ce fait, une centaine de procédures de veto ont été lancées en Suisse contre des législations fédérales[16].

4. Un champ d’application généralement limité pour les initiatives propositives et abrogatives

Il existe généralement un champ de compétence du législateur « populaire » plus limité que celui de l’initiateur gouvernemental ou parlementaire, que l’initiative soit propositive ou abrogative. Ces limitations peuvent être positives, sous forme de liste indiquant les domaines dans lesquels l’initiative populaire est possible, ou négatives, en excluant certaines matières. Des limites temporelles peuvent également exister, telles que l’interdiction de demander l’organisation d’un référendum à proximité d’une période électorale (Costa Rica, Italie, Portugal…) ou de soumettre une proposition ayant déjà fait l’objet d’un rejet au cours de la même session (Portugal).

La première limite tient au domaine normatif auquel appartient le droit d’initiative populaire. Les initiatives populaires locales sont ainsi logiquement limitées au domaine de compétence et aux actes des collectivités locales. À l’échelle nationale ou fédérale, le champ de compétence se rapproche généralement de celui du Parlement. Le degré de la norme concernée dans la hiérarchie est bien évidemment un facteur plus ou moins limitatif de la compétence directe des citoyens. Ainsi, les initiatives populaires directes à l’échelle nationale ou fédérale sont peu répandues, et sont même rares en matière constitutionnelle. Mis à part le cas de la Suisse pour les initiatives populaires entièrement rédigées et celui du Liechtenstein, États dans lesquels ces procédures sont régulièrement mises en oeuvre, dans les quelques lieux où ce type d’initiative est prévu, tels que la Bolivie, la Croatie, l’Uruguay, quelques îles telles que Palaos, ces initiatives fonctionnent peu en raison d’exigences trop élevées (Magni-Berton et Egger, 2019 : 63). En Roumanie, l’IPI est prévue en matière constitutionnelle, et permet de demander au président d’engager une procédure de révision de la Constitution, mais son champ d’application est limité, comme pour toute révision constitutionnelle, notamment en ne permettant pas la suppression de droits et de libertés ou des garanties de ceux-ci (art. 150 et 152 de la C.). Les initiatives populaires directes ou indirectes en matière infraconstitutionnelle sont beaucoup plus nombreuses, et même largement répandues en ce qui concerne les initiatives populaires indirectes (Magni-Berton et Egger, 2019 : 76 ; Fatin-Rouge Stefanini, 2022), et se voient opposer à ce titre, comme première limite, le respect de la Constitution. En outre, certains domaines de compétence du Parlement sont traditionnellement exclus pour le législateur populaire, parmi lesquels les questions fiscales et budgétaires, les traités internationaux ratifiés, l’amnistie et la remise de peine sont les plus fréquents.

Une des exigences s’imposant le plus couramment en présence d’une initiative populaire directe ou abrogative est également celle de l’objet unique, autrement appelée unité de matière ou exigence d’homogénéité de la demande. En somme, une initiative populaire doit présenter une certaine cohérence dans son contenu, de manière à ne pas faire accepter par les citoyens un texte embrassant trop de sujets sans lien les uns avec les autres, si le texte est présenté au référendum. Cette règle existe également pour les IPI n’ayant qu’une vocation parlementaire, par souci de cohérence du texte discuté par les assemblées. De même, dans le cas du référendum abrogatif italien, la règle de l’homogénéité de la demande d’abrogation et surtout celle de la clarté de la norme de résultat ont été imposées par la Cour constitutionnelle afin de permettre aux citoyens-votants d’avoir la compréhension la plus claire possible des enjeux du scrutin qui leur est présenté.

5. Une grande diversité dans les thématiques proposées

La pratique montre une grande diversité des thématiques proposées, parfois contradictoires dans le temps ou dans l’espace. Dans tous les cas, les initiatives populaires peuvent être considérées comme une forme d’opposition. Le référendum veto est par essence l’expression d’une réaction à la législation qui vient d’être adoptée. Cependant, cette fonction peut également être jouée par une initiative propositive qui, dans bien des cas, intervient pour exprimer une résistance à une situation ou à une pratique. Par exemple, en 2013, une IPI reconnaissant que la tauromachie fait partie du patrimoine culturel a été adoptée en Espagne par le Parlement par crainte d’une remise en cause de cette tradition sous l’effet d’une montée en puissance des revendications des défenseurs du bien-être animal. De même, nombreuses sont les propositions d’initiative populaire visant à faire avancer le droit dans un domaine considéré comme non défendu ou insuffisamment réglementé par les représentants élus. La question du bien-être animal a justement fait l’objet de plusieurs initiatives populaires directes aux États-Unis (Floride, Californie), permettant d’améliorer les conditions de confinement des animaux. En ce sens, l’IP est un accélérateur de législation et peut permettre de déterminer de façon plus claire l’état du droit à un moment donné. De ce fait, tout comme il n’existe pas de domaine privilégié d’intervention du Parlement, il n’existe pas non plus de domaine de prédilection pour les initiatives populaires lorsque leur champ d’application est largement ouvert.

6. De nombreux échecs à relativiser

Si toutes ces procédures existent dans les textes, il est rare que l’on entende parler de façon récurrente de la plupart d’entre elles en dehors des IPD en Suisse et aux États-Unis. Force est de constater que les échecs sont nombreux, en ce sens que peu d’initiatives aboutissent à l’adoption d’une nouvelle législation (dans le cas d’initiatives propositives), au rejet d’une législation devant entrer en vigueur ou déjà en vigueur (initiative populaire de veto ou d’abrogation) (Magni-Berton et Egger, 2019 ; Dumont et Fatin-Rouge Stefanini, 2019 ; Fatin-Rouge Stefanini, 2022), ou même à une révocation.

Les raisons de ces échecs tiennent à deux causes principales : d’une part, de nombreuses initiatives populaires n’aboutissent pas en raison de modalités de mise en oeuvre trop contraignantes. Dans plusieurs cas, le nombre de signatures requis est trop élevé, dépassant 10 % du corps électoral, y compris en présence de procédures d’IPI. S’ajoutent parfois à cela des délais courts pour recueillir ce nombre élevé de signatures (15 jours en Croatie pour un nombre de signatures équivalent à 10 % du corps électoral). Même lorsqu’une proposition peut être soumise au référendum, la grande majorité des États prévoient des quorums de participation (Colombie, Italie, Slovaquie, Venezuela…) ou d’approbation (Hongrie, Uruguay, Palaos…) qui conduisent à l’échec de législations même largement approuvées. La seconde cause d’échec identifiée est plus positive. Elle peut tenir à l’influence qu’exerce indirectement l’existence même de ces dispositifs d’initiative populaire sur les gouvernements et parlements, qui vont être tentés d’anticiper une réaction populaire soit en recherchant un consensus dans la société civile autour d’un texte préalablement à son adoption, lorsqu’existe une procédure de référendum veto (Suisse), soit en procédant à l’abrogation du texte avant qu’il soit soumis au référendum (Italie), soit encore en présentant un contre-projet à une initiative populaire directe (Suisse). Ainsi, en Suisse, moins de 5 % des initiatives populaires présentées en matière de révision constitutionnelle conduisent réellement à une modification de la Constitution (Mahon et Baer, 2020 : 113). En revanche, 41,6 % des référendums veto organisés en Suisse aboutissent à un rejet de la législation adoptée[17]. Le peu d’impact direct sur l’ordre juridique, en ce qui concerne l’adoption ou le rejet d’un texte, ou la révocation d’un élu ou d’une assemblée, doit être relativisé, car si certaines de ces procédures attribuent aux citoyens un pouvoir de contrainte important sur les élus, elles n’ont pas vocation à bouleverser ni à remplacer le système représentatif, mais seulement à l’influencer. Même en Suisse et en Californie, où ces mécanismes sont multiples et se combinent de manière à exercer une certaine influence sur les représentants, le principe du système représentatif demeure pour la plupart des décisions adoptées. Les procédures d’initiative populaire visent tout autant à sensibiliser les élus, dans le cadre des IPI, des IPD et des demandes de référendum suspensif et abrogatif, qu’à les responsabiliser, notamment lorsqu’elles sont combinées avec des mécanismes de recall. Elles ont également pour avantage de sensibiliser l’ensemble de la communauté politique à l’égard de certains sujets et de participer ainsi, aux côtés d’autres procédés tels que les recours en justice, à faire changer le droit. Il semble donc tout aussi important de prendre en considération les effets indirects de ces procédures sur le comportement et les choix des élus que leurs effets directs.

Conclusion

Les initiatives populaires constituent un moyen pour une minorité, qu’il s’agisse de partis politiques, de groupes de pression ou encore de collectifs de citoyens, de revendiquer un changement, soit en proposant l’adoption ou l’abrogation d’un texte, soit en s’opposant à un texte devant entrer en vigueur, soit en remettant en cause un ou plusieurs élus, soit encore en réclamant un changement constitutionnel. La typologie des diverses formes d’initiatives populaires proposée dans cette étude permet d’entrevoir la richesse assez méconnue de cette modalité de participation citoyenne. Certaines d’entre elles toutefois, comme l’initiative populaire législative d’agenda, sont de plus en plus présentes dans les constitutions et signalent un accroissement de l’implication des citoyens dans le processus d’élaboration des normes qui les concernent. Même si le taux de succès de certaines procédures d’initiative populaire est assez faible, leur intérêt semble être, avant tout, de donner une voix à l’opposition et à des minorités, quelles que soient les idées défendues, et de placer dans le débat public les questions soulevées.

Chaque situation étant différente, cet aperçu des mécanismes d’initiative populaire ne peut que s’enrichir d’études plus complètes des spécificités présentes dans les systèmes nationaux et locaux et d’études sociologiques permettant d’appréhender la manière dont les citoyens se saisissent de tels outils.