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La lecture de ce livre exige une certaine conversion. On s’est habitué à imaginer que le « berceau des religions » devait se situer au Proche-Orient ou en Asie du Sud, alors que l’auteur accumule les arguments qui donnent à penser que la contribution des Iraniens en ce domaine en est une de premier plan (p. xvii).
Il est un peu ironique de penser que, pendant plus de deux millénaires, l’Iran fut une puissance aussi formidable que les États-Unis d’aujourd’hui, que la Grande-Bretagne et la France au dix-neuvième siècle, et même que l’Empire romain il y a deux mille ans. Dans une grande partie du monde asiatique, l’Iran représenta longtemps la « culture civilisatrice » par excellence, dont les normes, les valeurs, les habitudes et les interprétations furent adoptées — par des Turcs, des Arabes, des Indiens et beaucoup d’autres peuples.
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Divisé en neuf chapitres portant respectivement sur (1) les origines des religions iraniennes ; (2) le zoroastrisme ; (3) le judaïsme ; (4) le bouddhisme ; (5) le christianisme ; (6) les traditions gnostiques ; (7) l’islam ; (8) le mouvement babiste et la foi baha’ie ; et (9) les religions en Iran aujourd’hui, ce livre couvre toute l’histoire religieuse extrêmement diversifiée de l’Iran et cherche à faire le bilan des études scientifiques réalisées jusqu’ici. L’auteur nous convainc aisément de la capacité d’invention dont cette civilisation a fait preuve. On trouvera par exemple en p. 34 une liste des idées religieuses qui semblent avoir été inventées dans ce pays avant d’être reprises par diverses traditions religieuses. On y compte le monothéisme (voir aussi p. 20), la résurrection corporelle (aussi p. 21), les anges, l’attente d’un sauveur ; également l’auréole, l’envoi de missionnaires, une éthique basée sur le choix moral de l’individu (p. 38).
Ce livre n’est évidemment pas dénué d’un parti pris nettement exprimé, et je n’y trouve pour ma part rien à redire. Je m’étonne cependant que l’auteur déplore l’absence d’une « histoire objective du christianisme oriental » (p. 61). Sans doute voulait-il parler d’une histoire qui explicite davantage le rôle important qu’ont joué l’Iran et le christianisme iranien en ce domaine, et alors que je ne peux qu’être d’accord. Le titre du chapitre traitant des traditions gnostiques aurait pu être plus explicite : il traite surtout du mandéisme et du manichéisme, des traditions que la recherche actuelle ne classifie ordinairement plus sous cette rubrique.
L’avant-propos explique que ce livre est « une révision à la française » d’un livre d’abord paru en anglais sous le titre Spirituality in the Land of the Noble : How Iran Shaped the World’s Religions (Oxford, Oneworld Publications, 2004), puis en arabe à Beyrouth en 2006 (version légèrement censurée). Richard Foltz est en effet professeur associé au Département des sciences de la religion de l’Université Concordia de Montréal depuis 2006. La présente édition se lit très bien, avec quelques rares coquilles. Une carte de l’Iran et de ses voisins au vie siècle (sans doute, de notre ère) placée au début du livre s’avère fort utile ; d’autres cartes pour d’autres périodes auraient été les bienvenues. Le livre se termine par un glossaire, une bibliographie et un index. Les ouvrages en langue française ont été regroupés à la fin de la bibliographie. Il aurait toutefois été facile de fournir au lecteur francophone une bibliographie plus complète et susceptible de l’aider davantage à découvrir cet immense pays. Par exemple, Jacques Duchesne-Guillemin a écrit un gros article sur « L’Iran antique et Zoroastre » dans l’Histoire des religions I dirigée par H.-C. Puech (Paris, Gallimard, 1970), suivi d’un autre article sur « L’Église sassanide et le mazdéisme » dans le tome II du même ouvrage, des textes plus accessibles que les deux ouvrages cités. Son Ormazd et Ahriman. L’aventure dualiste dans l’Antiquité (Paris, PUF, 1953), bien qu’épuisé, aurait également mérité une place ici. Marijan Molé a publié deux petits livres fort intéressants : L’Iran ancien (Paris, Bloud et Gay, 1965), et Les mystiques musulmans (Paris, PUF, 1965), également épuisés, il est vrai. Eva de Vitray-Meyerovitch (1909-2001) n’est pas non plus citée, alors qu’elle a été une traductrice de textes persans très prolifique.
Cela dit, je ne puis que recommander ce petit livre qui comble en français une lacune importante, et qui contient des pages bien senties concernant la situation souvent déplorable des groupes religieux minoritaires dans ce pays.